Frère Sylvestre


FONDATION DE LA CONGREGATION ET PREMIERS ETABLISSEMENTS



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FONDATION DE LA CONGREGATION ET PREMIERS ETABLISSEMENTS

1°. Tout en travaillant sans relâche à la réforme de la paroisse de Lavalla, le Père Champagnat était préoccupé plus que jamais de la mission qui lui avait été dévolue par la Providence. La tradition nous apprend que, se croyant indigne d'une oeuvre pareille, il priait Dieu tantôt d'éloigner cette pensée de son esprit, et tantôt qu'il lui disait dans toute la simplicité de son cœur: « Me voici, Seigneur, pour faire votre volonté. » Il était depuis longtemps dans cette pénible perplexité lorsqu'un fait providentiel que j'ai ouï raconter bien des fois et même je crois de sa propre bouche, vint faire cesser tous ses doutes.


2°. Un jour on vient le chercher en toute hâte pour aller confesser un enfant de douze ans28 qui se mourait. Aussitôt, suivant son habitude, il laisse tout et y court précipitamment. Toutefois, avant de confesser le petit moribond, il veut s'assurer de son degré d'instruction religieuse, et, malheureusement, il se convainc avec douleur que l'enfant ne [101] sait pas même s'il y a un Dieu. Vite il s y assied auprès de lui et là, pendant deux heures, il l'instruit de son mieux sur les principaux mystères de la religion et sur le sacrement de pénitence. Puis il entend sa confession, lui fait produire des actes analogues à sa position et le quitte pour aller administrer un autre malade, se promettant bien de revenir immédiatement après. Mais hélas! l'enfant mourut pendant cet intervalle. Quoique bien affligé de cette prompte mort, il se console cependant dans la croyance que probablement il lui avait ouvert les portes de la bienheureuse éternité. Alors il se dit: « Combien d'enfants sont peut-être dans le même cas et par conséquent courent le danger de se perdre à tout jamais. » Fortement impressionné de cette pensée, il ne balance plus pour commencer l’œuvre de sa Congrégation et de ce pas va trouver M. Granjon.

3°. Jean-Marie Granjon était un pieux jeune homme sur lequel, dès le début de son ministère à Lavalla, le Vénéré Père avait jeté les yeux pour en faire la première pierre de la société qu'il voulait fonder. Un jour, celui-ci étant venu chercher le Père Champagnat pour administrer un malade, chemin faisant, le Vénéré Père lui parle de l'importance du salut et lui fait comprendre toute la vanité des plaisirs et des richesses de ce monde. Ayant remarqué que Jean-Marie l'avait écouté avec beaucoup d'attention, il le fit venir de son hameau au village, lui promettant de lui donner quelques leçons de lecture, ce à quoi Jean-Marie avait consenti volontiers, car il ne savait ni lire ni écrire; or, il est à remarquer qu'en peu de temps, vu ses heureuses dispositions, il apprit ces deux arts élémentaires; et de plus, le Vénéré Père lui donna un tel attrait pour la piété que par sa conduite édifiante il devint le modèle de toute la paroisse. [102] Donc comme nous l'avons dit, il va le trouver, lui raconte le fait dont nous avons parlé et lui communique son projet. Plein de confiance dans le Père Champagnat et de docilité à suivre ses avis, Jean-Marie Granjon entre parfaitement dans les vues du Vénéré Père et se met entre ses mains, bien disposé à faire tout ce qu'il voudra. Le Père Champagnat le quitte et l'encourage, en l'assurant qu'il ne tardera pas à recevoir des compagnons.

