De la grammatologie


DE LA GRAMMATOLOGIE COMME SCIENCE POSITIVE



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DE LA GRAMMATOLOGIE COMME SCIENCE POSITIVE

C'est dans le champ théorique ainsi libéré que les techniques

scientifiques de déchiffrement sont mises au point par l'abbé

Barthélemy puis par Champollion. Alors peut naître une

réflexion systématique sur les rapports entre l'écriture et la

parole. La plus grande difficulté était déjà de concevoir, de

façon historique et systématique à la fois, la cohabitation orga-

nisée, dans un même code graphique, d'éléments figuratifs,

symboliques, abstraits et phonétiques

 24


.

La science et le nom de l'homme.

La grammatologie était-elle entrée dans la voie sûre d'une

science ? Les techniques de déchiffrement, on le sait, n'ont

cessé de progresser à un rythme accéléré

 25

. Mais les histoires



générales de l'écriture, dans lesquelles le souci de classifica-

tion systématique a toujours orienté la simple description, res-

teront longtemps commandées par des concepts théoriques dont

on sent bien qu'ils ne sont pas à la mesure d'immenses décou-

vertes. De découvertes qui précisément auraient dû faire trem-

bler les fondements les plus assurés de notre conceptualité phi-

losophique, tout entière ordonnée à une situation déterminée

des rapports entre logos et écriture. Toutes les grandes his-

toires de l'écriture s'ouvrent par l'exposé d'un projet classifi-

catoire et systématique. Mais on pourrait transposer aujour-

d'hui au domaine de l'écriture ce que Jakobson dit des langues

depuis la tentative typologique de Schlegel :

« Les questions de typologie ont conservé pendant long-

temps un caractère spéculatif et pré-scientifique. Tandis que

la classification génétique des langues avançait à pas de

géants, les temps n'étaient pas encore mûrs pour une classi-

fication typologique » (op. cit. p. 69).

Remarques sur la Chronologie et sur la première Ecriture des

Chinois, 1744. C'est le titre de la traduction française d'un frag-

ment de The divine legation of Moses (1737-1741). Nous aurons à

mesurer plus loin l'influence de cet ouvrage sur Condillac, Rous-

seau et les collaborateurs de l'Encyclopédie.

24. DE. p. 126-131.

25. Cf. E. Doblhofer, Le déchiffrement des écritures, 1959, et

EP. p. 352.

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Une critique systématique des concepts utilisés par les his-

toriens de l'écriture ne peut s'en prendre sérieusement à la

rigidité ou à la différenciation insuffisante d'un appareil théo-

rique que si elle a d'abord repéré les fausses évidences qui

guident le travail. Evidences d'autant plus efficaces qu'elles

appartiennent à la couche la plus profonde, la plus ancienne

et en apparence la plus naturelle, la moins historique de notre

conceptualité, celle qui se soustrait le mieux à la critique, et

d'abord parce qu'elle la supporte, la nourrit et l'informe : notre

sol historique lui-même.

Dans toutes les histoires ou typologies générales de l'écri-

ture, on rencontre par exemple, ici ou là, une concession ana-

logue à celle qui faisait dire à P. Berger, auteur, en France,

de la première grande Histoire de l'écriture dans l'antiquité

(1892) : « Le plus souvent les faits ne se conforment pas à

des distinctions qui... ne sont justes qu'en théorie » (p. XX).

Or il ne s'agissait de rien de moins que des distinctions entre

écritures phonétique et idéographique, syllabique et alpha-

bétique, entre image et symbole, etc. Il en va de même pour

le concept instrumentaliste et techniciste de l'écriture, inspiré

par le modèle phonétique auquel il ne convient d'ailleurs que

dans une illusion téléologique, et que le premier contact avec

des écritures non occidentales devrait suffire à dénoncer. Or

cet instrumentalisme est partout impliqué. Nulle part il n'est

aussi systématiquement formulé, avec toutes ses conséquences,

que par M. Cohen : Le langage étant un « instrument »,

l'écriture est « la rallonge à un instrument

 26

 ». On ne saurait



mieux décrire l'extériorité de l'écriture à la parole, de la parole

à la pensée, du signifiant au signifié en général. Il y a beau-

26. Op. cit., p. 2. M. V.-David critique cet intrumentalisme dans

les travaux déjà cités. L'instrumentalisme, dont on ne saurait exa-

gérer la dépendance métaphysique, inspire aussi souvent la défi-

nition linguistique de l'essence du langage, assimilée à une fonction

et, ce qui est plus grave, à une fonction extérieure à son contenu ou

à son agent. C'est ce qu'implique toujours le concept d'outil. Ainsi,

A. Martinet prend à son compte et développe longuement la défi-

nition du langage comme « instrument », « outil », etc., alors

que la nature « métaphorique » de cette définition, reconnue par

l'auteur, aurait dû la rendre problématique et renouveler la ques-

tion sur le sens de l'instrumentalité, sur le sens du fonctionnement

et sur le fonctionnement du sens. (Cf. Eléments de linguistique



générale, pp. 12-14, 25).

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coup à penser sur le prix que paie ainsi à la tradition méta-

physique une linguistique — ou une grammatologie — qui se

donne, dans le cas considéré, pour marxiste. Mais le même

tribut se reconnaît partout : téléologie logocentrique (expres-

sion pléonastique) ; opposition entre nature et institution ; jeu

des différences entre symbole, signe, image, etc. ; un concept

naïf de la représentation ; une opposition non critiquée entre

sensible et intelligible, entre l'âme et le corps ; un concept

objectiviste du corps propre et de la diversité des fonctions

sensibles (les « cinq sens » considérés comme autant d'appareils

à la disposition du parleur ou du scripteur) ; l'opposition entre

l'analyse et la synthèse, l'abstrait et le concret, qui joue un

rôle décisif dans les classifications proposées par J. Février et

M. Cohen et dans le débat qui les oppose ; un concept du

concept sur lequel la réflexion philosophique la plus classique

a laissé peu de marques ; une référence à la conscience et à

l'inconscience qui appellerait de toute nécessité un usage plus

vigilant de ces notions et quelque considération pour les

recherches qui en font leur thème

 27

 ; une notion de signe



que la philosophie, la linguistique et la sémiologie éclairent

rarement et faiblement. La concurrence entre l'histoire de l'écri-

ture et la science du langage est parfois vécue en termes d'hos-

tilité plutôt que de collaboration. A supposer même que la

concurrence soit admise. Ainsi, à propos de la grande distinc-

tion opérée par J. Février entre « écriture synthétique » et

« écriture analytique », comme à propos de la notion de « mot »

qui y joue un rôle central, l'auteur note : « Le problème est

d'ordre linguistique, nous ne l'aborderons pas ici » (op. cit.,

p. 49). Ailleurs, la non-communication avec la linguistique est

justifiée par J. Février en ces termes :

« C'est [la mathématique] une langue spéciale qui n'a

plus aucun rapport avec le langage, c'est une espèce de langue

universelle, c'est-à-dire que nous constatons par les mathéma-

tiques que le langage — je me venge des linguistes — est

absolument incapable de rendre compte de certaines formes

de la pensée moderne. Et à ce moment-là, l'écriture, qui a

été tellement méconnue, prend la place du langage, après

avoir été sa servante » (EP. p. 349).

On pourrait montrer que toutes ces présuppositions et toutes

27. Cf. par exemple, M. Cohen, op. cit., p. 6.

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