Histoire du Canada (1944) 1



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Chapitre III



La Nouvelle-France jusqu’à la paix de Saint-Germain-en-Laye

1627 – 1632


Si l’on ne réussit pas, dit Lescarbot en parlant de colonisation, « il en faut attribuer le défaut partie à nous-mêmes, qui sommes en trop bonne terre pour nous en éloigner, et nous donner la peine pour les commoditez de la vie ». On a reproché au Français de ne pas émigrer, de se laisser trop dominer par les charmes de la société et de la famille, de refuser, enfin, d’améliorer sa condition parce que l’abandon de la patrie lui cause trop de regret. Mais ce sentiment est commun à tous les peuples, même à ceux qui sont à demi nomades. « Dirons-nous », répondait le chef d’une peuplade américaine dont on voulait avoir le pays, « dirons-nous aux ossements de nos pères : levez-vous et marchez ? » La pensée de quitter pour jamais la patrie est douloureuse. Il n’y a que les motifs les plus impérieux qui fassent prendre une telle résolution. Aussi, quand on examine attentivement l’histoire des migrations qui ont signalé chaque siècle sur un point ou sur un autre du globe, on trouve toujours qu’elles ont eu pour cause une nécessité absolue, comme la faim, la guerre, l’oppression, la conquête.

Déjà les Irlandais et les Écossais émigraient en grand nombre. Dès 1620, les derniers, pour se soustraire à leurs vainqueurs, allaient s’établir en Pologne, en Suède, en Russie. Leurs conquérants eux-mêmes, qui ont subi la domination normande jusqu’au milieu du XIVe siècle, et qui se sont ensuite précipités dans les orages des révolutions, n’échappaient pas à cette influence, lorsqu’ils voyaient encore les sommités sociales de leur pays occupées par la race d’hommes sous laquelle leurs pères avaient souffert tant de maux. Les Anglais, poursuivis par cette pensée, quittèrent à leur tour leur pays pour venir fonder dans le Massachusetts, le Maryland, la Virginie et les Carolines, des colonies qui forment maintenant la république des États-Unis.

Nous avons dit quels motifs avaient fait créer la Compagnie de la Nouvelle-France ou des Cent Associés. (Le nombre au vrai, en était de cent six). En recevant le Canada, l’Acadie et la Floride, elle obtint le droit de fortifier et de régir ces pays à son gré ; d’y faire la guerre et la paix, d’y commercer seule par terre et par mer, pendant quinze années ; d’y ériger des seigneuries, sauf la confirmation royale. La traite des pelleteries lui fut accordée à perpétuité ; il n’y eut d’exception à son monopole que pour la pêche de la morue et de la baleine. [La grande pêche occupait alors huit cents bâtiments et rapportait un profit égal à 30 p. 100 des capitaux engagés].

Le roi lui fit don de deux navires armés, et accorda à douze de ses principaux membres des lettres de noblesse. Il pressa les gentilshommes et le clergé d’y entrer. La Compagnie pouvait envoyer et recevoir toutes sortes de marchandises, sans être assujettie à aucun droit. Une dernière faveur fut l’entrée libre en France des produits qui seraient manufacturés en Canada. Cette prérogative singulière donnait un avantage à l’artisan de la colonie sur celui de la métropole, astreint aux péages, aux maîtrises, aux marques, à toutes les entraves enfin que le régime économique du temps y avait multipliées à l’infini.

Pour répondre à tant de faveurs, la Compagnie s’était engagée à transporter en Amérique, dès la première année de son privilège (1628), deux ou trois cents hommes de tous métiers [outre trois missionnaires], et dans l’espace des quinze ans, au moins quatre mille colons des deux sexes. Elle devait les loger, les nourrir, les entretenir du nécessaire trois années durant, et leur distribuer ensuite des terres défrichées, avec le blé pour les ensemencer une première fois. Les colons seraient exclusivement français et catholiques. [Richelieu interdisait donc la Nouvelle-France aux huguenots « afin d’essayer, avec l’assistance divine, d’amener les peuples qui y habitent à la connoissance du vrai Dieu, les faire policer et instruire à la foi et religion catholique, apostolique et romaine, ayant jugé que le seul moyen de disposer ces peuples à la connaissance du vrai Dieu, était de peupler le dit pays de naturels français catholiques ». N’était-ce pas au temps même où le duc Henri de Rohan et son frère Soubise, osant rêver la création d’un État dans l’État avaient levé les armes pour établir une république protestante française placée plus ou moins sous la protection du roi d’Angleterre. Ce qui faisait dire en 1625 au cardinal : « Tant que les Huguenots auront le pied en France, le roy ne sera jamais le maistre au dedans ny ne pourra entreprendre aucune action glorieuse au dehors »].

