De la grammatologie


LA FIN DU LIVRE ET LE COMMENCEMENT DE L'ÉCRITURE



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LA FIN DU LIVRE ET LE COMMENCEMENT DE L'ÉCRITURE

position de transgression, faute d'être prise dans un discours

prévenant, risque de formuler la régression elle-même. Il faut

donc passer par la question de l'être, telle qu'elle est posée par

Heidegger et par lui seul, à et au-delà de l'onto-theologie, pour

accéder à la pensée rigoureuse de cette étrange non-différence

et la déterminer correctement. Que 1' « être », tel qu'il est fixé

sous ses formes syntaxiques et lexicologiques générales à l'in-

térieur de l'aire linguistique et de la philosophie occidentales, ne

soit pas un signifié premier et absolument irréductible, qu'il

soit encore enraciné dans un système de langues et une « signi-

fiance » historique déterminée, quoique étrangement privilégiée

comme vertu de dévoilement et de dissimulation, Heidegger le

rappelle parfois : en particulier quand il invite à méditer le

« privilège » de la « troisième personne du singulier de l'indi-

catif présent » et de 1' « infinitif ». La métaphysique occidentale,

comme limitation du sens de l'être dans le champ de la pré-

sence, se produit comme la domination d'une forme linguis-

tique

 13


. Interroger l'origine de cette domination ne revient pas à

13. Introduction à la métaphysique (1935), tr. fr., p. 103 :

« Tout ceci oriente dans la direction de ce à quoi nous nous

sommes heurtés dans notre première tentative pour caractériser

l'expérience et l'interprétation grecques de l'être. Un examen attentif

de l'interprétation usuelle de l'infinitif nous montre que le mot

« être » tire son sens du caractère unitaire et déterminé de l'horizon

qui en commande la compréhension. Résumons-nous en effet :

nous comprenons le substantif verbal « être » à partir de l'infinitif,

qui de son côté renvoie au « est », et à sa multiplicité que nous

avons exposée. La forme verbale déterminée et particulière « est »,

la troisième personne du singulier de l'indicatif présent, a ici un

privilège. Nous ne comprenons pas l'être en ayant égard à « tu es »,

« vous êtes », « je suis », ou « ils seraient », qui tous pour-

tant constituent aussi, et au même titre que le « est », des formes

du verbe « être ». Nous sommes amenés involontairement, comme

si pour un peu il n'y avait pas d'autre possibilité, à nous rendre

clair l'infinitif « être » à partir du « est ». Il en résulte que

1' « être » a cette signification que nous avons indiquée, qui rappelle

la façon dont les Grecs comprenaient l'estance de l'être, et qu'il

possède ainsi un caractère déterminé qui ne nous est pas tombé de

n'importe où, mais qui gouverne depuis bien longtemps notre être-

Là proventuel. Du coup, notre recherche de ce en quoi est déter-

minée la signification du mot « être » devient expressément ce

qu'elle est, une méditation sur l'origine de notre pro-venance

latente. » Il faudrait, bien sûr, citer toute l'analyse qui se conclut

ainsi.


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DE LA GRAMMATOLOGIE

hypostasier un signifié transcendantal mais à questionner sur

ce qui constitue notre histoire et sur ce qui a produit la trans-

cendantalité elle-même. Heidegger le rappelle aussi lorsque

dans Zur Seinsfrage, pour la même raison, il ne laisse lire le

mot « être » que sous une croix (kreuzweise Durchstreichung).

Cette croix n'est pourtant pas un « signe simplement négatif »

(p. 31). Cette rature est la dernière écriture d'une époque. Sous

ses traits s'efface en restant lisible la présence d'un signifié

transcendantal. S'efface en restant lisible, se détruit en se don-

nant à voir l'idée même de signe. En tant qu'elle dé-limite l'onto-

théologie. la métaphysique de la présence et le iogocentrisme,

cette dernière écriture est aussi ia première écriture.

En venir à reconnaître, non pas en-deçà mais à l'horizon

des chemins heideggeriens, et encore en eux, que le sens de

l'être n'est pas un signifié transcendantal ou trans-époqual (fût-

il même toujours dissimulé dans l'époque) mais déjà, en un

sens proprement inouï, une trace signifiante déterminée, c'est

affirmer que dans le concept décisif de différence ontico-onto-

logique, tout n'est pas à penser d'un seul trait : étant et être,

ontique et ontologique, « ontico-ontologique » seraient, en un

style original, dérivés au regard de la différence ; et par rapport

à ce que nous appellerons plus loin la différance, concept écono-

mique désignant la production du différer, au double sens de

ce mot. La différence-ontico-ontologique et son fondement

(Grund) dans la « transcendance du Dassin » (Vom Wesen des



Grundes, p. 16) ne seraient pas absolument originaires. La

différance tout court serait plus « originaire », mais on ne

pourrait plus l'appeler « origine » ni « fondement », ces notions

appartenant essentiellement à l'histoire de l'onto-théologie, c'est-à-

dire au système fonctionnant comme effacement de la diffé-

rence. Celle-ci ne peut toutefois être pensée au plus proche

d'elle-même qu'à une condition : qu'on commence par la déter-

miner comme différence ontico-ontologique avant de biffer

cette détermination. La nécessité du passage par la détermination

biffée, la nécessité de ce tour d'écriture est irréductible. Pensée

discrète et difficile qui, à travers tant de médiations inaperçues,

devrait porter tout le poids de notre question, d'une question

que nous appelons encore provisoirement historiale. C'est grâce

à elle que nous pourrons plus tard tenter de faire communiquer



la différance et l'écriture.

L'hésitation de ces pensées (ici celles de Nietzsche et de Hei-

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