Histoire du Canada (1944) 1



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Chapitre II



Abandon temporaire du Canada

1551-1603


La guerre entre François Ier et Charles-Quint, [reprise en 1542, avait continué par l’ouverture des hostilités contre le roi d’Angleterre, Henri VIII, devenu l’allié de l’Empereur. Les armées françaises se trouvèrent engagées à la fin aux Pyrénées, aux Alpes, dans le nord et au sud et sur les rives de la Méditerranée]. Comme cela était déjà arrivé et devait arriver encore, le Canada fut oublié dans le tumulte des camps. [De fait, malgré la conclusion de la paix avec l’Espagne et avec l’Angleterre, la mort de François Ier, l’avènement de Henri II, l’état agité du royaume ; puis la conquête des places frontières et l’interminable guerre italienne détournèrent la France des entreprises coloniales. Cependant, en 1551, l’attention se reporta vers l’Amérique mais sous des climats plus tempérés. Guillaume le Testu, hydrographe royal, accompagné d’un capucin, le P. André Thévet, lui-même cosmographe, allait au Brésil pour en connaître les ressources et dresser la carte du pays.] Quatre ans après, l’amiral Gaspard de Coligny [qui était encore catholique], proposa au roi d’y fonder une colonie. Henri II approuva ce dessein. Mais le nouvel établissement eut le sort de ceux que l’on avait voulu former à l’autre extrémité du continent, quoique par des causes différentes. Un chevalier de Malte, Nicolas Durand, seigneur de Villegagnon et vice-amiral de France, [fut chargé de commander l’expédition. Le roi lui accorda un crédit de dix mille livres. Villegagnon partit du Havre, le 14 août 1555, avec deux navires et six cents hommes, comprenant des laboureurs, des gens de métier et aussi le P. André Thévet. On prit terre sur une petite île, au fond de la baie de Rio-de-Janeiro (10 novembre). Aidé des indigènes, Villegagnon bâtit le fort Coligny, il établit une bourgade qui fut baptisée Henryville et il donna à toute la région le nom de « France antarctique ». La tranquillité régnait dans la colonie lorsqu’au printemps de 1557 arriva, au lieu des renforts de soldats que le vice-roi attendait, un contingent d’environ trois cents calvinistes de Genève, parmi lesquels étaient deux prédicants. En effet, Coligny, le futur chef des huguenots, avait obtenu pour les protestants la permission de se fixer dans l’Amérique méridionale ; il fut convenu toutefois que les émigrants tiendraient secret le but de leur voyage. « Coligny eut alors une idée absurde et généreuse qui gâta tout : exporter au Brésil une religion qui n’avait point cours en France. » (A. Heulhard). Dans l’intervalle, Villegagnon après avoir adhéré un moment aux] doctrines nouvelles désavouait son apostasie. La division se mit parmi les Français [et fut aggravée encore par les controverses des pasteurs et les querelles politiques. Un certain nombre de calvinistes alors crurent bon de retourner en France et Villegagnon de même se rendit auprès de la Cour afin de se défendre contre les accusations des dissidents. Son voyage d’ailleurs provoqua en France une vive polémique. Pendant ce temps-là, les Portugais armaient une flotte et s’apprêtaient à venir déloger les Français de leur établissement. Vingt-six bâtiments portant 2000 marins et soldats parurent, le 21 février 1560, dans la baie de Rio-de-Janeiro. La garnison du fort Coligny, maintenant réduite à soixante-quatorze hommes et secourue par une quarantaine, dut se rendre après une vaillante résistance ; les assiégeants ensuite ravagèrent l’île et détruisirent les habitations. Le Conseil du roi demanda vainement réparation au Portugal. D’ailleurs Villegagnon avait déjà organisé deux nouveaux convois de colons. Mais, en ce moment,] les dissensions religieuses s’envenimaient en France. La guerre civile était près de se rallumer. Coligny songea plus sérieusement que jamais à trouver un asile où ses coreligionnaires pourraient se réfugier. Il profita d’une espèce de trêve à la suite de l’Édit de Saint-Germain (janvier 1562) pour intéresser la Cour à un plan de colonies dans la Floride qu’il avait conçu. L’historien Charlevoix assure que selon toute apparence, il ne découvrit point son but au roi, et qu’il ne lui fit envisager son projet que comme une entreprise avantageuse à la France. Mais il est difficile de croire que l’amiral pût en imposer à la Cour, après ce qui s’était passé au Brésil. Charles IX [ou plutôt la reine-mère, Catherine de Médicis, qui gouvernait l’État, n’ignorait rien ; elle fut bien aise] de voir que Coligny employait à cette expédition des calvinistes presque exclusivement, parce que c’étaient à ses yeux autant d’ennemis dont se purgeait le royaume.