La Compagnie de la Nouvelle-France comptait parmi ses membres les plus en vue Richelieu, le maréchal d’Effiat, [Martin de Mauroy, intendant de la marine, l’amiral Claude de Roquemont], le chevalier Isaac de Razilly, le capitaine Charles Daniel et Champlain. Elle se composait en outre de nobles, de négociants, de bourgeois [de fonctionnaires surtout], des principales villes telles que Paris, Rouen, Dieppe, Bordeaux, [Calais, Lyon, Bayonne et le Havre].

Une association revêtue d’aussi grands pouvoirs et formée de personnes puissantes et riches, avec pour chef le premier ministre de l’État, réveilla toutes les espérances ; le succès ne parut plus douteux. On prit les mesures nécessaires pour secourir Québec, menacé de la famine. Quatre navires furent mis sous les ordres de l’amiral Roquemont ; nombre de familles et d’ouvriers, [quatre cents personnes environ], s’embarquèrent à Dieppe avec des provisions de toute espèce (28 avril 1628). Le convoi ne devait pas parvenir à sa destination.

Après la destruction de Port-Royal par Argall, les Anglais avaient abandonné l’Acadie. En 1621 (10 septembre), sir William Alexander obtint cette contrée en concession de Jacques 1er, pour y établir des Écossais. La concession embrassait, outre l’Acadie et les îles voisines, tout le pays situé à l’est d’une ligne tirée vers le Nord, depuis l’entrée de la rivière Sainte-Croix jusqu’au fleuve Saint-Laurent : elle reçut le nom de Nouvelle-Écosse. C’est ainsi que commença la confusion qui causa par la suite tant de difficultés entre la France et l’Angleterre, l’une prétendant que Nouvelle-Écosse et Acadie étaient deux noms qui désignaient une seule et même province ; l’autre que ces noms désignaient deux pays distincts puisque les limites n’étaient pas les mêmes. L’année suivante, Alexander fit partir pour cette contrée quelques émigrants ; s’étant embarqués trop tard, ils furent obligés de passer l’hiver à Terre-Neuve. Au printemps de 1623, ils se remirent en route, touchèrent au Cap-Breton, côtoyèrent l’Acadie et atteignirent enfin, après avoir visité deux ou trois ports, le cap de Sable. Ils y trouvèrent les Français qui n’avaient pas cessé d’occuper le pays depuis l’invasion d’Argall, et plusieurs aventuriers qui s’étaient joints à eux. Ils n’osèrent pas débarquer ; ils retournèrent en Angleterre et y firent une peinture exagérée de la beauté et de la fertilité du pays. Jacques Ier étant mort (1625), Alexander s’empressa de faire confirmer sa concession par Charles Ier (12 juillet 1625). Le roi, pour surpasser la France, institua l’ordre des baronnets de la Nouvelle-Écosse. Il en limita le nombre à cent cinquante et leurs lettres patentes, accompagnées d’une concession de terre en fief ou seigneurie, sous la condition d’y établir des colons, devaient être ratifiées par le Parlement. Tout annonçait un grand mouvement de colonisation vers l’entrée du golfe Saint-Laurent.

Tandis que sir William Alexander obtenait ainsi l’Acadie, la guerre entre les catholiques et les huguenots se ralluma en France. Georges Villiers, duc de Buckingham, placé à la tête du cabinet de Londres, était rempli de présomption et d’autant plus jaloux de Richelieu qu’il lui était inférieur en génie. Il ne manqua pas l’occasion de secourir les huguenots acculés dans La Rochelle, et de montrer par là sa haine contre le cardinal. [Il mit en mer une escadre redoutable : cent bâtiments et treize mille deux cent quatre-vingt-deux hommes, et parut devant l’île de Ré, le 20 juillet 1627.] Son dessein était de faire lever le siège de La Rochelle et d’envahir ensuite la France. Il se vantait qu’il irait dicter la paix dans Paris. Mais, son armée ayant été battue dans l’île de Ré, il eut la mortification de voir triompher son rival. La guerre, ainsi commencée entre les deux Couronnes, plutôt par vengeance personnelle que par intérêt d’État, fut portée en Amérique.

