Histoire du Canada (1944) 1


Livre deuxième Description du Canada



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Livre deuxième



Description du Canada



Chapitre premier



Nations indigènes


Quand les Européens commencèrent à venir en Amérique, ils donnèrent aux contrées où ils abordèrent la dénomination générale de « terres neufves ». Du temps de François 1er, ce nom s’appliquait aussi bien à la Floride, au Canada, au Labrador, qu’à l’île elle-même qui l’a conservé en propre. Lorsque ces pays furent mieux connus et qu’ils furent visités plus fréquemment, ils reçurent des appellations particulières, qui servirent à les distinguer les uns des autres, mais qui furent souvent changées, comme les limites nécessairement incertaines des territoires qu’elles désignaient. Ce sont ces changements qui, dans la suite, causèrent tant de difficultés entre la France, l’Angleterre et l’Espagne, au sujet des frontières de leurs colonies.

Au début du XVIIe siècle, le nom de Nouvelle-France fut attaché à l’immense espace comprenant aujourd’hui la baie d’Hudson, le Labrador, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Canada actuel et une partie des États-Unis. À cette époque, la péninsule de la Nouvelle-Écosse commençait à être appelée Acadie et le nom de Canada désignait le pays que nous habitons, mais avec des bornes beaucoup plus étendues dans tous les sens.

La Nouvelle-France, avant la découverte du Mississipi, à la vallée duquel ce nom s’étendit ensuite, embrassait donc tout le bassin du Saint-Laurent et tout le bassin de la baie d’Hudson. Le fleuve Saint-Laurent a plus de 700 lieues de cours. Il prend sa source sous le nom de rivière Saint-Louis, au-dessus du lac Supérieur, par 47° 45e de latitude nord et 92° de longitude ouest de Greenwich, sur le grand plateau central, où naissent le Mississipi, qui coule vers le Sud et va se jeter dans le golfe du Mexique, et les rivières qui versent leurs eaux au Nord dans la baie d’Hudson. La vallée du Saint-Laurent fait un coude au Sud pour embrasser le lac Érié, et s’abaisse par degrés jusqu’à la mer, à partir du plateau dont nous venons de parler et qui a, comme le reste des régions septentrionales de ce continent, peu d’élévation. En trois endroits seulement, le fleuve perd sa pente uniforme et douce : [au sault Sainte-Marie, à mi-chemin entre le lac Supérieur et le lac Huron, il a une impétuosité et des agitations terribles] ; à Niagara où sa largeur est d’un mille, il fait une chute de 160 pieds ; et au-dessus du lac Ontario, ses vagues rapides et bruyantes roulent, blanches d’écume, sur un lit de rochers, qui embarrassent la navigation entre Prescott et Montréal, séparé par environ quarante lieues.

La vallée du Saint-Laurent est bornée au Nord par la chaîne des Laurentides, qui sort du Labrador et se prolonge jusqu’au-dessus du lac Supérieur1. Ces montagnes baignent leur pied dans les eaux du fleuve jusqu’au cap Tourmente, où elles ont près de 2000 pieds d’altitude ; elles croisent la rivière Ottawa au-dessus du lac des Chats et forment le rivage septentrional du lac Huron. Les Alléghanys, dont on aperçoit, du promontoire de Québec, quelques sommets, ferment le bassin au Sud, jusqu’au lac Champlain. Cette seconde chaîne de montagnes part du golfe Saint-Laurent et suit le fleuve. Elle en est à 6 ou 8 lieues dans le comté de Rimouski, où ses cimes les plus élevées atteignent une hauteur d’environ 4000 pieds ; après avoir passé au sud du lac Champlain, elle traverse la rivière Hudson et se prolonge vers la Virginie.

Voici, à peu près, les dimensions des cinq principaux lacs du Canada et de l’Amérique du Nord. Le lac Supérieur, le plus occidental des cinq et le plus vaste amas d’eau douce qu’il y ait sur le globe, a 420 milles de longueur, 160 milles de largeur (les dimensions de la longueur et la largeur sont mesurées entre les points extrêmes), et une profondeur moyenne de 900 pieds ; il est élevé de 630 pieds au-dessus du niveau de la mer ; le lac Michigan est long de 350 milles, large de 200 milles, profond de 690 pieds, son altitude est de 580 pieds ou environ ; le lac Huron, dont l’altitude est de 580 pieds, a 280 milles de longueur et avec la baie Georgienne 190 milles de largeur ; sa profondeur moyenne est de 900 pieds. Plus nous approchons de la mer, moins les lacs ont d’étendue. Ainsi le lac Érié n’a que 20 milles de longueur et 38 milles de largeur ; ce lac a une profondeur moyenne de 84 pieds et son élévation au-dessus du niveau de la mer est de 220 pieds ; le lac Ontario, situé à 232 pieds au-dessus de la mer, est long de 180 milles et large de 40 ; sa profondeur moyenne va à 500 pieds. Les cinq lacs ensemble forment une longueur de 1470 milles et une superficie de 9710 milles carrés.