L’amiral, laissé maître de toute l’entreprise, donna le commandement de l’expédition au capitaine Jean Ribault, excellent marin de Dieppe. [Il s’embarqua au Havre, sur deux navires, avec des gentilshommes, des soldats et des artisans, le 18 février 1562. Un navigateur éprouvé, René de Laudonnière, était aussi du voyage].

Ribault rangea les côtes d’une partie de la Floride. Il prit possession du pays pour la France, en érigeant une colonne de pierre aux armes royales à l’entrée de la rivière actuelle de Saint-Jean (1er mai). Poursuivant sa route, il donna aux rivières qu’il reconnut des noms français, et vint atterrir [à un îlot de la baie de Port-Royal, dans la Caroline du Sud.] Il construisit un fortin en terre aux bords d’un ruisseau, qui fut appelé Charlesfort, en l’honneur du roi (20 mai). Le pays offrait toutes les marques de la plus grande fertilité et les indigènes firent le meilleur accueil aux Français.

Ribault retourna en France [avec Laudonnière en vue d’obtenir de nouvelles ressources pour sa colonie (11 juin 1562).] Il laissa la garde de Charlesfort à Albert [de la Pierria, qui avait sous lui trente hommes.] Au lieu de cultiver la terre, les Français, se reposant sur leurs provisions, se mirent à chercher des mines d’or et d’argent, dont ils croyaient le sol du Nouveau Monde rempli. Les vivres, pendant ce temps-là, commencèrent à manquer, la discorde éclata. Le commandant Albert se montra barbare et cruel : il pendit lui-même un soldat de ses propres mains ; bientôt, odieux à tous, il fut massacré.

Comme les colons se voyaient menacés de la famine et que Ribault ne revenait pas, ils se construisirent un bâtiment qui fut calfaté avec de la mousse, couvert de voiles faites avec leurs draps et leurs chemises, de cordages fabriqués avec de l’écorce d’arbre ; et ils se rembarquèrent pour la France, sans matelots ni pilote, sans avoir suffisamment de vivres pour une longue traversée. Surpris par un calme, qui dura plusieurs jours, leurs provisions s’épuisèrent, l’eau douce manqua. Ils ne virent plus que l’océan et la mort devant eux. [Heureusement quelque temps après], un navire anglais était en vue et les survivants furent sauvés.

[La paix d’Amboise, (mars 1563), arrêta pour quelque temps les luttes sanglantes entre les catholiques qui formaient la grande majorité de la nation et le parti huguenot. « Ce parti, écrit le cardinal Baudrillart, avait pour chefs les Bourbons et les Châtillons. Pour eux aussi, tout en reconnaissant un certain désintéressement personnel à Coligny, la religion n’était guère qu’un prétexte pour couvrir leurs ambitions : les principaux d’entre eux ont changé plusieurs fois de religion. Ils n’ont pas craint d’appeler les étrangers en France, et non pas seulement à titre d’auxiliaires, comme devaient le faire les généraux catholiques, mais en donnant le Havre aux Anglais et promettant de leur rendre Calais. » (Histoire de France, p. 252). Au reste Coligny n’avait pas renoncé à son projet de créer une colonie de ses coreligionnaires dans une partie du Nouveau-Monde. L’ancien lieutenant de Ribault, le capitaine René de Laudonnière, eut la conduite d’une nouvelle expédition dont l’amiral assuma les frais.]

