Buridan, le héros de la Tour de Nesle



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Montfaucon


Une immense estrade. Le roi a pris place dans un grand fauteuil doré, sous un dais. Au pied de l’estrade se massent les gardes. Et sous les rayons du soleil, cela forme un grandiose spectacle, d’une richesse de couleurs et de majesté qui électrise le peuple, éternel spectateur de ces mises en scène fastueuses – qu’il paie !

Les princesses sont restées sur leur char, un peu en avant de l’estrade.

La colline étincelle d’or, d’acier, de broderies, de joyaux... et sur toute cette magnificence, le gibet projette son ombre monstrueuse...

Le gibet ! Colonne de maçonnerie supportant seize piliers titanesques, lesquels, à leur tour, supportent trois étages d’énormes poutres d’où pendent des chaînes.

Cela formait un enchevêtrement fantastique où plus de cent condamnés pouvaient à la fois se balancer dans l’espace : cela apparaissait comme un effroyable rêve, et Enguerrand de Marigny souriait devant ce rêve réalisé en pierres de taille et en fer. Il souriait en dénombrant les fils de cette toile d’araignée géante.

Et Charles de Valois suivait d’un œil d’envie les évolutions du premier ministre courbé devant le roi. Charles de Valois étouffait de rage devant ce nouveau triomphe de son rival.

« Voilà, Sire, disait Enguerrand de Marigny, ce que j’ai fait pour la gloire et la sûreté de votre illustre père. Je ne veux pas qu’il en coûte un denier à l’État. Tout cela, ajouta-t-il avec un geste large, sera payé sur ma modeste fortune. Ce que je voulais offrir au père, je le donne au fils, trop heureux si mon roi est satisfait de mon zèle !

– Merci Dieu ! cria Louis X, vous êtes un bon serviteur et ce gibet est vraiment magnifique. »

Un murmure d’admiration, alors, salua Marigny, qui, d’un regard, écrasa Valois.

Celui-ci grinça des dents et essuya la sueur que la haine faisait perler à son front.

À ce moment, un homme qui était parvenu à se hisser sur l’estrade se glissa jusqu’au comte de Valois et le toucha au bras. Puis il entrouvrit son manteau et, sous ce manteau, lui montra un objet... un coffret qu’il entrouvrit !... Puis à son oreille, il murmura quelques paroles...

Et Valois, alors, ayant saisi le coffret, se redressa de toute sa hauteur, une joie épouvantable flamboyant dans le coup d’œil qu’à son tour il darda sur Marigny... et il gronda :

« Enfin !... Je t’écrase !... Je te tiens !... »

Dans cette minute, le prévôt de Paris, voyant que le roi commençait à s’ennuyer et s’agitait dans son fauteuil, fit signe au bourreau d’en finir avec celui qu’on devait pendre.

Capeluche, maître des hautes œuvres, s’approcha du condamné.

À cet instant suprême, le malheureux leva une dernière fois les yeux vers Valois, et celui-ci recula, blême, tremblant...

« Je veux parler ! » cria le condamné d’une voix forte.

Valois chancela...

Mais dans cette seconde où tous se taisaient pour entendre ce que le patient avait à dire, soudain, par trois fois, le cor retentit, impérieusement.

Tous, roi, reine, princesses, seigneurs, gardes, bourreau, tous se tournèrent du côté par où venait cet appel, et chacun vit un groupe d’une vingtaine de cavaliers, à la tête desquels se trouvaient trois jeunes hommes de fière mine.

« Par Notre-Dame ! vociféra Louis X en se levant, pâle de fureur, qui donc ose nous appeler du cor ?

– Moi ! dit une voix éclatante.

– Toi ! Et qui donc es-tu ?

– Quelqu’un qui demande justice ! Justice contre Enguerrand de Marigny ! »

À ces mots, une sourde rumeur monta des profondeurs de la foule, rumeur de haine, explosion des désespoirs de tout un peuple.

« Oui, Sire ! Justice ! Justice !

– Sire, murmura Valois à l’oreille de son neveu, écoutez la voix du peuple, car c’est la voix de Dieu. »

Et le comte se recula, tandis que Marigny, livide, contemplait les audacieux cavaliers comme il eût contemplé des spectres.

« Voyons, jusqu’où ira leur insolence, dit Louis X. Ton nom ! ajouta-t-il, rudement.

– Jean Buridan !... Parlez, Gautier d’Aulnay ! Parlez, Philippe d’Aulnay !

– Moi, Gautier d’Aulnay, prononça le cavalier placé à droite de Buridan, devant Dieu et devant le roi, j’accuse Enguerrand de Marigny d’avoir fait mourir mon père et ma mère, et je déclare que si on ne me fait justice, je me la ferai moi-même !

– J’atteste ! cria Buridan.

– Moi, Philippe d’Aulnay, continua le cavalier placé à gauche de Buridan, devant Dieu et devant le roi, j’accuse Enguerrand de Marigny d’avoir voulu nous tuer, mon frère et moi, de nous avoir dépouillés de nos biens par fraude et félonie, et je déclare que si on ne me fait justice, je me la ferai moi-même !

– J’atteste ! » cria Buridan.

