Apports des neurosciences et pedagogie du langage ecrit



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Des études japonaises (Iwata, 1986) ont apporté en ce domaine un éclairage particulièrement instructif. Elles ont été réalisées chez des sujets qui, antérieurement à leurs lésions cérébrales, lisaient deux langues, une alphabétique, le Kana, une idéogrammique, le Kanji. Les lésions importantes de la région temporo-parieto-occipitale droite n’altèrent ni la lecture du Kana ni celle du Kanji. Les sujets atteints de lésions de l’hémisphère gauche responsables d’alexie sont incapables de lire le Kana mais ils parviennent à identifier quelques signes Kanji : ceux qui représentent de manière figurative l’objet qu’il signifie. Il ne s’agit donc plus ici d’idéogrammes mais de pictogrammes assimilables à des dessins. Ceux-ci sont donc traités comme tels et pris en charge par l’hémisphère droit. Ainsi le mot « arbre », représenté en Kanji par la forme stylisée d’un sapin, est reconnu. Par contre, l’ensemble graphique qui correspond au mot « forêt » symbolisé par trois pictogrammes regroupés figurant chacun un arbre, est perçu comme trois arbres successifs. L’hémisphère droit traite cet objet visuel comme une association de dessins mais, en l’absence d’intervention de l’hémisphère gauche, n’a pas accès à la compréhension du concept linguistique que représente ces signes associés.

Confirmant ces faits, l’imagerie médicale montre que les aires du langage activées lors de la pratique de l’écrit sont identiques dans tous les types de lecture que celle-ci soit phonogrammique ou idéogrammique.


Ces travaux montrent clairement que les signes graphiques abstraits porteurs de signification sonore, qu’ils s’agissent de mots ou d’idéogrammes, ne peuvent en aucun cas être assimilés à des images. Traités par l’hémisphère gauche, ils sont donc, eux-aussi, soumis à des procédures d’analyse.
Où s’opère cette différenciation entre les différents types de graphismes ? Les aires visuelles primaires occipitales semblent capables de répondre à la question : « qu’est-ce que je vois ? » (Ungerleider & Mishkin, 1982; Reppas, Dale, Sereno & Tootel, 1996). Il en découle un tri entre les perceptions qui détermine l’orientation de l’information vers les régions les mieux adaptées à son traitement.
Cette prise de conscience de la nature spécifique de l’information linguistique et de son mode de traitement est une donnée qu’il faut impérativement prendre en compte dans l’élaboration d’une pédagogie du langage écrit. Assimiler le mot à un dessin ou à une image que le cerveau photographierait et serait ensuite en mesure de reconnaître de manière globale est un non-sens lié à la localisation dans l’hémisphère gauche des aires de traitement du langage oral et écrit.

LES DIFFERENTS TEMPS DE LA LECTURE

Présenter une synthèse des connaissances dans le domaine du langage écrit est une tâche complexe et inévitablement réductrice dans la mesure où le caractère linéaire du langage et de la pensée qu’il exprime exige d’exposer de manière successive des opérations multiples qui se produisent simultanément dans des circuits bouclés interactifs. En effet, si la conception cybernétique de la circulation de l’information conserve sa place pour expliquer la complémentarité du travail neuronal, de nombreux chercheurs considèrent aujourd’hui que cette notion ne peut pas rendre compte, à elle seule, de la complexité des opérations mises en cause dans l’élaboration et la compréhension des fonctions cognitives complexes et tout particulièrement de celle du langage oral et écrit. Ils pensent qu’il faut lui adjoindre le concept de connexivité qui sous-entend une architecture en réseaux de nœuds interconnectés dont chacun peut activer ou inhiber ceux avec lesquels il est connecté (Paillard, 1999). Cette conception de l’organisation en réseau permet de comprendre que des neurones effectuant des tâches de degré de complexité très divers puissent coexister au sein d’une même aire corticale. L’aire de Wernicke est un bon exemple de cette complémentarité. Y ont été isolés, des neurones qui traitent les informations de base au niveau phonologique et des cellules impliquées dans les opérations les plus élaborées de la recherche du sens. Cette proximité permet d’établir des circuits courts et donc d’accélérer la circulation de l’information dans les réseaux. Ce qu’on pourrait appeler un « désordre organisé » est sans doute le meilleur moyen que la nature ait trouvé pour raccourcir les circuits et optimiser le traitement des informations les plus complexes.