Laudonnière mit à la voile du Havre le 22 avril 1564 avec trois vaisseaux, passa par les Canaries, les Antilles, [et côtoya la partie orientale de la Floride. Après avoir abordé au port actuel de Saint-Augustin, il remonta] et vint mouiller l’ancre dans la rivière Saint-Jean (25 juin 1565), pour secourir et exploiter la colonie, port, où Ribault avait atterri deux ans auparavant.] À deux lieues de l’océan, il bâtit un fort qu’il baptisa la Caroline en l’honneur de Charles IX. [Malheureusement, la désunion se mit parmi les Français, puis ce fut la famine. Après un assaut désastreux contre les indigènes, ils se disposaient pour leur retour lorsqu’ils virent approcher quatre navires anglais, qui étaient sous les ordres du capitaine John Hawkins et pilotés par un Dieppois, Martin Atinas. Hawkins leur donna des provisions et s’offrit à les ramener en France. Laudonnière se contenta de faire l’achat d’un de ses vaisseaux.] Mais le commandant français ne fut pas longtemps sans exciter la jalousie des Espagnols. [Les préparatifs de Jean Ribault, qui amenait l’année suivante (14 juin 1565), pour secourir et exploiter la colonie, six cents personnes à bord de sept bâtiments, parmi lesquels étaient La Trinité, vaisseau-amiral donné par le roi, et La Perle que conduisait son fils, Jacques Ribault, poussèrent Philippe II à l’action. Le 14 août, Ribault arrivait en vue des côtes de la Floride ; le 28 il pénétrait dans la rivière Saint-Jean. Quoique la France et l’Espagne fussent en paix, Philippe Ier n’hésita point à organiser une expédition composée de trente-quatre navires portant deux mille six cents hommes, y compris douze Franciscains, huit Jésuites et six autres religieux, pour « combattre les hérétiques et les empêcher d’établir leur culte en Amérique » (29 juin)]. Cette flotte imposante était placée sous le commandement de Pedro Menendez de Avilés, l’un des premiers marins de l’Espagne. [Mais le tiers seulement devait atteindre sa destination].

Le fort de la Caroline fut assiégé et pris après une vigoureuse résistance (20 septembre). Cent trente Français au moins périrent ; une cinquantaine cependant réussirent à s’échapper. [Par suite de rapports mal fondés sur la conduite de Laudonnière, l’amiral Coligny avait chargé Jean Ribault de lui remettre une lettre, le rappelant en France. Laudonnière, malgré l’offre de Ribault de partager avec lui le commandement, allait se remettre en mer lorsque survint l’attaque contre la Caroline. Manquant de vivres et les munitions étant épuisées] il se rembarqua pour la France (25 septembre), où il fut fort mal accueilli. Cette disgrâce, à ce qu’il paraît, hâta sa fin.

La cause probable de la perte de la Caroline fut l’obstination de Ribault à aller attaquer les Espagnols par mer. [Son intention était de se porter ensuite contre San Agustin, où Menendez s’était mis en état de défense]. Il prit avec lui la plus grande partie de la garnison (10 septembre). De sorte que le fort, resté presque sans défenseurs lorsque parut Menendez, devint une proie d’autant plus facile à saisir. L’entreprise de Ribault, de son côté, était vouée à un échec : il fut assailli par une tempête furieuse qui le rejeta bien loin vers le Sud. [Quatre de ses navires se brisèrent sur les rochers, cependant que les autres et tous les hommes formant cette expédition, à l’exception d’un seul], parvenaient à gagner le rivage (23 septembre). Ribault, avec le gros de ses compagnons, ne songea plus qu’à retourner par terre à la Caroline. [Après des marches difficiles, il arrivait enfin (octobre) à la lagune actuelle de Matanzas. Sur la rive opposée, Menendez se tenait en embuscade. On fit trêve, et des négociations de paix commencèrent. Ribault apprit alors seulement que] les Espagnols étaient maîtres du fort. Faute de vivres, et presque dépourvu d’armes il fut bien forcé de se rendre (11 octobre). Menendez, à ce que certains affirment, aurait fait à Ribault une réponse rassurante, et les Français crurent à sa bonne foi. « À mesure qu’ils se livraient, le monstre, se signant le front, insultant, dans son fanatisme aveugle, à la croix du Christ, leur faisait enfoncer un poignard dans le cœur ; le brave d’Ottigny (lieutenant de Laudonnière), pendant que l’on plongeait ce poignard fumant dans son sein, prenait encore le ciel à témoin de la scélératesse espagnole. Quant à Ribault, Menendez aurait poussé la barbarie jusqu’à le faire écorcher vif et à envoyer sa peau et sa barbe à Séville comme des trophées de sa victoire ; la tête du commandant français fut coupée en quatre et exposée sur autant de piquets (sur le fort San Agustin) ». (Récit de Le Breton, dans P. Gaffarel, Histoire de la Floride française, p. 457). Après quoi les Espagnols rassemblèrent les cadavres de leurs victimes, y compris ceux des malheureux qu’ils avaient précédemment assassinés dans le fort ou atteints dans les bois. Ils traitèrent ces misérables restes avec la dernière indignité ; puis, avant de les livrer aux flammes, les pendirent à des arbres, sur lesquels fut placée, par dérision, cette inscription fanatique : « Pendus non comme Français, mais comme Luthériens. » Tous les Français, à l’exception de cinq, périrent dans cette catastrophe (12 octobre 1565). La colonie existait depuis trois ans. Les Espagnols pour garder leur conquête, s’y retranchèrent avec l’intention de rester dans le pays.

