Filozofická fakulta Masarykovej univerzity Ústav románskych jazykov a literatúry



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Filozofická fakulta Masarykovej univerzity

Ústav románskych jazykov a literatúry



L’humour noir dans Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq


Jana Vavličová

Bakalárska diplomová práca
Vedúci práce

PhDr. Petr Dytrt, Ph.D.


Brno 2013

Prehlasujem, že som bakalársku prácu spracovala samostatne a použila len pramene uvedené v zozname literatúry.

Prehlasujem, že sa písomná verzia zhoduje s elektronickou.

V Brne dňa 29. 7. 2013 ....................................... Jana Vavličová

Na tomto mieste by som sa chcela poďakovať v prvom rade vedúcemu mojej práce, pánu PhDr. Petrovi Dytrtovi, Ph.D., za jeho trpezlivosť, ochotu a rady nielen počas písania tejto práce, ale aj počas celých štúdií. Ďalej by som sa chcela poďakovať mojej rodine za ich podporu i v ťažkých chvíľach mojich štúdií.
Table des matières

Introduction
En avril 2013, nous avons pu lire dans les journaux : Un cours sur la pornographie était ouvert dans une université aux Etats-Unis1, la SNCF essaie de cacher ses employés noirs et arabes.2 Ses questions actuelles qui préoccupent notre génération, sont-elles présentes également dans la production romancière de nos jours? Chez Michel Houellebecq, auteur français contemporain, ces questions créent une ligne de base de son oeuvre romanesque où l’auteur utilise sa propre expérience pour montrer leur vivacité. On suivra ces aspects afin de dévoiler, telle est notre hypothèse, ce qui est derrière elles – l’humour noir.

D’abord, nous pourrions nous poser la question : pourquoi parle-t-on encore de Michel Houellebecq ? Même s’il appartient aux écrivains de notre époque, beaucoup de livres traitant sa vie et son style d’écriture ont été déjà écrits. Certains critiques parlent d’une satire de notre société qui, dans le fond, nous serait assez salutaire et, venant très à propos, d’autres verraient plutôt son oeuvre comme un pamphlet pornographique.3 Mais aucun d’entre eux ne s’occupe de l’humour noir dans ces livres. Ainsi, l’humour noir est-il présent dans ses romans ? Quelle fonction remplit-il ? Nous voudrions donc traiter cet aspect et observer ses marques dans un des romans de Michel Houellebecq à savoir Extension du domaine de la lutte.

L’humour noir est un phénomène omniprésent dans notre société mais malgré son utilisation quotidienne, il n’existe pas beaucoup de livres qui en traitent. Quant à sa définition, il paraît qu’il relève d’une plaisanterie scandaleuse et féroce. Comme sa couleur l’indique, il peut aussi être macabre et sombre. Pour André Breton il s’agit d’une révolte métaphysique et il cite comme l’initiateur de ce genre de l’humour Jonathan Swift qui a tourné en dérision la question de la reproduction des pauvres en Irlande dans sa Modeste proposition.4 Bien souvent on emploie les termes  « humour noir » pour signifier « comique morbide » – la « dark comedy » des anglo-saxons.5

Notre travail est divisé en quatre parties. La première partie s’occupe de la vie de l’auteur et des tendances dans la prose d’aujourd’hui. Nous voudrions présenter l’oeuvre de Michel Houellebecq de même que sa manière d’écrire. La deuxième partie est intitulée l’humour parce que nous voudrions d’abord présenter l’humour comme une entité, son histoire et nous allons terminer par la définition de l’humour noir qui fait l’objet de notre travail. Ensuite, la troisième partie est consacrée à l’analyse de la présence et la tendance de l’humour noir dans le roman Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq.

Dans la première partie nous allons argumenter avec des livres de Murielle Lucie Clément Houellebecq, sperme et sang et Michel Houellebecq revisité (avec le sous-titre : L’écriture houellebecquienne). Ces deux sources essentielles sont accompagnées par les deux autres : le livre d’Eric Naulleau Au secours, Houellebecq revient ! et le livre de Dominique Noguez Houellebecq, en fait. Proposant un regard objectif sur la personnalité de l’auteur, tous les quatre ont servi comme les sources principales.

Notre deuxième partie est répartie en deux aspects. Le premier aspect, l’humour, sera argumenté à l’aide du livre de Henri Bergson Le Rire, essai sur la signification du comique même qu’avec le livre de Ladislav Dvorský Repetitorium jazykové komiky et d’Ervín Hrych Dějiny světového humoru. Le deuxième aspect, l’humour noir, nous allons argumenter à l’aide du livre d’André Breton L’anthologie de l’humour noir et avec les notes de Patrick Moran et Bernard Gendrel publié sur le site fabula.org. Nous essayons donc de définir l’humour noir pour être capable ensuite déclarer sa présence dans un des romans de l’auteur. Ainsi, nous nous sommes aussi concentrée sur sa manière de se former ; les dictionnaires poétiques et linguistiques comme Príručný slovník literárnovedných termínov de František Štraus ou Poetický slovník de Tibor Žilka nous ont beaucoup aidée.

Pour la partie analytique, nous allons utiliser le roman Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq ainsi que sa traduction tchèque faite par Alan Beguivin et publiée en 2004 sous le titre Rozšíření bitevního pole. Nous allons essayer de traiter la notion d’humour noir dans les différents aspects du roman et de montrer comment la présence de ce type d’humour participe à la contruction du sens dans dans cette œuvre littéraire. Etant donné que la production de l’auteur divise le public entre ses admirateurs et ses ennemis, nous avons décidé de traiter l’un de ses romans pour montrer un aspect qui était très souvent négligé dans les ouvrages critiques traitant de l’écriture romanesque de cet auteur du XXIe siècle. Ainsi, s’impose la question : Pourquoi ce roman de Michel Houellebecq et pas un autre ? En premier lieu, nous l’avons choisi grâce à sa primauté : il s’agit du premier roman de cet auteur. En second lieu, ce roman est moins connu que les autres qui ont obtenu encore plus d’attention. En dernier lieu, il s’agit plutôt d’une histoire triste de la vie d’un homme et c’était donc intéressant d’y chercher le comique. Nous espérons donc que le présent travail apporte un autre regard sur la personnalité et l’œuvre de Michel Houellebecq.

I Michel Houellebecq
I. 1. La personnalité et l’écriture de Michel Houellebecq

« Quand, pour la première fois, j’ai entendu parler de Michel Houellebecq, je ne pouvais pas deviner que cet inconnu qui m’arrachait des rires sauvages avec ses formules aigres – douces et ses vers au vitriol allait devenir un des écrivains les plus importants d’aujourd’hui. »6 Ce sont les mots de Dominique Noguez, un des amis de Michel Houellebecq, avec lesquels il collabore en concevant son livre Houellebecq, en fait. C’est aussi lui qui le nomme « Baudelaire des supermarchés » ou « le Buster Keaton de l’informatique.»7 Il ajoute qu’on n’a pas vu ses débuts, il était invisible - il s’est annoncé par son premier roman Extension du domaine de la lutte publié en 1994.8

Mais on n’entend pas toujours des mots extraordinaires sur la personnalité de Michel Houellebecq. Selon Éric Naulleau est Houellebecq un vieil, très vieil auteur qui écrit pour les jeunes ancêtres en trotinette qui nous disputent le trottoir des villes modernes.9 Il le décrit comme un écrivain de la grande misère, sexuelle, spirituelle, émotionelle et intellectuelle.10 Et quel est son triomphe ? « Le triomphe actuel de Houellebecq vaut signe que le pire est toujours certain. »11 D’évidence, Houellebecq bénéficie d’une célébrité-minute dont notre époque médiatique ne se montre pas chiche.12