[Un marchand anglais, Gervase Kirke, fixé à Dieppe depuis quarante ans et récemment passé à Londres] saisit ce moment, avec l’aide d’autres négociants, pour chasser les Français du Canada et de l’Acadie. Dix-huit vaisseaux sortirent des ports d’Angleterre pour fondre à la fois sur tous les établissements de la Nouvelle-France. L’amiral David Kirke, fils aîné de Gervase Kirke, fut chargé de prendre Québec. [Ayant armé trois navires montés par deux cents hommes, il cingla, en mars 1628, vers le golfe Saint-Laurent. Il était secondé par ses quatre frères, Louis, Thomas, Jean et Jacques.]

De nombreux réfugiés français se trouvaient à bord, parmi lesquels un autre renégat, le capitaine Jacques Michel, de Dieppe, qui commandait en second sous l’amiral. David Kirke [s’empara de l’établissement de Miscou ; il captura un navire appartenant à la nouvelle Compagnie qui conduisait Claude de La Tour et un Jésuite, le P. Noyrot, en Acadie ainsi que] plusieurs bâtiments occupés à la traite et à la pêche. [Pendant ce temps ses frères se rendaient maîtres de Port-Royal et du fort que La Tour avait construit à l’entrée de la rivière Penobscot (1614)]. David Kirke vint jusqu’à Tadoussac d’où il écrivit (8 juillet 1628) une lettre très polie à Champlain. Il lui disait être informé de la disette qui régnait à Québec ; qu’il gardait le fleuve avec ses vaisseaux et que l’habitation ne devait plus attendre de secours ; que s’il voulait la rendre sans coup férir, il lui accorderait les conditions les plus favorables. Kirke fit porter cette lettre par des Basques enlevés dans le golfe, qui étaient aussi chargés de remettre à Champlain les prisonniers qu’avait faits un détachement envoyé pour dévaster la côte et incendier la ferme du cap Tourmente.

Champlain jugea qu’il menaçait de trop loin pour être à craindre. Il lui transmit cette fière réponse : [« Sçachant très bien que rendre un fort et habitation en l’estat que nous sommes maintenant, nous ne serions pas dignes de paroistre hommes devant notre Roy, que nous ne fussions répréhensibles, et mériter un chastiment rigoureux devant Dieu et les hommes, la mort en combattant nous sera honorable... »] Sur quoi l’amiral abandonna le dessein d’aller l’attaquer. Champlain avait fait faire bonne chère aux délégués qu’il garda jusqu’au lendemain ; tandis que les habitants, [à peu près une centaine], étaient déjà réduits chacun à sept onces de pois par jour. Il n’y avait pas cinquante livres de poudre dans le magasin. Kirke n’aurait eu qu’à se présenter pour voir les portes du fort s’ouvrir devant lui. Mais, trompé par la ferme attitude du commandant français, il brûla toutes les barques qu’il y avait à Tadoussac, et regagna le bas du fleuve.

Dans le même temps, l’amiral de Roquemont, [qui avait relâché à Gaspé et] ne s’attendait point à rencontrer des ennemis sur son chemin, car la paix était faite, apprenait, avec surprise, par des sauvages, que Québec était tombé aux mains des Anglais. À cette nouvelle, il dépêcha onze hommes dans une embarcation légère, avec ordre de remonter jusqu’à cette place pour s’assurer de la vérité de ce rapport. La barque était à peine éloignée qu’elle aperçut six vaisseaux sous pavillon anglais ; et, le lendemain (18 juillet 1628), elle entendit une vive canonnade. C’était David Kirke qui attaquait Roquemont, dont les bâtiments plus petits, pesamment chargés et manœuvrant avec difficulté, furent pris avec les colons qu’ils portaient. Roquemont, oubliant que ses navires renfermaient toute la ressource d’une colonie près de succomber, loin d’éviter le combat, avait paru le rechercher. Son imprudente ardeur laissa Québec en proie à une famine toujours croissante, qui fut la cause de sa reddition, l’été suivant.