Le concept de connexivité apporte à la compréhension du langage écrit, un éclairage dont l’importance est fondamentale. Certains chercheurs s’interrogent sur l’ordre d’entrée en scène des différents paramètres qui conduisent à la découverte du sens dans la lecture (Habib. 1997, dyslexie : le cerveau singulier. p.109). Le principe de connexivité me semble permettre de répondre à cette question. En effet, si l’information circule dans un système de réseaux de neurones interconnectés, à partir du moment où elle atteint le cortex, toutes les données qu’elle contient s’interpénètrent et il devient alors impossible de définir un ordre dans l’exécution des tâches accomplies.
Malgré le côté artificiel de la présentation successive des opérations qui conduisent à la compréhension du langage écrit, celles-ci seront ici, pour des raisons de clarté, rassemblées en deux groupes qui constituent deux niveaux de traitement de l’information, en sachant que ceux-ci sont totalement indissociables l’un de l’autre.
-1 le temps phonologique de la lecture qui permet de réaliser la liaison entre les signes graphiques et les sons qu’ils représentent;
-2 le temps sémantique qui intègre les éléments identifiés dans des ensembles de plus en plus grands et aboutit à la découverte du sens du message écrit.

LE TEMPS PHONOLOGIQUE


Exécuté par l’ensemble des circuits cérébraux appartenant au module phonologique du cerveau, cette phase de la lecture a pour but de parvenir à la prise de conscience phonologique c’est à dire à la compréhension du lien qui relie les phonèmes de la langue orale aux graphèmes qui les représentent.
Pour que ce travail soit réalisable, le cerveau doit disposer dans sa mémoire de deux lexiques, l’un comprenant l’ensemble des phonèmes de la langue, l’autre la totalité des graphèmes qui leur correspondent. Il pourra alors établir une comparaison entre ces éléments mémorisés et les informations auditives et visuelles qu’il reçoit. Il importe donc de comprendre comment se constitue chacun de ces lexiques et comment s’établit leur mise en correspondance.
Identification des sons et constitution du lexique des phonèmes
C’est le temps de la lecture qui a donné lieu au plus grand nombre de travaux. La bibliographie ci-jointe ne peut en citer qu’une partie très limitée.
Dans toutes les langues, l’écrit a pour but de représenter les sons de l’oral sous forme de signes graphiques. La différence entre les langages réside dans le niveau auquel s’établit le lien entre ces deux formes de symbolismes. Dans les langues idéogrammiques, la correspondance entre les sons et les graphies s’établit soit au niveau des équivalents sonores de nos syllabes (les mores) soit avec l’ensemble du mot. Dans les langues alphabétiques, le lien entre sons et graphismes se réalise entre les unités sonores qui composent les syllabes, les phonèmes, et les signes qui les représentent, les graphèmes. Cette conception de l’écrit allége considérablement le travail de mémorisation en réduisant le nombre de signes graphiques nécessaires pour former les mots. Par contre, elle nécessite de pouvoir identifier tous les phonèmes des mots entendus et de maîtriser les lois de la combinaison des graphèmes qui les représentent ainsi que celles du système orthographique dans les langues où, comme en français, l’écriture du mot varie en fonction de sa nature et de son rôle dans la phrase.
Le nombre de phonèmes et de graphèmes diffère largement suivant les langues. Il existe souvent plusieurs combinaisons graphiques pour transcrire le même phonème. Ainsi l’anglais comporte plus de 1000 graphèmes pour 41 phonèmes. Le français est constitué de 35 phonèmes transcrits par 190 graphèmes. L’Italien et l’Espagnol ont pratiquement autant de phonèmes que de graphèmes. Plus l’écart entre le nombre de phonèmes et de graphèmes est grand, plus l’apprentissage des correspondances entre sons et graphismes est complexe. Ce n’est pas un hasard si la dyslexie touche majoritairement les pays anglophones et francophones alors qu’elle se réduit en général à une simple lenteur de la lecture chez les Italiens et les Espagnols.
Discrimination des sons