4°. Cette prophétie ne devait pas tarder à s'accomplir, car un jeune homme du bourg, nommé Jean-Baptiste Audras, faisant un jour une lecture dans le « Pensez-y bien », est touché par la grâce et prend la résolution de se faire religieux. Poursuivi par cette pensée, il s'échappe un dimanche et va trouver à St. Chamond le frère Directeur des Ecoles Chrétiennes, à qui il communique ses intentions. Celui-ci le confirme dans sa résolution, mais toutefois il lui objecte qu'il ne peut pas, vu son jeune âge, être reçu dans leur Institut. Un peu désappointé mais non découragé, il s'en retourne, et le samedi d'après va se confesser au Père Champagnat à qui il fait part de la démarche qu'il a faite. Celui-ci reconnaissant dans son pénitent une âme encore revêtue de la robe d'innocence, l'encourageait à suivre sa vocation, lorsqu'une lumière intérieure lui fit connaître que ce jeune homme sera29 la première pierre de sa Congrégation; c'était la vérité car hélas! Jean-Marie Granjon ne persévéra pas, son orgueil le perdit. Dans ce moment, le Vénéré Père ne lui fit rien connaître, seulement il l'invita à venir demeurer avec Jean-Marie Granjon, s'offrant à lui donner quelques leçons. Le jeune Audras en fit part à ses parents qui n'y mirent [103] aucune opposition. Quelque temps après, le Vénéré Père lui fit connaître le but qu'il s'était proposé en l'appelant auprès de Jean-Marie Granjon et lui demanda s'il voulait faire partie de la société qu'il se proposait d'établir. « Je suis entre vos mains, lui répondit-il, la seule chose que je désire, c'est d'être religieux. »

5°. Voyant les excellentes dispositions de ces deux jeunes gens, le Père Champagnat, sans hésiter, achète une maison en vente avec une terre et un petit jardin attenants; la valeur du tout s'élevait à la somme de seize cents francs. Comme il n'avait que son modique traitement de vicaire, il fut obligé d'emprunter pour payer cette acquisition. Afin de rendre la maison habitable, il la répare et fait lui-même les meubles les plus indispensables. Puis, dans cet humble local, ressemblant assez à la pauvre maison de Nazareth, il y introduit, le 2 janvier 1817, ses deux premiers disciples. Voilà le berceau de l'Institut que j'ai eu le bonheur de visiter bien des fois; voilà le grain de sénevé semé par notre Vénéré Fondateur; nous verrons ce qu'il deviendra plus tard.

6°. A la manière des anciens solitaires, le Père Champagnat établit comme principe fondamental que la journée sera30 occupée par la prière, l'étude et le travail manuel. Cependant il ne perdait pas de vue ses deux disciples; il les voyait souvent, leur communiquait ses plans, les encourageait, les instruisait et même leur aidait à faire des clous, car c'était là tout leur gagne-pain. Ils passèrent ainsi seuls, dans la paix et dans l'union la plus intime, toute la saison d'hiver. Au printemps il leur arriva [104] un nouveau compagnon nommé Antoine Couturier31. Par sa piété et son bon caractère, ce troisième confrère fut pour eux un véritable sujet de joie et d'édification.

7°. Peu de temps après, le frère aîné de Jean-Baptiste Audras vint se joindre à eux d'une manière aussi providentielle que singulière. Un jour, il vint de la part de ses parents chercher son frère Jean-Baptiste. Celui-ci, déjà fortement ancré dans sa vocation, alla aussitôt trouver le Père Champagnat en le priant de ne pas donner suite à cette demande. Cependant son frère était là qui l'attendait, ne voulant pas partir seul. Alors le Vénéré Père avec un air gai et plein de bienveillance se présente à lui et lui parle avec tant d'à propos, qu'il le décide à venir lui-même rejoindre son frère à la maison, et c'est ce qu'il fit en effet quelques jours après. Bientôt un cinquième postulant nommé Barthélemy Badard, aussi simple que pieux, vient grossir la petite communauté.

8°. Enfin arrive un jour un jeune enfant d'une dizaine d'années; il s'appelle Gabriel Rivat; il n'a que dix ans et possède encore toute son innocence qui reluit dans tous les traits de son visage. Sous le nom de Frère François, il remplacera plus tard le Père Champagnat et sera son successeur immédiat avec le titre de premier général de la Congrégation.