Tout en étant parfois peu énoncées, les références littéraires sont nombreuses chez Michel Houellebecq. Il s’agit dans la majorité des cas de simples mentions des auteurs. Ainsi voit-on défiler Baudelaire, Thomas Mann, Barthes, Derrida, Aldous Huxley pour ne nommer que les plus récurrants. Ailleurs, ce sont des commentaires émis par un personnage à la suite d’une citation plus explicite.13 Nous pouvons nous également demander quelle est la raison de lecture des livres de Michel Houllebecq ou qu’est-ce qu’ils nous proposent. En effet, l’auteur semble entreprendre une critique de la société, parfois dans la lignée baudelairienne.14 Mais l’on y chercherait en vain le mélange, détonnant, de surnaturalisme et d’ironie en quoi Baudelaire quintessenciait le romantisme.15 Une autre réponse est donnée dans le livre de Bruno Vercier et Dominique Viart La littérature française au présent: « Michel Houellebecq offre une étonnante synthèse des pensées dominantes à la fin du XIXe siècle, transposée dans notre époque : le positivisme y rejoint le naturalisme dans son intérêt pour les sciences – de l’économie à la physique quantique – censées rendre compte de l’état de l’humanité .»16 Nous pouvons même voir beaucoup de pessimisme dans les livres de Michel Houellebecq  et il y a beaucoup plus que cela: « Son goût pour le morbide, la souillure, la dénonciation lui font retrouver bien des thématiques chères à Huysmans, à Bloy et à une certaine écriture fin de siècle. »17 Mais en ce qui concerne son attitude, il n’est pas pur parce que « toutes les théories que ses livres énoncent, souvent provocantes (staliniennes, eugénistes, racistes, misogynes...), le sont par des voix narratives incertaines ou discutables : nouvel androïde du futur, savant fou ou pervers obsessionnel. »18 Le héros houellebecquien est philosophe, doté d’un grand pouvoir d’analyse, autant nous pouvons lire qu’il ne participe pas vraiment de la vie, il la refuse ou se trouve dans l’impossibilité d’en jouir.19


I. 2. La vie de Michel Houellebecq20
Michel Houellebecq est né en 1958 à la Réunion. Ses parents ne s’intéressaient pas à son existence et c’est la raison pour laquelle il a été jusqu’à six ans éduqué par sa grand-mère. Il a vécu à Dicy (Yonne), puis à Crécy-la-Chapelle. Il a étudié au lycée Henri Moissan de Meaux où ses camarades ont trouvé qu'il a une capacité de réflexion et une puissance d'analyse, un recul sur les événements tout à fait exceptionnels pour un garçon de son âge - ils le surnomment "Einstein".

En 1975, il s’est inscrit à l’École Supérieure d'Agronomie et en 1981 il a obtenu le diplôme d’ingénieur d’agronomie. Pendant ses études supérieures, sa grand-mère est morte en 1978. Après ses études il s’est marié avec la cousine de son meilleur ami et en 1981 est né son premier fils, Etienne. Mais ses débuts après l’université n’étaient pas faciles – c’est le début de la période du chômage et après le divorce, il a passé plusieurs séjours en milieu psychiatriaque.

Le 17 septembre 2002, suite à une interview tronquée dans le magazine Lire, Michel Houellebecq est accusé d'injures et d’incitation à la haine raciale. Il sera relaxé grâce à la mobilisation des intellectuels, de ses lecteurs et au talent de son avocat - M. Pierrat; mais ce procès le marque au point qu'il décide de ne plus jamais répondre aux médias et de quitter la France pour l'Espagne, où il vit en retrait. Longue période de réflexion à la suite de laquelle il annonce pour 2005 un nouveau roman dont le titre provisoire est "L'île", ainsi qu'un film qu'il réalisera. Pour réaliser ces projets, il change en même temps d'éditeur et signe chez Fayard où il retrouvera son directeur littéraire Raphaël Sorin, avec qui il n'avait jamais perdu tout à fait le contact.

I. 3. La carrière littéraire21
Sa carrière littéraire commence à l’âge de vingt ans quand il commence à fréquenter différents cercles littéraires. Ses premiers poèmes étaient publiés dans la Nouvelle Revue de Paris en 1985 par Michel Bulteau, directeur de ce périodique. C'est ainsi que Michel Houellebecq publie en 1991 la biographie de Howard P. Lovecraft, Contre le monde, contre la vie. La même année il intègre l'Assemblée Nationale en tant que secrétaire administratif et il publie Rester vivant aux éditions de la Différence, puis chez le même éditeur, en 1992, le premier recueil de poèmes La Poursuite du bonheur, qui a obtenu le prix Tristan Tzara.

Mais plus comme ses poèmes – même s’il a obtenu le prix de Flore 1996 pour le recueil de poèmes Le Sens du combat  - sont pour nous importants ses romans. Son premier roman, Extension du domaine de la lutte, a été publié en 1994 et en 1998 il a publié son deuxième roman Les Particules élémentaires. C’est Alain Beguivin qui a traduit ces deux premiers romans de Michel Houellebecq en tchèque. Michel Houellebecq réside pendant quelques années en Irlande dans une maison baptisée " The White House", dans le comté de Cork, où il a écrit une grande partie de son troisième roman, Plateforme qui paraît en 2001 et qui est traduit en tchèque de nouveau par Alain Beguivin en 2008. Son quatrième roman, c’est La possibilité d'une île, qui paraît le 31 août 2005, était traduit en tchèque par Jovanka Šotolová. Et enfin, en 2010 il a publié son dernier roman La Carte et le territoire.


II L’Humour


II. 1. Les aspects généraux
Le mot humour provient du latin dont il acquiert son premier sens. Il est ici présenté comme l’humidité, la moiteur ou le suc.22 Comme nous pouvons le voir, le sens premier de l’humour n’a aucune marque du comique. Celle-ci n’est ajoutée qu’au XVIIe siècle et avec le siècle suivant le mot pénètre dans toutes les langues européennes pour se différencier de la satire qui prévoit un type de caractère engagé critique.23 Néanmoins, l’humour constitue, avec l’ironie, l’une des formes de la satire : étant en opposition à l’ironie et sa nature oratoire, l’humour représente selon Bergson un air scientifique24 et plusieurs auteurs ont remarqué que l’humour préfère les termes concrets, les détails techniques, les faits précis.25 Cependant, Breton parle de l’intraduisibilité de la notion d’humour26, ce qui constitue également la raison de son emploi par les Français : « Les Français l'emploient précisément à cause de l'indétermination qu'ils y mettent, et qui en fait un mot très convenable à la dispute des goûts et des couleurs »27. Même si l’indétermination de l’humour fait l’un de ses avantages, sa définition existe et elle peut être trouvée dans les dictionnaires de langue ; Larousse qui peut servir comme une référence, le définit comme « forme d'esprit qui s'attache à souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité ; marque de cet esprit dans un discours, un texte, un dessin, etc. »28. Contenant donc quelque chose de délivrant comme la drôlerie ou le comique, il représente l’unité unique avec ses traits monumentaux et majesteux qu’on ne trouve pas dans les autres sortes d’activité intellectuelle. C’est l’amour de soi-même qui rélève la force réelle de l’humour.29

Ainsi, il faut distinguer deux formes d’humour : orale et écrite. La différence entre ces deux n’est pas si grande. La perception visuelle est plus rapide et lapidaire mais on ne considère pas cette différence comme une priorité.30 Nous pouvons voir le point commun dans le fait que toutes les deux proposent comme plaisant les mêmes effets.31 Pourtant, la première, le comique que le langage exprime, peut se traduire d’une langue à l’autre et perdre la plus grande partie de son relief en passant dans une société nouvelle. La deuxième forme, celle de l’humour écrite que le langage crée, peut se traduire par ses moeurs, par sa littérature, et surtout par ses associations d’idées, mais elle est généralement intraduisible. Elle doit tout ce qu’elle est à la structure de la phrase ou au choix des mots, de plus, elle souligne les distractions du langage lui-même. C’est le langage lui-même, ici, qui devient comique32, c’est également la raison pour laquelle nous pouvons parler du comique du langage.33 Le comique du langage doit correspondre, point par point, au comique des actions et des situations et qu’il n’en est, si l’on peut s’exprimer ainsi, que la projection sur le plan des mots.34