Si le langage oral est une fonction cognitive de caractère inné chez l’Homme, la constitution du lexique phonologique n’en reste pas moins une difficulté majeure pour un très grand nombre de sujets.
Pour le mettre en place, le cerveau doit pouvoir identifier avec précision tous les phonèmes qui constituent sa langue en distinguant les uns des autres ceux dont les composantes phonologiques sont proches (ex : p/b/d, s/z/ss/ch, v/f).
L’aire primaire auditive de l’hémisphère gauche poursuit le travail d’analyse entrepris par l’oreille interne et communique aux aires cérébrales concernées par le traitement du langage oral les informations qu’elles traitent au rythme de leur émission. Les sons identifiés sont mis en mémoire pour pouvoir ensuite être reconnus.
La parole est une émission de sons successifs. Qu’il s’agisse d’une succession de syllabes comme dans les langues idéogrammiques (les mores) ou d’une suite de phonèmes, la perception auditive de la parole reste linéaire. C’est probablement à cause de la nature physique de la parole, faite de sons émis successivement, impossibles à globaliser, que le traitement du langage s’est, au cours de l’évolution du cerveau, localisé dans l’hémisphère gauche qui est le seul à pouvoir répondre à la nécessité de traitement analytique que ce mode d’expression impose. L’hémisphère gauche poursuit le travail entrepris par l’oreille interne et met en mémoire les unités sonores constitutives de la langue pour pouvoir ensuite les reconnaître dans les mots. Il s’agit là de processus analytiques de traitement de l’information. C’est bien ce que confirme l’IRM.f qui ne montre aucune différence de localisation du traitement cérébral de l’information quelle que soit la langue pratiquée.
Depuis plus de 25 ans, les publications montrant la nécessité pour le lecteur d’établir les relations entre les unités de sa langue et les signes qui les représentent sont multiples (on trouve parmi les principales Vellutino, 1979; Bradley & Bryant 1983; Perfetti,1985 ; Wagner & Torgensen, 1987 ; Mann, 1987; Lundberg, Frost & Petersen, 1988; Kamhi & Catts, 1989; Libermann, Shankweiler & Liberman, 1989; Adams, 1990; Goswami & Bryant, 1990; Gough, Ehri & Treiman, 1991; Riben & Perfetti, 1991; Vellutino & Scanlon, 1991; Stanovitch, 1992 ; Bruck, 1992; Ball, 1993 ; Tunmer & Hoover, 1993; Vellutino, Scanlon & Tanzman, 1994; Stahl & Murray 1994; Ehri 1994; Rayner & Pollatsek, 1994; Beck & Juel 1995; Fawcet & Nicholson, 1995; Rayner, Sereno, Lesch, Pollatsek, 1995 ; Liberman, 1996; Habib, 1997; Shaywitz, 1996; Habib, Robichon & Démonet, 1996; Torgensen, 1997; Torgensen, 2002, 2004; Francis & Fletcher, 2003 ; Formann, Chen, Carlson, Moats, Francis & Fletcher, 2003; King & Torgensen, 2003 ; ainsi que les très nombreuses publications de J.M.Fletcher et R. Lyon dans le cadre du National Institute of Child Health and Human Devlopment, NICHD).
La place prépondérante qui revient au découpage phonologique est bien résumée par Sally SCHAYWITZ qui écrit dans « pour la SCIENCE » (janvier 1997):
Le phonème, le plus petit segment du langage, est l’élément fondamental du système linguistique…Les mots ne sont identifiés, compris, stockés ou retrouvés dans la mémoire qu’après avoir été décomposés en phonèmes par le module phonologique du cerveau”. L’auteur explique que l’homme est le seul être à disposer dans le cerveau d’un “module phonologique génétiquement déterminé (qui) assemble automatiquement les phonèmes en mots pour celui qui parle et décompose les mots parlés en leurs composants phonologiques pour celui qui écoute”. Elle précise:“L’information de plusieurs phonèmes est (ainsi) incorporée dans une seule unité sonore et, comme il ne subsiste pas d’indice apparent de la nature segmentée du discours, les mots semblent monolithiques… Mais le système linguistique humain distingue les (…) phonèmes composant ce mot. La lecture fait intervenir le langage parlé et se fonde également sur un traitement phonologique… Celui qui lit doit transformer les signes visuels de l’écriture alphabétique en signes linguistiques, c’est-à-dire décoder les graphèmes et les coder en phonèmes correspondants. A cette fin, les lecteurs débutants doivent d’abord identifier la structure phonologique des mots parlés; puis ils doivent comprendre que l’orthographe, la séquence des lettres sur la page, représente les mots. Un enfant qui apprend à lire réalise cette recombinaison.”
