De la grammatologie



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DE LA GRAMMATOLOGIE

L'expérience de l'auto-érotisme est vécue dans l'angoisse. La

masturbation ne rassure (« bientôt rassuré ») qu'à travers cette

culpabilité que la tradition attache à cette pratique, obligeant

les enfants à assumer la faute et à intérioriser la menace de

castration qui l'accompagne toujours. La jouissance est alors

vécue comme perte irrémédiable de substance vitale, comme

exposition à la folie et à la mort. Elle se produit « aux dépends

de leur santé, de leur vigueur et quelque fois de leur vie ».

De la même manière, diront les Rêveries, l'homme qui « fouille

les entrailles de la terre... va chercher dans son centre aux

risques de sa vie et aux dépends de sa santé des biens imagi-

naires à la place des biens réels qu'elle lui offrait d'elle-même

quand il savait en jouir ».

Et c'est bien d'imaginaire qu'il s'agit. Le supplément qui

« trompe la nature » maternelle opère comme l'écriture, et

comme elle il est dangereux pour la vie. Or ce danger est

celui de l'image. De même que l'écriture ouvre la crise de

la parole vive à partir de son « image », de sa peinture ou de

sa représentation, de même l'onanisme annonce la ruine de la

vitalité à partir de la séduction imaginative :

« Ce vice que la honte et la timidité trouvent si commode,

a de plus un grand attrait pour les imaginations vives ; c'est de

disposer pour ainsi dire à leur gré de tout le sexe, et de

faire servir à leurs plaisirs la beauté qui les tente sans avoir

besoin d'obtenir son aveu ».

Le dangereux supplément, que Rousseau appelle aussi

« funeste avantage », est proprement séduisant : il conduit le

désir hors du bon chemin, il le fait errer loin des voies natu-

relles, le mène vers sa perte ou sa chute et c'est pourquoi

il est une sorte de lapsus ou de scandale

 Il


détruit ainsi la nature. Mais le scandale de la raison, c'est que

rien ne semble plus naturel que cette destruction de la nature.

C'est moi-même qui m'emploie à me départir de la force que

la nature m'a confiée : « Séduit par ce funeste avantage, je

travaillais à détruire la bonne constitution qu'avait rétablie en

moi la nature et à qui j'avais donné le temps de se bien

former ». On sait quelle importance l' Emile accorde au temps,

à la maturation lente des forces naturelles. Tout l'art de la

pédagogie est un calcul de la patience, laissant à l'œuvre de

la nature le temps de s'accomplir, respectant son rythme et

l'ordre de ses étapes. Or le dangereux supplément détruit à

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« CE DANGEREUX SUPPLÉMENT... »

toute vitesse les forces que la nature a lentement constituées

et accumulées. « En gagnant de vitesse » sur l'expérience natu-

relle, il brûle les étapes et consume l'énergie sans retour. Comme

le signe, nous le vérifierons, il fait l'économie de la présence de

la chose et de la durée de l'être.

Le dangereux supplément rompt avec la nature. Toute la

description de cet éloignement de la nature a un théâtre. Les



Confessions mettent en scène l'évocation du dangereux supplé-

ment au moment où il s'agit de rendre visible un éloigne-

ment qui n'est ni le même ni un autre : la nature s'éloigne en

même temps que la mère, ou plutôt que « Maman » qui

déjà signifiait la disparition de la vraie mère et s'y substituait

de la manière ambiguë que l'on sait. Il s'agit donc ici de la dis-

tance entre Maman et celui qu'elle appelait « Petit »

 5

. Comme



dit l' Emile, tout le mal vient de ce que « Les femmes ont

cessé d'être mères ; elles ne le seront plus ; elles ne veulent

plus l'être » (p. 18). Une certaine absence, donc, d'une cer-

taine sorte de mère. Et l'expérience dont nous parlons est faite

pour réduire cette absence autant que pour la maintenir. Expé-

rience furtive, expérience d'un voleur qui a besoin de l'invi-

sibilité : à la fois que la mère soit invisible et qu'elle ne

voie pas. On a souvent cité ces lignes :

« Je ne finirais pas si j'entrais dans le détail de toutes les

folies que le souvenir de cette chère Maman me faisait faire,

quand je n'étais plus sous ses yeux. Combien de fois j'ai

baisé mon lit en songeant qu'elle y avait couché, mes rideaux,

5. « Petit fut mon nom, Maman fut le sien, et toujours nous

demeurâmes Petit et Maman, même quand le nombre des années

en eut presque effacé la différence entre nous. Je trouve que ces

deux noms rendent à merveille l'idée de notre ton, la simplicité

de nos manières et surtout la relation de nos cœurs. Elle fut pour

moi la plus tendre des mères qui jamais ne chercha son plaisir

mais toujours mon bien ; et si les sens entrèrent dans mon attache-

ment pour elle, ce n'était pas pour en changer la nature, mais

pour le rendre seulement plus exquis, pour m'enivrer du charme

d'avoir une maman jeune et jolie qu'il m'était délicieux de caresser ;

je dis, caresser au pied de la lettre ; car jamais elle n'imagina de

m'épargner les baisers ni les plus tendres caresses maternelles, et

jamais il n'entra dans son cœur d'en abuser. On dira que nous

avons pourtant eu à la fin des relations d'une autre espèce ; j'en

conviens, mais il faut attendre ; je ne puis tout dire à la fois »

(p. 106). Collage ici de cette phrase de G. Bataille : « Je suis

moi-même le « petit », je n'ai de place que caché. » (Le petit).

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