Etant donné qu’il existe plusieurs types d’humour, comment les écrivains font pour obtenir l’effet comique ? Au début, l’auteur avance avec ou sans l’aide de la langue mais presque toujours selon les mêmes critères et en utilisant divers moyens d’expressions.35 Le comique peut être obtenu à chaque fois qu’on pense d’entendre une expression au sens propre, alors qu’elle était employée au sens figuré. Dès que notre attention se concentre sur la matérialité d’une métaphore, l’idée exprimée devient comique.36 Néanmoins, en transposant le naturel d’une idée dans un autre ton, l’effet comique est aussitôt obtenu.37 Ainsi, les créateurs utilisent toutes les sphères de la langue pour exprimer l’effet comique.38 Le comique exige donc enfin, pour produire tout son effet, quelque chose comme une anesthésie momentanée du coeur.39
II. 2. L’humour noir
Le Petit Robert définit l’humour noir comme « la forme d’humour qui exploite des sujets dramatiques et tire ses effets comiques de la froideur et du cynisme »40. Mais comment est-il produit ? Etant donné qu’il s’agit d’un type de l’humour, nous voudrions premièrement préciser la création de l’humour.

Même si nous avons déjà dit comment le comique est créé, nous n’avons pas encore dit comment l’humour lui-même est produit. L’humour se base donc sur un revirement imprévu et sur la soudaineté.41 Il doit toujours avoir la phase préparatoire qui conduit à l’exacerbation d’une certaine situation jusqu’à la conclusion imprévue.42 La conclusion est marquée pas seulement par un revirement imprévu mais aussi par un déplacement vers un autre plan sémantique ; les informations précédentes prennent absolument un autre sens.43 Cette transition d’un plan sémantique à l’autre provoque chez destinataire la réaction : le rire.44 L’humour noir (on le nomme aussi l’humour patibulaire45) a besoin, pour être produit, les mêmes procédés que l’humour proprement dit. Sa création est également liée à un revirement imprévu qui, dans ce cas, est produit quand les valeurs esthétiques positives incontestables (l’amour, la vie humaine) sont paradoxalement et absurdement remettre en doute comme tragiques, inhumaines, absurdes etc.46 Ainsi, comme le prouvent Patrick Moran et Bernard Gendrel, cette notion n'échappe pas au flou sémantique qui menace la catégorie d'humour en général. Or l'humour noir ne consiste pas simplement à faire rire avec des sujets sombres, ou bien il faut l'exclure du champ de l'humour, et reconnaître que l'étiquette « humour noir » n'est qu’une appellation impropre d'une thématique comique particulière.47 Mais l'humour noir, dans ses thèmes est fondamentalement un concept post-romantique – alors que l'humour apparaît déjà aux XVIIe et XVIIIe siècles. Et les auteurs de l’Atelier de théorie littéraire qui se sont concentrés sur ce type de l’humour ajoutent qu’une définition satisfaisante de l'humour noir devrait se faire à la croisée de la thématique et du psychologique.48

Le concept français d’humour noir n’est pas connu dans chaque langue. Tandis que « černý humor » en langue tchèque convient précisément au concept français, la langue anglaise ne le connaît point. Même si l’anglais représente le lieu de naissance du concept d’humour ainsi que de celui de nonsense, il ne dispose pas de terme pour rendre strictement la notion française d'«humour noir».49 Ses concepts de black humour, dark humour, black comedy ou dark comedy sont visiblement trop flous pour être maniables, d'autant plus qu'ils n'ont pas la force idiomatique qu'a la locution française. On voit peut-être une expression plus utile le gallows humour, que l'on devrait traduire strictement par « humour du gibet » qui décrit le rire du condamné à mort, l'homme qui rit plus ou moins jaune, avec plus ou moins de résignation, face à une situation désespérée. 50 Mais il y a une vraie opposition entre gallows humour et humour noir: si la seconde locution insiste sur une thématique, la première décrit plutôt la posture énonciative, ou la condition d'existence de cet humour.51 Le gallows humour présente en quelque sorte l'humour noir appliqué à soi.

Quels attributs pouvons-nous donner à l’humour noir? Selon André Breton il est macabre et sombre et il exprime une révolte métaphysique.52 Il s’agit d’une expression pure, c’est-à-dire que l’humour noir n’adopte pas de tendances moralisatrices.53 De plus, l’humour noir a des effets immédiats et très vifs sur l’allocutaire. Sa forte expressivité doit être toujours perçue dans le contexte exprimé par l’auteur. Sans doute l’humoriste veut provoquer les sentiments de culpabilité chez l’homme, de plus il veut provoquer sa sensibilité, il veut lui raconter des histoires désagréables, paradoxales, qui devraient avoir pour résultat sa répugnance.54 Comment donc provoquer l’humour noir? Premièrement, il est nécessaire de dire que l’humour noir n’exige pas une situation désespérée. L'humour noir fonctionne parce que le lecteur perçoit ce désinvestissement, non seulement chez le narrateur mais aussi chez l'auteur, ou du moins l’auteur impliqué.55 Comme disent Patrick Moran et Bernard Gendrel, les auteurs de la section de l’humour noir sur la page de l’Atelier de théâtre, il nous donc dirige dans des eaux proches de celles du mauvais goût, du scandale et de l'indécence.56 Il semble remarquable qu'il s'agisse d'une forme du rire qui non seulement provoque parfois une réception malveillante, mais qui de plus s'y complaire.57

Pour l'humour noir la frontière se situera plutôt du côté de la sensibilité et du sentiment moral : tout auditeur/lecteur confronté à l'humour noir ne réagira pas nécessairement de manière bienveillante, pour des raisons relevant à la fois du thème, et de la manière dont il est exploité (matière morbide, traitée avec détachement, gaieté ou indifférence). Nombre de récepteurs désapprouvent l'humour noir, invoquant soit leur sensibilité propre (« je ne supporte pas ») soit une raison éthique (« c'est inacceptable »).58

L’initiateur de ce genre de l’humour, Jonathan Swift, a tourné en dérision la question de la reproduction des pauvres en Irlande dans sa Modeste proposition.59 La Modeste proposition reste la sphère spécifique de l'humour noir. Un fonctionnement relativement similaire à celui de la Modeste proposition a le texte de Villiers de l’Isle Adam : L’appareil pour l’analyse chimique du dernier soupir.60 Mais alors que les pages de Swift aspiraient à avoir un effet politique immédiat, celles de Villiers de l'Isle-Adam, si elles dépeignent une idéologie peu reluisante, fonctionnent néanmoins de manière plus gratuite et ne visent pas principalement à dénoncer. L'humour noir y trouve une certaine autonomie poétique, qu'il serait peut-être vain de chercher avant le XIXe siècle.61 Mais l’utilisation de l’humour noir ne finit pas avec ces deux auteurs. Huysmans nous donne une autre perspective qui l’utilise comme l’expression pour commenter À Rebours et ce sont néanmoins les surréalistes qui lui donnent ses lettres de noblesse. L'humour noir est perçu par les surréalistes à la fois comme l'humour le plus audacieux, le plus scandaleux, en somme l'humour d'avant-garde, qui participe à l'entreprise de destruction et de refondation que mènent les surréalistes : l'humour noir, c'est l'humour anti-social, l'humour contre la société.62 Une autre conception – celle qui est dans un monde sans Dieu, sans morale, sans haut ni bas où l'humour noir est la « politesse du désespoir », l'outil par lequel l'homme « polit » la conscience de son propre néant, se retrouve à la fin du siècle dans l'œuvre de Dominique Noguez : de toutes les couleurs de l'humour qu'il identifie dans L'Arc-en-ciel des humours, le noir semble bien être la couleur primaire, primordiale, dont toutes les autres ne sont que des reflets.63 Pourtant, comme le fait remarquer L'Arc-en-ciel des humours, l'humour noir s'intéresse aux malheurs cosmiques que sont la mort et la finitude.64

III L’humour noir dans Extension du domaine de la lutte
III. 1. Extension du domaine de la lutte
Le roman qui a paru en 1994 est le premier roman de Michel Houellebecq ; il a divisé le public entre ses protecteurs sans limites et ses opposants enragés. Ayant un grand succès, le roman était réalisé comme un film en 1999 par Philippe Harel et José Garcia. Assez fidèle au roman, le film a rencontré un large public. Nous pouvons nous demander où se cache sa recette pour succès.