L’inscription dans le code génétique de l’Homme de cette aptitude très particulière à discriminer les sons est prouvée par les expériences de succion non nutritive chez des nouveau-nés. Elles montrent que l’enfant apprend très vite à discriminer les sons de sa langue maternelle (Bertoncini, Floccia, Nazzi, & Melher, 1995 ; Van Ooijen, Bertoncini, Sansavini, & Melher, 1997). Cette aptitude a également été visualisée en IRM.f chez des enfants de 2 à 3 mois (Dehaene-Lambertz & Dehaene S, 1994).
L’enfant acquière très tôt la possibilité d’utiliser des structures neuronales qui lui permettent d’identifier une unité sonore universelle (la syllabe ou la more).L’exposition à la langue maternelle intervient ensuite pour adapter la discrimination aux besoins propres de chacune d’entre elles. Elle s’arrête aux mores dans les langues idéogrammiques mais se poursuit jusqu’à l’identification des phonèmes dans les langues phonogrammiques. Les sujets qui pratiquent des langues idéogrammiques où l’analyse phonologique n’intervient pas éprouvent de très grandes difficultés pour accéder ultérieurement à la conscience phonologique exigée par l’usage des langues phonogrammiques auxquelles ils n’ont pas été exposés dans les premières années de leur vie (Bertelson 1986 ; Mann, 1987 ; Read, Zang, Nie & Ding, 1987; Habib, 1997). De même, il a été clairement mis en évidence que les illettrés présentent très fréquemment des difficultés de reconnaissance phonologique (Morais, Bertelson, Cary & Alegria, 1987). Cette incapacité à discerner les phonèmes de leur langue constitue un handicap majeur qui les a empêchés d’accéder à la maîtrise de l’écrit.
Si la segmentation phonologique est une aptitude innée, celle-ci n’atteint pas pour autant le même degré de qualité chez tous les sujets. P.Tallal a montré qu’il existe d’importantes variations entre les sujets en ce qui concerne les capacités de discrimination des sons. Elle a explicité le fait que si le cerveau peut différencier des sons séparés en moyenne de 20 millisecondes, la plupart des dyslexiques ont besoin de 300 à 500 millisecondes pour parvenir à ce résultat. Ceci leur rend très difficile la séparation de la perception des phonèmes dans un discours de fluidité normale (Tallal & Percy, 1973).
Les capacités d’adaptation à la discrimination phonologique, maximales dans les trois premières années de la vie, diminuent assez rapidement ensuite mais lorsque l’évolution du langage se produit normalement, la conscience phonologique est acquise vers l’âge de cinq ans. De nombreuses études (dont celles de Libermann, Shankweiler & Libermann, 1989 et Libermann, 1996) montrent cependant que 30% des enfants de six ans n’ont pas acquis la conscience des phonèmes. Il leur est encore possible de corriger cette carence mais ils ne peuvent plus y parvenir seuls. Sans aide, ils conserveront tardivement ces perturbations (Torgensen, Wagner, Rashotte, Alexander & Conway ; 1997). Ce pourcentage important d’enfants qui présentent des difficultés de discrimination des sons permet de penser que dans une population scolaire standard, de nombreux élèves, sans être de vrais dyslexiques, présentent cependant des anomalies neurologiques qui, pour être plus limitées, n’en sont pas moins perturbatrices au moment de l’apprentissage de la lecture.
Le caractère prédictif des capacités de discrimination phonologique.
L’importance de la discrimination phonologique est telle que la capacité de segmentation de la chaîne sonore en phonèmes vers l’âge de cinq ans est considérée comme l’élément prédictif le plus important en matière d’apprentissage de la lecture. C’est également le meilleur indicateur des dyslexies (Ball & Blachman, 1991 ; Bradley & Bryant, 1983; Byrne, Fielding-Barnsley, 1991, 1993, 1995; Cunningham, 1990 ; Lundberg, Frost & Petersen, 1988; Habib, Robichon, Démonet, 1996 ; Habib, 1997).

