Histoire du Canada (1944) 1



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Chapitre II



Découverte du Canada

1534-1544


Le traité de Cambrai (3 août 1529) rendit la paix au royaume. L’amiral de France, Philippe de Chabot, seigneur de Brion, voyant les succès des Espagnols et des Portugais dans l’Amérique centrale et méridionale et même au delà, où ils soumettaient de vastes contrées à leur domination, proposa à François Ier de reprendre son dessein sur le Nouveau-Monde afin d’en tirer comme eux de grandes richesses. [Chabot n’était pas seul à émettre cette idée. Son rival, Anne de Montmorency, ébauchait déjà un programme pour la colonisation des terres nouvelles. Du reste, les menées louches de l’amiral, vendu aux Portugais et plus tard condamné pour concussion, montrent ce personnage sous un triste jour]. Les pêcheries considérables de morues que les Français continuaient d’exploiter au banc de Terre-Neuve étaient un premier acheminement vers ce but. [Cependant, si les motifs de religion et proprement l’idée missionnaire n’ont cessé d’inspirer et de dominer la politique coloniale de la monarchie française, comme les lettres, les ordonnances et les commissions royales en font foi, il est vrai de dire que François  Ier, fidèle à cette politique, n’était pas sans songer parfois secrètement à la découverte, par delà l’Atlantique, des épices tant convoitées alors et des métaux précieux. « Et par la conduite de Jacques Cartier, écrivait le roi chevalier, faire le voiage de ce royaume ès terres neufves pour descouvrir certaines ysles et pays où l’on dit qu’il se doibt trouver grant quantité d’or et autres riches choses... » (12 mars 1533)].

Le monarque avait conservé le goût des entreprises lointaines. Se trouvant en bonnes relations avec ses voisins, il agréa le projet de son amiral qui en confia l’exécution à Jacques Cartier, habile navigateur de Bretagne. [Né à Saint-Malo en 1491, Cartier de bonne heure parcourut l’océan ; il visita le Brésil d’où il ramenait une indigène qui fut ensuite baptisée. Devenu maître-pilote et à l’occasion servant d’interprète pour le portugais, il avait épousé, en 1520, Catherine, fille d’un riche notable, Jacques Des Granches, connétable de Saint-Malo et sieur de la Ville-ès-Gares].

[Par lettre du 12 mars 1534, le roi accorda une subvention de 6000 livres à Cartier pour organiser son expédition. Et la commission que lui avait remise l’amiral Chabot, (31 octobre 1533), l’autorisait à « armer des navires, à découvrir et conquérir à Neuve-France ainsi que trouver, par le Nord, le passage de Cathay » : c’est-à-dire le passage du Nord-Ouest, la route de la Chine et de l’Inde, qui fut du XVe au XVIIIe siècle, l’objectif constant des navigations officielles outre-Atlantique. Mais déjà les préparatifs du pilote malouin avaient soulevé une vive opposition chez les bourgeois et les marchands intéressés aux seuls profits de la pêche et qui l’empêchaient de recruter des matelots. Pour faire cesser leurs agissements, il dut recourir à la justice].

[Ayant, suivi de ses compagnons de mer, juré fidélité devant le vice-amiral Charles de Mouy, seigneur de La Meilleraye], Jacques Cartier partit de Saint-Malo, le 20 avril 1534, avec deux petits bâtiments de soixante tonneaux et soixante et un hommes d’équipage. Au bout de vingt jours, [il arrivait au Cap Bonavista, sur la côte orientale de Terre-Neuve ; mais comme les glaces en bloquaient les abords, il s’arrêtait dans la baie Catalina. Il remonta vers le Nord jusqu’à l’île des Oiseaux (Funk Island) où abondaient des apponatz noirs et blancs, gros comme des oies, le bec ainsi qu’un corbin, des godets plus petits, « des margaux tout blancs qui mordaient comme chiens. » Après en avoir chargé les barques, on allait capturer un ours blanc dont la chair « était aussi bonne à manger que celle d’une génisse de deux ans ». Le malouin atteignit l’extrémité de la grande île et pénétra au delà, cependant que des vents impétueux et des masses d’icebergs mouvants le forçaient de relâcher au havre actuel de Kirpon. Le 9 juin, il traverse le détroit de Belle-Isle qu’on prenait encore pour la baye des Châteaux ou la « Grande-Baye » et vient aborder dans le port de Brest, aujourd’hui Bonne-Espérance, au sud du Labrador. Le lendemain, la messe y fut célébrée ; et pour la première fois peut-être le catholicisme illuminait la terre lointaine aux immensités mystérieuses, qui allait devenir la Nouvelle-France. Cartier, poussant à l’ouest, fit planter une croix à Saint-Servan (Lobster Bay) en signe de ses découvertes]. Il vit une multitude d’îles et reconnut la côte aride et désolée, [pensait-il « que Dieu donna à Caïn. » Plus loin, il trouva des sauvages Béothuks, disparus depuis, en train de pêcher et de chasser le loup-marin ; comme il entrait dans une petite baie (Shécatica), il aperçut un navire de la Rochelle qu’il aida à retrouver sa route. Cette rencontre d’ailleurs n’était pas pour le surprendre, car les Honfleurais, les Dieppois, les Basques de Saint-Jean-de-Luz, les Rochellais et avant eux les Bretons] connaissaient dès le siècle précédent les parages du Labrador et de Terre-Neuve et ils en avaient en outre baptisé plus d’un havre, d’une baie et d’un cap [des noms empruntés à leurs provinces natales].