[Dès que sir William Alexander eut vent des prises de Kirke, il s’empressa de réclamer. C’était là, prétendait-il, sans raison d’ailleurs, un empiètement sur ses droits. Après bien des négociations, il consentit à former une compagnie avec Gervase Kirke et ses associés pour commercer au Canada. Par lettres royales du 4 février 1629, ils se firent accorder le monopole de la traite dans le golfe et le fleuve Saint-Laurent ; ils furent autorisés, en outre, à détruire les établissements des Français et à s’emparer de leurs navires.]

[À ce moment, la situation à Québec était de plus en plus critique.] Champlain, sur le rapport de la barque de Roquemont, avait pressenti la perte des secours qu’on lui envoyait. Il ne fut point découragé par ce malheur, aggravé encore par le manque de récoltes. Il prit toutes les précautions pour faire durer le plus longtemps possible ce qui lui restait de vivres ; il acheta du poisson aux sauvages, chez lesquels d’ailleurs il envoya une partie de ses gens, afin de diminuer les nombre des bouches à nourrir pendant l’hiver. Grâce à ces mesures et à force de privations, on put atteindre le printemps.

Dès que la neige eut disparu, ceux qui étaient encore en état de marcher se mirent à parcourir les bois pour ramasser des racines. Beaucoup de personnes cependant ne pouvaient satisfaire aux demandes de leurs familles épuisées par la faim. Champlain les encourageait, donnait l’exemple de la patience, exhortait tout le monde à supporter avec courage des souffrances qui allaient sans doute bientôt finir, car les secours attendus d’Europe devaient arriver d’un moment à l’autre. Des jours, des semaines, des mois entiers passèrent ainsi, sans qu’il parût aucun navire. On était rendu au mois de juillet, en proie à une famine extrême ; les racines qu’on allait chercher [jusqu’à six ou sept lieues] de distance devenaient de plus en plus rares. Enfin, trois navires sont signalés derrière la Pointe-Lévis ; [ils portaient cent cinquante hommes.] La nouvelle s’en répand aussitôt avec rapidité ; on accourt sur le port. Mais la joie ne dure qu’un instant. On a reconnu avec douleur un pavillon ennemi, au bout des mâts. C’étaient Louis et Thomas Kirke, qu’envoyait leur frère l’amiral, revenu lui-même au Canada et resté à Tadoussac avec le gros de la flotte [comprenant cinq vaisseaux.] Dans l’état où l’on se trouvait, [Champlain n’avait avec lui que seize hommes au fort et dans l’habitation], personne ne pouvait songer à se défendre ; on se rendit le 20 juillet (1629). Les conditions accordées par les Kirke et les bons traitements faits aux habitants, engagèrent [cinq familles, formant en tout une trentaine de personnes, ce qui était environ le tiers de la population], à rester et à prendre racine dans le pays.

Louis Kirke fut chargé du commandement de l’habitation. Thomas descendit (26 juillet) avec Champlain à Tadoussac pour retourner en Europe. [En vue de la Malbaie,] il rencontra Emery De Caen qui rapportait des vivres de France, et il l’enleva après un combat opiniâtre. L’amiral Kirke fit voile ensuite vers l’Angleterre. Champlain alla à Londres rendre compte à l’ambassadeur de France, [M. de Châteauneuf,] de ce qui s’était passé, et le presser de réclamer Québec, enlevé trois mois après la conclusion de la paix entre la France et l’Angleterre (traité de Suze, 24 avril 1629). Sans cette paix, la colonie eût été renforcée avant l’arrivée des Kirke. [En effet, dès le 18 février 1629, le cardinal de Richelieu donnait ordre au chevalier Isaac de Razilly de prendre le commandement de six vaisseaux et d’escorter le convoi de secours à destination du Canada.] Mais la guerre ayant cessé, l’escadre du chevalier fut envoyée contre le Maroc, dont le chérif mécontentait la France. [Deux bâtiments de la Compagnie, le Grand-Saint-André et la Marguerite, avec deux autres navires et une barque,] après avoir attendu quarante jours Razilly, étaient partis sous la conduite du capitaine Charles Daniel [de Dieppe (26 juin)]. Au reste, la prise de Québec n’avait pas entraîné la perte de toute la Nouvelle-France. Les Français occupaient encore plusieurs points en Acadie, et l’île du Cap-Breton avait été reconquise aussitôt que perdue, comme on va le voir.