Ces lacs, la cataracte du Niagara, le fleuve, le golfe Saint-Laurent sont taillés sur le gigantesque, et conviennent parfaitement à la bordure colossale qui les environne. En effet, vers le nord, ce sont des forêts mystérieuses, limites inconnues ; vers l’Ouest, ce sont encore en partie des forêts, qui appartiennent aux premiers occupants ; au Sud, c’est aujourd’hui une république dont le territoire excède celui de toute l’Europe ; à l’Est, c’est la mer, la mer brumeuse, orageuse, glacée de Terre-Neuve et du Labrador. L’infini semble régner sur nos frontières.

Le Canada est assis sur un banc de granit, qui forme la charpente de ses plus hautes montagnes et se montre à nu sur le lac Supérieur, le lac Huron, à Kingston, en plusieurs autres endroits de l’Ontario ; sur la rivière Saint-Maurice, à Beauport, à Tadoussac, à Kamouraska, au Labrador. Ce granit est recouvert de différentes espèces de roches, dont les plus abondantes sont les schistes, les calcaires et les grès.

[Le Canada possède de vastes ressources naturelles et aussi des métaux de toutes sortes dont l’exploitation ne fait que commencer. Champlain qui n’ignorait aucun des moyens d’accroître sa prospérité, avait écrit, dès 1633, au cardinal de Richelieu : « Le pays est riche en mines d’or, fer, acier, potin, argent et autres minéraux ». (Lettres du 15 août 1633 et du 15 août 1635). De fait, le Canada tient aujourd’hui la première place dans le monde pour la production du nickel et de l’amiante ; il vient au second rang pour le cobalt, le cuivre, l’or et au troisième pour le zinc, le plomb et l’argent].

Le gouvernement français donna beaucoup d’attention à la recherche des richesses métalliques dans la colonie. Ses explorateurs avaient déjà découvert la plus grande partie des mines mentionnées par nos géologues. [La première exploitation des mines de fer des Trois-Rivières revient à François Poulin, sieur de Francheville et seigneur de Saint-Maurice. Il avait demandé, en 1729, pour une durée de vingt ans, le droit d’ouvrir et de mettre en œuvre celles qu’il découvrirait dans cette région, à la charge de payer les frais et les déboursés ; il sollicitait en même temps la concession des terres depuis y compris la seigneurie de Yamachiche jusques et y compris la seigneurie du Cap de la Madeleine, ainsi que le privilège exclusif d’établir des forges et d’exécuter d’autres travaux. Le roi agréa le projet de Francheville et lui accorda des lettres patentes le 25 mars 1730 ; bientôt après, les forges de Saint-Maurice étaient en voie de construction. Pour ce qui est des mines de charbon, Pierre Boucher, dans son Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions de la Nouvelle-France (1664), parle de certains gisements qui se trouvaient à quelque distance de la péninsule de Gaspé ; et plus tard, en 1712, Gédéon de Catalogne signalait la présence de la houille dans une partie des terres de Charlesbourg, dont la découverte remontait à 1691. Cependant les mines de charbon du Cap-Breton, en Acadie, sont les seules qui aient pris une réelle importance. Si bien que Louis XIV, le 16 avril 1669, rendait une ordonnance d’après quoi, pendant dix années, tout le charbon provenant du Canada serait, à son entrée dans les ports du royaume, regardé comme produit de France et sujet seulement à un droit de six sous par baril].

Le sol du Canada est généralement fertile, surtout dans la région supérieure, où un climat tempéré favorise la végétation d’immenses plaines à céréales. Dans la région inférieure, la température est beaucoup plus froide. Ici les Alléghanys et les Laurentides, avec toutes leurs ramifications, diminuent sensiblement le territoire cultivable. En quelque révolution physique, la chaîne des Laurentides, à travers la contrée du Saguenay, où elle a 12 ou 15 lieues de largeur, s’est rompue pour livrer passage à une rivière de plus de 1000 pieds de profondeur par endroits, bordée de chaque côté de parois presque verticales formées par cette brisure. Dans nos régions montagneuses, les vallées sont arrosées par de nombreuses rivières, qui contribuent puissamment à cette croissance rapide de la végétation canadienne, si remarquable sur le bas Saint-Laurent.

Le bassin de ce fleuve ayant la forme d’un angle, dont le sommet est tourné vers le Midi, ses deux extrémités, qui se terminent à peu près dans la même latitude, jouissent presque du même climat. Le maximum du froid à Québec est de 30 degrés au-dessous de zéro et celui de la chaleur de 97 à 104 au-dessus, d’après le thermomètre de Fahrenheit. Au pied du lac Érié, les froids extrêmes sont de 20 degrés, mais ils atteignent rarement ce chiffre. Les grandes chaleurs y sont de 103 degrés, quelquefois plus fortes. On voit que, pour l’intensité de la chaleur, il n’y a guère de différence entre le Québec et l’Ontario. Au reste, la différence du climat entre ces deux régions se comprendra encore mieux en comparant leurs productions et la longueur de leurs hivers.