Le roman raconte l’histoire d’un informaticien âgé de 30 ans qui travaille comme le cadre moyen dans une entreprise de logiciels à Paris. Il se détache de la société et il n’entretient de bons rapports qu’avec ses collègues du travail. L’origine de ce détachement peut être vu dans sa séparation avec Véronique il y a deux années. Il n’a donc plus fait la connaissance d’aucune femme et il reste seul même pendant les week-ends dans son studio. Ainsi, un jour, son entreprise décide de l’envoyer en province pour qu’il assure l’introduction d’un nouveau logiciel auprès du ministère d’agriculture. Cependant, il n’y va pas seul ; c’est son collègue Raphaël Tisserand qui l’accompagne. Le narrateur se moque de celui-ci parce qu’il raconte des histoires de femmes qu’il n’a jamais connues ce que le narrateur aperçoit grâce à son extrême laideur qui fait fuir les femmes.

Ils effectuent plusieurs voyages : le premier les amène à Rouen où le narrateur tombe sérieusement malade et il est donc hospitalisé. A l’hôpital, il exprime sa haine pour les Rouennais et il médite sur leur méchanceté. Leur deuxième voyage est fait peu avant Noël, ils arrivent à La Roche-sur-Yon où Tisserand commence à avoir des frustrations. Le narrateur essaie de prendre soin de lui et il donc propose d’aller à la discothèque aux Sables-d’Olonne le 24 décembre pour qu’il se dépêtre de ses frustrations. Etant donné que Tisserant est d’accord avec ce plan, ils partent pour cette ville. Ainsi, les efforts de Tisserand à la discothèque semblent inutiles, les filles ne tiennent compte de lui. Enfin, il arrive à capter la faveur d’une jeune fille semblable à Véronique. La situation commence à se compliquer : le narrateur perd sa raison pour une nouvelle Véronique qui quitte la discothèque avec un jeune Noir au lieu de la quitter avec Tisserand. Celui-ci, triste et désespéré, décide d’obéir au narrateur qui lui propose de tuer tous les deux, une nouvelle Véronique et un jeune Noir, en constatant qu’il peut au moins posséder l’âme et la vie en commettant ce meurtre. Ainsi, Tisserand, même s’il accepte l’appel du narrateur, s’avère enfin incapable de les tuer. Ecroulé, il se décide à rentrer à Paris mais il n’y vient pas – il se tue dans un accident de voiture.

Le narrateur reste frappé par la mort de Tisserand qui entrait dans sa vie jusqu’ici peut affecter par les événements sociaux. Souffrant par des dépressions et des cauchemars, il décide d’effectuer un autre voyage, le voyage à la ville natale de ses parents, à Saint-Cirgues-en-Montagne. C’était le 31 décembre. Ainsi, il ne réussit pas y arriver, il finit à la gare centrale de Lyon où il passe la nuit. Le lendemain, après son retour à Paris, il décide de se faire hospitaliser dans une maison de repos à cause de son état psychique momentané. Cependant, il ne renonce pas à son voyage à Saint-Cirgues-en-Montagne en voulant surmonter ses doutes fondamentaux sur la vie et la société.

Largement autobiographique, ce roman dont on ne connaît pas le nom du protagoniste, propose une vision complètement noire et absurde du monde. Un regard novateur qui place le mal-être contemporain dans une perspective consumériste65, montre bien l’intention de l’auteur de proposer une vision réaliste et dépoussiérée des chimères de notre société.66 L’auteur développe l’idée du libéralisme économique ainsi que du libéralisme sexuel produisant des phénomènes de paupérisation absolue.67 Le libéralisme sexuel serait donc une extension du domaine de la lutte qui caractérise l'économie actuelle.68 De plus, Houellebecq constate un effacement progressif des relations humaines dû selon lui à la multiplication des degrés de liberté.69 Des êtres atomisés ne partageant plus rien si ce n'est des relations basées sur l'apparence et une certaine hypocrisie.70 L’absence de l’espoir est ainsi remplacée par l’humour noir de l’auteur qu’il utilise pour montrer la réalité sombre.


III. 2. Les différents aspects du roman et l’humour noir


Le roman, genre épique, est une ouvre littéraire qu’on peut schématiquement diviser en plusieurs cercles concentriques. La base idéologique et thématique de l’oeuvre constitue le centre commun de tous les cercles.71 Autour de ce centre, quatre cercles sont situés. Le premier cercle représente l’approche idéologique de l’auteur, le deuxième représente le contenu objectif, le troisième est représenté par la composition de l’oeuvre et le dernier, c’est la construction linguistique.72 Etant donné qu’il y a une relation entre le contenu objectif et l’approche idéologique de l’auteur, nous pouvons les lier ; la dénomination commune « contenu » pour les deux paraît adéquate.73 Etant donné que nous avons consacré le sous-chapitre précédent au contenu du roman, nous l’omettons dans ce chapitre. Ici, nous voudrions analyser la notion d’humour noir dans ses autres aspects.
III. 2. 1. L’aspect thématique
L’aspect thématique contient deux éléments : le thème et les motifs. Défini comme la condensation de la totalité du message dans son ensemble, le thème est présent dans le texte entier ou dans une partie de ce dernier, c’est-à-dire dans un chapitre ou dans un paragraphe.74 De plus, nous le considérons comme l’information se tenant au point le plus haut du texte observé75 parce qu’elle représente l’unité du sens des parties singulières de l’oeuvre.76 Pour trouver le thème de l’oeuvre, une simple question peut être posée : De quoi parle-t-on dans ce livre ? En parlant du roman de Michel Houellebecq, le thème principal peut être vu dans la solitude du héros. Celle-ci reflète également la tendance de la société d’aujourd’hui, c’est-à-dire l’individualisme préféré par notre société qui aboutit à la solitude. Pour exprimer le thème, l’auteur utilise un accent d’humour77 qui inspire, selon Alain Beguivin, chez la plupart des hommes, l’idée qu’il plaisante. Ainsi, nous ne pensons pas qu’il s’agit seulement d’une idée. Etant donné que l’auteur a décidé de présenter un thème si sérieux qu’est la solitude de la sommité, il avait besoin un moyen pour que l’oeuvre ne soit pas déprimante et pour qu’il soit intéressant pour le lecteur. En utilisant l’humour, l’auteur a réussi à rendre l’oeuvre intéressante. L’humour se cache donc dans la façon comment l’auteur critique la société de nos jours. Sans celui-ci, l’histoire d’un programmeur de trente ans n’est qu’un des épanchements dépressifs des livres d’aujourd’hui.78

Ainsi, l’humour de l’auteur n’est pas aimable, c’est un humour du besoin.79 A la différence de l’humour momentané, l’humour de Michel Houllebecq provient d’une expérience profonde et il révèle donc la tragicomédie du monde.80 Mais comment cette tragicomédie est créée ? La vie humaine, dans notre cas la vie du héros, est envisagée avec tous ses aspects négatifs comme la solitude, les dépressions, l’impossibilité de la vie sexuelle, la mort. Pourtant, ses sujets dramatiques de la vie humaine sont présentés avec l’humour qui tire son effet comique de la froideur et du cynisme ; la vie humaine est donc paradoxalement et absurdement remise en doute comme tragique : c’est l’humour noir qui produit cet effet. Il représente donc le moyen pour rendre cette histoire d’un programmeur de trente ans plus intéressante. De plus, nous pouvons voir sa source dans « modus vivendi » du protagoniste de l’ouvrage.81

Comme nous l’avons dit, l’humour noir représente le moyen pour mettre en relief le thème de l’œuvre au lecteur, c’est un besoin pour que l’oeuvre ne soit pas si déprimante. Cependant, c’est seulement dans la façon comment l’auteur présente le thème qu’on peut voir l’humour noir. Il n’y a rien drôle dans le thème, c’est-à-dire dans la solitude du héros, mais l’humour noir qui tire son effet de ce sujet tragique, rend ce thème ridicule. Ainsi, étant donné que nous divisons le thème en plusieurs motifs qui prennent part à la composition du thème, peut-on trouver l’humour noir dans les motifs ? Pourtant, nous pouvons nous demander tout d’abord qu’est-ce qu’un motif.