Le capitaine Daniel, ayant été séparé des autres navires par la brume, sur les bancs de Terre-Neuve, fut rencontré par un vaisseau anglais, qui vint se mettre le long de lui à portée de pistolet avec l’intention de l’attaquer. Mais, à la vue de seize pièces de canon en batterie sur son pont, l’Anglais voulut s’enfuir ; Daniel l’accrocha et le prit à l’abordage. Après cette capture, au lieu de chercher à rallier la flotte qu’il convoyait, Daniel la crut en sûreté, et ne s’occupa plus d’elle. Il cingla vers le Grand-Cibou, sur la côte orientale du Cap-Breton, pour avoir des nouvelles de Québec. Il apprit là, d’un capitaine de Bordeaux, qu’un gentilhomme écossais, [James Stewart, lord Ochiltrie,] ayant trois vaisseaux sous ses ordres, s’était emparé, deux mois auparavant, d’un bateau de pêche de Saint-Jean-de-Luz ; qu’il avait envoyé ce bateau avec deux des siens, à Port-Royal et que lui-même, resté en arrière avec son troisième navire, avait construit un fort au Port-des-Baleines, prétendant que l’île du Cap-Breton appartenait à l’Angleterre. À cette nouvelle, Daniel résolut de prendre possession du fort de Stewart, et de remettre toute l’île sous la domination française. Il arriva devant la place le 18 septembre (1629), débarqua aussitôt à la tête de cinquante-trois hommes, armés jusqu’aux dents et munis d’échelles, et marcha à l’escalade. L’attaque fut très vive ; la garnison, [qui était de quinze hommes], se défendit longtemps avec courage. Mais les portes ayant été enfoncées à coups de hache, Daniel pénétra l’un des premiers dans le fort et fit le capitaine Stewart et ses gens prisonniers.

Il rasa le fort et en bâtit un autre en amont, [le fort Sainte-Anne,] à l’entrée de la rivière du Grand-Cibou. L’ayant armé de huit canons, il y laissa trente-huit hommes avec les Pères jésuites Vimont et Vieuxpont, et fit route pour la France (5 novembre). En passant, il mit à terre quarante-deux de ses prisonniers à Falmouth, en Angleterre, et emmena le reste, une vingtaine y compris leur chef, à Dieppe.

Le capitaine Stewart faisait partie de la [flottille commandée par le fils d’Alexander, qui venait ravitailler les colons débarqués à Port-Royal, en 1626].

Tandis que les Kirke s’emparaient de Québec et que Stewart perdait le Cap-Breton, l’extrémité méridionale de l’Acadie repoussait les attaques de deux bâtiments de guerre, conduits par Claude [Turgis de Saint-Étienne, seigneur] de La Tour, protestant français qui était passé récemment au service de l’Angleterre. [Du reste informée par le capitaine Daniel de la situation en Acadie, la Compagnie de la Nouvelle-France avait équipé quatre vaisseaux. Deux des navires, avec trois Récollets, des artisans et des vivres conduits par le capitaine Marot de Saint-Jean-de-Luz, vinrent secourir Charles de La Tour, commandant du fort Saint-Louis, au cap de Sable les deux autres se dirigèrent vers le fort Sainte-Anne, dans l’île du Cap-Breton].

Claude de La Tour, possesseur d’une certaine fortune, avait été fait prisonnier sur un des navires de Roquemont, et transporté à Londres où la Cour l’avait fort bien accueilli. Pendant qu’il était en Angleterre, il épousa en secondes noces une dame d’honneur de la reine Henriette de France, et fut nommé baronnet de la Nouvelle-Écosse. Ces marques de bienveillance achevèrent d’éteindre en lui tout le reste d’attachement qu’il conservait encore pour sa patrie. Il obtint [pour lui et pour Charles de La Tour, son fils,] une vaste concession de terre [sur la côte méridionale de l’Acadie (30 avril 1630) ; il fit des arrangements avec sir William Alexander pour y établir des colons écossais. Avant tout, il devait travailler à la soumission de son fils qui commandait le fort français dans le Port La Tour actuel, au sud-ouest de l’Acadie].