Les études mentionnées dans la publication en 2000 du rapport du NICHD (National Reading Panel 2000) montrent que le rôle prédictif de la discrimination phonologique est indépendant des conditions de vie socio-économiques : seuls 27% des enfants identifiés comme étant « à risques » dans le domaine de l’apprentissage de l’écrit étaient issus de famille dont le niveau socio-économique était faible. Cette constatation est d’une grande importance. Le fait que la capacité de discriminer les phonèmes soit indépendante des conditions d’environnement conduit à penser que dans toutes les classes, un nombre non négligeable d’enfants est porteur de difficultés de discrimination des sons qui les empêcheront d’accéder à une lecture correcte.


Une des manifestations de l’interactivité qui caractérise le fonctionnement des circuits cérébraux s’exprime par le fait que si la prise de conscience de la nature phonologique de la langue est essentielle à la réussite de l’apprentissage de l’écrit, cet apprentissage joue à son tour un rôle facilitateur dans l’acquisition de la conscience phonologique. M.Habib écrit : « On peut dès lors envisager qu’il existe un processus neurobiologique unique permettant le développement de toutes les aptitudes métaphonologiques, mais que celles aboutissant à la segmentation en unités de plus petites tailles, les phonèmes, ne peuvent se mettre en place correctement que si le processus de base est « consolidé » par l’apprentissage, au cours d’une période critique, d’un code alphabétique, faute de quoi, elles ne pourront plus se développer ». (Dyslexie : le cerveau singulier, p. 117). 
S’il en est ainsi, ce qui semble hautement probable en raison de la convergence des travaux publiés sur cette question, et s’il existe une « période critique » pendant laquelle le processus qui relie phonèmes et graphèmes doit se mettre en place, on comprend l’importance que revêt l’apprentissage de la structure phonologique de la langue dans les premières années de la vie et tout particulièrement de la scolarité. Le défi que doivent relever les enseignants consiste donc, dès l’entrée en maternelle et lors de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, à permettre à tous les enfants, grâce à des techniques pédagogiques adéquates, d’acquérir une bonne conscience de la structure phonologique de leur langue. Les chercheurs du Laboratoire Cogni-Sciences et Apprentissage de Grenoble qui ont mis au point un bilan d’évaluation du développement cognitif de l’enfant proposent depuis de nombreuses années d’inclure dans l’examen médical obligatoire chez les enfants au cours de leur 6ème année un dépistage des difficultés de discrimination des sons et d’appliquer à ceux qui en sont victimes des exercices destinés à corriger leurs déficits. Il est très regrettable que cette mesure - qui éviterait des échecs graves à un très grand nombre d’enfants - ne soit pas mise en œuvre.
Rôle préventif de l’apprentissage phonologique.
De très nombreux travaux permettent de mesurer le rôle positif de l’apprentissage phonologique sur la qualité de la lecture (Bradley & Bryant, 1983; Vellutino, Scanlon, 1987; Lundberg, Frost & Petersen, 1988; Brown, Felton, 1990; Cunningham, 1990; Foorman, Novy, Francis, Liberman, 1991; Tangel & Blachman, 1992; Felton, 1993; Byrne, Fielding- Barnsley, 1993, 1995; Blachman, Ball, Black & Tangel, 1994; O’Connor, Jenkins, 1995; Torgersen, Wagner, Rashotte, 1994; Byrne, Fielding-Barnsley, 1991, 1993, 1995; Yopp 92; Scanlon & Vellutino, 1996; Felton, 1993; Shefelbine, 1995; Share & Stanovitch, 1995; O’Connor, Jenkins, 1995; Torgesen, 1997; Torgersen, Wagner, Rashotte, Alexander & Conway, 1997; Fielding-Barnsley, 1997; Rumsey, Horwitz, Donohue, Nace, Maison & Andreason, 1997; Lundberg, Frost & Petersen, 1998; Fletcher & Lyon, 1998; King & Torgensen, 2003). Nous verrons ultérieurement que l’effet positif de l’entraînement phonologique se fait sentir non seulement au niveau de la fluidité de la lecture mais aussi – et de manière durable - à celui de la compréhension des textes lus et de la maîtrise de l’orthographe (Bradley & Bryant, 1985; Ball & Blackman, 1991).