Le motif représente la plus petite unité de signification qui contient une information objective sur la situation.82 C’est également le noyau d’une structure sémantique qui sert comme un point de départ de la description, de la narration etc.83 Ainsi, nous distinguons les motifs statiques, dynamiques et libres.84Ce sont les motifs descriptifs et réflexifs qui ont le caractère statique : les premiers dominent dans la description de l’état des personnages, de l’entourage ou d’un motif naturel, les seconds lient les motifs d’action à ceux d’interaction parce que certaines décisions et les pensées des personnages passent par l’acte; les motifs de fabulation ont le caractère dynamique parce qu’ils sont fondés sur les actes des personnages. Ainsi, il faut ajouter que les motifs du caractère statique sont typiques pour les oeuvres poétiques, les motifs dynamiques pour les oeuvres prosaïques. Dans les genres épiques, nous distinguons aussi les motifs principaux et subordonnés, les premiers ayant une grande influence sur la création du thème, les autres n’étant pas si importants. Etant donné que l’oeuvre de Michel Houellebecq appartient aux oeuvres prosaïques, nous parlons de plusieurs motifs dynamiques : la vie désespérée d’un informaticien, l’incapacité de trouver une femme, l’incapacité de mener la vie normale, le décès de Tisserand, le voyage, l’hospitalisation dans une maison de repos. Ainsi, si nous parlons des motifs comme des points de départ de la narration qui se concentre sur la vie de la sommité dans notre cas, nous pouvons ajouter l’humour noir parmi ses motifs dynamiques parce qu’il fonctionne également comme un point de départ de la narration  parce qu’il représente le moyen pour rendre l’histoire du roman intéressant. Ainsi, l’humour noir ne représente qu’un des motifs, il ne s’agit pas du motif principal parce que nous sommes capables de comprendre l’idée de l’ouvrage sans nous rendre compte de l’humour noir.


III. 2. 2. La composition et l’humour noir
Nous définissons très souvent la composition comme le classement des informations particulières85 ou l’arrangement des agents thématiques et stylistiques dans un système unitaire.86 En général, dans la stylistique, nous distinguons deux types essentiels de la composition : macro-composition et micro-composition.87

La première, macro-composition, se concentre sur les qualités spécifiques du texte entier, c’est pourquoi nous y distinguons quatre processus : informatif, narratif, descriptif et explicatif.88 Ainsi, dans les genres épiques, c’est le processus narratif qui domine. De ce fait il nous intéresse le plus; les parties descriptives ne s’appliquent que comme un accompagnement des parties « épiques ».89 Notre roman utilise les mêmes procédés : en racontant la vie d’un informaticien, il nous décrit ce dont il a survécu. Si nous commençons par le premier chapitre, nous pouvons voir qu’il utilise la description d’une soirée chez un collègue du travail de notre héros pour passer ensuite à sa vie :



Vendredi soir, j'étais invité à une soirée chez un collègue de travail. On était une bonne trentaine, rien que des cadres moyens âgés de vingt-cinq à quarante ans. À un moment donné il y a une connasse qui a commencé à se déshabiller. Elle a ôté son T-shirt, puis son soutien-gorge, puis sa jupe, tout ça en faisant des mines incroyables. Elle a encore tournoyé en petite culotte pendant quelques secondes, et puis elle a commencé à se resaper, ne voyant plus quoi faire d'autre. D'ailleurs c'est une fille qui ne couche avec personne. Ce qui souligne bien l'absurdité de son comportement. (p. 3.)
Comme nous pouvons le voir, la description d’une soirée chez un collègue du travail et de la femme qui s’y est déshabillée servent d’un point de départ de raconter ensuite – à la fin du premier chapitre - la vie du protagoniste:
En me réveillant, je me suis rendu compte que j'avais vomi sur la moquette. La soirée touchait à sa fin. J'ai dissimulé les vomissures sous un tas de coussins, puis je me suis relevé pour essayer de rentrer chez moi. Alors, je me suis aperçu que j'avais perdu mes clefs de voiture. (p. 4.)
Le roman est un genre prosaïque, la narration y donc domine. Dans notre cas, il s’agit de la narration concentrée sur la vie du protagoniste et sur ses expériences; nous l’appelons également l’histoire90. Par l’histoire, nous entendons une aventure qui est racontée; si nous parlons des personnages, nous pouvons le voir comme une logique des relations entre les personnages, comme le résultat du travail de l’écrivain.91 L’histoire de notre roman est basée sur la vie d’un informaticien qui ne participe pas à la vie sociale dans ses environs et qui est le témoin de la tragédie de son collègue Tisserand et commence donc à souffrir de dépressions. Ensuite, il se décide à s’installer dans une maison de repos. Ainsi, pouvons-nous constater qu’il s’agit d’une histoire tragique ?

Nous pouvons évidemment parler d’une histoire tragique qui provient du fait comment la société traite les réalités d’aujourd’hui : les faits qui avaient auparavant représenté des tabous, sont aujourd’hui traités comme évidents, il n’y en a plus rien surprenant. C’est le passage au milieu du livre qui peut servir d’exemple :


J'ai dit : " Excuse-moi un instant... " et j'ai traversé la discothèque en direction des toilettes. Une fois enfermé j'ai mis deux doigts dans ma gorge, mais la quantité de vomissures s'est avérée faible et décevante. Puis je me suis masturbé, avec un meilleur succès : au début je pensais un peu à Véronique, bien sûr, mais je me suis concentré sur les vagins en général, et ça s'est calmé. L'éjaculation survint au bout de deux minutes ; elle m'apporta confiance et certitude. (p. 59.)
Parler des vomissures et de la masturbation avait auparavant représenté des tabous : si les écrivains en ont parlé, ils utilisaient souvent les métaphores. Michel Houellebeq, l’écrivain de notre siècle, traite ces entités comme évidents et il utilise l’humour noir se fondant sur un revirement imprévu pour souligner la froideur et le cynisme de ce monde de nos jours.

Il est aussi évident que l’attitude de l’auteur vis-à-vis de la vie et de sa position idéologique influence la composition de l’oeuvre dans une certaine mesure.92 Dans notre roman, l’auteur utilise beaucoup de ses expériences pour créer l’image vraisemblable de la vie de son héros. Ses séjours en milieu psychiatrique peuvent servir d’exemple parce que le protagoniste du livre a décidé, enfin, de passer le séjour dans une maison de repos :


À l'issue de cette nuit je crus bon de reconsidérer la proposition du docteur Népote, concernant le séjour en maison de repos. Il m'en félicita avec chaleur. Selon lui, je prenais ainsi le droit chemin vers un plein rétablissement. Le fait que l'initiative vienne de moi était hautement favorable ; je commençais à prendre en charge mon propre processus de guérison. C'était bien ; c'était même très bien. (p. 76.)
C’est peut-être également la raison pour laquelle l’auteur s’identifie avec le protagoniste ce que nous allons montrer plus loin.