Les parties habitées des deux Canadas, disait Bouchette en 1831, sont situées entre le 42e et le 48e degré de latitude nord. Par leur distance de l’équateur et du pôle, elles devraient jouir d’un climat analogue à celui de l’Europe centrale et méridionale, tandis qu’au contraire le froid et la chaleur y sont beaucoup plus intenses. À quelles causes faut-il attribuer cette différence ? À Québec (46° 49’ 6" de latitude nord), les pommes viennent en abondance, mais les pêches et le raisin n’y réussissent pas ; à Montréal (45° 31’ de latitude), ces derniers fruits parviennent déjà à leur maturité ; à Toronto et plus au Sud, ils atteignent, comme l’abricot, toute leur perfection. L’acacia, qui ne peut résister au climat de Québec en pleine terre, commence à se montrer à Montréal et devient plus commun vers le Détroit. Il est à observer que l’Académie des Sciences de Paris s’occupa de l’histoire naturelle du Canada. À sa demande, en 1707, Michel Sarrazin, médecin français venu à Québec avec les troupes vingt ans auparavant, eut ordre du roi d’envoyer une collection des plantes canadiennes au jardin de la Société en France ; ce qu’il fit. Sarrazin, qui devint membre du Conseil Supérieur de Québec (1707), était un homme de grandes lumières. Il mourut à Québec en 1736. On doit à Sarrazin la découverte d’une plante à pot qui perpétue sa mémoire sous le nom de sarracenia purpurea.

Dans le Québec, l’hiver commence vers le 25 novembre et dure jusque vers le 25 avril, époque où l’on reprend les travaux des champs. La neige, qui demeure sur la terre de cinq mois à cinq mois et demi, atteint une hauteur de 3 à 4 pieds dans les bois. À Montréal, l’hiver est de trois ou quatre semaines plus court, et il tombe aussi moins de neige. Enfin, dans l’Ontario, les traîneaux ne servent guère que deux mois. Mais partout, dans cette vaste contrée, sous le ciel rigoureux comme sous le ciel favorisé, l’air est agréable en été et salubre en toutes saisons. L’excès du froid sur le bas Saint-Laurent semble causé moins par la latitude que par l’absence de montagnes élevées du côté du Nord. Le voisinage de la baie d’Hudson, dans laquelle les vents du pôle s’engagent pour se répandre sur les régions inférieures de la vallée du Saint-Laurent, où ils arrivent, humides et glacés, des mers du Labrador, contribue beaucoup sans doute à la rigueur du climat. Cela paraît d’autant plus vraisemblable qu’à l’ouest des Alléghanys, les vents du Nord-Est sont plutôt secs qu’humides, parce que, comme dit Volney, ces courants d’air, là comme en Norvège, n’arrivent qu’après avoir franchi un rempart de montagnes, où ils se dépouillent, dans une région élevée, des vapeurs dont ils étaient gorgés.

Il est un phénomène que l’on peut mettre au nombre des beautés naturelles du Canada, ce sont les aurores boréales. Comme elles sont rares sous le ciel d’Europe méridionale, elles excitèrent vivement l’admiration des Français. Rien d’aussi magnifique n’avait encore frappé leurs regards au milieu des nuits. Les plus grandes, les plus belles aurores se voient l’automne et l’hiver. Lorsque la neige repose sur le sol, sa blancheur éblouissante, qui se confond à l’horizon avec celle du ciel donne à ce spectacle un éclat enchanteur. Les aurores boréales, sans cesse en mouvement, prennent toutes les formes. Tantôt elles s’élancent d’un point de l’horizon, et s’élèvent en se développant jusqu’au sommet du ciel ; tantôt elles frémissent et jaillissent de différents points des airs ; tantôt elles serpentent et s’épanouissent en lançant des jets de lumière. Le plus souvent, c’est un voile immense qui semble suspendu dans l’espace, et qui flotte par grands plis avec mille reflets de diverses couleurs. Quelquefois, au milieu du silence, ces météores font entendre un bruit qui ressemble au froissis de la soie. Ils embrassent ordinairement une grande partie du ciel et brillent surtout du côté du Nord. On voit les étoiles étinceler à travers leur blancheur gazeuse. La lune augmente l’éclat de ce spectacle et permet de voir les maisons à plusieurs lieues de distance.

Les contrées du Canada, si variées, si étendues, si riches en beautés naturelles et qui portent, pour employer l’expression d’un auteur célèbre, l’empreinte du grand et du sublime, étaient habitées, à l’époque de leur découverte, par de nombreuses tribus en partie nomades, vivant de chasse et de pêche mais en majorité sédentaires. Ces tribus appartenaient à trois des huit principales familles qui se partageaient le territoire situé entre le Mississipi, l’Atlantique et la terre des Esquimaux, à l’extrémité nord du continent, savoir : les Algonquins, les Hurons, les Sioux, les Cherokees, les Catawbas, les Uchées, les Natchez et les Mobiles. Elles ont été divisées ainsi d’après les langues qu’elles parlaient et qu’on a appelées langues-mères, parce que ces langues n’avaient aucune analogie entre elles, et parce que ceux qui parlaient des idiomes de la même langue-mère, s’entendaient, quelque éloignée que fût la dérivation.