La nouvelle du massacre provoqua en France une indignation générale. Tous les Français, de quelque religion qu’ils fussent, considérèrent cet attentat comme un outrage fait à la nation, et voulaient en demander raison ; mais la Cour fut d’une opinion contraire. Quelques-uns prétendent qu’en haine de Coligny et des huguenots, Charles IX ou plutôt Catherine de Médicis aurait fermé les yeux sur un affront auquel elle avait peut-être connivé.

Le monarque oubliant ainsi son devoir, un simple particulier se fit le défenseur de l’honneur national. Un chevalier de Malte, Dominique de Gourgues, né d’une famille distinguée de Gascogne, catholique ardent et marin d’un rare mérite, avait été éprouvé par des revers de fortune. Dans un combat, près de Sienne, en Toscane, il avait tenu tête au début à un corps de troupes espagnoles avec trente hommes seulement ; tous ses soldats ayant été tués, il fut fait prisonnier et envoyé aux galères. La galère qui le portait fut enlevée par les Turcs et reprise ensuite par [le chevalier de Malte, d’Aux-Lescour de Romegas]. Ce dernier événement l’avait rendu à la liberté et à des voyages qu’il effectua [sur les côtes de l’Afrique et de l’Amérique méridionale]. Vivement touché par le récit des massacres de la Caroline et de San Agustin, il jura de les venger. Il vendit pour cela tous ses biens et arma trois navires avec un équipage de quatre-vingts matelots et cent arquebusiers, la plupart gentilshommes.

Après être arrivé [au cap de San Antonio, situé à l’ouest de l’île de Cuba], de Gourgues assembla ses compagnons et leur fit une description des atrocités inouïes que les Espagnols avaient perpétrées sur les Français de la Floride. « Voilà, ajouta-t-il, mes camarades, les crimes de nos ennemis... et quel serait le nôtre, si nous différions plus longtemps de tirer vengeance de l’affront qui a été fait à la nation française. J’ai compté sur vous, je vous ai crus assez jaloux de la gloire de votre patrie pour lui sacrifier jusqu’à votre vie dans une occasion pareille. Me suis-je trompé ? J’espère donner l’exemple, être partout à votre tête. Refuserez-vous de me suivre ? » (Cité par le P. Charlevoix, I, p. 97).

L’appel de de Gourgues souleva l’enthousiasme. La petite flotte cingla vers la Floride [et vint jeter l’ancre dans la rivière Altamaha, dans la Georgie actuelle). Les indigènes se montraient plutôt hostiles envers les Espagnols : le commandant français en profita pour s’allier avec eux et se dirigea vers le Sud. Les Espagnols avaient [élevé deux forts à l’entrée de la rivière Saint-Jean pour mieux protéger l’ancien fort de la Caroline) ; De Gourgues divisa sa troupe en deux colonnes et suivi de trois cents sauvages, marcha contre le premier fort. La garnison, qui était de soixante hommes, voulut l’abandonner ; elle se trouva prise entre les deux colonnes et fut presque entièrement annihilée. Après quelque résistance, le second fort tomba à son tour. Ses défenseurs, une soixantaine au total, subirent le sort de leurs camarades : ils furent cernés et taillés en pièces, [sauf quinze qui restèrent prisonniers (24 avril 1568)). Le troisième fort, celui de la Caroline, qui était le plus grand, avait une garnison de deux cent soixante hommes. [Le commandant espagnol l’avait remis en un tel état de défense que le chapelain Mendoza pouvait s’écrier fièrement : « quand la moitié de la France viendrait l’attaquer, elle ne pourrait pas le prendre. » (Relation de la Reprise de la Floride), éd. de T. de Larroque]. De Gourgues était en train de disposer sa troupe autour des murs pour les escalader, lorsque les assiégés soutenus par soixante arquebusiers firent soudain une sortie qui hâta leur perte. Grâce à un stratagème, il attira les assaillants loin de leurs murailles, et leur coupa la retraite. Ainsi attaqués de toutes parts, ils furent tués jusqu’au dernier. Les soldats qui formaient le reste de la garnison, désespérant de tenir plus longtemps, voulurent se réfugier dans les bois, et périrent par la main des Français et des sauvages. Cependant une mort ignominieuse (27 avril) attendait quelques-uns d’entre eux. On fit un butin considérable. Les prisonniers furent amenés à l’endroit même où les Français avaient subi leurs tourments. Après leur avoir reproché leur cruauté et leur mauvaise foi, de Gourgues les fit pendre à des arbres, et remplaça l’ancienne inscription par cette autre : « Je ne faicts cecy comme à Espagnols, ny comme à Marannes, mais comme à traistres, volleurs et meurtriers. » (Récit de de Gourgues, Reprise de la Floride, dans Gaffarel, pp. 509-510). Les vainqueurs, trop faibles pour garder leur conquête, détruisirent les forts et se rembarquèrent pour la Rochelle (3 mai 1568).