Identification des formes et constitution du lexique des graphèmes


A partir du moment où la parole est composée d’éléments qui se déroulent dans le temps et l’espace, l’écriture doit traduire graphiquement la structure linéaire de la langue orale.
Dans les langues alphabétiques auxquelles se limitent ce propos, l’équivalence son/graphisme s’établit au niveau des éléments de bases constitutifs de la langue (lettres ou regroupement de lettres) qui représentent chaque phonème. Il faut donc, pour pouvoir les identifier, différencier les unes des autres les modifications morphologiques qui les caractérisent. L’analyse du graphisme est une obligation incontournable liée à la nature physique de l’information traitée.
La perception de l’écrit est soumise aux lois de la vision rapprochée et du balayage visuel lié lui-même aux mouvements des yeux qui permettent la découverte du texte lors des pauses qui séparent les saccades oculaires.
L’identification et la reconnaissance d’un objet visuel commence par l’analyse de ses caractéristiques par la rétine (Imbert, 1999). Celle-ci traite séparément tous les points qu’elle peut identifier et transmet aux aires visuelles, par des canaux séparés, les résultats de son travail concernant la forme, l’orientation dans l’espace, la longueur d’onde, les contrastes, etc. Deux points étant perçus de manière distincte quand la projection de leur image se fait sur deux cônes différents, c’est au niveau de la macula, et tout particulièrement de la fovéa, que la capacité de différenciation et d’identification des signes graphiques est optimisée puisque c’est à ce niveau que les cônes sont les plus petits, les plus nombreux et les plus proches les uns des autres. Les lettres de l’alphabet ne comportent souvent que de faibles différences morphologiques. La lecture exige donc une grande précision de la perception des détails qui permettent de différencier les lettres. Ceci exige que les signes à identifier se situent le plus près possible du centre de la macula. Il a été démontré que les meilleurs lecteurs sont ceux qui sont capables d’identifier de très petites variations de formes dans un mot (Mc Conkie & Zola 1981). A l’opposé, une des particularités des dyslexiques est d’éprouver des difficultés pour analyser les caractéristiques visuelles des lettres (Habib, Robichon & Démonet, 1996).

Une étude personnelle jointe en annexe portant sur 431 cas d’élèves présentant d’importantes perturbations dans l’apprentissage de l’écrit a permis de constater que 42% d’entre eux étaient porteurs de perturbations significatives dans la reconnaissance des formes. Sans entrer ici dans le détail des conclusions de ce travail, signalons que la fréquence de cette anomalie est d’autant plus élevée que le niveau intellectuel des élèves, mesuré grâce aux échelles de Wechsler, est plus bas. Présentes chez 17,5% des élèves de quotient supérieur à la moyenne (QI > 109) les difficultés de reconnaissance des formes sont retrouvées chez 50% des sujets moyens (QI compris entre 90 et 109) et chez 86% chez les enfants dont les aptitudes intellectuelles sont inférieures à la moyenne (QI<90). Les perturbations de la latéralisation sont, quant à elles, constatées dans la moitié des cas sans variations significatives en fonction des QI. Enfin, il faut noter que dans la moitié des cas, cette population d’élèves présentait à la fois des troubles d’identification des formes et de latéralisation. Ceci n’exclut pas chez eux la possibilité de perturbations dans la discrimination des sons qui n’ont pas été étudiées dans ce travail. Ces constatations montrent, qu’à côté des efforts faits pour développer la discrimination phonologique chez l’enfant, il faut également prendre en compte les perturbations issues du traitement visuel des formes et de leur orientation dans l’espace.