Cette agrégation de tribus était ainsi disposée sur le sol, au XVIIe siècle :

Les Mobiles possédaient toute l’extrémité sud de l’Amérique septentrionale, depuis la baie du Mexique jusqu’aux rivières Tennessee et Cape Fear.

Les Uchées et les Natchez, peu nombreux, étaient enclavés dans cette nation ; les Natchez avaient un petit territoire borné par le Mississipi ; les Uchées, plus resserrés vers l’Est, joignaient les Cherokees.

Le pays des Cherokees, dans le haut de la vallée de Tennessee, était pour ainsi dire à une égale distance de la baie du Mexique, du lac Érié, de l’Atlantique et du Mississipi. Cette nation avait pour voisins les Mobiles et les Uchées au Sud-Est, les Catawbas à l’Est.

Les Catawbas possédaient une contrée peu étendue, au nord des Mobiles et à l’est des Cherokees.

La grande famille algonquine occupait près de la moitié de l’Amérique du Nord, au levant du Mississipi supérieur. Son territoire joignant le pays des Mobiles au Sud, s’étendait vers le Nord, depuis les Carolines jusqu’au pays des Esquimaux, sur la largeur qu’il y a du Mississipi à l’Atlantique, superficie de 40 degrés de longitude et 20 degrés de latitude.

Les Sioux ou Dakotas, dont le vaste domaine était à l’ouest du Mississipi, débordaient dans un petit territoire au couchant du lac Michigan. La famille huronne-iroquoise, environnée des peuplades algonquines, occupait les bords méridionaux du lac Huron et de la baie Georgienne, le bassin des lacs Érié et Ontario, [le nord de l’État de New-York, le centre de la Pennsylvanie, et, en partie, la baie de Chesapeake, dans le Maryland.]

Ainsi, comme la Nouvelle-France embrassait le Saint-Laurent et tous les lacs, elle renfermait une partie des peuplades qui parlaient les dialectes des trois langues-mères : siouse, algonquine et huronne-iroquoise. À l’origine, le langage algonquin y était parlé à partir du lac Champlain et du sud de la rivière Ottawa, en gagnant le Nord ; par la suite, des migrations de tribus ayant d’autres langues portèrent des idiomes en diverses contrées du Canada.

Les principales tribus algonquines dans la Nouvelle-France étaient :

Au sud du Saint-Laurent :

Les Micmacs ou Souriquois, établis dans la péninsule acadienne, la Gaspésie et l’entre-deux, ainsi que dans les îles adjacentes. Peu nombreux, ils n’ont jamais dépassé quatre mille âmes.

Les Etchemins ou Malecites, qui habitaient le pays baigné par la mer et les rivières Saint-Jean et Sainte-Croix ;

Les Abénaquis, placés entre le territoire des Etchemins, le fleuve Saint-Laurent et la Nouvelle-Angleterre.

Les Sokokis, venus des colonies anglaises pour se mettre sous la protection des Français en Canada.

Au nord du fleuve :

Les Montagnais, épars dans toute la vallée du Saguenay [depuis les environs de Québec jusqu’à l’entrée du Saint-Laurent ;

Les Atticamègues ou Poissons blancs, qui demeuraient au nord du Saint-Maurice ;

Les Kakouchakhis ou Nation du Porc-Epic, sur les rives du lac Saint-Jean ;

Les Papinachois, au sud-ouest du Labrador ;

Les Bersiamites, et d’autres tribus ;]

Les Algonquins proprement dits, répandus depuis la rivière Saint-Maurice [jusqu’à l’île des Allumettes dans l’Ottawa, et ayant eu autrefois quelques-unes de leurs tribus aux Trois-Rivières] et à Montréal.

Les Outaouas, ou Algonquins supérieurs, [qui occupèrent primitivement l’île Manitoulin, au nord du lac Huron, puis les baies Saginaw et du Tonnerre (sur la rive occidentale du même lac) ; par crainte des Iroquois, ils se portèrent à la baie Verte (dans le Wisconsin) ; plus tard, après un séjour au Mississipi, ils gagnèrent la pointe Chequamegon (sur la rive méridionale du lac Supérieur), et revinrent enfin à leurs premières demeures].