[Le 15 juin, Jacques Cartier cingla en direction du Sud. Étant parvenu à Terre-Neuve il fut arrêté par des brumes persistantes et de fortes tempêtes, mais il réussit à explorer toute la côte occidentale de la Pointe Rich au cap Anguille actuel, non loin du cap Ray ; à deux lieues du cap Cormoran se trouvait « la plus grande pescherie de grosses molues qui soit possible ». Le pilote malouin tourne alors sa proue vers l’Ouest et s’avance dans le golfe Saint-Laurent. Il passe entre des îlots rocheux puis devant les îles de la Madeleine, verdoyantes et fertiles dont l’une reçut le nom de Brion, qui lui est resté, en l’honneur de l’amiral Chabot, seigneur du lieu ; il range l’île Saint-Jean (depuis l’île du Prince-Edouard) et une partie du Nouveau-Brunswick. Le 3 juillet], il entrait dans la baie des Chaleurs à laquelle il donna ce nom parce que, à ce moment, la température était brûlante. [Il gagna ensuite la pointe d’une île (Miscou) qui est à l’entrée ; mais pas plus là qu’au détroit de Belle-Isle, il n’avait trouvé le passage à la Chine, et il avoue en être fort marri. Il suivait la rive nord de la baie lorsque trois cents indigènes accoururent à sa rencontre. C’étaient des Micmacs dont les descendants habitent encore cette région. Ils accueillirent les envoyés de Cartier avec des cris de joie, tandis que les femmes leur frottaient les bras et la poitrine, chantaient et dansaient en élevant les mains jointes au ciel. Contre leurs pelleteries on échangea des pâtenôtres de verre, des hachettes, couteaux et autres « ferrements », outre des bonnets rouges qui ravirent les chefs. Et le malouin estime que « ces gens seront faciles à convertir à notre saincte foy »].

[Jacques Cartier voguait maintenant dans la baie appelée aujourd’hui Gaspé. Des sauvages de la nation huronne-iroquoise, au nombre de deux cents, qui étaient à pêcher, vinrent accoster ses navires et firent, comme les autres, des démonstrations d’amitié aux Français. Après leur avoir distribué des hachots et de menus ornements, Cartier, le 24 juillet, débarquait dans la péninsule de Gaspé]. Selon la coutume européenne, il prit possession du pays en érigeant, sur une pointe de terre, une croix de bois [haute de trente pieds, avec un écusson fleurdelisé et un écriteau qui portait ces mots « engravés en grosses lettres de forme » : Vive le Roy de France. Et après que la croix fut élevée, écrit le Malouin, « nous nous mîmes tous à genoux, les mains jointes et l’adorant devant eux leur fîmes signe, regardant et leur montrant le ciel que par elle était notre rédemption ». Les Hurons, qui étaient les témoins curieux de cette scène, restaient immobiles et silencieux, et leur vieux chef se contenta ensuite de protester sans plus].

[Il fallut appareiller pour le retour (25 juillet). Sur le consentement du chef indien, Jacques Cartier emmena avec lui deux de ses fils. Domagaya et Taignoagny, en promettant de les ramener l’année suivante. Il longea une grande île (Anticosti) du sud-est jusqu’à la pointe nord, tourna court, repassa le détroit de Belle-Isle et rentra le 5 septembre à Saint-Malo.]

Cette première expédition ne fut pas sans fruit, puisqu’elle allait conduire Jacques Cartier à la découverte du Saint-Laurent. Les jeunes Hurons qu’il conduisait en France lui apprirent l’existence du grand fleuve. Nous sommes porté à croire par la route qu’il a tenu dans son second voyage, qu’il voulait surtout vérifier leur rapport, tant sur ce fleuve que sur la contrée qu’il traverse depuis Montréal jusqu’à la mer. La cause des découvertes, gagnait sans cesse de puissants amis et d’utiles protecteurs, parmi eux se trouvait le vice-amiral Charles de Mouy, seigneur de La Meilleraye, qui s’en montra l’un des plus actifs partisans et l’encouragea de toute son influence. C’était lui, qui, dès le début, avait recommandé Cartier à l’amiral Chabot. Il obtint, le 31 octobre 1534, pour son protégé chargé d’entreprendre un second voyage, des pouvoirs beaucoup plus étendus que ceux de l’année précédente. Jacques Cartier devait armer trois navires, [prendre des vivres pour quinze mois et « parachever la navigation des terres déjà commencées à descouvrir oultre les Terres-Neufves ». François  Ier contribuait, cette fois (25 mars 1535), 3000 livres à ses frais d’équipement.] Suivant un pieux usage qui a persisté, le capitaine malouin voulut, avant de se mettre en mer avec ses compagnons, implorer la protection divine. Le dimanche, fête de la Pentecôte, il se rendit accompagné de ses équipages à la cathédrale de Saint-Malo, et là, après avoir assisté à une messe solennelle et communié, les aventureux marins reçurent de l’évêque revêtu de ses habits pontificaux et entouré de son clergé la bénédiction pastorale.