La deuxième, micro-composition, comprend la problématique de la structure du texte ; il s’agit de classement du texte aux paragraphes, aux chapitres ou aux confins du texte (le titre, l’introduction, la conclusion, etc.) et de son échelonnement, c’est-à-dire de la division du texte aux discours directs et indirects ainsi qu’au propos du narrateur.93 L’échelonnement, on le traite dans un autre sous-chapitre, nous voudrions nous donc concentrer sur le classement du texte que nous pouvons nommer aussi le récit94. Celui-ci classe les éléments de l’action95 et crée une construction artistique réelle. En ce qui concerne le récit de notre roman, nous constatons que le classement des informations correspond à la succession du temps, l’action nous est présentée petit à petit même si nous constatons quelques sauts dans le passé quand le protagoniste révèle sa lassitude du monde et quand il se souvient de sa vie précédente :


Depuis ma séparation avec Véronique, il y a deux ans, je n'ai en fait connu aucune femme ; les tentatives faibles et inconsistantes que j'ai faites dans ce sens n'ont abouti qu'à un échec prévisible. Deux ans, cela paraît déjà une longue période. Mais en réalité, surtout quand on travaille, ça passe très vite. Tout le monde vous le confirmera : ça passe très vite. (p.12.)
Comme nous pouvons le voir, les souvenirs du héros se concentrent surtout sur sa relation avec Véronique parce qu’elle a beaucoup influencé sa vie future et son attitude vers des femmes.

Ainsi, la façon du classement des paragraphes et des chapitres du roman n’a évidemment rien à voir avec l’humour noir parce que l’effet de ce type de l’humour provient du plan sémantique. Cependant, pouvons-nous trouver l’humour noir dans les confins du texte ?

En traitant du roman de Michel Houellebecq, nous ne pouvons pas parler de l’introduction ou de conclusion au sens propre parce que le récit commence par le chapitre numéro un, qui commence par une citation de la Bible, et nous amène directement dans l’histoire ; la conclusion au sens propre n’est pas également présente, le récit fini par l’image du chemin parcouru par le protagoniste. Ainsi, nous pouvons trouver l’humour noir caché dans le titre du roman. Néanmoins, au début, nous devions nous demander qu’est-ce que le domaine de la lutte et de quelle extension parle l’auteur.

C’est la vie et ce que la société exige de ses membres qu’on peut comprendre sous la notion de lutte dans le titre du roman. Le héros essaie de lutter contre ce que la société exige de lui, contre ses valeurs et l’humour noir fonctionne comme le moyen qui l’aide dans cette lutte. L’humour noir représente donc une extension de ce domaine de la lutte parce qu’il élargit la lutte des demandes de la société à un autre niveau quand nous ne pouvons nous défendre que par le cynisme et la froideur face aux demandes de la société qui ont remis les valeurs esthétiques positives en doute à leur perception absurde.

Nous avons donc vu que la composition, étant définie comme l’ordre des informations, peut être divisée à deux types : macro-composition et micro-composition. Tandis que dans le premier type de composition fonctionne l’humour noir comme un moyen de souligner la tragédie de l’histoire du protagoniste, le deuxième type de composition, le classement du texte, contient seulement l’humour noir caché dans le titre du roman. Les propos des personnages faisant la partie de micro-composition et créant la construction linguistique du roman nous intéressent dans un autre sous-chapitre.
III. 2. 3. La construction linguistique
La construction linguistique représente notamment le type de la langue utilisée, des éléments stylistiques et le type de discours des personnages. Tous les trois éléments peuvent être liés dans les propos des personnages.

En ce qui concerne la langue utilisée, nous pouvons dire que le choix effectué au niveau du lexique peut faire l’objet de multiples analyses telles que : caractère « concret » ou « abstrait » du vocabulaire employé ; rareté ou non ; volonté de marquer un respect des normes, une culture classique et écrite ou tentative de mimer l’oral, de simuler les différents types d’emplois, dans les situations les plus diverses par des hommes différenciés socialement.96 Ainsi, ces catégories, sauf de la dernière, ne peuvent pas faire l’objet de l’analyse de l’humour noir ; elles ne sont pas capables d’éclairer le fonctionnement de l’humour noir dans une oeuvre. Nous voulons nous concentrer sur le dernier élément, c’est-à-dire sur la langue utilisée par les gens qui, à la différence des autres catégories, peut montrer la présence de l’humour noir.



Même s’il y a plusieurs personnages dans notre roman, le héros est l’informaticien sans nom qui est également le narrateur. Cette identification nous est présentée dès le début :
Les pages qui vont suivre constituent un roman ; j'entends, une succession d'anecdotes dont je suis le héros. Ce choix autobiographique n'en est pas réellement un : de toute façon, je n'ai pas d'autre issue. Si je n'écris pas ce que j'ai vu je souffrirai autant - et peut-être un peu plus. Un peu seulement, j'y insiste. L'écriture ne soulage guère. Elle retrace, elle délimite. Elle introduit un soupçon de cohérence, l'idée d'un réalisme. On patauge toujours dans un brouillard sanglant, mais il y a quelques repères. Le chaos n'est plus qu'à quelques mètres. Faible succès, en vérité. (p. 8.)
Notre narrateur qui s’identifie avec le héros, l’informaticien sans nom, nous présente les autres personnages. Nous ne voyons les autres hommes que par les yeux de ce narrateur, notre regard est donc déformé par ses intentions, c’est également pourquoi nous ne savons pas ce que pensent les autres parce que leur propos nous sont rapportés et arrangés par le narrateur :
Pauvre Bernard, dans un sens. Qu'est-ce qu'il peut bien faire de sa vie ? Acheter des disques laser à la FNAC ? Un type comme lui devrait avoir des enfants ; s'il avait des enfants, on pourrait espérer qu'il finisse par sortir quelque chose de ce grouillement de petits Bernards. Mais non, il n'est même pas marié. Fruit sec.

Au fond il n'est pas tellement à plaindre, ce bon Bernard, ce cher Bernard. Je pense même qu'il est heureux dans la mesure qui lui est impartie, bien sûr ; dans sa mesure de Bernard. (p. 10.)
Le narrateur nous raconte toute l’histoire, il commente aussi la vie des personnages comme la vie de Bernard comme nous pouvons le voir plus haut ; le narrateur réfléchit sur sa vie. Le narrateur nous parle aussi du visage ainsi que du caractère des personnages parmi lesquels le plus important est Tisserand, le collègue de travail du héros:
Tisserand aborde ensuite un thème qui lui est cher, à savoir que " nous autres, informaticiens, nous sommes les rois ". Je suppose qu'il entend par là un salaire élevé, une certaine considération professionnelle, une grande facilité pour changer d'emploi. Eh bien, dans ces limites, il n'a pas tort. Nous sommes les rois.

