LES TESTAMENTS DE MICHEL PINHAN
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30,4% ; crh + voy. = 32,6%. [k] est aussi en position interne. Le nombre de
combinaisons dans lesquelles –h- entre, aussi bien à l’initiale qu’à l’intérieur
d’un mot, représente 65,88 % du chiffre total (les inégalités d’occurrences
pouvant aller de 1 à 123). De plus, un même mot peut être écrit de plusieurs
manières, par exemple le clerc : « quere ; querhe ; querge ; crergli ; quler-
ghe ». L’incertitude est assez importante. Toutes places confondues, les
formes les plus représentatives sont : qu = 49,1% ; ch = 25% ; c = 13,5%.
Nous trouvons de plus crh, jamais chr. A l’initiale, cr = 53,6%, crh = 39%,
qur = 7,2%. En position interne, seuls –cr- ou –crh- se rencontrent, pas
–qur-. Mais cela n’est valable que pour [k] + r. Lorsqu’il précède –l-, -h- n’est
pas post (ou pré)posé. Dans ce cas, nous avons –cl-, -qul-, ou même –ch- <
cl. Mais –h- n’est pas utilisé en contact avec –l-, comme avec les voyelles ou
–r-. Parfois, -h- représente le son lui-même, « diha, escrhiha, faha,... ». H.
Coustenoble constate, à propos de l’« arlésien » contemporain
33
: « On
trouve la lettre h, à l’intérieur de certains mots, mais on ne la prononce pas.
Elle indique qu’il faut prononcer deux voyelles, et non pas une diphtongue.
Remarquer l’orthographe des mots rhodaniens, fiho, famiho, auriho… Dans
d’autres dialectes de la langue d’oc, on trouve : filho, familho, aurelho ». Mais
il s’agit ici d’un son mouillé, non d’un son dur. Les autres graphies sont plus
traditionnelles. Le –ch-, d’origine grecque, note parfois le même son que c et
qu, très répandus. Chez Pinhan, il transcrit aussi, dans deux cas, le son [s] :
« secha = cesser ; nesecharias ». Si –q- est bien ressenti comme la transcrip-
tion de l’occlusive vélaire sourde [k], l’usage de –h- tend à prouver que cette
lettre avait la même fonction. Le même procédé se retrouve avec –g-, quel-
quefois renforcé par –h-. Q est appuyé par –u- (muet), même devant une
consonne. Lorsque –qu- est suivi de –u-, un seul est écrit. Pour A.
Grafström, les deux graphies c et qu rivalisent, la seconde étant plus étymo-
logique. Mais Pinhan, ne se souciant pas d’étymologie, emploie les signes
qu’il connaît. La confusion provenait-elle alors de la prononciation, ou de
l’écriture ? Toujours est-il que, parmi toutes les formes à sa disposition, il use
même de –s- pour représenter [k] : « saura = caura ». Est-ce une erreur qui
se renouvelle ou le témoignage d’autre chose ? D’après R. Lafont
34
, h est un
« signe général de palatalisation », permettant de traduire l’évolution de c (+
a) en ch. Le plus étonnant, cependant, est la position de cette lettre chez
Pinhan, car nous observons une certaine cohérence, sinon une cohérence cer-
taine, dans cette sorte d’anarchie qu’instaure sa présence. Sa place paraît fixée
d’une manière régulière. De plus, pourquoi la mettre après –r- dans le groupe
–crh- ?
La lettre g pose le même problème. Comment est-elle utilisée par
Pinhan ?
G à l’initiale : ga- = 64% ; gha- = 34% ; gua = 1,1%.
33. H. C
OUSTENOBLE
, op. cit., p. 85.
34. R. L
AFONT
,
Eléments de phonétique de l’occitan, Valdériès, 1983, p. 45.
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MARIE-ROSE BONNET
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: gi-: jamais à l’initiale ; il y a toujours gui-, quel que soit le son :
« Guirome, Guili, guietar, Guimet ». Toutefois, la valeur phonique de cette
combinaison ne doit pas être la même pour tous les mots.
: go- : « govertat ; governa ; Gondart / Georgui, Georgi, Iorgui,
Gorgui ». A l’initiale, les j et g latins ont abouti au même résultat. Il est donc
possible que Pinhan ait confondu les deux et ait écrit g à la place de j (aussi
bien dans « gamay » que dans « Gorgui »).
: gu- : « Ghugla ». En général, g + u = [dj], par opposition à g + h = [g],
cf. par exemple « ghaguies ». Devant une voyelle, donc, plusieurs possibili-
tés sont offertes. Pourquoi Pinhan a-t-il éprouvé le besoin d’adjoindre h à g
devant a et u ?
: gl- : « gloria ; Glaudo ; gleyra (54,5 %), greyra (3 %), gheyra (6 %), geyra
(36,3 %). » Là aussi, sérieuse hésitation dans la transcription de ce terme.
: gr- : « grasia, grhasia ; grosa, grhosa ; grhat ; gran ; Grasian ; Graset ;
Gregori ». De même que pour cr, h peut s’ajouter à ce bloc, et, là aussi, il ne
s’interpose pas entre ces deux lettres, mais après.
G en position interne : -h- est utilisé, mais pas dans tous les cas, et moins
souvent, semble-t-il, qu’en liaison avec –c-. (Il est surtout dans les deux
copies de 1454.) Par contre, comme avec –c-, et de même qu’à l’initiale, il est
placé après –cr-, et non entre les deux lettres.Parfois, il peut même rempla-
cer –g-, comme avec –c-. Nous pourrions supposer que h vient renforcer g
pour indiquer une prononciation palatale sonore. Or, il peut aussi traduire
une sourde. La répartition était apparemment mieux appliquée quant à –c-.
Lorsque le scribe médiéval veut transcrire [ge], il écrit gue, [dje], ge. Pinhan
agit quelque peu différemment, et bouscule la tradition, notamment avec son
emploi de –u- ou de –h-. Le –u- paraît ne pas avoir la même connotation, et
être muet, comme après le –q-. De même, g + a peut équivaloir à [dja], [j]
(« gamays ; manga, maniar ; megansan, meiansan »). La présence de –h- est
moins constante, même si nous rencontrons une tendance identique à le pla-
cer dans la même position.
Il faut enfin signaler l’usage de « ung », l’article ayant ici une forme fran-
çaise.
Abordons maintenant le cas de –s-, qui n’est pas vraiment à la finale
absolue, mais précède immédiatement la dernière lettre, « borst » (compte
non tenu de la marque du pluriel). Le –s final, d’origine latine, est maintenu :
« quos < corpus ; quas < casum ; mars < martius ». En outre, les mots termi-
nés par consonne ne sont pas automatiquement concernés. Enfin, parmi les
consonnes en cause, certaines n’entraînent pas ce phénomène. En fait, seuls
les termes terminés par –t sont touchés par l’antéposition du –s-. Dans la plu-
part des cas, Pinhan écrit –st au pluriel, non l’inverse : « ordenast ; pechast ;
escr(h)ist ; amist ; tost ; dost ; tengust ; reghonoghust ; enfrust ; enfanst ; genst ;
etc. » J. – Cl. Bouvier remarque
35
, à propos des parlers drômois du Sud ou
35. J. Cl. B
OUVIER
,
op. cit., p. 293.
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