Saccades oculaires et lecture


Les mécanismes mis en œuvre dans la lecture sont intimement liés aux caractéristiques de la perception visuelle.
Afin de répondre aux exigences de vision fine exigée par la lecture et l’écriture les saccades oculaires dirigent l’axe du regard de manière à ce que l’image à traiter se projette sur la fovéa.
La surface du texte explorée par la rétine lors de chaque pause oculaire, estimée en moyenne à 2% du champ visuel total, soit une surface angulaire d’environ trois degrés, ne dépend que des caractéristiques du système optique que constituent l’œil et de la distance qui sépare la fovéa de sa cible. La fovéa, quant à elle, couvre un angle d’environ un degré. Le nombre de lettres qui peuvent être vues ensemble lors de chaque pause est défini par la surface angulaire correspondant à la distance à laquelle le support visuel est situé par rapport à la macula et, bien évidemment, par les dimensions de la calligraphie utilisée. Les chercheurs s’accordent sur le fait que la vision maculaire (fovéale et péri-fovéale) couvre, dans une écriture de taille courante et dans des conditions normales d’éclairement, un espace occupé par 6 à 8 lettres. Mais lors de chaque pause la fovéa ne peut identifier distinctement qu’un nombre beaucoup plus réduit de caractères (2 à 3) en raison de la faible dimension de la surface qu’elle est en mesure de traiter. Les signes qui encadrent ces 2 ou 3 lettres se projettent sur la région péri-fovéale. Elles sont donc vues avec une précision plus faible. Si cette vison ne permet pas l’identification des signes graphiques, se produisent alors des micro-saccades d’ajustement destinées à placer chaque élément graphique à décrypter au centre de la fovea. Le nombre de saccades et de micro-saccades nécessaires pour identifier avec précision les éléments graphiques qui composent un mot dépend de la longueur de celui-ci. Seuls les mots très courts peuvent être identifiés avec précision lors d’un seul mouvement oculaire. La majorité d’entre eux nécessite l’intervention de plusieurs saccades ou micro-saccades pour couvrir la totalité de leur surface. Les informations concernant chaque mot parviennent donc aux aires cérébrales gauches en se succédant dans le temps au rythme des saccades oculaires et des mouvements d’ajustement nécessaires au décryptage précis des informations visuelles. Cette nature séquentielle de l’information est parfaitement adaptée au mode de fonctionnement de l’hémisphère gauche qui en poursuit l’analyse et les compare à ceux dont il dispose en mémoire.

Pour un sujet donné, la vitesse d’exécution de la saccade est constante (en moyenne moins de 300 millisecondes) et rien ne peut la modifier. Par contre, la durée de la pause qui sépare deux saccades l’une de l’autre est variable. Résultat d’un ensemble très complexe d’ordres d’action et d’inhibition, la saccade se produit dans le court instant où les neurones pauseurs qui interviennent pour fixer l’oeil sur sa cible se trouvent désinhibés (Berthoz & Petit, 1996).