Nous avons vu que, très jeune, il fréquentait les catéchismes du Vénéré Fondateur qui ne le perdait pas de vue. Aussi, sa première communion faite, il proposa à ses parents de le placer chez les Frères, [105] se chargeant lui-même de lui donner quelques leçons de latinité, ce à quoi ses parents n'eurent pas de peine à consentir; même ils le laissèrent libre de faire partie de la nouvelle communauté s'il le voulait. Sa mère, en le remettant aux mains du Père Champagnat, lui dit que nombre de fois elle l'avait consacré à la Ste Vierge et que, par conséquent, elle le laissait entièrement à sa disposition.

9°. Pour maintenir l'esprit de charité dans sa petite communauté, le Vénéré Père voulut qu'ils se donnassent réciproquement le nom de Frères. Jean-Marie Granjon, Antoine Couturier et Barthélemy Badard conservèrent leur nom de baptême; par dévotion32, Jean-Baptiste Audras, prit le nom de Frère Louis ; son frère aîné celui de Frère Laurent; et Gabriel Rivat, ainsi que nous l'avons dit, celui de Frère François. Le Père Champagnat, dès leur début de vie religieuse, leur imprima à tous une telle crainte du péché que la moindre faute volontaire les épouvantait, ce dont on peut se convaincre en lisant leurs biographies. Il leur donna aussi pour modèle à imiter la vie obscure et cachée de la Ste Vierge à Nazareth; c'est pour cela qu'il voulut que l'humilité, la simplicité et la modestie fussent la marque distinctive de la Congrégation et qu'elle portât le nom béni de Marie avec le nom de Petits Frères33 pour rappeler à tout jamais à tous les membres de l'Institut qu'ils devaient professer envers la reine du ciel une dévotion spéciale, et que le cachet qui devait les distinguer des autres communautés devait être une profonde humilité. Il tenait tellement à ce nom de Petits34 que des personnes voulant le lui faire supprimer, comme inutile, elles ne purent jamais l'y déterminer. Aussi, [106] la violette et le monogramme de Marie sont-ils depuis longtemps, les emblèmes de la Congrégation. La pratique de ces vertus, auxquelles le Vénéré Père mettait tant de soins à former ses premiers disciples, ( ... )35 et brillèrent dans tous du plus vif éclat; en outre, le Frère Louis se distingua par son grand amour pour Notre-Seigneur; le Frère Laurent par un zèle ardent pour faire le catéchisme; le Frère Antoine par une grande modestie; le Frère Barthélemy par une naïve simplicité. Quant au Frère François, il a été un modèle accompli de régularité, de silence et de recueillement, et j'en puis parler pertinemment, ayant été sept ans sous sa direction après qu'il se fut démis de sa charge de général.

A part le Frère Jean-Marie, j'ai connu particulièrement tous les autres et je puis certifier, à la louange du Père Champagnat, que jusqu'à la fin de leur vie, ils ont toujours été pour moi des modèles accomplis des solides vertus que leur prêchait le Vénéré Père, encore plus d'exemple que de paroles. Aussi leur mort a-t-elle eu tous les caractères de prédestination qui font les saints et mon ambition est d'en faire une semblable à la leur.

