collection « Les Sites »
Terra Amata
le
SiTe
de
E
ntre Moyenne et Grande Corniche,
au dessus du port de Nice, 25,
boulevard Carnot, le musée de Terra
Amata est installé sur le lieu de la fouille du
site du même nom qui a livré l’un des plus
anciens foyers de l’histoire de l’humanité,
datant de 400 000 ans. Le climat était
plus chaud qu’aujourd’hui. À la belle
saison, les premiers Niçois installaient
leur cabane sur la plage, au fond d’une
crique, près d’une source. Ils chassaient
des éléphants, des rhinocéros, des cerfs,
des aurochs et des sangliers. Leurs
outils, choppers, hachereaux ou bifaces,
étaient essentiellement fabriqués à partir
des galets ramassés sur la plage… Une
empreinte de pied et une dent humaine
demeurent les seuls témoignages directs
des Homo erectus de Terra Amata.
de la fouille
au musée
Au milieu du XIX
e
siècle, durant les
travaux de percement de la nouvelle
route de Villefranche (actuel boulevard
Carnot), une molaire de rhinocéros, des
coquilles terrestres et des restes d’éléphants
sont découverts dans des dépôts quater-
naires sur les terres de Michel Milon.
Dès l’entre-deux-guerres, mais plus
encore à partir de 1947, la propriété,
« Terra Amata » (« terre aimée ») ou
plus anciennement «Terra Mata» (« terre
folle»), ancienne villa du baron belge
François de Maeyer, est morcelée pour
être lotie. En 1958, les coupes visibles
dans un chantier abandonné suscitent
l’intérêt des géologues Jacques Bourcart
(1891-1965) et son élève Michel Siffre,
puis de Georges Iaworsky qui remarque
la présence de restes d’animaux
fossiles et d’outils préhistoriques, dont
un premier biface. L’étude de cette coupe
est poursuivie en 1961 par Henry de
Lumley, puis, en 1963, par Jean-Claude
Miskovsky, chercheurs au CNRS.
Cependant, il faut attendre l’année 1965
et la reprise des travaux de terrassement
en vue de la construction d’un immeuble,
le Palais Carnot, pour que le site de Terra
Amata soit réellement révélé lors d’une
prospection dans le chantier.
Les travaux sont alors arrêtés et une
fouille de sauvetage commence le
28 janvier 1966 sous la direction de Henry
de Lumley. Le chantier devait, dans un
premier temps, durer un mois. Compte
tenu de l’importance des découvertes, il
sera prolongé et ne s’achèvera que le
5 juillet 1966 [1].
Un travail considérable est réalisé : près
de 210 m
3
de terre remués au pinceau
et à la truelle sur une surface de 120 m
2
,
26 niveaux d’habitat dégagés, plus de
28 000 objets [2], puis reportés sur plan,
90 m
2
de sols archéologiques moulés [3],
9 000 photographies prises et 1 200 m
2
de coupes relevés.
Le retentissement international de la
fouille et des découvertes trouve son écho
dans le roman Terra Amata du romancier
niçois J.M.G. Le Clézio, lauréat du prix
Nobel, paru en 1967 chez Gallimard.
Ces dépôts sont composés de trois plages
marines, recouvertes par des sédiments,
essentiellement apportés par les vents
(origine éolienne).
Les hommes de Terra Amata se sont
installés, à plusieurs reprises, en bord de
mer, sur la plage marine supérieure, datée
de 400 000 ans, appelée C1a, puis sur
une dune littorale de sable éolien datée de
380 000 ans, appelée C1b. La plage marine
supérieure C1a, située actuellement à
26 mètres d’altitude, par rapport à l’actuel
niveau de la mer, correspond à une
période de réchauffement climatique. La
dune littorale C1b, quant à elle, correspond
à un début de refroidissement climatique à
l’échelle mondiale.
la végétation
La végétation, reconstituée par l’ analyse
des pollens (palynologie), indique la
présence d’un couvert forestier à proximité
du gisement, représenté par de nombreuses
essences méditerranéennes, mais aussi
par des pins, différents autres conifères
et des chênes. De larges espaces
découverts s’étendaient également dans
la plaine du Paillon.
les animaux
de Terra Amata
L’environnement marécageux, dans la
plaine de Nice, a probablement permis
aux groupes de chasseurs de Terra
Amata de se procurer de la viande issue
de très gros animaux [4].