L’escadrille portant cent dix hommes [qui comprenaient deux aumôniers, dom Guillaume Le Breton et dom Antoine, un apothicaire, un barbier-chirurgien et les jeunes Hurons rapatriés Taignoagny et Domagaya] ouvrit ses voiles le 19 mai 1535. Plusieurs gentilshommes, Claude de Pontbriant [fils du seigneur de Montréal et échanson du Dauphin], Charles de La Pommeraye, [Jehan de Goyon et Jehan Poullet, secrétaire de l’expédition], étaient aussi à bord en qualité de volontaires. Jacques Cartier avait arboré comme capitaine général son pavillon sur la Grande Hermine de cent vingt tonneaux ; les deux autres bâtiments, la Petite Hermine et l’Émérillon de soixante et quarante tonneaux, avaient pour commandant Macé Jalobert, son beau-frère, et Guillaume Le Breton sieur de La Bastille. La traversée fut excessivement longue ; on eut à subir de furieux vents d’orage qui dispersèrent les trois navires au loin. Jacques Cartier lui-même, [après avoir touché l’île des Oiseaux (Funk Island)], atteignit au milieu de juillet seulement [le havre de Blanc-Sablon au nord-est du (détroit de Belle-Isle)], qu’il avait donné pour rendez-vous ; les deux autres navires ne l’y rallièrent qu’au bout de plusieurs jours. Dès que les équipages se furent reposés, on se remit en route (29 juillet) [le long de la côte du Labrador. Bientôt Cartier rendu dans le golfe Saint-Laurent] cinglait en diverses directions. Mais des vents contraires l’obligèrent de chercher un refuge au port de Saint-Nicolas (la baie Pashashibu). Remettant à la voile, il entra le 10 août, dans une baie (la baie Pillage), à laquelle il donna le nom de Saint-Laurent, dont ce jour-là, on faisait la fête ; ce nom [que Champlain devait le premier appliquer au fleuve, lui est demeuré] et s’étendit ensuite au golfe par lequel il se jette dans la mer. [Du 15 au 17 août, la flottille rangea vers le Nord, l’île Anticosti qui fut baptisée île de l’Assomption. Cependant, la recherche du passage du nord-ouest préoccupait le capitaine malouin ; il voulut tenter de nouveau sa découverte en parcourant le golfe jusqu’à la presqu’île de Gaspé et en explorant par deux fois la côte septentrionale. Les deux Hurons Domagaya et Taignoagny qu’il ramenait de France le guidaient à présent. Ils lui apprirent que le grand fleuve de Hochelaga, comme le dénomme Cartier, au vrai le Saint-Laurent, allait toujours en se rétrécissant jusqu’à Canada et « va si loing que jamays homme n’avait esté jusques au bout qu’ilz eussent ouy ».] Suivant leur rapport, le pays des Hurons-Iroquois se divisait en trois « royaumes » ou provinces, le Saguenay, le Canada dont la principale bourgade était Stadaconé, aujourd’hui Québec et Hochelaga, la plus riche comme la plus populeuse qui comprenait la ville actuelle de Montréal. Le nom de Canada, cannata ou kannata, donné ici par les indigènes à la portion du milieu, signifiait dans leur langue amas de cabanes, ville ou village. Jacques Cartier pénétrait enfin dans le Saint-Laurent et le remonta [jusqu’à l’embouchure du Saguenay (1er septembre) ; des Indiens y faisaient la pêche et la chasse aux loups-marins. Au dire de ses guides, la région renfermait une grande quantité de cuivre rouge. Ses navires continuaient à avancer et s’arrêtèrent à l’île aux Coudres ainsi appelée par le découvreur]. Le 7 septembre il jeta l’ancre au pied d’une île agréablement située [et couverte de vignes, qui fut baptisée île de Bacchus, puis île d’Orléans en l’honneur de Charles, duc d’Orléans, troisième fils de François  Ier]. Cartier fit mettre à terre [Domagaya et Taignoagny qui étaient maintenant dans leur pays], et qui s’abouchèrent avec les autres sauvages. Ceux-ci d’abord prirent la fuite [mais les deux Hurons s’étant nommés] ils retournèrent bientôt et [leur « firent grande chère, dansant et faisant plusieurs cérémonies », après quoi] ils environnèrent les bâtiments de leurs nombreux canots d’écorce. Ils offrirent aux Français des anguilles et autres poissons, du maïs et des melons. Jacques Cartier les accueillit avec beaucoup de politesse et leur distribua de petits présents. Le lendemain l’agouhanna, c’est-à-dire le seigneur de Canada, Donnacona vint le visiter ; il était suivi de douze canots remplis d’indigènes. L’entrevue fut des plus amicales [Damagaya et Taignoagny se mirent à raconter leur voyage en France. Donnacona tout joyeux d’apprendre quel généreux traitement ils y avaient reçu pria] le capitaine français d’étendre ses bras pour les baiser, ce qui était lui donner une des plus grandes marques de respect en usage chez ces peuples. [Jacques Cartier ensuite prit place dans la barque de l’agouhanna et lui fit apporter du pain et du vin]. Là-dessus Français et Hurons se séparèrent très contents les uns des autres.

Comme la saison était avancée, Jacques Cartier prit l’audacieuse résolution de passer l’hiver dans le pays. Il fit ranger la Grande et la Petite Hermine au confluent de la rivière Sainte-Croix, maintenant la rivière Saint-Charles sous la bourgade de Stadaconé qui couronnait une hauteur du côté du Midi. [Il garda l’Emérillon pour remonter le Saint-Laurent.] Cet endroit du Saint-Laurent, par la disposition des montagnes, des coteaux, des vallées autour du bassin de Québec, est un des sites les plus grandioses de l’Amérique. Le fleuve conserve longtemps, depuis le golfe, un aspect imposant, mais sauvage et triste. Son immense largeur, qui est de quatre-vingt-dix milles à son embouchure, ses nombreux écueils, ses brouillards, ses coups de vent dans certaines saisons, en ont fait un lieu redoutable aux navigateurs. Les côtes escarpées qui le bordent pendant plus de cent lieues ; les sombres montagnes faisant chaîne au nord et au sud de la vallée dans laquelle il coule, et dont il occupe par endroits presque toute l’étendue ; les îles, qui se multiplient à mesure qu’on remonte son cours ; enfin, tous les débris épars des obstacles que le grand tributaire de l’océan a rompus et renversés pour se frayer un passage jusqu’à la mer, saisissent l’imagination du voyageur qui le parcourt pour la première fois. À Québec, la scène change. La nature, si vaste, si solennelle sur le bas du fleuve, devient ici variée et gracieuse sans cesser de garder son caractère de grandeur, surtout depuis qu’elle a été embellie par la main de l’homme.

