De la grammatologie



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DE LA GRAMMATOLOGIE

d'une analyse purement fonctionnelle. L'idée de fonction lin-

guistique et d'unité purement linguistique — le glossème —

n'exclut donc pas seulement la considération de la substance

d'expression (substance matérielle) mais aussi celle de la sub-

stance de contenu (substance immatérielle). « Puisque la langue

est une forme et non une substance (F. de Saussure), les glos-

sèmes sont par définition indépendants de la substance, imma-

térielle (sémantique, psychologique et logique) et matérielle

(phonique, graphique, etc.) »

 21

. L'étude du fonctionnement



de la langue, de son jeu, suppose qu'on mette entre parenthèses

la substance du sens et, parmi d'autres substances possibles,

celle du son. L'unité du son et du sens est bien ici, comme

nous le proposions plus haut, la fermeture rassurante du jeu.

Hjelmslev situe son concept de schéma ou jeu de la langue

dans la descendance de Saussure, de son formalisme et de sa

théorie de la valeur. Bien qu'il préfère comparer la valeur lin-

guistique à la « valeur d'échange des sciences économiques »

plutôt qu'à la « valeur purement logico-mathématique », il

assigne une limite à cette analogie :

« Une valeur économique est par définition une valeur à

double face : non seulement elle joue le rôle de constante

vis-à-vis des unités concrètes de l'argent, mais elle joue aussi

elle-même le rôle des variables vis-à-vis d'une quantité fixée

de la marchandise qui lui sert d'étalon. En linguistique au

contraire il n'y a rien qui corresponde à l'étalon. C'est pour-

quoi le jeu d'échecs et non le fait économique reste pour F. de

Saussure l'image la plus fidèle d'une grammaire. Le schéma

de la langue est en dernière analyse un jeu et rien de plus »

 22


.

Dans les Prolégomènes à une théorie du langage (1943),

mettant en œuvre l'opposition expression/contenu, qu'il sub-

stitue à la différence signifiant/signifié et dont chacun des

termes peut être considéré selon les points de vue de la forme

ou de la substance, Hjelmslev critique l'idée d'un langage natu-



rellement lié à la substance d'expression phonique. C'est à tort

que l'on a jusqu'ici « supposé que la substance-d'expression

21. L. Hjelmslev et H. J. Uldall, Etudes de linguistique structu-

rale organisées au sein du Cercle linguistique de Copenhague (Bulle-

tin 11, 35, p. 13 sq.).

22. Langue et parole (1943) in Essais linguistiques, p. 77.

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LINGUISTIQUE ET GRAMMATOLOGIE

d'un langage parlé devait consister exclusivement en « sons » ».

« Ainsi, comme l'ont fait en particulier remarquer E. et

K. Zwirner, on n'a pas tenu compte du fait que le discours

est accompagné, que certaines composantes du discours

peuvent être remplacées par le geste, et qu'en réalité, comme

le disent E. et K. Zwirner, ce ne sont pas seulement les

prétendus organes de la parole (gorge, bouche et nez) qui

participent à l'activité du langage « naturel » mais presque

tout l'ensemble des muscles striés. En outre, il est possible de

remplacer la substance habituelle des gestes-et-sons par

toute autre substance appropriée dans d'autres circonstances

extérieures. Ainsi la même forme linguistique peut aussi être

manifestée dans l'écriture, comme cela se produit dans la

notation phonétique ou phonématique et dans les orthographes

dites phonétiques, comme par exemple le danois. Voilà une

substance « graphique » qui s'adresse exclusivement à l'œil

et qui n'exige pas d'être transposée en « substance » phoné-

tique pour être saisie ou comprise. Et cette « substance »

graphique peut être, précisément du point de vue de la

substance, de différentes sortes »

 23


.

