De la grammatologie



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LINGUISTIQUE ET GRAMMATOLOGIE

périence interne et la seconde à l'expérience externe » (Jakob-

son, op. cit. p. 112). La différence entre l'invariance et la varia-

bilité ne sépare pas les deux domaines entre eux, elle les

partage l'un et l'autre en eux-mêmes. Cela indique assez que l'es-

sence de la phonè ne saurait être lue directement et d'abord

dans le texte d'une science mondaine, d'une psycho-physio-

phonétique.

Ces précautions étant prises, on doit reconnaître que c'est

dans la zone spécifique de cette empreinte et de cette trace,

dans la temporalisation d'un vécu qui n'est ni dans le monde

ni dans un « autre monde », qui n'est pas plus sonore que

lumineux, pas plus dans le temps que dans l'espace, que les

différences apparaissent entre les éléments ou plutôt les pro-

duisent, les font surgir comme tels et constituent des textes,

des chaînes et des systèmes de traces. Ces chaînes et ces sys-

tèmes ne peuvent se dessiner que dans le tissu de cette trace

ou empreinte. La différence inouïe entre l'apparaissant et

l'apparaître (entre le « monde » et le « vécu ») est la condi-

tion de toutes les autres différences, de toutes les autres traces,

et elle est déjà une trace. Aussi ce dernier concept est-il abso-

lument et en droit « antérieur » à toute problématique phy-



siologique sur la nature de l'engramme, ou métaphysique sur

le sens de la présence absolue dont la trace se donne ainsi

à déchiffrer. La trace est en effet l'origine absolue du sens en

général. Ce qui revient à dire, encore une fois, qu'il n'y a pas

d'origine absolue du sens en général. La trace est la différance

qui ouvre l'apparaître et la signification. Articulant le vivant

sur le non-vivant en général, origine de toute répétition, origine

de l'idéalité, elle n'est pas plus idéale que réelle, pas plus intel-

ligible que sensible, pas plus une signification transparente

qu'une énergie opaque et aucun concept de la métaphysique



ne peut la décrire. Et comme elle est a fortiori antérieure à

la distinction entre les régions de la sensibilité, au son autant

qu'à la lumière, y a-t-il un sens à établir une hiérarchie « natu-

relle » entre l'empreinte acoustique, par exemple, et l'empreinte

visuelle (graphique) ? L'image graphique n'est pas vue ; et

l'image acoustique n'est pas entendue. La différence entre les

unités pleines de la voix reste inouïe. Invisible aussi la diffé-

rence dans le corps de l'inscription.



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DE LA GRAMMATOLOGIE

La brisure.

Vous avez, je suppose, rêvé de trouver

un seul mot pour désigner la différence

et l'articulation. Au hasard du « Robert »,

je l'ai peut-être trouvé, à la condition de

jouer sur le mot, ou plutôt d'en indi-

quer le double sens. Ce mot est brisure :

« — Partie brisée, cassée. Cf. brèche, cas-

sure, fracture, faille, fente, fragment. —

Articulation par charnière de deux parties

d'un ouvrage de menuiserie, de serrurerie.

La brisure d'un volet. Cf. joint. »

Roger Laporte (lettre).

Origine de l'expérience de l'espace et du temps, cette écri-

ture de la différence, ce tissu de la trace permet à la diffé-

rence entre l'espace et le temps de s'articuler, d'apparaître

comme telle dans l'unité d'une expérience (d'un « même »

vécu à partir d'un « même » corps propre). Cette articula-

tion permet donc à une chaîne graphique (« visuelle » ou

« tactile », « spatiale ») de s'adapter, éventuellement de façon

linéaire, sur une chaîne parlée (« phonique », « temporelle »).

C'est de la possibilité première de cette articulation qu'il faut

partir. La différence est l'articulation.

C'est bien ce que dit Saussure, en contradiction avec le



Chapitre VI :

« La question de l'appareil vocal est donc secondaire dans

le problème du langage. Une certaine définition de ce qu'on

appelle langage articulé pourrait confirmer cette idée. En

latin, articulus signifie « membre, partie, subdivision dans une

suite de choses » ; en matière de langage, l'articulation peut

désigner ou bien la subdivision de la chaîne parlée en syllabes,

ou bien la subdivision de la chaîne des significations en unités

significatives... En s'attachant à cette seconde définition, on

pourrait dire que ce n'est pas le langage parlé qui est naturel



à l'homme, mais la faculté de constituer une langue, c'est-à-

dire un système de signes distincts correspondant à des idées

distinctes » (p. 26. Nous soulignons).

L'idée d' « empreinte psychique » communique donc essen-

tiellement avec l'idée d'articulation. Sans la différence entre le

sensible apparaissant et son apparaître vécu (« empreinte psy~

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LINGUISTIQUE ET GRAMMATOLOGIE

chique »), la synthèse temporalisatrice, permettant aux diffé-

rences d'apparaître dans une chaîne de significations, ne sau-

rait faire son œuvre. Que 1' « empreinte » soit irréductible,

cela veut dire aussi que la parole est originairement passive,

mais en un sens de la passivité que toute métaphore intra-

mondaine ne saurait que trahir. Cette passivité est aussi le

rapport à un passé, à un toujours-déjà-là qu'aucune réacti-

vation de l'origine ne saurait pleinement maîtriser et réveiller

à la présence. Cette impossibilité de ranimer absolument l'évi-

dence d'une présence originaire nous renvoie donc à un passé

absolu. C'est ce qui nous a autorisé à appeler trace ce qui

ne se laisse pas résumer dans la simplicité d'un présent. On

aurait pu en effet nous objecter que, dans la synthèse indé-

composable de la temporalisation, la protention est aussi indis-

pensable que la rétention. Et leurs deux dimensions ne s'ajoutent

pas mais s'impliquent l'une l'autre d'une étrange façon. Ce

qui s'anticipe dans la protention ne disjoint pas moins le pré-

sent de son identité à soi que ne le fait ce qui se retient

dans la trace. Certes. Mais à privilégier l'anticipation, on ris-

quait alors d'effacer l'irréductibilité du toujours-déjà-là et la

passivité fondamentale qu'on appelle le temps. D'autre part,

si la trace renvoie à un passé absolu, c'est qu'elle nous oblige

à penser un passé qu'on ne peut plus comprendre dans la forme

de la présence modifiée, comme un présent-passé. Or comme

passé a toujours signifié présent-passé, le passé absolu qui se

retient dans la trace ne mérite plus rigoureusement le nom

de « passé ». Autre nom à raturer, d'autant plus que l'étrange

mouvement de la trace annonce autant qu'il rappelle : la dif-

férance diffère. Avec la même précaution et sous la même

rature, on peut dire que sa passivité est aussi son rapport à

1' « avenir ». Les concepts de présent, de passé et d'avenir,

tout ce qui dans les concepts de temps et d'histoire en suppose

l'évidence classique — le concept métaphysique de temps en

général — ne peut décrire adéquatement la structure de la trace.

Et déconstruire la simplicité de la présence ne revient pas seu-

lement à tenir compte des horizons de présence potentielle,

voire d'une « dialectique » de la protention et de la rétention

qu'on installerait au cœur du présent au lieu de l'en entourer.

Il ne s'agit donc pas de compliquer la structure du temps tout

en lui conservant son homogénéité et sa successivité fondamen-

tales, en montrant par exemple que le présent passé et le pré-

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