S’il était permis à Jacques Cartier de sortir aujourd’hui du tombeau pour contempler le vaste pays qu’il a livré, couvert de forêts séculaires et de hordes barbares, à la civilisation européenne, quel plus noble spectacle pourrait exciter dans son cœur le sublime orgueil de ces hommes privilégiés dont le nom grandit chaque jour avec les conséquences de leurs actions immortelles ! Il verrait dans Québec l’une des plus belles villes de l’Amérique et dans le Canada un pays auquel l’avenir ne peut réserver que de hautes destinées.

Jacques Cartier était impatient de voir Hochelaga, situé soixante lieues plus loin sur le fleuve. [Malgré les efforts et les ruses du chef Donnacona pour l’en dissuader et aussi le refus des deux Hurons, Damagaya et Taignoagny de lui servir de guides], il partit le 19 septembre [avec l’Emérillon et deux barques]. Il était accompagné des gentilshommes, des capitaines de ses navires [et du secrétaire Jehan Poullet, outre cinquante mariniers. Il longea la rive du lac d’Angoulême, nommé Saint-Pierre par Champlain, et s’arrêta en divers lieux ; partout les indigènes lui faisaient bonne chère et le comblaient des produits de leurs chasses et de leurs pêches. Quand il eut atteint l’extrémité du lac et touché les îles présentement de Sorel, il y laissa le galion et une partie de l’équipage et continua sur ses barques. Le 2 octobre il venait atterrir à Hochelaga]. À l’apparition des Français, une foule de mille personnes accourut au devant d’eux et les reçut comme avaient fait les habitants du Canada avec les marques de la joie la plus vive. [« Ils nous firent, dit le Brief Récit, aussi bon accueil que jamais père fit à ses enfants ». Hommes, femmes et enfants formant autant de rondes à part, dansaient tous ensemble sur les bords du grand fleuve. Ensuite ils apportèrent du poisson au capitaine malouin et remplirent ses barques de leur pain qui était fait de gros maïs]. Le lendemain, Jacques Cartier et ses compagnons revêtirent leurs plus beaux habits. [Sous la conduite de trois Indiens, ils se mirent en route vers la bourgade située à deux lieues du fleuve. Chemin faisant, ils traversaient « la terre la plus belle et meilleure, qu’on saurait voir toute pleine de chênes, aussi beaux qu’il y ait en forêt de France », puis de grands champs bien labourés et couverts de maïs], et ils se présentèrent dans le village huron-iroquois.

Hochelaga se composait d’une cinquantaine de maisons en bois, d’une longueur de cinquante pas sur douze ou quinze de largeur [et hautes de trente-trois pieds environ.] Chaque maison, couverte d’écorces cousues ensemble, comprenait plusieurs pièces, distribués autour d’une salle carrée, où se trouvait le foyer et se tenait la famille. Le village était entouré d’une triple enceinte circulaire palissadée [avec une seule porte fermant à barre]. Il régnait en plusieurs endroits, vers le haut de cette enceinte, des galeries contre lesquelles des échelles étaient appuyées, avec des amas de pierres auprès pour la défense. Dans le milieu de la bourgade se trouvait une grande place. C’est là que l’on conduisit Cartier. Après les saluts en usage parmi ces nations, les femmes vinrent étendre des nattes sur la terre pour faire asseoir les Français. Ensuite parut l’agouhanna, porté par une dizaine d’hommes, qui déployèrent une peau de cerf et le déposèrent dessus. Il paraissait âgé de cinquante ans, et était perclus de tous ses membres. Un bandeau, brodé de poils de hérissons teints en rouge, ceignait son front. Ayant salué Cartier et sa suite, il leur fit comprendre par des signes que leur arrivée lui causait beaucoup de plaisir ; et, comme il était souffrant, il montra ses bras et ses jambes au commandant français, en le priant de les toucher. Celui-ci les frotta avec la main ; aussitôt le chef sauvage ôta le bandeau qui entourait sa tête et le lui présenta, pendant que de nombreux malades et infirmes se pressaient autour de Cartier pour le toucher, le prenant sans doute [pour un thaumaturge] ou pour un homme doué de facultés supérieures.

[Alors, il se mit à lire l’évangile de saint Jean, et faisant le signe de la croix sur les malades, il « priait Dieu qu’il donnast congnoissance de notre saincte foy, et la grâce de recouvrer chrestienté et baptême »]. Jacques Cartier se fit conduire sur la cime d’une montagne qui était à un quart de lieue de distance. De là, il découvrit un paysage grandiose et un pays sans bornes. Vers le nord, se dressait « une rangée de montagnes ». C’étaient les Laurentides ; à quinze lieues au sud il apercevait les sommets de « trois montagnes rondes », (Saint-Bruno, Belœil, Rougemont). Les sauvages semblèrent lui indiquer par signes la direction du fleuve Saint-Laurent, et les endroits où la navigation est interrompue par des cascades. [Dans le Nord coulait « une grande rivière qui descend de l’Occident comme le dict fleuve » (la rivière Ottawa). Ses guides laissaient entendre que passé le Saut « le plus impétueux qu’il est possible de veoir » (rapide de Lachine) et trois autres sauts (les Cèdres, Galops et Long-Saut) on pouvait naviguer trois mois et remonter le Saint-Laurent près de sa source où se trouvaient des mines d’argent et de cuivre (région du lac Supérieur).]