Il développe sa pensée ; j'entame mon cinquième paquet de Camel. Peu après, il termine son Martini ; il veut retourner à l'hôtel pour se changer avant le dîner. Eh bien c'est parfait, allons-y. (p. 33.)
Comme nous pouvons le voir, Tisserand n’est présenté aux lecteurs que par les yeux du narrateur. Nous pouvons aussi noter que le narrateur arrange le discours direct de Tisserand dans son propos mais que la pensée de Tisserand est développée par le narrateur. En fait, nous ne savons pas si Tisserand voulait exprimer la même idée qu’était l’idée du narrateur. Ainsi, le langage utilisé par l’auteur montre bien ses intentions : se rapprocher au public parce qu’il n’utilise pas la langue écrite mais la langue parlée le plus souvent qui peut être prouvée par des phrases courtes de conversation quotidienne :
Catherine Lechardoy confirme dès le début toutes mes appréhensions. Elle a 25 ans, un BTS informatique, des dents gâtées sur le devant ; son agressivité est étonnante : " Espérons qu'il va marcher, votre logiciel ! Si c'est comme le dernier qu'on vous a acheté... une vraie saleté. Enfin évidemment ce n'est pas moi qui décide ce qu'on achète. Moi je suis la bobonne, je suis là pour réparer les conneries des autres... ", etc. (p. 14).
Nous pouvons remarquer que le narrateur utilise la langue parlée, surtout dans des phrases courtes des discours des personnages arrangés par le narrateur. Ainsi, comme nous l’avons déjà dit, le discours direct des hommes n’est pas omniprésent ni toujours utile parce que toute l’histoire nous est présentée par le narrateur : nous parlons également du discours rapporté97 quand les paroles des hommes sont citées littéralement par le narrateur. Pour analyser la notion d’humour noir dans le discours de ce roman, il est donc nécessaire de l’observer dans les propos du narrateur. Etant donné que l’histoire nous est donc proposée par le narrateur, nous voulons nous focaliser premièrement sur celui-ci pour pouvoir ensuite analyser l’humour noir dans ses propos.
III. 2. 3. 1. Le narrateur

Le narrateur qui est le porteur de la narration fonctionne comme l’intermédiaire entre le lecteur et l’histoire.98 Dans ce sens, nous pouvons le caractériser comme la personne qui "raconte" l’histoire.99 Le narrateur peut être proche de l’auteur ou être identique avec lui mais ils, l’auteur et le narrateur, très souvent diffèrent.100 Sa conception dans une oeuvre concrète dépend de l’intention idéo-esthétique de l’auteur, celui-ci se tient au-dessus du narrateur parce qu’il crée le regard du narrateur sur les personnages.101 La conception du narrateur est importante parce qu’elle a de graves conséquences linguistiques et stylistiques.102 Ainsi, cette conception signifie aussi la relation entre le narrateur et les personnages, s’il décrit leur apparence ou leur intérieur aussi, s’il prend de la distance ou non en les caractérisant et tout cela se manifeste dans le lexique et la syntaxe.103

Le narrateur dans Extension du domaine de la lutte peut être également caractérisé comme auctorial : il s’identifie avec la sommité (on utilise également le terme narrateur homodiégétique104) et aussi avec l’auteur qui l’a créé. Il s’agit du narrateur de forme « ich », il utilise le premier personne du singulier pour proposer une perspective au lecteur.105 Cette forme utilisant le présent parle d’une réalité quotidienne même si on n’évite pas les retours au passé pour expliquer les raisons de l’état présent du héros.106 Nous pouvons également constater son caractère monologique ; presque toute l’oeuvre est écrite dans les monologues, les dialogues étant minoritaires ne nous sont proposés que dans le discours rapporté du narrateur107 quand, comme nous l’avons déjà dit, les paroles des personnages sont citées littéralement par le narrateur.108 Le regard du narrateur est clair: c’est lui qui crée les personnages, qui les décrit et qui nous parle de leur vie ; nous connaissons leurs pensées et leur vie seulement de façon comment l’auteur les décrit.
Elle me propose d'aller prendre un café. Évidemment, j'accepte. Distributeur automatique. Je n'ai pas de monnaie, elle me donne deux francs. Le café est immonde, mais ça ne l'arrête pas dans son élan. À Paris on peut crever sur place dans la rue, tout le monde s'en fout. Chez elle, dans le Béarn, ce n'est pas pareil. Tous les week-ends elle rentre chez elle, dans le Béarn. Et le soir elle suit des cours au CNAM, pour améliorer sa situation. Dans trois ans elle aura peut-être son diplôme d'ingénieur. (p. 14).
Comme nous l’avons déjà dit dans le sous-chapitre précédent, le discours direct est minoritaire et le narrateur, comme nous pouvons voir dans le passage cité, nous raconte la vie, les émotions des personnages et toute l’histoire de son point de vue. Du fait qu’il est aussi le héros, la distance entre le narrateur et les personnages disparaît, il essaie de s’en approcher par la langue utilisée (la langue parlée, comme nous l’avons prouvé plus haut).

L’humour noir peut être trouvé dans plusieurs perspectives: en premier lieu, nous pouvons le voir dans les descriptions objectives de la réalité en dehors du protagoniste quand celui-ci analyse la situation autour de lui ; dans ce cas, le narrateur essaie de se situer au-dessus du personnage principal comme dans le cas quand il parle des morts des gens inconnus pour montrer l’absurdité de notre époque et la nécessité de l’humour noir pour la comprendre. Ensuite, l’humour noir est présent dans les propos du héros, le plus souvent dans le discours indirect quand il commente tout ce qui l’entoure. Dans ce cas, ce sont les sentiments et les opinions du protagoniste qui nous sont présentés ; il utilise l’humour noir pour cacher la tragédie de sa vie. En dernier lieu, c’est dans les discours directs où se trouve la notion d’humour noir (ce que l’auteur utilise pour montrer que les autres personnages utilisent également l’humour noir pour s’acquitter des faits de notre époque) mais comme nous l’avons déjà dit, ils ne sont pas nombreux.


III. 2. 3. 2. Les descriptions objectives en-dehors du personnage principal

En ce qui concerne la première perspective, plusieurs exemples montrent l’humour noir :


Octavie Léoncet, quatre-vingt-douze ans, a été retrouvée assassinée dans sa grange. Une petite ferme dans les Vosges. Sa sœur, Léontine Léoncet, quatre-vingt-sept ans, se fait un plaisir de montrer le cadavre aux journalistes. Les armes du crime sont là, bien visibles : une scie à bois et un vilebrequin. Tout cela taché de sang, bien sûr. (p. 74.)
La mort d’une femme, Octavie Léoncet, sert ici de premier exemple de l’humour noir dans la perspective de la réalité en dehors du protagoniste qui n’a pas participé à sa mort, de plus, il ne l’a pas connue. Un commentaire de la mort qui paraît très simple à première vue, cache en lui-même l’humour noir. Les deux premières phrases qui décrivent objectivement le décès d’une personne sont suivies par une autre phrase qui provoque la sensibilité et qui nous montre le paradoxe en disant que la soeur de la femme morte n’a aucun problème de montrer le cadavre aux journalistes, de plus, cela lui fait plaisir. Les deux derniers mots – « faire plaisir » - provoquent le scandale chez le lecteur qui ne comprend pas cette attitude du personnage. C’est dans ce scandale qui nous fait rire où nous pouvons retrouver l’humour noir. Ce scandale est provoqué par le regard sur la mort : la mort représente la partie inséparable de la vie par laquelle notre vie finit, nous la regardons par respect parce que nous nous rendons compte que nous ne verrons plus l’homme qui est mort. Ainsi, dans le passage cité, le narrateur change le regard ordinaire sur la mort ; cela fait plaisir à soeur de la femme morte de montrer le cadavre aux journalistes. La mort est donc absurdement et paradoxalement remise en doute. Nous sommes donc les témoins d’un revirement imprévu, l’information sur la mort prend absolument un autre sens, qui provoque chez le destinataire le rire.