Dans ce but, on mit sous les ordres de Claude de La Tour deux vaisseaux de guerre [chargés de colons écossais à destination de Port-Royal]. Il s’embarqua avec sa jeune femme (1630). Rendu au [fort Saint-Louis], il eut avec son fils une entrevue. Il lui peignit sa flatteuse réception en Angleterre, les honneurs dont on l’avait comblé et tous les avantages qui l’attendaient lui-même s’il voulait se mettre, avec la place, sous le drapeau de cette puissance. « Dans ce cas, dit Claude de La Tour, je suis autorisé à vous en laisser le commandement et à vous remettre, en outre, l’ordre de baronnet de la Nouvelle-Écosse ». À cette proposition inattendue, le jeune La Tour fit une réponse pleine de noblesse : « Si l’on m’a cru, dit-il, capable de trahir mon pays à la sollicitation de mon père, on s’est grandement trompé. Je n’achèterai pas les honneurs qu’on m’offre au prix d’un crime. Je sais apprécier l’honneur que veut me faire le roi d’Angleterre ; mais le prince que je sers est assez puissant pour payer mes services, et dans tous les cas ma fidélité me tiendra lieu de récompense. Le roi, mon maître, m’a confié cette place, je la défendrai jusqu’à mon dernier soupir ». Le jeune La Tour, dans un placet présenté au roi de France, [trois ans auparavant (25 juillet 1627)], avait demandé le commandement du pays. On voit avec quelle fermeté il la défendait. Le père, désappointé par cette réponse, retourna sur son vaisseau, d’où il adressa à son fils une lettre écrite dans les termes les plus pressants et les plus tendres, sans plus de succès ; il employa la menace, qui fut aussi inutile. Il fit alors débarquer ses soldats avec un corps de matelots, et attaqua le fort. Repoussé une première fois, il renouvela ses efforts pendant deux jours avec acharnement ; enfin, ses troupes, complètement rebutées, refusèrent de s’exposer davantage. Il les fit rembarquer et s’éloigna, confus d’avoir subi une défaite en combattant contre son propre sang et contre sa patrie.

Claude de La Tour n’osa reparaître ni en Angleterre, ni en France, où sa conduite coupable ne pouvait être jugée que comme elle le méritait. Il resta en Acadie avec sa femme, qui ne voulut pas l’abandonner dans ses malheurs. Son fils eut pitié de lui. Il lui fit bâtir, dans le voisinage du fort, sur le bord de la mer, une maison où il passa quelques années. C’est là que l’auteur de la « Description des Costes de l’Amérique septentrionale », Nicolas Denys, le visita en 1635.

L’invasion du Canada en pleine paix avait fait jeter d’abord les hauts cris dans Paris, parce qu’on avait cru l’honneur du royaume engagé. [La population indignée pendit en effigie David, Louis et Thomas Kirke en place de Grève]. Mais, après réflexion, une partie du Conseil opina à ne pas demander la restitution de Québec. À son avis, on avait perdu peu de choses en perdant ce rocher ; le climat du Canada était trop rigoureux ; en outre, on ne pourrait pas peupler un royaume aussi vaste sans affaiblir le royaume. Et de quelle utilité serait-il si on ne le peuplait point. L’Asie et le Brésil avaient dépeuplé le Portugal ; l’Espagne voyait plusieurs de ses provinces presque désertes depuis la conquête de l’Amérique. Charles-Quint, avec tout l’or du Mexique et du Pérou, n’avait pu entamer la France, tandis que François Ier, son rival, avait trouvé dans son trésor de quoi tenir tête à un prince dont l’empire était plus vaste que celui des premiers Césars. Cherchons donc plutôt à améliorer la France, disait le parti de l’abandon.