En France tout le peuple accueillit avec satisfaction la nouvelle de cette vengeance nationale qu’on regarda comme un acte de représailles légitimes. Cependant Catherine de Médicis et la faction des Guises auraient sacrifié Dominique de Gourgues au ressentiment de Philippe II [qui avait mis sa tête à prix, sans la protestation de Coligny mais davantage grâce à l’aide de ses amis et du président de Marigny, lesquels le cachèrent pendant plusieurs mois dans leur maison de Paris et de Rouen]. Par ailleurs, les autres nations furent unanimes à louer la conduite du gentilhomme français. Rentré en faveur auprès de Charles IX, [Dominique de Gourgues se fit remarquer au siège de La Rochelle (1573) où il conduisait le Charles, le premier vaisseau de l’escadre royale. Quelques années plus tard, il était chargé par Catherine de Médicis de commander une flotte destinée à secourir] Antonio de Crato qui disputait au roi d’Espagne le trône de Portugal (1581). [On raconte même que la souveraine anglaise, Elizabeth, songea un moment à lui confier la direction des navires qu’elle envoya contre Philippe II. Lorsqu’il mourut à Tours en 1582,] Dominique de Gourgues laissait après lui la réputation d’un des plus intrépides et habiles capitaines de son temps sur terre à la fois et sur mer.

Dans cette affaire, la faiblesse de Catherine de Médicis, [qui pratiquait la politique de bascule entre la majorité catholique de la nation et le parti protestant], semble autoriser les bruits que les Espagnols répandirent pour atténuer la barbarie de leur conduite. Ils assuraient que Charles IX s’était entendu avec Philippe II, son beau-frère, pour exterminer les huguenots établis à la Floride. Quoique le roi se soit refusé à exiger réparation de cette sanglante violation du droit des gens, il était trop jeune alors pour être personnellement responsable d’un attentat semblable.

Le long intervalle qui s’écoula entre la dernière expédition de Roberval (1543) et celle du marquis de La Roche en Acadie (1598), est rempli par la grande lutte avec l’Espagne et l’Autriche et par les guerres de religion. L’attention des chefs de l’État, absorbée par tant d’événements, qui ébranlèrent la France jusqu’en ses assises [et fixèrent définitivement son destin de grande nation catholique] ne put se porter vers le Nouveau-Monde. Quand le royaume eut retrouvé un peu de calme et qu’Henri IV fut en possession de son autorité, on revint aux projets qui avaient été formés antérieurement pour la colonisation du Canada.

À la vérité, si la France, au milieu des luttes religieuses, détourna sa pensée de l’Amérique, il faut en excepter toutefois une partie de la population. Les Normands, les Basques, les Bretons et les Rochelais continuaient à pêcher la morue et la baleine dans le golfe Saint-Laurent, comme si leur pays eut joui d’une parfaite tranquillité. [Les habitants de Saint-Malo, continuent « à y traficquer avecques les dictz sauvaiges tant en peaulx de buffes, buffeterines, martres, zibélines et aultres sortes de pelleteries et marchandises. » (Michelant et Ramé, Voyage fait par Jacques Cartier, doc. 37). Durant la période qui va de 1497 à 1550, on a dénombré soixante et onze voyages rochelais à Terre-Neuve seulement. De même des barques normandes fréquentèrent sans interruption à partir de 1574 jusqu’à 1602, les bancs de la grande île. Au reste, dès 1578, les Anglais pouvaient s’étonner que pour] cent cinquante navires français et bretons et cent espagnols qui allaient à Terre-Neuve, il n’y eût que trente à cinquante voiles de leur pays. Les bâtiments de pêche, d’une jauge de 40 à 150 tonnes, prenaient la mer chaque année, au début d’avril et rentraient en France vers le milieu d’août. Aussi il est vrai de dire que « la pêche et le commerce de la morue étaient presque exclusivement dans les mains de la France et c’étaient nos pêcheurs normands, bretons, rochelais et basques qui approvisionnaient les autres pays. C’est surtout du littoral compris entre Hendaye et le Cap-Breton que partaient les bateaux qui allaient pêcher ce poisson à Terre-Neuve... Le Havre ne devait plus qu’aux bateaux terreneuviens l’activité qui animait encore le sien. Pour l’augmenter, le roi affranchit les pêcheurs havrais de l’impôt du sol pour livre qui frappait la morue. » (G. Fagniez). Mais toutes ces expéditions étaient comprises sous l’expression générale de « Voyages aux Terres-Neuves »].