Parmi les grands mammifères découverts
dans ce site, on note l’abondance des
restes d’éléphants antiques [5], de
cerfs [6] ainsi que de sangliers [7] et la
présence d’aurochs, de tahr, de daim
de Clacton et de rhinocéros de prairie.
Parmi les carnivores, seul l’ours brun a
été identifié.
[1] Vue de la fouille sauvetage du site de Terra Amata, en 1966.
Photo Ville de Nice, H. de Lumley.
[2] Fouille de sauvetage du site de Terra Amata, 1966.
Photo Ville de Nice, H. de Lumley.
la stratigraphie
Le site préhistorique de Terra Amata
contient des dépôts quaternaires qui
peuvent atteindre 10 mètres d’épaisseur.
[3] Moulage d’un des sols archéologiques
lors du chantier de fouille du site de Terra Amata, 1966.
Photo Ville de Nice, H. de Lumley.
L’éléphant antique est l’une des espèces
les mieux représentées : la zone de
piégeage et de dépeçage devait se situer
à proximité du site. Les hommes ont
préférentiellement rapporté au campement
des restes de très jeunes individus, plus
faciles à déplacer.
Les hommes de Terra Amata ont égale-
ment chassé, dans les forêts alentour, des
cerfs adultes, dans la force de l’âge, qu’ils
transportaient entiers sur le site, avant de
les dépecer et de les consommer.
De nombreux ossements portent encore
les traces de découpe réalisées par des
outils tranchants lors du dépeçage des
animaux. Fait exceptionnel, plusieurs
canines inférieures de sangliers mâles
ont été rapportées aux campements,
vraisemblablement pour le travail du
bois.
Les amphibiens et les reptiles ne sont pas
très représentés dans les campements
de Terra Amata. Les lapins ont cependant
été chassés et consommés par les
hommes. Ils sont les témoins de la plus
ancienne consommation de petit gibier
connue à ce jour.
Une empreinte
de pied
dans le sable
de la dune
Au cours de la fouille, une empreinte
de pied humain a été dégagée dans les
sables de la dune littorale. Il s’agit d’un
pied droit appartenant à un individu ayant
une taille d’environ 1,55 mètre. La partie
antérieure du pied est très large, comme
chez certaines populations actuelles qui
marchent pieds nus.
La présence humaine à Terra Amata
est également attestée par une incisive
supérieure droite de lait, perdue naturellement
par un enfant anténéandertalien d’environ
7 ans. Il s’agit des restes du plus ancien
Niçois connu à ce jour.
les outils
des hommes
de Terra Amata
Les chasseurs de Terra Amata ont laissé
de très nombreux vestiges d’outils de
pierre, que les préhistoriens nomment
des « industries lithiques », dans les
différents niveaux du site. Ces vestiges
sont les résultats de l’élaboration des
outillages qui étaient utilisés dans les
activités de boucherie et pour le travail
du bois et des peaux.
Ces outils étaient réalisés par percussion
sur des galets, prélevés essentiellement
sur place, sur le cordon littoral ou dans
les alluvions du Paillon. Cette industrie
est constituée d’un macro-outillage
rassemblant surtout des choppers
(galets aménagés sur une seule face
pour créer un tranchant) [8], mais
aussi des pics [9], des bifaces [10] et
[5] Mandibule d’éléphant antique nouveau-né
mise au jour sur le site de Terra Amata.
Photo Ville de Nice, E. Mélis.
[6] Bois de cerf découvert sur le site de Terra Amata.
Photo Ville de Nice, E. Mélis.
[7] Mandibule de sanglier découverte sur le site de
Terra Amata.
Photo Ville de Nice, Musée de Terra Amata.
[8] Galet aménagé (chopper) découvert sur le site
de Terra Amata.
Photo Ville de Nice, Musée de Terra Amata.
[9] Pic découvert sur le site de Terra Amata.
Photo Ville de Nice, Musée de Terra Amata.
[10] Biface découvert sur le site de Terra Amata.
Photo Ville de Nice, Musée de Terra Amata.
[4] Éléphant antique dans les marais du Paillon,
à proximité du site de Terra Amata.