Refusant de présupposer une « dérivation » des substances

à partir de la substance d'expression phonique, Hjelmslev ren-

voie ce problème hors du champ de l'analyse structurale et pro-

prement linguistique :

« En outre, on ne sait jamais en toute certitude ce qui est

dérivé et ce qui ne l'est pas ; nous ne devons pas oublier que

la découverte de l'écriture alphabétique est cachée dans la

préhistoire (B. Russell a tout à fait raison d'attirer notre

attention sur le fait que nous n'avons aucun moyen de décider

si la plus ancienne forme de l'expression humaine est écriture

ou parole), si bien que l'affirmation selon laquelle elle repose

23. Omkring sprogteoriens grundlaeggelse, pp. 91-93 (tr. angl. :

Prolegomena to a theory of language, pp. 103-104).

Cf. aussi La stratification du langage (1954) in Essais linguis-



tiques (Travaux du cercle linguistique de Copenhague, XII, 1959).

Le projet et la terminologie d'une graphématique, science de la

substance d'expression graphique, y sont précisés (p. 41). La com-

plexité de l'algèbre proposée a pour but de remédier au fait que,

du point de vue de la distinction entre forme et substance, « la

terminologie saussurienne peut prêter à confusion » (p. 48). Hjelm-

slev y démontre comment « une seule et même forme de l'expression

peut être manifestée par des substances diverses : phonique, gra-

phique, signaux par pavillons, etc. » (p. 49).

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DE LA GRAMMATOLOGIE

sur une analyse phonétique ne constitue que l'une des hypo-

thèses diachroniques ; elle aurait pu aussi bien reposer sur

une analyse formelle de la structure linguistique. Mais en tout

cas, comme le reconnaît la linguistique moderne, les considé-

rations diachroniques ne sont pas pertinentes pour la des-

cription synchronique » (pp. 104-105).

Que cette critique glossématique soit opérée à la fois grâce

à Saussure et contre lui ; que, comme nous le suggérions plus

haut, l'espace propre d'une grammatologie soit à la fois ouvert

et fermé par le Cours de linguistique générale, c'est ce que

H. J. Uldall formule remarquablement. Pour montrer que Saus-

sure n'a pas développé « toutes les conséquences théoriques

de sa découverte », il écrit :

« Cela est d'autant plus curieux lorsque nous considérons

que les conséquences pratiques en ont été largement tirées,

en ont même été tirées des milliers d'années avant Saussure,

car c'est seulement grâce au concept de la différence entre

forme et substance que nous pouvons expliquer la possibilité,

pour le langage et l'écriture, d'exister en même temps comme

expressions d'un seul et même langage. Si l'une de ces deux

substances, le flux de l'air ou le flux de l'encre (the stream

of air or the stream of ink), était une partie intégrante du

langage lui-même, il ne serait pas possible de passer de l'une

à l'autre sans changer le langage »

 24


.

Sans doute l'Ecole de Copenhague libère-t-elle ainsi un champ

de recherches : l'attention devient disponible non seulement

pour la pureté d'une forme déliée de tout lien « naturel »

à une substance, mais aussi pour tout ce qui, dans la strati-

fication du langage, dépend de la substance d'expression gra-

phique. Une description originale et rigoureusement délimitée

peut en être ainsi promise. Hjelmslev reconnaît qu'une « ana-

24. Speech and writing, 1938, in Acta linguistica, IV, 1944,

p. 11 sq. Uldall y renvoie aussi à une étude du Dr. Joseph Vachek,



Zum Problem der geschriebenen Sprache (Travaux du Cercle lin-

guistique de Prague VIII, 1939) pour indiquer « la différence entre

les points de vue phonologique et glossématique ».

Cf. aussi Eli Fischer-Jorgensen, « Remarques sur les principes de

l'analyse phonémique », in Recherches Structurales, 1949 (Travaux



du Cercle linguistique de Prague, vol. V, p. 231 sq.) ; B. Siert-

sema, A study of glossematics, 1955 (et notamment le ch. VI),

et Hennings Spang-Hanssen, Glossematics, in Trends in European

and American linguistics. 1930-1960, 1963, p. 147 sq.

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