De la grammatologie



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LINGUISTIQUE ET GRAMMATOLOGIE

lyse de l'écriture ne tenant pas compte du son n'a pas encore

été entreprise » (p. 105). Tout en regrettant aussi que « la

substance de l'encre n'ait pas eu droit, de la part des lin-

guistes, à l'attention qu'ils ont prodiguée à la substance de

l'air », H. J. Uldall délimite cette problématique et souligne

l'indépendance mutuelle des substances d'expression. Il l'illustre

en particulier par le fait que, dans l'orthographe, aucun gra-

phème ne correspond aux accents de la prononciation (c'était

pour Rousseau la misère et la menace de l'écriture), et que,

réciproquement, dans la prononciation, aucun phonème ne cor-

responde à l'espacement (spacing) entre les mots écrits

(pp. 13-14).

En reconnaissant la spécificité de l'écriture, la glossématique

ne se donnait pas seulement les moyens de décrire l'élément gra-

phique. Elle désignait l'accès à l'élément littéraire, à ce qui

dans la littérature passe par un texte irréductiblement graphique,

liant le jeu de la forme à une substance d'expression déter-

minée. S'il y a dans la littérature quelque chose qui ne se

laisse pas réduire à la voix, à l'epos ou à la poésie, on ne

peut le ressaisir qu'à la condition d'isoler avec rigueur ce lien

du jeu de la forme et de la substance d'expression graphique.

(On reconnaîtra du même coup que la « pure littérature » ainsi

respectée dans ce qu'elle a d'irréductible, risque aussi de limiter

le jeu, de le lier. Le désir de lier le jeu est d'ailleurs irrépres-

sible). Cet intérêt pour la littérature s'est effectivement mani-

festé dans l'Ecole de Copenhague

 25

. Il lève ainsi la méfiance



rousseauiste et saussurienne à l'égard des arts littéraires. Il

radicalise l'effort des formalistes russes, précisément de

l'O.PO.IAZ, qui privilégiaient peut-être, dans leur attention

à l'être-littéraire de la littérature, l'instance phonologique et

les modèles littéraires qu'elle domine. Notamment la poésie. Ce

qui, dans l'histoire de la littérature et dans la structure d'un

texte littéraire en général, échappe à cette instance, mérite donc

un type de description dont la glossématique a peut-être mieux

dégagé les normes et les conditions de possibilité. Elle s'est

peut-être mieux préparée à étudier ainsi la strate purement

25. Et déjà, de manière très programmatique, dans les Prolégo-

mènes (tr. angl. p. 114-115). Cf. aussi Ad. Stender-Petersen, Esquisse

d'une théorie structurale de la littérature ; et Svend Johansen, La

notion de signe dans la glossématique et dans l'esthétique, in Tra-

vaux du Cercle linguistique de Copenhague, vol. V, 1949.

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graphique dans la structure du texte littéraire et dans l'histoire

du devenir-littéraire de la littéralité, notamment dans sa

« modernité ».

Sans doute un nouveau domaine est-il ainsi ouvert à des

recherches inédites et fécondes. Et pourtant ce n'est pas ce

parallélisme ou cette parité retrouvée des substances d'expres-

sion qui nous intéresse ici au premier chef. On a bien vu que

si la substance phonique perdait son privilège, ce n'était pas

au profit de la substance graphique qui se prête aux mêmes

substitutions. Dans ce qu'elle peut avoir de libérateur et d'irré-

futable, la glossématique opère ici encore avec un concept

courant de l'écriture. Si originale et si irréductible soit-elle,

la « forme d'expression » liée par corrélation à la « substance

d'expression » graphique reste très déterminée. Elle est très

dépendante et très dérivée au regard de l'archi-écriture dont

nous parlons ici. Celle-ci serait à l'œuvre non seulement dans

la forme et la substance de l'expression graphique, mais aussi

dans celles de l'expression non graphique. Elle constituerait

non seulement le schème unissant la forme à toute substance,

graphique ou autre, mais le mouvement de la sign-function

liant un contenu à une expression, qu'elle soit graphique ou

non. Ce thème ne pouvait avoir aucune place dans la systé-

matique de Hjelmslev.