En somme tous ces marins audacieux continuaient d’agrandir le cercle des navigations françaises. Dès 1578 cent cinquante bateaux de pêche se rendirent à Terre-Neuve. Un commerce presque aussi fructueux, nous voulons parler de la traite des pelleteries, se développait avec les indigènes établis près du littoral. Les traiteurs, courant à la recherche de cette marchandise, se répandaient sur les rivages des îles et du continent, ainsi que sur les rivières qui en tombent dans la mer. Ils remontèrent le Saint-Laurent jusqu’en amont de Québec.

Jacques Noël et Étienne Chaton de La Jannaye, neveux et héritiers de Cartier, faisaient ce trafic avec tant de profit qu’ils excitèrent la jalousie. Plusieurs de leurs barques furent brûlées par d’autres traiteurs. Pour ne plus être exposés à ces attaques, Noël et son associé sollicitèrent de Henri III le renouvellement d’un privilège de commerce qui avait été accordé à leur oncle, et en outre le droit d’exploiter les mines qu’ils avaient découvertes. En considération des services du grand navigateur, des lettres patentes leur furent octroyées [pour une durée de douze ans (15 janvier 1588)]. Aussitôt que la chose fut connue les marchands de Saint-Malo se pourvurent au Conseil privé et réussirent à faire révoquer ce privilège (9 juillet), sans cependant profiter beaucoup eux-mêmes de leur succès.

Dès l’année de la signature du traité de Vervins (2 mai 1598) [un gentilhomme de Basse-Bretagne, ancien page de Catherine de Médicis, devenu membre du conseil d’État, Troïlus Du Mesgouez], marquis de La Roche, fit confirmer par Henri IV une commission de lieutenant-général [des terres du Canada, Hochelaga, Labrador, Terre-Neuve, Acadie] et des pays circonvoisins que lui avait déjà accordée Henri III (1577-1578). [Au cours d’un premier voyage aux Terres-Neuves, le navire du vice-roi était attaqué et pris par quatre vaisseaux anglais (1578) ; lui-même prenait la mer en 1584 sur un seul bâtiment, avec trois cents colons et des missionnaires, mais à la suite d’un naufrage, il dut rebrousser chemin. La Roche n’était pas au bout de ses malheurs. Nommé gouverneur de Morlaix, il se rangea contre la Ligue, il fut mis en prison (1589) où il resta durant sept ans. Aussi attendit-il jusqu’en 1598 pour reprendre ses projets sur le Canada].

Le marquis de La Roche obtint de Henri IV des pouvoirs [presque aussi étendus que ceux de Roberval en 1541] et qui abolissaient la liberté des marchands de Saint-Malo. Il fut autorisé à prendre dans le royaume, les vaisseaux, les équipages, les capitaines, les soldats, ainsi que toutes autres personnes dont il aurait besoin ; à faire la guerre et à bâtir des villes dans les limites de sa vice-royauté ; à y promulguer des lois et à les faire observer ; à concéder aux gentilshommes des terres à titre de fiefs, seigneuries, baronnies, comtés, etc., et enfin à réglementer le commerce, qui était placé sous son contrôle exclusif. [En conférant au marquis de La Roche, tous ces pouvoirs et ces privilèges, Henri IV déclarait qu’il entendait bien suivre l’exemple de ses prédécesseurs et travailler non moins ardemment « à l’exaltation du nom chrétien, à cette sainte œuvre de l’agrandissement de la foi catholique » dans les pays d’outre-mer où nombre de peuples « vivent sans aucune connaissance de Dieu. » (Commission du 12 janvier 1598).]

