De la grammatologie



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DE LA GRAMMATOLOGIE

sans le verbe. Après une première étape, au cours de laquelle

le discours est indivis, chaque mot ayant « le sens d'une pro-

position entière », le nom surgit en même temps que le verbe.

C'est la première scission interne de la proposition qui ouvre

le discours. Il n'est alors de nom que propre, de mode verbal

qu'infinitif, de temps que présent : « Quand ils commen-

cèrent à distinguer le sujet d'avec l'attribut, et le verbe d'avec

le nom, ce qui ne fut pas un médiocre effort de génie, les

substantifs ne furent d'abord qu'autant de noms propres, l'infi-

nitif

 11


 fut le seul temps des verbes et à l'égard des adjec-

tifs la notion ne s'en dut développer que fort difficilement,

parce que tout adjectif est un mot abstrait, et que les abstrac-

tions sont des Opérations pénibles et peu naturelles » (p. 149).

Cette corrélation du nom propre et de l'infinitif présent nous

importe. On quitte donc le présent et le propre dans le même

mouvement : celui qui, discernant le sujet d'avec son verbe

— et plus tard d'avec son attribut — supplée le nom propre

par le nom commun et par le pronom — personnel ou relatif

— instruit la classification dans un système de différences et

substitue les temps au présent impersonnel de l'infinitif.

Avant cette différenciation, le moment des langues « igno-

rant la division du discours » correspond à cette époque sus-

pendue entre l'état de nature et l'état de société : époque des

langues naturelles, de la neume, du temps de l'Isle de Saint-

Pierre, de la fête autour du point d'eau. Entre le pré-langage

et la catastrophe linguistique instaurant la division du discours,

Rousseau tente de ressaisir une sorte de pause heureuse, l'ins-

tantané d'un langage plein, l'image fixant ce qui ne fut qu'un

point de pur passage : un langage sans discours, une parole

sans phrase, sans syntaxe, sans parties, sans grammaire, une

langue de pure effusion, au-delà du cri, mais en deçà de la

brisure qui articule et du même coup désarticule l'unité immé-

diate du sens, dans laquelle l'être du sujet ne se distingue ni

de son acte ni de ses attributs. C'est le moment où il y a

des mots (« les premiers mots ») qui ne fonctionnent pas

encore comme ils le font « dans les langues déjà formées »

et où les hommes « donnèrent d'abord à chaque mot le sens

d'une proposition entière ». Mais le langage ne naît vraiment

que par la disruption et la fracture de cette heureuse plénitude,

11.

396

Le présent de l'infinitif » (édition 1782).




DU SUPPLÉMENT A LA SOURCE : LA THÉORIE DE L'ÉCRITURE

à l'instant où cet instantané est arraché à son immédiateté

fictive et remis dans le mouvement. Il sert alors de repère

absolu pour qui veut mesurer et décrire la différence dans le

discours. On ne peut le faire qu'en se référant à la limite

toujours déjà franchie d'un langage indivis, où le propre-infi-

nitif-présent est à ce point soudé à lui-même qu'il ne peut

même pas s'apparaître dans l'opposition du nom propre et du

verbe au présent de l'infinitif.

Tout le langage s'enfonce ensuite dans cette brèche entre

le nom propre et le nom commun (donnant lieu au pronom

et à l'adjectif), entre le présent de l'infinitif et la multiplicité

des modes et des temps. Tout le langage se substituera à cette

vivante présence à soi du propre, qui en tant que langage sup-

pléait déjà les choses mêmes. Le langage s'ajoute à la présence et

la supplée, la diffère dans le désir indestructible de la rejoindre.

L'articulation est le supplément dangereux de l'instantané fic-

tif et de la bonne parole : de la jouissance pleine car la pré-

sence est toujours déterminée comme jouissance par Rousseau.

Le présent est toujours le présent d'une jouissance ; et la jouis-

sance est toujours l'accueil de la présence. Ce qui disloque la

présence introduit la différance et le délai, l'espacement entre

le désir et le plaisir. Le langage articulé, la connaissance et le

travail, la recherche inquiète du savoir ne sont que l'espace-

ment entre deux jouissances. « Nous ne cherchons à connaître,

que parce que nous désirons de jouir. » (Second Discours,

p. 143.) Et dans l' Art de jouir, cet aphorisme qui dit la res-

titution symbolique de la présence suppléée dans le passé du

verbe : « En me disant, j'ai joüi, je joüis encore

 12


. » La

grande affaire des Confessions, n'était-ce pas aussi de « jouir

derechef quand je veux. » (p. 585) ?

Histoire et système des écritures.

Le verbe « suppléer » définit bien l'acte d'écrire. C'est le

premier et le dernier mot du chapitre De l'écriture. Nous en

avions lu le paragraphe d'ouverture. En voici les dernières

lignes :

« On écrit les voix et non pas les sons ; or, dans une

12. T. I. p. 1174.

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DE LA GRAMMATOLOGIE

langue accentuée, ce sont les sons, les accents, les inflexions

de toute espèce, qui font la plus grande énergie du langage,

et rendent une phrase, d'ailleurs commune, propre seulement



au lieu où elle est. Les moyens qu'on prend pour suppléer

à celui-là étendent, allongent la langue écrite, et, passant

des livres dans le discours, énervent la parole même. En

disant tout comme on l'écrirait, on ne fait plus que lire en

parlant ». (Nous soulignons.)

Si la supplémentarité est un procès nécessairement indéfini,

l'écriture est le supplément par excellence puisqu'elle marque

le point où le supplément se donne comme supplément de

supplément, signe de signe, tenant lieu d'une parole déjà signi-

fiante : elle déplace le lieu propre de la phrase, l'unique fois

de la phrase prononcée hic et nuuc par un sujet irremplaçable,

et en retour énerve la voix. Elle marque le lieu du redouble-

ment initial:

Entre ces deux paragraphes : . 1°) une analyse très brève

des diverses structures et du devenir général de l'écriture ;

2°) à partir des prémisses de cette typologie et de cette his-

toire, une longue réflexion sur l'écriture alphabétique et une

appréciation du spns et de la valeur de l'écriture en général.

Ici encore, malgré des emprunts massifs, l'histoire et la typo-

logie restent très singulières.

Warburton et Condillac proposent le schéma d'une rationa-

lité économique, téchnique et purement objective. L'impératif

économique doit ici s'entendre au sens restrictif de l'économie

à faire : de l'abréviation. L'écriture réduit les dimensions de

la présence dans son signe. La miniature n'est pas réservée

aux lettres rouges, elle est, entendue en son sens dérivé, la

forme même de l'écriture. L'histoire de l'écriture suivrait alors

le progrès continu et linéaire des techniques d'abréviation.

Les systèmes d'écriture dériveraient les uns des autres sans

modification essentielle de la structure fondamentale et selon

un processus homogène et monogénétique. Les écritures ne se

remplacent les unes les autres que dans la mesure où elles

font gagner plus d'espace et plus de temps. A en croire le

projet d'histoire générale de l'écriture proposé par Condillac

 13


,

l'écriture n'a pas d'autre origine que la parole : le besoin

13. Voir le chapitre XIII (De l'écriture) et notamment le § 134

de l'Essai.

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