[En disant ces mots les indigènes touchaient la chaîne d’argent de son sifflet et le manche d’un poignard en laiton, jaune comme de l’or, et montraient que « cela venait d’amond ledict fleuve ».] Enchanté de la nature magnifique qu’il avait devant lui, il donna à la montagne, comme par excellence, le nom de Mont Royal. Ce nom, changé depuis en celui de Montréal, s’est étendu à la ville qui embrasse aujourd’hui le pied du mont et à l’île où elle est placée.

[Le 4 octobre Jacques Cartier quitta Hochelaga et rejoignit l’Émérillon qu’il avait laissé en route dans le lac Saint-Pierre, et le 11 octobre il était] de retour à la rivière Sainte-Croix. Le capitaine français conçut quelques soupçons sur les dispositions des indigènes et fit renforcer le fort ainsi que la palissade garnie de canons que ses gens, pendant son absence avaient élevés pour la protection de la Grande et la Petite Hermine. [Néanmoins il accueillit à son bord le seigneur de Canada, lui offrant boire et manger, et Donnacona de même l’invitait à lui rendre visite. Le 13 octobre, Jacques Cartier, avec les gentilshommes et cinquante compagnons se rendit à Stadaconé, à une demi-lieue du fort Sainte-Croix. La terre y était « aussi bonne qu’il soit possible de voir et bien fructifferante, pleine de fort beaux arbres, de la nature et sorte de France, comme chênes, ormes, frênes, noyers, pruniers, ifs, cèdres, vignes, aubépines, et autres arbres sous lesquels croît d’aussi beau chanvre que celui de France, qui vient sans semence ny labour ». L’arrivée des Français réjouit grandement les Hurons. Selon leur coutume les hommes prirent place et s’assirent d’un côté tandis que de l’autre les femmes et les filles dansaient et chantaient en même temps. Cartier fit donner à tous de menus cadeaux. Donnacona conduisit ses hôtes dans les habitations où des provisions étaient entassées pour l’hiver et leur montra, suspendus à des piquets, cinq scalps de sauvages ennemis comme autant de trophées de bataille].

Par ailleurs Jacques Cartier porta ses soins sur la santé des équipages. Mais malgré toutes ses précautions, le scorbut éclata parmi eux, dès le mois de décembre, avec une violence extrême. Aucun remède ne fut trouvé d’abord pour arrêter cette maladie, encore peu connue. La situation des Français devint déplorable. La rigueur de la saison augmentait tous les jours ; le froid fut bientôt excessif. [Une nappe de glace enveloppait de toutes parts les navires d’une couche épaisse de deux brasses ; et la neige couvrant le sol atteignait une hauteur de plus de quatre pieds. En sorte que les Français, pendant de longs mois, de la mi-novembre à la mi-avril, demeurèrent quasi emprisonnés]. Sur cent dix hommes, il n’y en eut que trois ou quatre en bonne santé quelque temps ; et dans un des vaisseaux il ne resta personne pour veiller auprès des malades. Trop faibles pour creuser la terre gelée, ceux qui pouvaient marcher déposaient sous la neige leurs compagnons morts. Vingt-cinq succombèrent ; la plupart des autres étaient à l’extrémité, lorsque le Huron Domagaya rencontra Cartier, et lui indiqua un remède qui les guérit. [C’étaient une décoction des feuilles et de l’écorce de l’épinette blanche].

Quand la belle saison fut revenue [Jacques Cartier se prépara au retour. Le 3 mai 1536, on dressa au confluent de la rivière Sainte-Croix, une croix haute de trente-cinq pieds avec un écusson fleurdelisé portant cette inscription en « lettres atticques » : Franciscus Primus, Dei Gratia Francorum Rex Regnat. Avant son départ, les Indigènes tinrent à offrir au capitaine malouin vingt-quatre colliers d’esnoguy, c’est-à-dire de porcelaine, lesquels étaient « la plus grande richesse qu’ils aient en ce monde » ; Donnacona recevait deux poêles de cuivre et plusieurs hachots, couteaux et patenôtres qui furent envoyés aux siens ; il se fit apporter du maïs, de la viande, du poisson et autres vivres pour sa traversée. Car] Jacques Cartier emmenait en France pour les présenter à François Ier trois Hurons ainsi que leur chef [qu’il devait ramener au bout d’un an.] Donnacona se vantait d’avoir beaucoup voyagé dans les pays occidentaux [et méridionaux ; il avait rencontré, prétendait-il, au delà des terres de Saguenay] des hommes blancs, comme en France, vêtus de draps de laine et [où « il y a infini or, rubis et autres richesses » ; il assurait que « vers la Floridde » était une terre « où il n’y a jamais glaces ni neiges » et que « dans icelle terre y a oranges, amandes, noix, prunes et autres sortes de fruit en grand abondance ».]