10°. Nous l'avons dit et nous ne nous lassons pas de le répéter, le Père Champagnat était essentiellement un homme de règle. Comprenant donc que sans règlement il ne parviendrait jamais à former de bons religieux, ni de bons instituteurs, il se mit en devoir d'en donner un à ses premiers disciples, sauf à le modifier plus tard à mesure que les circonstances l'exigeraient. D'abord, bien qu'il eût la haute main sur tout et sur tous, il voulut que sa petite communauté eût un Directeur spécial pour présider les exercices de piété, diriger les Frères [107] dans leur conduite extérieure et régler le reste du détail de la maison; il le fit nommer par eux-mêmes au scrutin secret. Frère Jean-Marie ayant eu la majorité des voix fut celui désigné pour remplir cette charge importante. Par le fait même de sa nomination, il devenait responsable auprès du Père Champagnat de L'accomplissement de la règle et par suite obligé d avertir, de reprendre et de corriger au besoin ceux qui pourraient y manquer même involontairement. Cela fait, le Vénéré Père prescrivit les exercices de piété qu'on ferait en communauté et en détermina l'heure. Ces exercices, outre les prières du bon chrétien, comprenaient le petit office de la Ste Vierge, la méditation, l'assistance à la messe, la lecture spirituelle, l'examen particulier et la coulpe. Il régla que le silence serait gardé en tout temps, excepté pendant les récréations qui devaient toujours se prendre ensemble, sauf le cas d'une véritable nécessité et encore ne devait-on le faire qu'à voix basse, surtout depuis la prière du soir jusqu'au lendemain après la méditation, c'est ce qu'on appelait le grand silence. Le travail manuel était la principale occupation, car c'était la seule ressource pécuniaire de la maison. Il y avait cependant des moments d'étude et de classe; le catéchisme y figurait dès lors comme une des leçons les plus importantes; en outre, le Père Champagnat donnait lui-même des leçons de lecture, d'écriture etc., suivant le besoin de chacun. Au fond, le règlement était à peu près le même que celui qui est en usage dans les maisons de noviciat et à la maison-mère. Cependant, le lever avait lieu à cinq heures; plus tard il le mit à quatre, et le chapitre général de 185636 le mit à quatre [108] heures et demie. Le Père Champagnat donnait lui-même le signal de ce premier acte publie d'obéissance au moyen d'une cloche, placée au devant de l'habitation des Frères, qu'il sonnait de sa chambre au moyen d'un fil de fer traversant l'espace de la maison au presbytère. Le coucher avait lieu à 9 heures, ainsi qu'il se pratique encore aujourd'hui.

11°. L'ordinaire était des plus frugaux: du pain à satiété - mais Dieu, quel pain! - farine grossière, mal pétrie, mal cuite, en un mot du pain fait par les Frères eux-mêmes, sans apprentissage préalable, puis de la soupe, quelques légumes et de l'eau pour boisson. Quant au lit, il était composé d'une paillasse et d'un traversin garni de feuilles, recouvert par des draps de grosse toile que dissimulaient deux méchantes couvertures. Les bois de lit consistaient simplement en quelques mauvaises planches ajustées par le Père Champagnat lui-même. Et pourtant avec ce dénuement, cette pauvreté, cet ordinaire si peu confortable, je sais, par ces premiers Frères, qu'ils étaient contents, gais et heureux, car le Père Champagnat adoucissait ces privations par ses bonnes paroles, quelquefois finement piquantes mais toujours paternelles.

D'ailleurs toujours le premier à la peine, il leur donnait continuellement le bon exemple de la patience, de l'humilité, de la conformité à la volonté de Dieu et de toutes les vertus religieuses. C'est à la même époque qu'il leur donna comme faisant partie d'une même corporation, un vêtement semi-religieux; j'ai vu un Frère cuisinier qui le portait encore. Il consistait dans une redingote bleu clair descendant jusqu'à mi-jambe, un pantalon noir et un chapeau rond; de là le nom de Frères bleus que leur donnait le vulgaire et que leur donnent encore aujourd'hui les habitants de St. Chamond. On sait que la couleur bleue est celle des voués à la Ste [109] Vierge, et c'est la raison pour laquelle le Père Champagnat avait primitivement adopté cette couleur comme signe de distinction de sa Congrégation dont il regardait la Ste Vierge comme la première supérieure.

12°. La petite communauté était déjà constituée et formait une véritable société; il ne restait plus qu'à la faire manœuvrer en l'appliquant à l'objet qui en était le but, c'est-à-dire à l'enseignement de la jeunesse. Or, nous avons dit précédemment que le Père Champagnat, voyant l'instruction et l'éducation des enfants de la paroisse presque totalement négligées, avait fait venir un instituteur, en attendant que les Frères puissent prendre eux-mêmes la direction de l'école. Cet instituteur, formé par les Frères des Ecoles Chrétiennes, connaissait parfaitement leur méthode d'enseignement que goûtait beaucoup le Père Champagnat. Il fut admis dans la communauté et, dans ses moments de loisir, il donnait des leçons aux Frères, leur apprenait à diriger et à discipliner une classe, ainsi que la manière d'enseigner aux enfants les diverses branches d'enseignement.

