De la grammatologie


DU SUPPLÉMENT A LA SOURCE : LA THÉORIE DE L'ÉCRITURE



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DU SUPPLÉMENT A LA SOURCE : LA THÉORIE DE L'ÉCRITURE

soit, à l'instant qu'un Peuple se donne des Représentants, il n'est

plus libre ; il n'est plus » (p. 431).

Il faudrait donc atteindre à ce point où la source se retient en

soi, revient ou remonte vers soi dans l'immédiateté inaliénable

de la jouissance de soi, dans le moment de l'impossible repré-

sentation, dans sa souveraineté. Dans l'ordre politique, cette

source est déterminée comme volonté : « La Souveraineté ne

peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être

aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale,

et la volonté ne se représente point : elle est la même ou elle

est autre ; il n'y a point de milieu. » (p. 429.) « ... Le souve-

rain, qui n'est qu'un être collectif, ne peut être représenté que

par lui-même ; le pouvoir peut bien se transmettre, mais non

pas la volonté. » (p. 368.)

En tant que principe corrupteur, le représentant n'est pas

le représenté mais il n'est que le représentant du représenté ;

il n'est pas le même que lui-même. En tant que représen-

tant, il n'est pas simplement l'autre du représenté. Le

mal du représentant ou du supplément de la présence n'est

ni le même ni l'autre. Il intervient au moment de la différance,

lorsque la volonté souveraine se délègue et que, par conséquent,

la loi s'écrit. Alors la volonté générale risque de devenir pouvoir

transmis, volonté particulière, préférence, inégalité. A la loi

peut se substituer le décret, c'est-à-dire l'écriture : dans les

décrets représentant des volontés particulières, « la volonté

générale devient muette » (Contrat social, p. 438). Le système du

contrat social, qui se fonde sur l'existence d'un moment antérieur

à l'écriture et à la représentation, ne peut pourtant pas éviter

de se laisser menacer par la lettre. C'est pourquoi, obligé de

recourir à la représentation, « le corps politique, aussi bien que

le corps de l'homme, commence à mourir dès sa naissance,

et porte en lui les causes de sa destruction » (p. 424. Le cha-

pitre XI du livre III, « De la mort du corps politique » ouvre

tous les développements sur la représentation). L'écriture est

l'origine de l'inégalité

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. C'est le moment où la volonté générale



20. Autres exemples de la méfiance qu'inspirait à Rousseau tout

ce qui dans la vie sociale et politique se traite par écrit : 1 — A

Venise : « Ici on traite avec un gouvernement invisible et toujours

par écrit, ce qui oblige à une grande circonspection. » 2 — « Quand

on veut renvoyer au pays des chimères, on nomme l'institution de

Platon : si Lycurgue n'eût mis la sienne que par écrit, je la trou-

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DE LA GRAMMATOLOGIE

qui en elle-même ne peut errer, laisse la place au jugement qui

peut l'entraîner dans « les séductions des volontés particu-

lières » (p. 380). Il faudra donc bien séparer la souveraineté

législative du pouvoir de rédiger les lois. « Quand Lycurgue

donna des lois à sa patrie, il commença par abdiquer la

Royauté... » « Celui qui rédige les lois n'a donc ou ne doit

avoir aucun droit législatif, et le peuple même ne peut, quand

il le voudrait, se dépouiller de ce droit incommunicable. »

(Pp. 382-383.) Il est donc absolument nécessaire que la volonté

générale s'exprime par des voix sans procuration. Elle « fait

loi » lorsqu'elle se déclare dans la voix du « corps du peuple »

où elle est indivisible ; autrement elle se divise en volontés par-

ticulières, en actes de magistrature, en décrets (p. 369).

Mais la catastrophe qui a interrompu l'état de nature ouvre

le mouvement de l'éloignement qui rapproche : la représenta-

tion parfaite devrait re-présenter parfaitement. Elle restaure la

présence et s'efface comme représentation absolue. Ce mouve-

ment est nécessaire

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. Le telos de l'image est sa propre imper-

ceptibilité. Lorsqu'elle cesse, image parfaite, d'être autre que

verais bien plus chimérique. » (Emile p. 10). 3 — « Je ne sais

comment cela se fait, mais je sais bien que les opérations dont l'on

tient le plus de registres et de livres de comptes sont précisément

celles où l'on friponne le plus. » J. de Maistre dira : « Ce qu'il y

a de plus essentiel n'est jamais écrit et même ne le saurait être sans

exposer l'état. »

21. C'est pourquoi Rousseau admet la nécessité des représen-

tants tout en la déplorant. Voir les Considérations sur le Gouver-



nement de Pologne : il y propose un renouvellement très rapide

des représentants pour rendre leur « séduction plus coûteuse et

plus difficile », ce qui est à rapprocher de la règle formulée par

le Contrat, selon laquelle « le Souverain doit se montrer fréquem-

ment » (p. 426) ; cf. aussi Derathé, Rousseau et la science poli-

tique de son temps (p. 277 sq).

A quelle logique Rousseau obéit-il en justifiant ainsi la nécessité

d'une représentation qu'il condamne simultanément ? A la logique,

précisément, de la représentation ; à mesure qu'elle aggrave son

mal, qu'elle devient plus représentative, la représentation restitue ce

qu'elle dérobe : la présence du représenté. Logique selon laquelle

il faut s'efforcer de « tirer du mal même le remède qui doit le

guérir » (Fragment sur L'état de nature p. 479) et selon laquelle,

au terme de son mouvement, la convention rejoint la nature, l'asser-

vissement la liberté, etc. ( « Quoi ! La liberté ne se maintient qu'à

l'appui de la servitude? Peut-être. Les deux excès se touchent. »

Contrat social, p. 431.)

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