[Le 6 mai, Jacques Cartier quittait le havre de Sainte-Croix avec la Grande Hermine et l’Émérilion mais laissait en arrière la Petite Hermine faute d’hommes pour la manœuvre. Il descendit le Saint-Laurent et fit route au sud de l’île Anticosti en direction de la Nouvelle-Écosse ; passant alors le détroit de Canso, il rangea l’île du Cap-Breton et alla cette fois reconnaître la côte sud-est de Terre-Neuve. Ainsi Cartier complétait l’exploration du golfe Saint-Laurent et démontrait que Terre-Neuve n’était pas reliée au continent comme on l’avait cru jusque là. Il gagna ensuite les îles de Saint-Pierre et Miquelon où des navires de France faisaient la pêche. Le 19 juin, il se remit en mer, et après un voyage poussé si loin, qui ouvrait des perspectives infinies et des horizons jusque là inconnus, Jacques Cartier revint à Saint-Malo (16 juillet 1536). Le roi devait désormais pourvoir à la subsistance et à l’entretien des Hurons ; ils furent du reste instruits et baptisés. Donnacona, il est vrai, mourut au bout de quatre années, et quant aux autres, ils se marièrent en France et ne retournèrent plus au Canada].

Jacques Cartier trouva la France en proie aux dissensions religieuses et engagée dans une troisième guerre avec Charles-Quint. L’Empereur [avait offert à François Ier de trancher leurs différends en un combat d’homme à homme, il n’hésita point à] fondre sur les états de son rival par le nord et par le sud. [« Si l’impérialisme l’emportait, la France cesserait d’exister. François Ier résistait donc avec une énergie farouche ». (G. Dupont-Ferrier). Les troupes impériales furent repoussées ou décimées par les épidémies, et le roi s’empara de la Savoie et du Piémont. Les hostilités continuèrent jusqu’à la trêve de Nice (18 juin 1538). Pendant ce temps], la voix de Cartier se perdit dans le fracas des armes et l’Amérique elle-même fut oubliée. [Toutefois, dès l’automne suivant, le découvreur exposait dans un mémoire anonyme son plan initial pour la mise en valeur du Canada : six navires y auraient transporté deux cent soixante-seize personnes de tous métiers et professions, des laboureurs, des vignerons ainsi que des soldats et des missionnaires avec des provisions pour deux années. Mais le projet en resta là]. Il fallut attendre un moment plus favorable.

Ce moment arriva vers la fin de 1540. Le prince put alors s’occuper des découvertes du navigateur malouin. [Celui-ci croyait fermement que « les terres de Canada et Hochelaga faisaient un bout de l’Asie du côté de l’Occident » ; ainsi s’exprimait-il dans l’entrevue avec François Ier en rendant compte de son voyage]. La triste fin de la dernière expédition avait excité les clameurs du parti opposé aux colonies. Ce parti s’éleva contre la rigueur du climat du Canada, contre son insalubrité, qui avait fait périr d’une maladie cruelle une partie des équipages français ; et enfin contre l’absence de mines d’or et d’argent. De telles observations laissèrent une impression défavorable dans quelques esprits. Mais les amis de la colonisation finirent par en détruire l’effet, en faisant valoir surtout les avantages que l’on pourrait retirer du commerce des pelleteries avec les sauvages. D’ailleurs, disaient-ils, l’intérêt de la France ne permet point que les autres nations partagent seules la vaste dépouille du Nouveau-Monde. Les hommes de progrès l’emportèrent.

[Le roi ne laissait pas de favoriser l’intrépide Malouin. Par lettre patente du 17 octobre 1540, reconnaissant « ses sens, suffisance, loyauté, hardiesse, grande diligence et bonne expérience », il nommait Jacques Cartier capitaine général et maître pilote d’une troisième expédition « aux pays de Canada, Hochelaga et Saguenay ». Il le chargeait d’y conduire des sujets de bonne volonté, « de touttes qualitez, artz et industrie ; les établir près des tribus indigènes et prendre contact avec elles » afin, disait François Ier, « de mieux parvenir à notre intention, et à faire chose agréable à Dieu et qui soit à l’augmentation de son saint nom et de notre mère sainte Église catholique, de laquelle nous sommes le premier fils ». Outre les honneurs, les prérogatives, libertés et franchises appartenant à sa charge, il aurait sous ses ordres tous les officiers, soldats et marins et les pleins pouvoirs de chef. Il était autorisé à recruter cinquante prisonniers, hors ceux coupables des « crimes d’hérésie de lèze majesté divine et humaine » et les faux monnayeurs. Pour défrayer ce voyage, le monarque offrit une subvention de 45 000 livres].