Ainsi formés, les Frères furent bientôt à même de se charger de l'école de Lavalla et ils en témoignèrent le désir au Père Champagnat. Celui-ci, voulant avant tout leur faire pratiquer l'humilité, leur proposa de faire l'essai de leurs talents pédagogiques en allant faire la classe dans les hameaux les plus importants du village, ce qu'ils acceptèrent volontiers, et grâces à Dieu, ils remplirent cette fonction à la grande satisfaction des habitants et au grand contentement du Père Champagnat.

13". Sur ces entrefaites l'instituteur, dont la conduite n'était pas des plus religieuses, ayant été renvoyé, le Vénéré Père confia sa classe au Frère [110] Jean-Marie. Jusque-là, les habitants s'étaient mis fort peu en peine des Frères, mais quand ils virent leur école si bien disciplinée et les progrès rapides de leurs enfants, ils commencèrent à ouvrir les yeux et comprirent que les Frères du Père Champagnat n'étaient pas seulement de pieux cloutiers, mais bien de bons religieux instituteurs. Aussi, le nombre des élèves s'accrut-il considérablement. Plusieurs parents même qui se trouvaient dans les hameaux éloignés, voulant faire profiter leurs enfants de l'enseignement donné par les Frères, les placèrent dans le bourg; mais malheureusement ces enfants n'étant pas assez surveillés après la classe, se dérangeaient entre eux. Pour parer à cet abus, le Vénéré Père fit quelques agrandissements à la maison et les reçut comme pensionnaires. Plusieurs enfants indigents s'étant présentés, le bon Père, comptant sur la Providence, les reçut quand même et se chargea non seulement de leur instruction mais encore de leur entretien, se contentant de dire à ceux qui l'en blâmaient, car on savait assez qu'il n'avait pas de ressources: « L'aumône n’appauvrit pas, comme la messe ne retarde pas », et il continua ses bonnes oeuvres sans s'inquiéter des qu'en dira-t-on.

14°. Le Vénéré Père sentait depuis longtemps que sa présence habituelle dans la communauté était nécessaire pour former les Frères aux vertus religieuses, compléter leur instruction et les suivre de près dans l'exercice de leurs fonctions, afin de pouvoir être à même de corriger, en ceci comme en tout le reste, ce qui en aurait besoin. Donc, malgré les raisons que lui opposa M. le curé, raisons qui portaient principalement sur le méchant ordinaire qu'il allait avoir, sur le milieu dans lequel il allait se trouver et autres seulement personnelles, il passa outre et vint partager l'indigence et la [111] pauvreté de ses Frères, et même leurs travaux quand il en avait le loisir.

15°. Il est certain qu'il eut beaucoup à souffrir de ce genre de vie nouveau pour lui. mais sa résolution était prise depuis longtemps de tout sacrifier et de tout endurer pour poursuivre jusqu'à son dernier soupir l’œuvre dont la Providence l'avait chargé. Il est bon d'ajouter encore que, quoique les Frères l'aimassent beaucoup, ils n'avaient pas, faute d'y penser sans doute, ces soins et ces attentions qui sont dus à un supérieur. Ainsi, il faisait lui-même son lit, sa chambre, nettoyait sa chaussure, etc., sans que personne s'en mît en peine. Je parle de chambre, et mon Dieu! quelle chambre! j'ai eu le bonheur de la voir et même elle existe encore aujourd'hui; située au rez-de-chaussée, elle est en outre basse, étroite, malsaine. On y voit encore sur les murs plusieurs sentences de la Ste Ecriture, dont chacune présente de sérieuses réflexions.