Ainsi investi d’une autorité absolue, il fit voile pour le Nouveau-Monde [en mars 1598, avec deux navires, la Catherine et la Françoise, jaugeant de 180 à 190 tonnes, qui étaient sous la conduite du capitaine Thomas Chefdhastel et portaient soixante hommes]. Aucun traiteur n’osa protester contre le monopole commercial accordé au seigneur breton, comme cela était arrivé pour les neveux de Jacques Cartier : son rang imposait silence. Mais d’autres causes devaient faire échouer ses entreprises.

La Roche, craignant la désertion de ses gens composés pour la plupart de repris de justice, les avait débarqués provisoirement dans l’île de Sable, à l’entrée du golfe Saint-Laurent, [en attendant qu’il eût trouvé sur la terre ferme un endroit propice à son établissement. À ce sujet, certains historiens comme Parkman, ont blâmé l’envoi de ces criminels au Canada. Est-il besoin de rappeler que ce qui fit exception en France devint la pratique habituelle en Angleterre depuis le XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Si bien que Francis Bacon pouvait écrire (Essays, « On plantation », 1612) à propos de la colonie du juge Popham à Sagadahoc (Maine, 1606-1607) : « It is a shame ful and unblessed thing to take the scum of the people and wicked condemned men to be the people with whom you plant ». Voir aussi Cambridge Modern History, VII, 5. E. Channing, History of the United States, New-York, I, 1905, pp. 212-213 ; II, 1908, 370-374. Au surplus, un érudit américain a démontré que la Virginie, la Pennsylvanie, le Maryland durent leur développement, en bonne partie, à des forçats ou à des condamnés qu’on avait tirés des prisons ; que 20 000 au moins vinrent se fixer dans le Maryland ; et qu’en somme, neuf des colonies anglaises, à l’exception de la Nouvelle-Angleterre, formaient des établissements pénitentiaires. (J.-D. Butler, « British Convicts shipped to American Colonies », The American Historical Review, New-York, II, 1896, pp. 12-33. Voir aussi Acts of the Privy Council of England, Colonial Series, edited by W.-L. Grant et J. Munro, Hereford, I, (1613-1680), 1918, Preface XIX-XXXI, et index : « Transportation of crirninals »)].

L’île de Sable, courbée en forme de croissant, étroite, aride, d’un aspect sauvage, porte ni arbres, ni fruits ; il n’y pousse qu’un peu d’herbe et de mousse autour d’un lac placé au centre. Le marquis de La Roche après avoir débarqué provisoirement ses gens dans cette terre désolée, se dirigea vers l’Acadie. Il avait remis à la voile pour revenir lorsqu’une forte tempête le surprit et l’entraîna jusque sur les côtes de France. À peine de retour dans sa patrie il eut à faire face à des difficultés de toutes sortes. Ce n’est qu’au bout de cinq ans qu’il put raconter à Henri IV tout ce qui lui était arrivé au cours de son dernier voyage. Le monarque fut touché en apprenant le sort des malheureux abandonnés dans l’île de Sable. Suivant son désir le parlement de Rouen, ordonna au capitaine Thomas Chefdhoste, le pilote qui les avait conduits, de les rapatrier (1603). Celui-ci n’en trouva plus que onze. Aussitôt livrés à eux-mêmes, ces hommes n’avaient plus voulu accepter de maître. Ils s’étaient armés les uns contre les autres et plusieurs étaient morts dans ces combats. Leur triste situation empirait chaque jour. À la longue cependant, ils avaient fini par prendre des habitudes plus paisibles. Ils s’étaient construit des huttes avec les débris d’un vaisseau échoué sur les rochers de la plage. Au reste, comme nourriture ils avaient eu la chair du bétail que le baron de Léry, avait transporté quatre-vingts ans auparavant et qui s’étaient propagés dans l’île. Cette ressource s’étant épuisée, ils se contentèrent de la pêche pour leur subsistance. Et lorsque leurs vêtements furent usés, ils s’en firent de nouveaux avec des peaux de loups-marins. Dès leur retour en France, Henri IV voulut les voir dans l’accoutrement qu’ils portaient au moment où on les avait retrouvés. Leur barbe et leur chevelure pendaient en désordre sur leur poitrine et sur leurs épaules. Leur visage offrait déjà un aspect farouche qui les faisait ressembler plutôt à des sauvages qu’à des hommes civilisés. Le roi leur fit distribuer à chacun cinquante écus, et leur permit de retourner dans leurs familles, sans être inquiétés pour leurs anciens crimes. [Il leur accorda même le droit de trafiquer dans le Saint-Laurent].

