De la grammatologie



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DE LA GRAMMATOLOGIE

tous les meubles de ma chambre en songeant qu'ils étaient à

elle, que sa belle main les avait touchés, le plancher même

sur lequel je me prosternais en songeant qu'elle y avait marché.

Quelquefois même en sa présence il m'échappait des extra-

vagances que le plus violent amour seul semblait pouvoir

inspirer. Un jour à table, au moment qu'elle avait mis un

morceau dans sa bouche, je m'écrie que j'y vois un cheveu :

elle rejette le morceau sur son assiette, je m'en saisis avide-

ment et l'avale

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. En un mot, de moi à l'amant le plus pas-



sionné, il n'y avait qu'une différence unique, mais essentielle,

et qui rend mon état presque inconcevable à la raison »  e t c . ,

Un peu plus haut, on pouvait lire : « Je ne sentais toute la

force de mon attachement pour elle que quand je ne la

voyais pas » (p. 107).

6. Ce morceau est souvent cité mais l'a-t-on jamais analysé pour

lui-même ? Les éditeurs des Confessions dans la Pléiade, B. Gagne-

bin et M. Raymond, ont sans doute raison de se méfier, comme ils

le font toujours très systématiquement, de ce qu'ils appellent la

psychiatrie (note p. 1281. Cette même note recense très utilement

tous les textes où Rousseau rappelle ses « folies » ou « extrava-

gances »). Mais cette suspicion n'est légitime, nous semble-t-il,

que dans la mesure où elle concerne l'abus — qui s'est sans

doute jusqu'ici confondu avec l'usage — de la lecture psycha-

nalytique, et où elle ne prescrit pas le redoublement du commen-

taire habituel qui a rendu ce type de texte le plus souvent illisible.

Il faut distinguer ici entre les analyses souvent sommaires et impru-

dentes, mais parfois aussi éclairantes, du Dr René Laforgue (Etude



sur ].-]. Rousseau, in Revue française de psychanalyse, T. I. 1927,

p. 370 sq. et Psychopathologie de l'échec, p. 114 sq., 1944) qui

d'ailleurs ne fait aucune place aux textes que nous venons de

citer, et une interprétation qui tiendrait un compte plus rigoureux,

au moins au principe, de l'enseignement de la psychanalyse. C'est là

une des directions dans lesquelles sont engagées les belles et pru-

dentes analyses de J. Starobinski. Ainsi, dans L'œil vivant, la phrase

qui vient de nous arrêter est réinscrite dans toute une série

d'exemples de substitutions analogues, empruntés pour la plupart

à la Nouvelle Héloïse : celui-ci par exemple, entre autres « fétiches

érotiques » : « Toutes les parties de ton habillement éparses pré-

sentent à mon ardente imagination celles de toi-même qu'elles

recèlent :' cette coiffure légère que parent de grands cheveux blonds

qu'elle feint de couvrir ; cet heureux fichu contre lequel une fois

au moins je n'aurai point à murmurer ; ce déshabillé élégant et

simple qui marque si bien le goût de celle qui le porte ; ces mules

si mignonnes qu'un pied souple remplit sans peine ; ce corps si

délié qui touche et embrasse... Quelle taille enchanteresse ! au devant

deux légers contours... O spectacle de volupté ! la baleine a cédé à

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« CE DANGEREUX SUPPLÉMENT... »

La chaîne des suppléments.

La découverte du dangereux supplément sera ensuite citée



parmi ces « folies » mais elle n'en garde pas moins un pri-

vilège et Rousseau l'évoque après les autres et comme une

sorte d'explication de l'état inconcevable à la raison. Car il

ne s'agit pas de dériver la jouissance totale vers un substitut

particulier mais cette fois de l'éprouver ou de la mimer elle-

même directement et en totalité. Il ne s'agit plus de baiser

le lit, le plancher, les rideaux, les meubles, etc., ni même

d' « avaler » le « morceau qu'elle avait mis dans sa bouche »,

mais « de disposer à son gré de tout le sexe ».

la force de l'impression... Empreintes délicieuses, que je vous baise

mille fois! » (pp. 115-116).

Mais la singularité de ces substitutions et l'articulation de ces

déplacements retiennent-elles assez l'attention de l'interprète ? Nous

nous demandons si, par souci de réagir contre une psychanalyse

réductrice, causaliste, dissociative, Starobinski ne fait pas en général

trop crédit à une psychanalyse totalitaire, de style phénoménolo-

gique ou existentiel. Celle-ci, à diffuser la sexualité dans la totalité

du comportement, risque peut-être d'estomper les clivages, les diffé-

rences, les déplacements, les fixations de toute sorte qui structurent

cette totalité. Le lieu ou les lieux de la sexualité ne disparaissent-ils

pas dans l'analyse d'un comportement global, telle que la recom-

mande Starobinski : « Le comportement érotique n'est pas une

donnée fragmentaire : il est une manifestation de l'individu total,

et c'est comme tel qu'il doit être analysé. Que ce soit pour le négliger

ou pour en faire un sujet d'étude privilégié, on ne peut limiter

l'exhibitionnisme à la « sphère » sexuelle : la personnalité entière

s'y révèle, avec quelques-uns de ses « choix existentiels » fonda-

mentaux ». (La transparence et l'obstacle, pp. 210-211. Une note

nous renvoie à la Phénoménologie de la perception de Merleau-

Ponty). Et ne risque-t-on pas ainsi de déterminer le pathologique

de manière très classique, comme « excès » pensé dans des caté-

gories « existentielles » : « Dans la perspective d'une analyse globale,

il apparaîtra que certaines données premières de la conscience cons-

tituent à la fois la source de la pensée spéculative de Rousseau,

et la source de sa folie. Mes ces données-source ne sont pas

morbides par elles-mêmes. C'est seulement parce qu'elles sont

vécues d'une manière excessive, que Ja maladie se déclare et se

développe... Le développement morbide réalisera la mise en évi-

dence caricaturale d'une question « existentielle » fondamentale

que la conscience n'a pas été capable de dominer » (p. 253).

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