Quant à son ordinaire, il était à peu près le même que celui de la petite communauté; seulement, par raison de convenance, sa table était à part au réfectoire, c'est-à-dire qu'il mangeait seul.

16°. Dieu voulut mitiger un peu tous ces actes de mortification qu'il supportait sans jamais se plaindre. Le 18 février 1822, il lui arrive un postulant âgé de 21 ans qui allait devenir son soutien, le confident de ses projets, une consolation dans ses peines et la providence visible de la société. C'était F. Stanislas (Claude Fayole)37 né, comme nous l'avons dit, à St. Médard. A première vue, il comprit que l'on manquait de convenances et [112] d'égards à l'endroit du Vénéré Père. Avec la permission de celui-ci, permission à laquelle il ne consentit que tout juste, Frère Stanislas fit son lit, sa chambre, prit soin du temporel de la maison, et même se fit le serviteur de tous les Frères, surtout du Vénéré Fondateur. Il le servait presque seul pendant sa première et dernière maladie, et lui rendit tous les devoirs de piété filiale que le plus dévoué des fils peut rendre au meilleur des pères. Comme les autres Frères, dont nous avons parlé, il excella dans les vertus d'humilité, de simplicité, et de modestie, mais il se distingua surtout par son grand attachement à sa vocation et par son zèle pour y affermir les jeunes Frères. Sa mort a été des plus désirables et des plus regrettées. C'est de lui que la tradition a appris et que j'ai appris moi-même, de sa propre bouche, beaucoup de choses édifiantes du Vénéré Père dont il est parlé dans cet écrit.

17°. Voilà donc définitivement le Père Champagnat avec ses Frères, tout en remplissant ses fonctions de vicaire avec le même zèle qu'auparavant, ce qui ne l'empêchait pas cependant de continuer leur formation. Il s'attacha surtout, dès les premiers jours qu'il fut avec eux, à leur apprendre la manière de faire le catéchisme aux enfants et exigea qu'on le fît tous les jours dans les classes car le grand nombre des élèves l'avait obligé d'en faire deux dans la paroisse. Il faisait en sorte d'aller écouter les Frères sans être vu, puis, la récréation arrivée, il leur faisait remarquer les inexactitudes et autres défauts qu'il avait aperçus dans leur enseignement.

18°. Mais afin qu'ils ne perdissent pas de vue le but qu'il s'était proposé en fondant sa Congrégation, c'est-à-dire celui de donner l'instruction [113] religieuse aux enfants du peuple, il les envoyait cer­tains jours dans les hameaux de la paroisse, comme il avait fait avant de leur confier la classe de La­valla, non pour y faire l'école, mais seulement le catéchisme.

Arrivés au hameau qui leur était assigné, les Frères réunissaient dans un lieu convenable le plus de personnes qu'ils le pouvaient, hommes, femmes, jeunes gens et enfants; puis, après leur avoir fait chanter un cantique, ils questionnaient les jeunes gens sur quelques points du catéchisme qu'ils expli­quaient ensuite de leur mieux, n'oubliant pas d'en tirer chaque fois quelques conclusions pratiques. Une histoire édifiante terminait ordinairement la séance.

Comme ces catéchismes étaient bien préparés et que les catéchistes mettaient en pratique ce qu'ils enseignaient, ils produisirent un bien réel et attirè­rent bientôt tous les habitants du hameau où ils avaient lieu.

Le Vénéré Père allait quelquefois en cachette les écouter, puis, suivant son habitude, il faisait remarquer pendant la récréation ce qu'il avait aperçu de défectueux.