Le marquis de La Roche avait consacré toute sa fortune à cette entreprise ; il la perdit par suite des malheurs qui ne cessèrent de l’accabler. Ruiné et sans espoir de réaliser le projet qu’il avait le plus à cœur, [il mourut en 1606. Au dire de Champlain, La Roche songeait à entreprendre une nouvelle expédition au Canada, mais il en fut empêché par l’opposition des huguenots].

Les désordres qu’on aperçoit à cette époque dans les tentatives de colonisation étaient en bonne partie le résultat des agitations sociales qui troublaient l’Europe depuis près d’un siècle. Le choix d’hommes de guerre pour fonder des établissements n’était pas pour diminuer le mal. Au surplus, le défaut de suite et d’ensemble le disputait à l’insouciance des gouvernements, comme l’imprévoyance au peu de moyens des individus.



Au vrai, ce mal n’était pas particulier à la France. L’histoire des États-Unis atteste que l’Angleterre devait s’y prendre à plusieurs fois avant de pouvoir se fixer sur le continent américain d’une manière permanente. Déjà en 1578 elle y envoyait sir Humphrey Gilbert pour commencer une colonie ; mais les Espagnols, maîtres de la mer l’avaient attaqué et forcé à rebrousser chemin. Cinq ans plus tard, Gilbert tentait une seconde entreprise à Saint-Jean de Terre-Neuve, où l’indiscipline des colons amena une fin désastreuse. [Gilbert lui-même périt durant une tempête. C’est à peu près au même temps que se poursuivaient les courses et les pirateries des fameux corsaires, John Hawkins et Francis Drake, ces premiers artisans de la puissance coloniale britannique. Ce dernier traversa le détroit de Magellan, remonta vers le nord jusqu’à la baie actuelle de San-Francisco, en vue de découvrir un passage à l’Atlantique ; puis il effectua son retour par le cap de Bonne-Espérance (1577-1580).] Au reste, le célèbre Walter Raleigh, ayant repris le projet de Gilbert, son frère utérin, n’eut guère plus de succès à l’île de Roanoke, dans la Caroline du Nord, nommée alors Virginie (1584) ; un an après, Drake ramenait les colons dans leur pays. Un sort plus cruel attendait une nouvelle expédition des Anglais, en 1587, au même endroit, car tous moururent de misère ou furent massacrés par les indigènes. [Les efforts de l’Angleterre en Amérique, de 1602 à 1605, aboutirent également à des échecs. Le fils de sir Humphrey Gilbert, Bartholomew, étant parvenu à la Virginie avec deux navires, tomba aux mains des sauvages qui le tuèrent]. Enfin, il en fut ainsi des tentatives qui suivirent, dont quelques-unes, d’ailleurs, furent plutôt des expéditions de commerce que de véritables entreprises coloniales. De tous ces échecs dus à des causes diverses, on se tromperait fort en tirant la conclusion que le temps n’était pas arrivé de coloniser l’Amérique. Les guerres politiques et religieuses [et de même des raisons économiques] étaient des motifs d’émigration presque aussi puissants que le sont de nos jours la misère et la surpopulation des villes. Les partis vaincus et opprimés avaient besoin d’un lieu de refuge. L’Amérique s’offrit à eux comme un bienfait de la Providence. Ils y coururent et jetèrent sur ses rives, dans les larmes de l’exil, les fondements de plusieurs États aujourd’hui en plein essor.

Bibliographie


Ouvrages à consulter : J. Saintoyant, La colonisation française sous l’ancien régime, tome I, Paris, 1929. – P. Gaffarel, Histoire du Brésil français au XVIe siècle, Paris, 1878 ; du même, Histoire de la Floride française, Paris, 1875. C. de La Roncière, Histoire de la marine française, tome IV, Paris, 1910. – A. Heulhard, Villegagnon, roi d’Amérique, Paris, 1897. J. A. Williamson, The age of Drake, Londres, 1938. – Cardinal Baudrillart, L’Église catholique, la renaissance et le protestantisme, Paris, 1905. – G. Fagniez, L’économie sociale de la France sous Henri IV, Paris, 2ième édit. 1905. – W. Lowery, Spanish Settlements within the Present Limits of the United States, vol. II, New-York, 1905 : du même « Jean Ribaut and Queen Elizabeth », American Historical Review, New-York, avril 1904. – C. Samaran, « Dominique de Gourges », Revue historique, Paris, nov.-déc. 1911. – J. H. Mariéjol, Catherine de Médicis, Paris, 1920.

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