Un autre exemple qui montre bien l’humour noir dans la perspective du narrateur est celui de la mort de Gérard Leverrier qui faisait partie de l’Assemblée nationale :


Un vendredi soir de décembre, Gérard Leverrier est rentré chez lui et s'est tiré une balle dans la tête. La nouvelle de sa mort n'a réellement surpris personne à l'Assemblée nationale ; il y était surtout connu pour les difficultés qu'il éprouvait à s'acheter un lit. L'anecdote était généralement rapportée avec un léger sourire ironique ; pourtant, il n'y a pas de quoi rire ; l'achat d'un lit, de nos jours, présente effectivement des difficultés considérables, et il y a bien de quoi vous mener au suicide. (p. 53.)
Il est évident que la mort ne provoque généralement pas le rire. Cependant, notre exemple le fait. Ainsi, c’est plutôt dans les circonstances de cette mort où nous pouvons trouver l’intention du narrateur : « l’achat d’un lit qui peut nous mener au suicide ». L’auteur y utilise l’humour noir en voulant exploiter un sujet dramatique (le mort dans notre cas) avec des effets comiques de la froideur et du cynisme (l’achat du lit). L’humour noir ne contenant pas dans ce cas une situation désespérée montre également une autre réalité : l’absurdité de notre société qui est basée sur les bagatelles ; nous nous moquons donc également de notre réalité quotidienne qui contient une grande quantité des cas comme celui-ci, c’est-à-dire des morts incompréhensibles.
III. 2. 3. 3. Les propos du personnage principal

La deuxième perspective de l’humour noir est cachée dans les monologues du protagoniste. Nous distinguons deux types de récits dans lesquels l’humour noir se trouve : les récits qui parlent du héros lui-même et ceux qui parlent des autres et de leur vie. Pour les premiers, un exemple peut être trouvé presqu’à la fin du livre :


C'est également un 26 mai que j'avais été conçu, tard dans l'après-midi. Le coït avait pris place dans le salon, sur un tapis pseudo-pakistanais. Au moment où mon père prenait ma mère par- derrière elle avait eu l'idée malencontreuse de tendre la main pour lui caresser les testicules, si bien que l'éjaculation s'était produite. Elle avait éprouvé du plaisir, mais pas de véritable orgasme. Peu après, ils avaient mangé du poulet froid. Il y avait de cela trente-deux ans, maintenant ; à l'époque, on trouvait encore de vrais poulets. (p. 79.)
Le personnage principal raconte ici la manière dont il avait été conçu ; il utilise une description forte sexuelle. Ainsi, cette description est liée à l’image du poulet que ses parents avaient mangé après sa création. La froideur utilisée par l’auteur de montrer sa création est accomplie par un simple commentaire qu’« à l’époque, on trouvait encore de vrais poulets »109. Cette froideur provient aussi du fait que le narrateur utilise la description fort technique pour montrer sa naissance. Cette image est très éloignée de l’image ordinaire quand les amoureux font l’amour. Les sentiments manquent dans la description du narrateur : on a l’impression que l’enfant avait été conçu du devoir et que les parents du narrateur ne s’aimaient pas. Le narrateur qui pouvait produire le passage érotique, ne le fait pas. L’amour comme une valeur positive est donc remis en question et nous voyons l’image inhumaine du sexe. Tout cela, le paradoxe qui provient de la jonction du sexe et du poulet et l’altération de l’image traditionnelle du sexe, est sans doute l’une des sources de l’humour noir.

Un autre exemple proposant le regard du héros sur sa propre vie peut être trouvé dans le livre : « À chaque fois, devant ces outils tachés de sang, je ressens au détail près les souffrances de la victime. Bientôt, je suis en érection.» 110 Dans ce cas-là, nous oscillons entre l’humour noir et la morbidité. Ainsi, en réalité, les deux ne s’excluent pas parce que la morbidité dans une oeuvre littéraire, c’est le caractère pervers qui flatte des goûts malsains.111 L’auteur provoque donc notre sensibilité par les propos du protagoniste, il nous raconte une histoire désagréable qui a pour résultat la répugnance. Le dégoût provient de nouveau de la combinaison du mort et du sexe. La mort, comme nous l’avons déjà dit, provoque normalement la tristesse ; dans notre cas, la mort provoque le besoin du sexe. La sommité, en voyant « les outils tachés du sang » qui s’associent à l’homicide, ressent « la souffrance de la victime » ce qui provoque chez lui une érection. L’image incontestable de la vie qu’est la mort change en une image inhumaine. Nous pouvons supposer que l’auteur voulait provoquer, par cette image qui flatte des goûts malsains, l’humour noir.

Cependant, la plupart des exemples de l’humour noir peut être trouvée dans les récits du héros qui renvoient à la vie des autres personnages du roman. Notre premier exemple montre le paysage de Paris quand le protagoniste y revient :
L'arrivée à Paris, toujours aussi sinistre. Les immeubles lépreux du pont Cardinet, derrière lesquels on imagine immanquablement des retraités agonisant aux côtés de leur chat Poucette qui dévore la moitié de leur pension avec ses croquettes Friskies. (p. 44.)
Le héros y décrit, en revenant à Paris, la vie des personnes âgées dans les immeubles où ils habitent. Ses émotions influencées par son séjour à l’hôpital contiennent beaucoup de caractère sombre. Notre personnage essaie de créer une image réelle des retraités à Paris ; cette image est liée aux animaux domestiques des retraités pour lesquels ils sacrifient même d’argent. Nous voyons donc le revirement imprévu quand les informations précédentes prennent absolument un autre sens : l’image des personnes âgées qui s’occupent de ses animaux domestiques change à l’image de ses animaux qui causent, par leurs demandes, la mort de leurs propriétaires. Le regard aimable sur la vie des personnes âgées change à l’image de leur mort. L’effet de l’humour noir est donc fait par la froideur avec laquelle le narrateur (et le personnage principal en même temps) parle de l’état faible des retraités. Nous pouvons estimer que le narrateur voulait, par ce passage, provoquer le lecteur et susciter l’humoir noir chez lui par la vue sur la réalité de nos jours.

Un autre exemple essaie d’entrer dans les pensées d’un autre personnage, Brigitte Bardot, une pauvre fille qui n’a jamais connu le vrai amour. Le héros en parle :


Avait-elle des fantasmes et si oui lesquels ? Romantiques, à la Delly ? J'hésite à penser qu'elle ait pu imaginer d'une manière ou d'une autre et ne serait-ce même qu'en rêve qu'un jeune homme de bonne famille poursuivant ses études de médecine nourrisse un jour le projet de l'emmener dans sa voiture décapotable visiter les abbayes de la côte normande. À moins peut être qu'elle ne se soit préalablement revêtue d'une cagoule, donnant ainsi un tour mystérieux à l'aventure. (p. 47.)
L’image d’une pauvre fille qui voulait éprouver un vrai amour se mélange avec le cynisme du protagoniste porté sur l’apparence de Brigitte. Etant donné qu’elle n’était pas très belle, elle avait de vrais problèmes à rencontrer l’amour de sa vie. On se moque de ses imaginations de la vie avec un jeune homme de bonne famille ; le héros voit une seule façon de l’accomplissement de ce rêve en revêtant une cagoule sur la tête. Le narrateur se moque de la vision idéale de l’amour de Brigitte qu’elle a peut-être imaginé de sa naissance ; selon le narrateur, cette vision ne peut pas être accomplie à cause de la laideur de Brigitte. L’image positive sur l’amour est donc mise en doute comme absurde. Même si nous pouvons supposer que le lecteur comprend ce que le narrateur voulait prouver par ces propos, il peut ressentir du dégoût quand celui-ci se moque de l’apparence de Brigitte qu’elle-même ne pouvait pas influencer.

Ainsi, le dernier exemple de l’humour noir dans les propos du protagoniste que nous voulons présenter trouve sa force dans l’attente :


Quand il revint, il ne dit pas un mot. Il tenait le long couteau dans sa main ; la lame luisait doucement ; je ne distinguais pas de taches de sang à sa surface. Soudainement, je me suis senti un peu triste. (p. 62.)
C’est dans l’attente de la sommité suivie de sa tristesse que nous pouvons trouver l’humour noir. Nous nous retrouvons dans la partie du roman où Tisserand essaie de tuer les deux personnages : la fille qui lui plaisait et l’homme qui quittait le bar avec elle. Cependant, comme nous pouvons le voir dans le passage cité, Tisserand revient avec un couteau dans sa main mais il n’a pas réussi à réaliser son plan, il n’y avait aucune « tache de sang à sa surface »112. Cette image de l’assassinat inachevée est complétée par la tristesse du narrateur. Comme nous l’avons déjà dit, le mort devrait provoquer la tristesse mais dans notre cas, la tristesse est provoquée parce qu’aucun crime n’a pas été commis. Ce paradoxe de vouloir ressentir de la joie si l’assassinat s’accomplissait, cause la création de l’humour noir.


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