Photo Ville de Nice, H. Puech.
des hachereaux [11], employés pour
le dépeçage et la désarticulation des
carcasses de grands herbivores, tués
lors de la chasse. On peut rattacher
l’outillage des hommes de Terra
Amata à une culture du Paléolithique
inférieur que les préhistoriens nomment
« l’Acheuléen ».
De très nombreux éclats étaient aussi
produits par les tailleurs, pour être
utilisés dans la découpe de la viande
et des tendons. De même, un petit
outillage, obtenu par retouche de
certains éclats et débris, était élaboré
et utilisé pour écorcer et appointer les
armes de chasse en bois, mais aussi
pour racler, assouplir et percer le cuir
des peaux animales. De nombreux
galets servaient également d’outils de
percussion pour la taille de la pierre
et pour la fracturation des ossements,
afin d’accéder à la moelle, très
nutritive.
l’habitat
des hommes
À Terra Amata, plusieurs unités strati-
graphiques superposées ont pu être
individualisées. Des huttes en matériaux
périssables ont été construites par les
hommes afin de se protéger [12]. Elles
ont pu être identifiées par la présence
d’empreintes de piquets ou de poteaux
et par des alignements de pierres. Elles
sont également soulignées par la ré-
partition de l’outillage et des déchets
alimentaires qui jonchaient le sol des
aires d’habitation.
Les huttes, toujours ovales, pouvaient
mesurer de 7 à 15 mètres de longueur
sur 4 à 6 mètres de largeur.
Par ailleurs, le gisement de Terra
Amata a livré des foyers aménagés
qui témoignent des prémices de la
domestication du feu par l’Homme [13].
Ces foyers préhistoriques sont considérés
comme les plus anciens actuellement
connus dans le monde. À l’instar de la
découverte de l’outil, la maîtrise du feu
a sans doute joué un rôle capital dans
le processus d’hominisation. Si peu
de vestiges archéologiques subsistent
pour démontrer les effets pratiques du
feu dans la vie quotidienne de l’homme
préhistorique, cette nouvelle source
d’énergie a certainement bouleversé
la vie des hommes du Paléolithique in-
férieur, leur apportant lumière et chaleur
et leur permettant de cuire leur nourriture.
Il ne semble pas qu’il y ait eu sur ce
site des campements de longue durée.
Les hommes paraissent s’être installés
périodiquement dans la petite crique de
Terra Amata, à la fin de l’été ou au début
de l’automne.
De petits nodules d’ocre rouge (hématite)
et jaune (gœthite) ont été trouvés sur les
sols. Ils permettent de penser qu’ils ont
servi de crayons pour se colorer la peau.
le musée
de Terra Amata
Au vu de l’importance scientifique et
patrimoniale des découvertes réalisées
à Terra Amata, le conseil municipal de
Nice a décidé, sur une proposition du
professeur Henry de Lumley, de créer un
musée « de site » consacré au gisement.
Le Musée municipal de Paléontologie
Humaine de Terra Amata est ainsi
inauguré le 16 septembre 1976. Une
sculpture monumentale, réalisée par
l’artiste niçois Raymond Moretti, intitulée
La place de l’Homme dans le cosmos,
orne la façade de l’établissement.
Le Musée de Paléontologie Humaine
de Terra Amata est le premier musée
de site ouvert sur le territoire national.
Il reçoit en 1977 le Prix du musée de
l’année, pour la France. Depuis 2002,
le musée de Terra Amata bénéficie du
label « Musée de France ».
Aujourd’hui, le Musée d’Archéologie de
Nice regroupe deux établissements :
le site gallo-romain de Cimiez et le site
préhistorique de Terra Amata.
[12] Reconstitution du site de Terra Amata, il y a 400 000 ans.
Photo Ville de Nice, M. Wilson.
[11] Hachereau découvert sur le site de Terra Amata.
Photo Ville de Nice, Musée de Terra Amata.
[13] Foyer aménagé mis au jour sur le site
de Terra Amata.
Photo Ville de Nice, H. de Lumley.
sErvicE PatrimoinE historiquE
14, rue Jules Gilly - 06364 Nice cedex 4
www.nice.fr/fr/culture/patrimoine
Couverture : Chopper mis au jour sur le site de
Terra
Amata, daté de 380 000 ans.
Photo V
ille de N
ice, H. de Lumley
50 ANS
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