Les tribus de langue huronne-iroquoise, étaient :

Les Hurons proprement dits, « les vrais Hurons », dont le véritable nom était Wyandots ou Ouendats, mais à qui les Français donnèrent celui sous lequel nous les connaissons maintenant, et qui vient du mot hure, à cause de leur manière particulière de s’arranger les cheveux. [Fixés au sud du lac Huron et de la baie Georgienne, leur pays embrassait le territoire qui comprend aujourd’hui les baies Nottawasaga et Matchedash, la rivière Severn, les lacs Simcoe et Couchiching.] Ils en furent chassés par les Iroquois peu de temps après l’arrivée des Européens (1648-1650). Repoussés, d’un côté, vers le bas Saint-Laurent [(Québec, île d’Orléans),] de l’autre, [au nord des lacs Huron et Michigan (Michillimackinac, baie Verte)] et jusqu’au bout du lac Supérieur [(Chequamegon) ;] ramenés ensuite du Mississipi par les armes victorieuses des Sioux, on les vit, tour à tour, à Michillimackinac, au sault Sainte-Marie, [à Chequamegon] et au Détroit. Les Hurons de Lorette, à deux lieues en amont de Québec, sont un des débris qui subsistent encore de cette nation jadis si puissante, à laquelle les Iroquois, ses vainqueurs, ainsi que plusieurs autres tribus, devaient leur origine.

Au sud des lacs Érié et Ontario et du fleuve Saint-Laurent, jusqu’à la rivière Richelieu, dans le voisinage des Abénaquis, dominait la fameuse confédération iroquoise, qui [se donnait elle-même le nom de ho-de-no-sau-nee, c’est-à-dire « peuple de la maison longue ». Le nom Iroquois viendrait de inim ou irim (vrai, réel), de ako, (serpent, vipère) et du suffixe français : ois].

Cette confédération était composée des Agniers, des Onnontagués, des Goyogouins, des Onneyouts et des Tsonnontouans.

Les Ériés ou nation du Chat, et les Andastes, qu’on trouvait autrefois dans la contrée entre le lac Érié et le pays des Iroquois ne se composaient plus lors de la découverte du Canada, que de quelques débris. Ne pouvant résister à leurs puissants voisins, ils furent bientôt après impitoyablement anéantis ou incorporés à leurs vainqueurs.

La région que baignent le lac Supérieur, le lac Michigan et le lac Huron était encore habitée ou fréquentée par les Nipissings, [les Amikoués, les Achirigouans, les Nikikouets ou gens de la Loutre, les Poutewatomis, les Missisakis,] les Miamis, que refoulèrent vers le Nord [ou dans l’intérieur des terres, les Iroquois] ; par les Illinois, les Chippewas ou Sauteurs, les Outagamis ou Renards, peuple pillard et cruel, par les Kikapous, les Mascoutins ou Gens du Feu, les Sokokis, les Maloumines ou nation des Folles-Avoines, les Crees ou Cristinaux, toutes tribus de langue algonquine, et enfin [par les Ouinipigous ou nation des Puants, les Missouris, les Osages, les Catawbas, les Sioux proprement dits ou Dakotas, de la langue siouse.]

Une foule de petites tribus, appartenant soit à la famille des Sioux, soit à celle des Hurons, soit à celle des Algonquins, demeuraient en des lieux plus ou moins éloignés, et venaient quelquefois se montrer aux missionnaires et aux traitants sur les bords des lacs, pour s’enfoncer ensuite dans leurs forêts et ne plus reparaître ; tandis que d’autres peuplades, également inconnues, s’avançaient à main armée et occupaient la place de quelques-unes de celles qui étaient plus près des Européens, en les forçant de reculer ou d’abandonner leurs territoires.

[On ne saurait dire avec précision quel était le chiffre de la population indigène de l’Amérique à l’arrivée des Européens. Les estimations les plus sérieuses le firent à 840 000 individus pour le territoire actuel des États-Unis, 220 000 pour le Canada et Terre-Neuve, 72 000 pour l’Alaska, soit un peu plus de 1 100 000 pour l’ensemble du continent. Actuellement, le chiffre total est voisin de 400 000. (H. Baulig)]. La tribu sauvage n’est jamais nombreuse. Quelques voyageurs s’en laissèrent d’abord imposer à cet égard par le langage métaphorique des indigènes, ignorant que 1000 âmes était pour eux une multitude innombrable, et qu’ils ne pouvaient rendre ce nombre que par une expression figurée. C’est ainsi qu’en 1753 des sauvages rapportèrent à Washington que les Français venaient l’attaquer avec une armée aussi nombreuse que les feuilles des forêts, et cette armée se composait de quelques centaines d’hommes.

Les calculs relatifs aux contrées situées entre le Saint-Laurent et le Mississipi portent, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la famille algonquine, la plus importante, à 90 000 âmes ; [celle des Iroquois à pas plus de 17 000 ; celle des Hurons à environ 16 000 ; les nations au Sud, Cherokees, Chicachas, Chactas et Creeks à 50 000 à peu près,] ce qui donne environ 180 000 âmes pour toute cette population, preuve qu’elle était extrêmement dispersée. Il n’en pouvait être autrement : les peuples chasseurs ont besoin d’immenses domaines. Malgré la vaste étendue de leurs forêts, les tribus américaines manquaient souvent de nourriture, faute d’un gibier assez abondant. Si la population eût été nombreuse, comment les Iroquois, qui ne comptaient que 2200 guerriers en 1660 auraient-ils pu se promener en conquérants depuis la baie d’Hudson jusqu’à la Caroline, et faire trembler tous les peuples de ces contrées ?