Parmi les facteurs qui autorisent le déclenchement de la saccade suivante la compréhension issue de chaque pause oculaire joue un rôle prépondérant (Rayner, 1986, 1998). Pendant le temps où le lecteur garde l’oeil fixé sur sa cible il doit en avoir extrait une information suffisante pour permettre la levée de l’inhibition des neurones pauseurs (Posner & Abdulaev, 1996). La saccade se produit alors et permet le centrage de la fovéa sur l’objectif suivant. Si la vision péri-fovéale suffit à identifier les lettres qui entourent celles qui sont parfaitement décryptées par la fovéa, l’ordre moteur pose l’axe du regard au centre du mot suivant. Cette situation optimisée, liée au phénomène de facilitation dont l’importance apparaîtra nettement dans la découverte du sens, se produit chez les bons lecteurs qui utilisent mieux que les autres leur vision péri-fovéale et se rencontre essentiellement pour les mots fréquemment rencontrés (Carpenter & Just, 1983 ; Rayner & Duffy, 1988; Radach & Kempe 1993; Lavigne, Vitu, d’Ydewalle, 2000). Nous en verrons ultérieurement les raisons. Par contre, lorsqu’une compréhension suffisante n’est pas extraite lors de la fixation de l’oeil sur sa cible, les neurones pauseurs en prolongent l’immobilisation. Une procédure de retour en arrière peut même être déclenchée pour aider à la résolution du problème. Ce mécanisme, souvent utilisé chez les lecteurs en difficulté, est rarement mis en œuvre par les bons lecteur (Everatt, Undrewood, 1994 ; Everatt, Bradshaw & Hibbard, 1998).
L’importance du rôle de la vision fovéale apparaît dans les recherches effectuées sur les mouvements de l’oeil pendant la lecture. Celles-ci révèlent que les meilleurs lecteurs, contrairement à ce qui est souvent affirmé, sont ceux dont la fovéa traite le texte à lire lettre après lettre en faisant porter tout l’effort sur l’identification de la forme des signes graphiques. Ces lecteurs font très peu appel au contexte rapproché et aux processus d’anticipation (McConkie & Rayner, 1975). Ils n’essaient pas de prédire la suite du texte ou de « reconnaître » les mots mais en identifient chaque lettre séparément (Adam, 1990 ; Rieben & Perfetti, 1991; Share & Stanovitch, 1995; Adam, Treiman & Presley, 1996; Share & Stanovitch, 1995; Leege, Anh, Klitz & Luebker, 1997).
Le processus de lecture lettre à lettre réduit le champ oculaire aux dimensions du champ fovéal et optimise ainsi la reconnaissance de la forme des éléments à traiter. Ces observations sont en accord avec les études qui montrent que le déclenchement des saccades est d’autant plus rapide que le champ oculaire utilisé est plus étroit (Leege, Anh, Klitz & Luebker, 1997). A contrario, on a constaté que de nombreux dyslexiques présentent un élargissement de leur champ maculaire qui a été rendu responsable d’une partie de leur difficulté. L’augmentation du nombre de lettres vues lors de chaque pause, éloigne leur projection du centre de la macula et diminue ainsi la précision de leur analyse. L’identification étant moins rapide, la durée de la pause oculaire augmente. Si la durée de la pause devient supérieure à celle du maintien en mémoire des souvenirs rappelés, la possibilité de prise de conscience de la valeur phonologique du signe graphique disparaît, interdisant ainsi toute possibilité de lecture. C’est en se basant sur ces faits que certaines rééducations chez les dyslexiques tendent à réduire leur champ maculaire par une meilleure focalisation du regard (Habib, 1997). L’utilisation d’un doigt curseur suivant la ligne graphique chez l’enfant qui apprend à lire simplifie son travail en réduisant volontairement le champ visuel et permet de placer plus facilement la fovéa sur chacun des éléments graphiques à identifier.
De prime abord le fait qu’il existe chez les bons lecteurs à la fois une capacité de lecture lettre à lettre et une meilleure utilisation de la vision péri-fovéale peut paraître contradictoire. En ce qui me concerne, ces deux capacités me semblent complémentaires. Lorsqu’un sujet dispose d’une vision péri-fovéale de bonne qualité, cela sous-entend que les cônes situés autour de la fovéa sont plus petits, plus serrés et donc plus performants que ceux de la moyenne des individus. On peut alors concevoir que lors de l’identification d’une lettre en vision fovéale, ils fournissent sur la lettre suivante des indices suffisamment précis pour en accélérer la reconnaissance lors de la micro-saccade suivante. La qualité de la vision péri-fovéale viendrait alors s’adjoindre à la capacité de pouvoir identifier chaque lettre séparément et constituerait une phénomène de facilitation qui accentuerait la vitesse de lecture.
L’importance attribuée à la vision maculaire dans la lecture ne réduit pas pour autant à néant le rôle de la rétine périphérique. Si celle-ci ne permet pas la reconnaissance des lettres, elle participe cependant à la lecture en explorant un large champ visuel dans lequel elle repère un certain nombre d’indices : les contrastes, les intervalles vides qui rompent la chaîne graphique et les altérations qui y sont incluses (signes de ponctuation). Elle recueille ainsi des informations sur la longueur des mots. L’importance de ce travail apparaîtra lors de l’étude des procédures mises en œuvre dans la découverte du sens.


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