Et tout aussitôt, dans le silence de stupeur qui pesait sur cette scène :

« Moi, Jean Buridan, devant le peuple de Paris ici présent, j’accuse Enguerrand de Marigny d’avoir opprimé le royaume, d’avoir édifié sa fortune sur la misère publique, d’avoir versé le sang innocent, d’avoir fait plus d’orphelins que n’en peut faire une guerre. Et comme il est voué à l’exécration des hommes, je dis qu’il mérite d’être le premier pendu à ce monument d’infamie et de mort dont il menace Paris. Et comme je prétends faire justice, j’assigne Enguerrand de Marigny en un combat loyal dans le délai de huit jours, dans le Pré-aux-Clercs. Afin qu’il n’en ignore, je lui jette ici mon gant ! »

Buridan se haussa sur ses étriers. Il eut un geste violent. Et le gant lancé alla tomber sur l’estrade royale, en même temps qu’une tempête de cris, d’acclamations et de menaces se déchaînait sur le Montfaucon.

« Sire, sire, rugissait Marigny, laisserez-vous donc insulter le serviteur de votre père, le vôtre !...

– Non, de par tous les diables ! Gardes ! Holà ! Mon capitaine des gardes !... »

Des archers déjà s’élançaient...

À ce moment, une clameur d’épouvante jaillit de toutes les poitrines.

Exaspérés par les vociférations et le choc des armures, pris de folie, les quatre chevaux attelés au char des princesses et de la reine se lançaient dans un galop éperdu, furieux, droit devant eux, renversant, écrasant ceux qui essayaient de les arrêter !

Dans un nuage de poussière, on vit le char cahoté, ballotté, descendre la colline avec une vitesse vertigineuse. On vit le roi, affolé, verser de grosses larmes et on l’entendait crier, les bras au ciel :

« Madame la Vierge, si vous sauvez la reine, je fais vœu de pendre cent hérétiques à ces fourches durant la première année de mon règne !... »

Dans cette minute de désarroi, de désespoir et de terreur, Capeluche, le bourreau, qui, un instant, avait tenté de se jeter au-devant du char, revint au pied du gibet pour surveiller le condamné.

Mais alors, Capeluche poussa un cri terrible :

Le condamné n’était plus là !...

Le condamné s’était sauvé !...

Le char filait à cette allure folle qu’ont les chevaux emballés. Marguerite, Jeanne et Blanche, la reine et les princesses, les trois sœurs, se tenaient enlacées comme pour mourir ensemble, et elles avaient des regards farouches qui défiaient la mort...

« Le char va droit aux fossés ! dit Jeanne avec un calme étrange.

– Nous sommes perdues ! ajouta Blanche.

– Mourir ! gronda Marguerite. Quel dommage, quand la vie est si belle ! »

À cette seconde, elles tressaillirent, haletantes d’espoir, fascinées par le spectacle qui s’offrait à elles, oubliant jusqu’au danger de mort pour suivre la manœuvre inouïe qui s’exécutait sous leurs yeux.

Devançant les nombreux chevaliers qui s’étaient élancés en vain, trop pesamment armés qu’ils étaient, un cavalier lancé en une fulgurante ruée venait d’atteindre le char, et galopait côte à côte avec le cheval de droite... le cheval conducteur...

Cela dura un éclair...

Puis elles virent cet homme se pencher, saisir la crinière du conducteur... il y eut un bond : et soudain, abandonnant sa selle par la plus hardie et la plus périlleuse des manœuvres, l’homme se trouva enfourché sur le cheval conducteur du char...

Presque aussitôt, il y eut une lueur d’acier, puis un hennissement terrible... Le cheval de gauche, frappé en plein poitrail, tombait sur ses genoux ; les trois autres, enrayés, s’abattaient... et les princesses, miraculeusement sauvées, calmes, froides, immobiles à leur place sur le char, répondaient par un sourire étrange au cavalier... à Jean Buridan, qui, ayant sauté à terre, les talons joints, la main sur la garde de sa rapière, comme à la parade, les saluait...

De toutes parts, on accourait... les cris de joie retentissaient...

Buridan avait disparu...

Dans ces quelques secondes où elles se trouvèrent seules, la reine et les deux princesses rapprochant leurs têtes l’une de l’autre, se parlant à l’oreille, échangeant des regards de feu, se dirent des choses mystérieuses, des choses formidables sans doute, car lorsqu’elles se redressèrent, elles étaient palpitantes et livides... elles qui avaient à peine un peu pâli devant la mort...

Le premier de tous, un cavalier à mine basanée, au regard narquois, atteignit le char immobile.

La reine regarda derrière elle, et voyant qu’elle avait le temps de parler, consulta une dernière fois ses sœurs d’un coup d’œil.

« Oui, répondirent-elles des yeux.

– Stragildo ! » fit la reine Marguerite.

Le cavalier s’approcha, se pencha, un ironique sourire au coin des lèvres.

D’une voix basse, haletante, saccadée, la reine demanda :

« Tu connais les deux gentilshommes qui ont accusé Marigny ?

– Philippe et Gautier d’Aulnay ? Oui, Majesté !

– Stragildo, tu connais le jeune homme qui a provoqué Marigny ?

– Et qui vient de sauver Votre Majesté ?

– Oui, le connais-tu ? dit la reine avec un tressaillement.

– Jean Buridan ? Je le connais, Majesté.

– Stragildo, murmura la reine, je veux parler à ces trois cavaliers. Cherche-les, trouve-les, amène-les-moi !

– Quand ?

– Ce soir ! »

À ce moment, de nombreux chevaliers arrivaient, entouraient le char à demi brisé, agitaient leurs écharpes et poussaient de frénétiques vivats...

« Sauvées, elles sont sauvées !

– Vivent les princesses ! Vive la reine ! »

Stragildo se pencha davantage, son sourire satanique se fit plus narquois, et il murmura ce seul mot :

« Où ?... »

Et tandis qu’elle saluait de la main la foule accourue, tandis qu’elle remerciait du sourire, d’une voix plus sourde, Marguerite de Bourgogne répondit :

« À la Tour de Nesle !... »


IV




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