On répondait à ce parti que l’air était très sain dans le Canada et le sol très fertile, que le pays était capable de fournir toutes les commodités de la vie ; que c’était surtout l’expulsion des Morisques (1610) qui avait épuisé d’hommes la péninsule espagnole ; qu’il suffisait de faire passer un petit nombre de soldats licenciés et de familles tous les ans, en Amérique ; que la pêche de la morue pouvait, à elle seule, enrichir le royaume, et que c’était une excellente école pour former les matelots ; que les forêts canadiennes, les plus belles du monde, pourraient fournir à jamais les bois nécessaires à la construction des vaisseaux ; et d’ailleurs, que le seul motif d’empêcher les Anglais de se rendre trop puissants en Amérique, en ajoutant le Canada à tant d’autres provinces où ils avaient déjà de bons établissements, était plus que suffisant pour engager le roi à recouvrer Québec, à quelque prix que ce fût.

Ces raisons, dont plusieurs avaient été exposées du temps de Jacques Cartier, ne persuadèrent pas tout le Conseil. Il n’y eut que des motifs d’honneur et de religion qui purent déterminer Louis XIII à ne point abandonner le Canada. Peut-être aussi, comme certains l’affirment, l’orgueil du ministre qui gouvernait alors la France, et qui regardait l’acte des Anglais comme une injure personnelle, puisqu’il était lui-même à la tête de la Compagnie de la Nouvelle-France, fit-il changer d’avis. Quoi qu’il en soit, le roi d’Angleterre promit la restitution de la Nouvelle-France. Mais Richelieu, voyant l’affaire traîner en longueur, et pour hâter les négociations fit préparer un nouvel armement. [Trois vaisseaux furent mis aux ordres du commandeur Isaac de Razilly, et devaient se rendre à Port-Royal ; trois autres sous le commandement du vice-amiral Raymond de La Ralde conduiraient, à Québec une garnison de quarante hommes avec trois Capucins]. Cette démonstration eut l’effet désiré. Par le traité de Saint-Germain-en-Laye, signé le 29 mars 1632, l’Angleterre renonça à tous ses droits sur les provinces qui composaient la Nouvelle-France : l’Acadie et le Canada. « On peut dater de ce traité, dit Chalmers, une longue suite de calamités pour la Grande-Bretagne et pour ses colonies, les difficultés provinciales qui s’élevèrent ensuite, et en quelque sorte le succès de la révolution américaine ». (Continuation of Political Annals, réimpression de 1868, New-York).

Le récit de cette guerre nous montre des Français armés les uns contre les autres et dépouillant la France au profit de ses ennemis. Aussi bien la conduite des huguenots [qui avait déterminé le cardinal de Richelieu à les exclure de la Nouvelle-France] donnait pleinement raison aux catholiques qui ne cessaient de dire qu’il n’y avait pas de sûreté à les laisser s’établir dans le voisinage des colonies anglaises, peuplées de protestants, parce qu’à la moindre difficulté avec le gouvernement, ils se joindraient à elles, comme Claude de La Tour venait d’en donner l’exemple, et feraient perdre tout ce que la France possédait en Amérique. [Au surplus, en adoptant pour la Nouvelle-France cette politique novatrice et hardie d’exclusion à l’égard des huguenots, et peut-être même par une sorte d’intuition géniale qui plongeait loin dans l’avenir, le cardinal de Richelieu, il apparaît bien maintenant, apportait à notre race au Nouveau Monde le secret de vaincre, de grandir et de durer].

La Nouvelle-France fut rendue, comme on l’a dit, à son ancienne mère-patrie par le traité de Saint-Germain-en-Laye. Peu de temps après, le 13 novembre 1632, le roi en conseil condamnait la Compagnie de la Nouvelle-France à payer la somme de 40 000 livres à Marie et Salomon Langlois, au capitaine Raymond de la Ralde, Nicolas Canu, David Michel, Paul Languillez et autres, pour avoir saisi trois navires envoyés par Guillaume de Caën à la pêche sur les côtes du Canada.

François-Auguste de Thou, l’ami de Cinq-Mars, pour lequel il donna sa vie sur l’échafaud, fut le rapporteur de cet arrêt, qui contient le nom de Cabot, bourgeois de Dieppe, et celui de Duquesne, capitaine de marine et père du grand Duquesne.


Bibliographie


Sources et ouvrages. Oeuvres de Champlain. – Nicolas Denys, Description géographique et historique des Costes de l’Amérique septentrionale, Paris, 1672, édition et traduction anglaise, publiée par W. F. Ganong, publication of the Champlain Society, Toronto, 1908, à joindre aux deux bibliographies précédentes.

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