20°. Le Bessat, gros village situé à deux heures de Lavalla et où abonde la neige pendant la rigou­reuse saison, fut le théâtre du zèle du Frère Lau­rent. A cette époque, ce hameau soi-disant paroisse, n'avait pas de prêtre, et par suite les habitants étaient plongés dans la plus profonde ignorance. Le Frère Laurent sollicita et obtint, non sans peine, la faveur d'y aller faire le catéchisme, faveur que le Père Champagnat n'accordait que comme récom­pense. Il y montait de Lavalla toutes les semaines, portant un sac de provision pour tout ce temps-là; provisions consistant ordinairement en un gros pain, des pommes de terre et du fromage. Il logeait [114] chez un particulier où il faisait lui-même son or­dinaire qui n'était autre que celui des gens de la campagne et même pire. Or, voici ce qu'il me racon­tait un jour à ce sujet, le visage tout rayonnant de joie. « Arrivé au Bessat, me disait-il, je parcourais soir et matin le village avec une clochette que j'agitais pour réunir les enfants; quand ils étaient réunis autour de moi, je leur apprenais leurs priè­res, leur catéchisme et à lire, car il n'y avait point d'école dans le village. Le dimanche, tous les habi­tants s'assemblaient dans la chapelle; là, je faisais d'abord chanter un cantique et réciter le chapelet suivi de la prière du soir; après cela, je tâchais de faire de mon mieux un bon catéchisme à tous les habitants. Oh! que je jouissais alors, ni la fatigue, ni le mauvais temps, car quelquefois il y avait plusieurs pieds de neige, n'étaient rien pour moi. Ces jours, hélas! trop courts, ont été les plus beaux de ma vie. » Aussi, cet excellent Frère était-il aimé et respecté de tous les habitants du hameau, qui ne le rencontraient jamais sans le saluer. On com­prend assez le grand bien qu'il fit au Bessat et com­bien le Père Champagnat dut s'en réjouir; en voici une preuve.

Un jour le Vénéré Père montait au Bessat avec notre zélé catéchiste, il lui dit qu'il faisait là un métier bien pénible. Frère Laurent lui répondit que ce métier lui était au contraire très agréable et qu'il ne donnerait son emploi pour tous les biens du monde. Le Vénéré Père, sensiblement touché de la vertu de son disciple, en ressentit un si vif plai­sir que ses yeux se remplirent de larmes.

22°. La renommée de l'école de Lavalla que, d'après les conseils du Père Champagnat, dirigeait avec tant de succès le Frère Jean-Marie, engagea plusieurs curés à demander des Frères au Vénéré Père. En première ligne, on doit citer M. Allirot, [115] curé de Marlhes. Le Père Champagnat, octroyant à sa demande, lui envoya deux Frères et le frère Louis fut nommé Directeur de l'établissement. Formé à l'école du Vénéré Père, le Frère Louis, qui avait trouvé dans les enfants une ignorance complète, mit tant de zèle et de dévouement à les former qu'au bout de l'année un bon nombre savaient lire, écrire et calculer, etc. Dieu visiblement avait béni son école, et en cela il n'y avait rien d'étonnant; ce Frère essentiellement religieux et des plus fervents faisait sa classe non seulement en bon instituteur, mais en apôtre zélé. Le catéchisme était sa leçon de prédilection; tous les jours il le faisait réciter et l'expliquait avec tant d'onction que ses élèves ne pouvaient se lasser de l'entendre. Il ne manquait pas tous les samedis d'en faire un sur la Ste Vierge, à laquelle il avait une dévotion très ardente, dévotion qu'il eut le bonheur d'inculquer à tous ses élèves.

23°. Une discipline toute paternelle régnait dans sa classe, et les enfants qui la fréquentaient faisaient la joie et la consolation de leurs parents quand, sans avertir M. le Curé, le Père Champagnat, en ayant besoin au noviciat, le changea au moment où sa classe était dans la plus grande prospérité. M. le Curé, qui croyait que nul autre Frère pouvait remplacer Frère Louis, en fut si froissé qu'il l'engagea par des raisons qui paraissaient des plus plausibles à rester malgré l'ordre formel du Père Champagnat qui l'appelait ailleurs; mais l'obéissant frère Louis détruisit tous ces arguments par ces paroles sublimes: « Mon supérieur commande, mon devoir est d'obéir ». Dieu bénit cet acte d'obéissance et son dévouement car l'école, contre l'attente de M. le Curé, continua à être tout aussi florissante sous son successeur. [116]