Cartier ne vit dans tout le Canada que quelques rares bourgades, dont la plus populeuse renfermait cinquante cabanes. La principale affluence qui eut lieu à Hochelaga ne dépassait guère 1000 âmes ; dans les autres portions du pays, il aperçut à peine çà et là des traces d’habitations. En 1673, quand Jolliet et le P. Marquette parcoururent le Mississipi, ils furent longtemps sans rencontrer un seul homme. Chabert de Joncaire adressait à Paris, en 1736, un mémoire où il portait le nombre des guerriers sauvages à 16 000 seulement, de Québec à la Louisiane.

La comparaison des idiomes parlés au levant des montagnes Rocheuses et du Mississipi avait fait découvrir huit langues-mères, et l’on avait divisé les populations en autant de grandes familles. D’après ces huit divisions raciales d’une partie des hommes de la race américaine, lesquelles sembleraient militer contre l’hypothèse d’une seule voie d’émigration asiatique par le Nord-Ouest, on s’attendrait à trouver des différences nombreuses, sous le rapport physique et sous le rapport moral, entre tant de peuplades diverses. Pourtant, il n’en est rien. Une très apparente similitude régnait à cet égard entre toutes les nations. La différence entre les sauvages du Canada et ceux de la Floride, par exemple, était à peine sensible. Leurs personnes, leurs mœurs, leurs usages avaient les mêmes caractères et la même physionomie. Si quelque nuance ou quelque coutume les distinguait les uns des autres, cela était plutôt dû aux effets ou aux nécessités du climat qu’à aucune autre cause. Comme ils s’occupaient beaucoup plus des besoins du corps que de ceux de l’esprit, le physique était ce qui avait le moins dégénéré chez eux. Ils étaient, en général, grands et sveltes, indice de l’agilité plutôt que de la force, et ils avaient cet air farouche que donnent l’habitude de la chasse et les périls de la guerre.

Ils avaient le visage plus rond qu’ovale, les pommettes des joues élevées et saillantes, le teint cuivré ou bronzé, les yeux noirs ou châtains, petits, enfoncés et brillants dans leurs orbites, le front étroit, le nez plat, les lèvres épaisses, les cheveux gros et longs [presque toujours noirs,] le menton et les joues sans barbe, parce qu’ils en arrachaient soigneusement le poil à mesure qu’il paraissait, suivant l’usage en Amérique. Tel était l’homme du Nouveau-Monde. Il avait la vue, l’ouïe et l’odorat d’une finesse extrême.

L’été, le sauvage allait presque nu, l’hiver il se ceignait les reins d’une peau de bête et s’attachait un manteau de fourrure sur les épaules. Les griffes d’un ours étaient des agrafes dignes d’un chef de guerre pour ce manteau, sur lequel souvent elles représentaient ses exploits. Des souliers de peau de chevreuil, avec des guêtres ornées de broderies en poil de porc-épic, composaient sa chaussure. Les femmes, couvertes jusqu’aux genoux, avaient un costume différant peu de celui des hommes, sauf qu’elles arrangeaient leur chevelure en tresses qui pendaient par derrière. Elles se paraient de colliers de coquillages, dont elles distribuaient des branches sur le devant de leurs vêtements, teints de couleurs brillantes, où le rouge dominait.

Les hommes peignaient leur corps de figures d’oiseaux, de poissons, de serpents, avec des couleurs très variées, suivant leurs caprices. Ils aimaient beaucoup le vermillon. Les uns se peignaient le nez en bleu, les sourcils, le tour des yeux et les joues en noir, le reste de la figure en rouge ; d’autres se traçaient des bandes rouges, noires et bleues d’une oreille à l’autre. Ils s’arrangeaient les cheveux de diverses manières : les ayant tantôt relevés ou aplatis sur la tête, tantôt pendant par tresses ; et ils y ajoutaient des plumes, des touffes de poil, le tout disposé de la façon la plus bizarre. Ils portaient des pendants aux narines et aux oreilles, des bracelets de peaux de serpents, et sur la poitrine des parures de coquillages.

Les nations, les tribus, les villages se distinguaient par des armoiries. En 1736, les Abénaquis de la rivière Saint-François et de Bécancour avaient comme signes distinctifs la tourterelle et l’ours ; pour quelques familles, c’étaient la perdrix et le castor. Les Algonquins du lac des Deux-Montagnes avaient un chêne vert. Parmi les Cinq-Nations iroquoises, non seulement chaque village possédait son emblème, mais chaque famille avait encore le sien, et chaque homme aussi portait une marque particulière. Les Folles-Avoines, du lac Michigan, avaient pour emblème un aigle perché sur une croix ; les Sioux, un bœuf, un chien noir et une loutre. Chez les nations du Nord, un homme se distinguait autant par le blason de la famille de sa femme que par le sien ; il ne prenait jamais une femme ayant le même blason que lui.