C'est que l'archi-écriture, mouvement de la différance, archi-

synthèse irréductible, ouvrant à la fois, dans une seule et même

possibilité, la temporalisation, le rapport à l'autre et le lan-

gage, ne peut pas, en tant que condition de tout système lin-

guistique, faire partie du système linguistique lui-même, être

située comme un objet dans son champ. (Ce qui ne veut pas

dire qu'elle ait un lieu réel ailleurs, un autre site assignable).

Son concept ne saurait en rien enrichir la description scien-

tifique, positive et « immanente » (au sens que Hjelmslev donne

à ce mot) du système lui-même. Aussi le fondateur de la glos-

sématique en eût-il sans doute contesté la nécessité, comme

il rejette, en bloc et légitimement, toutes les théories extra-

linguistiques qui ne partent pas de l'immanence irréductible

du système linguistique

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. Il aurait vu dans cette notion un



de ces appels à l'expérience dont une théorie doit se dis-

26. Omkring, p. 9, (tr. angl. Prolegomena, p. 8).

27. P. 14. Ce qui n'empêche pas Hjelmslev de « s'aventurer à

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penser


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. Il n'aurait pas compris pourquoi le nom d'écriture

restait à cet X qui devient si différent de ce qu'on a toujours

appelé « écriture ».

Nous avons déjà commencé à justifier ce mot, et d'abord la

nécessité de cette communication entre le concept d'archi-

écriture et le concept vulgaire d'écriture par lui soumis à décons-

truction. Nous continuerons à le faire plus bas. Quant au

concept d'expérience, il est ici fort embarrassant. Comme toutes

les notions dont nous nous servons ici, il appartient à l'his-

toire de la métaphysique et nous ne pouvons l'utiliser que

sous rature. « Expérience » a toujours désigné le rapport à

une présence, que ce rapport ait ou non la forme de la cons-

cience. Nous devons toutefois, selon cette sorte de contorsion

et de contention à laquelle le discours est ici obligé, épuiser

les ressources du concept d'expérience avant et afin de

l'atteindre, par déconstruction, en son dernier fond. C'est la

seule condition pour échapper à la fois à 1' « empirisme »

et aux critiques « naïves » de l'expérience. Ainsi, par exemple,

l'expérience dont « la théorie, dit Hjelmslev, doit être indé-

pendante » n'est pas le tout de l'expérience. Elle correspond

toujours à un certain type d'expérience factuelle ou régionale

(historique, psychologique, physiologique, sociologique, etc.),

donnant lieu à une science elle-même régionale et, en tant que

telle, rigoureusement extérieure à la linguistique. Il n'en est

rien dans le cas de l'expérience comme archi-écriture. La mise

entre parenthèses des régions de l'expérience ou de la totalité

de l'expérience naturelle doit découvrir un champ d'expérience

transcendantale. Celle-ci n'est accessible que dans la mesure

où, après avoir, comme le fait Hjelmslev, dégagé la spécificité

du système linguistique et mis hors jeu toutes les sciences extrin-

sèques et les spéculations métaphysiques, on pose la question

appeler » son principe directeur un « principe empirique » (p. 12,

tr. angl. p. 11). « Mais, ajoute-t-il, nous sommes tout prêt à aban-

donner ce nom si l'investigation épistémologique montre qu'il est

impropre. De notre point de vue, c'est une simple question de termi-

nologie qui n'affecte pas le maintien du principe ». Ce n'est là

qu'un exemple du conventionnalisme terminologique d'un système

qui, en empruntant tous ses concepts à l'histoire de la métaphysique

qu'il veut tenir à distance (forme/substance, contenu/expres-

sion, etc.), croit pouvoir en neutraliser toute la charge historique par

quelque déclaration d'intention, une préface ou des guillemets.



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