24°. Plusieurs fois, le Père Champagnat avait prié M. le Curé de faire à l'établissement d'urgentes réparations. Comme il ne se pressait pas, soit par manque d'argent, soit à cause du changement du Frère Louis, un jour que le Vénéré Père visitait cette école, il alla trouver M. le Curé pour l'avertir qu'il retirait les Frères, ce qu'il fit effectivement. Cet établissement, fermé en 1819, fut rouvert en 1833 par M. Duplay; successeur de M. Allirot. J'étais en 1834 ou 35 en exercice dans cette paroisse sous ce vénérable et digne pasteur. On avait bien fait quelques réparations à la maison, mais c'était juste si elle était habitable, et je n'étais nullement étonné que le Père Champagnat eût retiré les Frères.

25°. C'est vers cette époque qu'eut lieu la fondation de l'établissement de Tarentaise, paroisse limitrophe à celle du village du Bessat. La direction de cette école fut confiée au bon Frère Laurent, qui sut trouver du temps en dehors de cet emploi pour continuer ses catéchismes au Bessat. Quand l'établissement de Marlhes fonctionnait encore, M. Gaston38, maire de la paroisse de St-Sauveur, qui y avait une propriété où il allait habiter pendant l'été avec sa famille, ayant été témoin de la piété des Frères, de la discipline de leur école et de la bonne tenue de leurs enfants, surtout à l'église, résolut de doter sa paroisse d'un pareil établissement. A cette fin, il s'adressa au Père Champagnat qui s'empressa d'octroyer à sa demande et Dieu aidant, cette école eut le même succès que celle de Marlhes. Bientôt après, M. de Pleyné, maire de la ville de Bourg-Argental peu éloignée de [117] la paroisse de St-Sauveur, entendant parler avec tant d'éloges des Frères, s'adressa à M. Colomb qui lui donna tous les renseignements nécessaires pour en avoir, dé­sirait, depuis longtemps, confier l'école de la ville à des instituteurs religieux; il fut donc tout heureux de trouver dans ceux du Père Champagnat des conditions pécuniaires très modiques, seule raison qui jusqu'alors l'avait empêché de réaliser cette bonne oeuvre. Il en fit donc le demande au Vénéré Père, qui lui donna des Frères avec une certaine hésitation, vu qu'il avait fondé sa Congrégation particulièrement pour les enfants des campagnes. Les Frères ouvrirent donc leurs classes, le 1ier jan­vier 1822; Frère Jean-Marie fut nommé Directeur de l'établissement, et Frère Louis le remplaça à Lavalla. L'amour-propre du Frère Jean-Marie et son manque de docilité obligèrent le Père Cham­pagnat à faire ce changement, parce qu'il craignait qu'il ne communiquât son esprit aux jeunes Frères et aux novices.

26". Avant le départ des Frères pour Bourg-­Argental, le Vénéré Père les ayant réunis, leur re­commanda de bien se souvenir que l'Institut avait été fondé pour enseigner le catéchisme aux enfants de la campagne et leur fit observer que, dans les villes, l'obligation de le faire apprendre et de l'ex­pliquer était encore plus grande, parce que les parents, à raison de leur négoce, ne se mêlent presque pas de l'éducation religieuse de leurs en­fants, et il leur ajouta que si les autorités les ap­pelaient pour donner aux enfants l'instruction pri­maire, Dieu les appelait plus encore pour protéger leur innocence et les préparer à faire une bonne première communion, en un mot, pour en faire de bons chrétiens tout en faisant d'honnêtes citoyens. Il leur enjoignit ensuite, en arrivant, de faire une visite d'abord au St Sacrement, puis à M. le Curé, [118] et après à M. le Maire, et il termina ces avis et ces conseils, que je cite en abrégé, en leur recomman­dant d'être pour toute la paroisse des modèles de piété et de toutes les vertus qu'exige leur sainte vocation. [119]




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