À l’arrivée des Européens, les sauvages n’avaient pour armes offensives que la flèche, terminée par une pointe d’os ou de pierre, et un casse-tête de pierre ou de bois fort dur, avec un côté tranchant. Les armes défensives consistaient en une sorte de cuirasse de bois léger, dont l’usage fut abandonné après l’introduction des armes à feu, et quelquefois aussi en un long bouclier de bois de cèdre qui couvrait tout le corps.

Le seul mot de guerre excitait chez les jeunes sauvages un frémissement plein de délices, venant d’un profond enthousiasme. Le bruit de la mêlée, la vue d’ennemis palpitants dans le sang, les enivraient de joie. L’imagination sans cesse enflammée par le récit des exploits de leurs ancêtres, ils brûlaient de se distinguer comme eux dans les combats.

Quoique les causes de guerre fussent peu nombreuses entre ces peuples, les guerres étaient très fréquentes. Le droit de chasser ou de passer dans certaines limites, la défense du territoire, le désir de venger un compatriote, tels étaient ordinairement les motifs de ces luttes destructives qui éclataient sans cesse parmi eux. Chaque individu étant en quelque sorte indépendant de la tribu, pouvait à tout moment, soit par amour des combats ou du pillage, soit par haine ou par vengeance compromettre la paix entre deux nations, les entraîner dans une guerre terrible, qui finissait souvent par la destruction ou l’expulsion de la tribu vaincue. Aussi, depuis le Mexique jusqu’à la baie d’Hudson, les peuples étaient-ils dans un état presque continuel d’hostilités. Mais si, par hasard, une nation ne voulait pas avoir la guerre, elle devait satisfaire la nation avec laquelle elle se trouvait en difficulté. « Lorsque la nation de ceux qui ont tué, disait Greysolon du Lhut ne veut pas avoir la guerre avec celle qui est offensée, les plus proches parents des meurtriers les tuent eux-mêmes, c’est-à-dire homme pour homme. »

Le sauvage capable de porter les armes était « guerrier » ; il avait droit d’assister aux assemblées publiques et d’y exprimer son avis. La guerre ne se décidait que par la tribu réunie. Alors les vieillards s’adressaient aux jeunes gens, pour les exciter à combattre. Tous les combattants demandaient alors qu’on les menât à l’ennemi. Ils se choisissaient un chef parmi ceux que distinguaient d’anciens exploits, une taille imposante, ou une voix forte et sonore qui pût se faire entendre dans le tumulte des batailles. Le chef élu faisait, après s’être peint tout le corps de noir, des jeûnes pour se rendre favorables le dieu du bien et le dieu du mal ; il étudiait ses songes, qui étaient pour lui des oracles. Avant de partir, les guerriers répétaient une prière, puis dansaient la danse de guerre, l’image la plus énergique et la plus effrayante de ces luttes mortelles. Tout se terminait par un repas solennel, où on ne servait que de la chair de chien. Le chef y racontait ses exploits et ceux de ses ancêtres.

Au signal donné, la petite armée se mettait en campagne. Tant qu’elle n’était pas sortie de son propre territoire, elle marchait sans soin, dispersée pour la commodité de la chasse, se réunissant le soir pour camper. Mais dès qu’elle mettait le pied dans le pays ennemi, elle ne se séparait plus. On n’avançait qu’avec les plus grandes précautions, on ne se parlait que par signes. Les sauvages étudiaient soigneusement le pays qu’ils traversaient. Ils montraient en cela une sagacité inconcevable ; ils devinaient une habitation de très loin par l’odeur de la fumée ; ils découvraient facilement des pas sur l’herbe la plus tendre comme sur la matière la plus dure, et lisaient dans ces vestiges le sexe, la stature de la personne qui les avait laissés, et le temps qui s’était écoulé depuis son passage. Pour dissimuler leur route, les sauvages marchaient sur une seule file, un guerrier devant l’autre, en mettant les pieds dans les mêmes traces, que le dernier recouvrait de feuilles. S’ils rencontraient une rivière, ils cheminaient dedans.

Aussitôt qu’ils étaient arrivés près de l’ennemi, le conseil s’assemblait et formait le plan d’attaque. Au point du jour et lorsqu’ils supposaient l’ennemi encore plongé dans le sommeil, ils se glissaient dans son camp et lançaient une grêle de traits en poussant de grands cris, puis ils tombaient sur lui le casse-tête à la main. Le carnage commençait. Tel était le mode de guerre des sauvages. Ils ne s’attaquaient que par surprise, tuaient ceux qu’ils ne pouvaient emmener, et leur enlevaient la chevelure. Ils faisaient leur retraite avec précipitation. S’ils étaient pressés de trop près, ils égorgeaient les prisonniers et se dispersaient ; sinon, ceux-ci étaient gardés avec soin et attachés, la nuit, de manière qu’ils ne pussent remuer sans réveiller leurs gardiens. C’est alors que le captif entonnait le chant de mort, que sa voix mâle et triste se faisait entendre dans la profondeur des forêts. « Je vais mourir, disait-il, mais je ne crains point les tortures que m’infligeront mes ennemis. Je mourrai en guerrier, et j’irai rejoindre au pays des ombres les chefs qui ont souffert avant moi. »