La difficulté de réunir tout ce qu’il fallait [et plus encore de former des équipages retardait le départ de Jacques Cartier. Mais alors une chose surprenante se produit. François Ier a subitement changé d’humeur. Le découvreur avéré du Canada doit faire place à un gentilhomme gascon ruiné, aux prises avec ses créanciers, et qui espère refaire sa fortune en exploitant les richesses anticipées aux terres-neuves. La commission de Cartier est révoquée, ses droits et ses privilèges singulièrement accrus passent entre les mains de] Jean-François de La Rocque, sieur de Roberval, que le prince appelait plaisamment le petit roi de Vimeux. Ce grand seigneur terrien qui avait su acquérir l’estime de son souverain par sa bravoure et fidélité, demanda et obtint, le 15 janvier 1541, le gouvernement des pays nouvellement découverts. [Les lettres patentes le constituaient « lieutenant général, chef, ducteur et capitaine de l’entreprise ». Roberval recevait les plus amples pouvoirs : choix de ses suivants, gentilshommes, « gens de guerre et populaires », d’arts libéraux et mécaniques ; nomination des capitaines, maîtres et pilotes des navires ; prise de possession « par voie d’amitié ou par force d’armes » des territoires inhabités ou non dominés par aucuns princes chrétiens ; pouvoir de faire des lois et ordonnances, d’administrer la justice ; de créer des fiefs et seigneuries ; de bâtir des villes, forts et habitations, des temples et des églises « pour la communication, ajoutait François Ier, de notre sainte foi catholique et doctrine chrétienne ».] Un édit du même jour autorisait Roberval à lever des volontaires, [à se munir d’armes et artillerie, à se pourvoir de vivres pour deux ans. Au surplus, une ordonnance adressée aux parlements de Paris, Toulouse, Bordeaux, Rouen et Dijon (7 février) lui permettait de prendre le nombre voulu de condamnés « à ce qu’ils puissent reconnaître le Créateur et amender leur vie ».] Lorsque la nouvelle de l’expédition parvint aux souverains d’Espagne et de Portugal, ils se récrièrent. [Charles-Quint dépêcha aussitôt le grand commandeur d’Alcantara pour protester auprès du roi de France. « Est-ce déclarer la guerre, lui répondit François Ier, et contrevenir à mon amitié avec Sa Majesté que d’envoyer là-bas mes navires ? Le soleil luit pour moi comme pour les autres : je voudrais bien voir la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde ». (Lettre du cardinal de Tolède à l’Empereur, 27 janvier 1541)].

[Cependant, Jacques Cartier ne cessait point de participer à l’entreprise. Quoique relégué au second plan et subordonné à Roberval, il eut] le commandement des navires destinés à porter les colons en Amérique. [La flotte devait se composer de dix-sept bâtiments, dont treize étaient déjà dans le port de Saint-Malo et quatre autres à Honfleur comprenant 2500 personnes ; elle devait prendre la mer le 25 avril au plus tard. Mais Roberval, qui attendait toujours ses munitions et son artillerie n’était pas prêt]. Cartier prit donc les devants à Saint-Malo, le 23 mai (1541), avec cinq navires [la Grande Hermine, l’Émérillon, le Georges, le Saint-Briac et un autre vaisseau portant du bétail, des porcs et des chèvres. Il avait comme capitaines ses beaux-frères, Macé Jalobert et Guyon de Beauprest et son neveu Étienne Noël]. Après une longue traversée au milieu de tempêtes continuelles, qui dispersèrent sa flotte, il s’arrêta [au bout d’un mois dans le havre actuel de Kirpon], à Terre-Neuve pour attendre le gouverneur, lequel devait le suivre à quelques jours de distance, mais qui ne vint pas. Continuant sa route, il pénétra dans le Saint-Laurent et le 23 août jetait l’ancre au havre de Sainte-Croix. [L’agouhanna, successeur de Donnacona, se dirigea aussitôt vers ses navires, suivi de plusieurs barques remplies de femmes et d’enfants. Le retour du capitaine malouin parut causer beaucoup de joie. Le chef huron lui passa des bracelets et, posant sur sa tête sa couronne de cuir tanné, ornée de grains de porcelaine, lui donna l’accolade. Jacques Cartier le reçut à sa table et lui fit quelques présents]. À l’embouchure d’une petite rivière, présentement rivière du Cap-Rouge, neuf milles en amont de Stadaconé, les colons commencèrent les défrichements [et bâtirent des habitations. On érigea deux forts, l’un sur la pointe du cap, l’autre sur le rivage par précaution contre les indigènes. Cartier nommait son établissement Charlesbourg-Royal en l’honneur de Charles d’Orléans, troisième fils de François Ier]. Pendant ces travaux, il prit deux barques dans le dessein de remonter le fleuve au-dessus d’Hochelaga (7 septembre) ; [malgré l’aide de rameurs indiens], il ne put franchir le second rapide actuel de Lachine.

L’automne arriva sans nouvelles de Roberval. Jacques Cartier dut se préparer à passer l’hiver dans le pays. Le 2 septembre, il renvoya à Saint-Malo [Macé Jalobert et Étienne Noël sur le Georges et le Saint-Briac], afin d’instruire le roi de ce qu’il avait fait et de savoir quels motifs avaient empêché le gouverneur de venir en Amérique. L’hiver se passa assez tranquillement ; mais le printemps venu, les Hurons commencèrent à le menacer : [n’avaient-ils pas surpris et tué trente-cinq ouvriers en plein travail ?] Aussi Cartier crut devoir se rembarquer avec tous ses compatriotes pour la France. C’était dans le moment où le vice-roi, retenu l’année précédente par des causes que nous avons indiquées plus haut faisait voile vers l’Amérique.

[Il était parti de La Rochelle (16 avril 1542) avec trois vaisseaux : la Lèchefraye, la Valentine et l’Anne,] ayant à leur bord deux cents colons des deux sexes et plusieurs gentilshommes [et pilotés par le fameux Jean Fonteneau dit Alfonse de Saintonge. Parmi les officiers se trouvaient Paul d’Auxilhon, seigneur de Sauveterre, son lieutenant l’enseigne L’Espinay et le capitaine Guinecourt. D’après la version de Hakluyt, les deux petites flottes se seraient rencontrées à Saint-Jean de Terre-Neuve, le 8 juin 1542. Cartier, refusant de rebrousser chemin, de peur que] Roberval ne voulût s’approprier une partie de ses découvertes, [s’échappa pendant la nuit et effectua son retour à Saint-Malo].

Le gouverneur parvint [à la fin de juillet 1542 à Charlesbourg-Royal où il établit sa demeure qu’il baptisa France-Roy. Il fit construire, sur le Cap-Rouge, un fort comprenant une grosse tour, un corps de logis long de cinquante pieds, un four, cellier et moulin ; au pied du promontoire on éleva une tour à deux étages qui était réservée pour les vivres]. Au début de l’automne (14 septembre) Roberval renvoya en France [l’Anne et le galion royal sous les ordres de Sauveterre et Guinecourt et la conduite du pilote Jean Alfonse] pour informer le roi de son débarquement et demander des provisions pour l’année suivante.

Il en fut de la nouvelle colonie comme des autres qui se fondaient en Amérique : elle dut payer un lourd tribut à la mort. Cinquante personnes succombèrent au scorbut pendant l’hiver. Seul le printemps mit un terme à ses ravages. Malgré cette épreuve, les Français, les yeux tournés vers la source du fleuve où les Hurons disaient qu’il y avait des pierres fines et des métaux précieux, se préparèrent à en prendre la route. [Le 6 juin 1543,] le vice-roi partait avec huit barques et soixante-dix hommes [dans la direction du Saguenay. Le 19 juin il était encore en route]. Mais il paraît qu’il n’alla pas loin à en juger par le silence qui règne à ce sujet ; car malgré la perte d’une partie de sa relation, s’il eut fait des découvertes importantes, il en serait venu sans doute quelque bruit jusqu’à nous. Dans cette course Roberval perdit une de ses barques et huit hommes qui se noyèrent. La nouvelle de son débarquement en Canada était arrivée à Paris au moment même où la guerre recommençait entre François Ier et Charles-Quint. [Le roi ne put alors lui envoyer des secours. Mais l’année suivante (26 janvier 1543), il chargeait Sauveterre d’armer deux vaisseaux et de ramener Roberval en France. L’expédition, avec peut-être Cartier pour pilote, fit voile en juin et fut de retour huit mois après]. La colonie entière se serait rembarquée en même temps que Roberval.

Ainsi finit le premier essai de colonisation fait par la France dans l’Amérique septentrionale, il y a plus de cinq cents ans, si l’on excepte la tentative du baron de Léry. Jacques Cartier, immortalisé par ses découvertes et ses explorations au Canada, disparaît ici de l’histoire. Mais si l’on en croit la demande que firent ses neveux et héritiers, [Jacques Noël et Étienne Chaton, sieur de la Jannaye, en 1588,] pour obtenir la continuation de privilèges accordés à leur oncle, on doit supposer [que la traite des pelleteries se poursuivit pendant longtemps avec les sauvages de ce pays.]

Jacques Cartier s’est distingué dans toutes ses expéditions par un rare courage. Aucun navigateur de son temps, si rapproché de celui de Colomb, n’avait encore osé pénétrer dans le cœur même du Nouveau-Monde, et y braver la perfidie et la cruauté d’une foule de nations barbares. En s’aventurant dans le climat rigoureux du Canada, où, durant six mois de l’année, la terre est couverte de neige et les communications fluviales sont interrompues ; en hivernant deux fois au milieu de peuplades sauvages, dont il pouvait avoir tout à craindre, il a donné une nouvelle preuve de l’intrépidité des marins de cette époque.

Avec lui commence la longue file de voyageurs qui ont reconnu des terres nouvelles dans l’intérieur de l’Amérique du Nord. Le Saint-Laurent, qu’il remonta jusqu’au-dessus de Montréal, conduisit successivement les Français à la baie d’Hudson, dans la vallée du Mississipi et aux montagnes Rocheuses.

[Après la fin de ses voyages au Canada, Jacques Cartier ne quitta plus son modeste manoir de Limoilou, à Saint-Malo. C’est là qu’il mourut, le 1er septembre 1557, atteint de la peste qui ravageait alors cette ville ; il fut inhumé dans la cathédrale. Malgré l’ampleur et la portée de ses découvertes, Jacques Cartier ne reçut aucun titre de noblesse et sa magnifique réussite demeura sans récompense. Tout de même, il lui revient l’honneur incontestable d’avoir ouvert la première page d’un nouveau livre dans l’histoire coloniale des peuples européens.]


Bibliographie


On recourra spécialement à H. P. Biggar, The Voyages of Jacques Cartier, Ottawa, 1924, auxquels il faut joindre, du même, A collection of documents relating to Jacques Cartier and the Sieur de Roberval, Ottawa, 1930. Biggar a établi et publié avec des notes précieuses le récit vraisemblablement original des voyages du Malouin. – G. Musset, Jean Fonteneau, dit Alfonse de Saintonge, capitaine pilote de François Ier, Paris, 1896. – Ajouter : C. de La Roncière, Jacques Cartier, Paris, 1931. – A. Lefranc, Les navigations de Pantagruel, Paris, 1905. (L’auteur révèle que Rabelais, dans son œuvre célèbre, a mis à profit les voyages du Malouin, et figuré sous les noms fictifs de Xenomanes, Jamet Brayer et Valbringue, Jean Alfonse, Roberval et Jacques Cartier respectivement). – G. Martin, Jacques Cartier et la découverte de l’Amérique du Nord, Paris 1938. – Chanoine L. Groulx, La découverte du Canada, Montréal, 1934. – Joindre G. Musset, Les Rochelais à Terre-Neuve, La Rochelle, 1899. – Sur le roi chevalier : Duc de Lévis-Mirepoix, François Ier, Paris, 1931.

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