La bourgade allait au-devant des vainqueurs, lesquels annonçaient de loin leur arrivée par des cris. On faisait passer les prisonniers entre deux files d’hommes, qui les frappaient avec des bâtons. Ceux qui étaient destinés à la mort étaient livrés au chef de guerre, les autres au chef de la tribu. Les premiers attachés à des poteaux, voyaient alors commencer leur supplice, qui se prolongeait parfois plusieurs jours. C’est là que le sauvage déployait son héroïsme, et qu’il bravait la cruauté de ses bourreaux. Il se faisait une gloire de ses tourments, vantait ses victoires, comptait les chevelures qu’il avait enlevées, et reprochait à ses bourreaux de ne pas savoir torturer. Il poussait quelquefois le sarcasme si loin que ceux-ci, dans un mouvement de rage, terminaient ses jours par un coup de casse-tête. Les plus affreux tourments étaient réservés pour les chefs ; les simples guerriers étaient brûlés ou quelquefois épargnés pour servir d’esclaves. Les missionnaires français firent tout ce qu’ils purent pour faire adopter aux sauvages un usage plus humain, et c’est dans cette vue qu’ils introduisirent celui de vendre les captifs, afin de les arracher à la mort. Les prisonniers qui avaient été livrés au chef de la nation, étaient destinés à remplacer les guerriers tués sur le champ de bataille. Ils étaient adoptés par les familles des morts, et elles leur témoignaient tous les égards et toute la tendresse qu’elles avaient eus pour ceux dont ils tenaient la place.

D’après le caractère vindicatif que nous connaissons aux sauvages, on doit supposer que les animosités nationales étaient difficiles à éteindre. Cependant, ils se lassaient de verser le sang et la paix devenait nécessaire. Pour l’obtenir, il fallait vaincre la répugnance d’un ennemi qui se faisait souvent un point d’honneur de conserver sa haine ; il fallait employer toute les raisons d’équité et d’intérêt propres à désarmer sa vengeance. Les principaux chefs, accompagnés de médiateurs, se présentaient à lui avec un calumet porté devant eux. Symbole de la paix, ce calumet se composait d’un fourneau de pierre et d’un tuyau de bois long de quatre ou cinq pieds, orné d’hiéroglyphes et de plumes de diverses couleurs, le rouge indiquant l’offre d’un secours, le blanc et le gris indiquant l’offre de paix. Un des chefs inférieurs le remplissait de tabac ; et, après y avoir mis le feu, l’élevait vers le ciel, puis, l’abaissant, le présentait à tous les points de l’horizon, en invitant les esprits du ciel, de la terre et des airs à sanctifier le traité par leur présence. Le chef héréditaire en tirait ensuite quelques bouffées de fumée qu’il soufflait vers le ciel, et, autour de lui, vers la terre. Le calumet était ensuite passé à tous les autres chefs suivant leur rang, et ils le touchaient des lèvres. Si la paix était conclue, une hache rouge était enterrée comme symbole de l’oubli des anciennes animosités. Un échange de colliers de porcelaine mettait le dernier sceau à la convention. Et là-dessus, on se donnait réciproquement des présents. C’étaient des calumets, des peaux de daims ornées de belles broderies. La coutume de se faire ainsi des cadeaux est une de celles qui se retrouvent chez tous les peuples de la terre.

La guerre terminée, le sauvage rentrait dans son repos léthargique, car le travail était déshonorant à ses yeux. Il l’abandonnait aux femmes, comme indigne de l’homme indépendant. Sa plus vive imprécation contre un ennemi, c’était qu’il fût réduit à cultiver la terre ; la même que Dieu prononça contre le premier homme. « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », dit l’Évangile, qui fait du travail un châtiment. La faim cependant venait bientôt troubler ce roi des forêts dans sa hutte d’écorce, et le forçait à sortir de son inaction. Alors cet homme qu’on avait vu assis, les jambes et les bras croisés, dans une attitude immobile, durant des journées entières, s’animait tout à coup, car la chasse était, après la guerre, la seule occupation noble à ses yeux, la seule où il pût acquérir de la gloire ; et pour la gloire, le sauvage apathique bravait tout, les fatigues, la faim et la mort. Il ne chassait, ordinairement qu’en hiver, parce que, pendant l’été, le poisson suffisait à sa nourriture, et que la fourrure des animaux était moins belle que dans la saison froide. Dans ces expéditions, la tribu se campait dans le voisinage d’un lac ou d’une rivière. En un moment une bourgade s’élevait au-dessus des neiges, qui recouvraient aussi vite la bourgade qui venait d’être abandonnée. C’est ainsi que, partout, dans l’Amérique du Nord, la population et les villages changeaient continuellement de place, pour suivre ou la chasse ou la pêche.

Un peuple qui n’était point fixé au sol devait jouir de la plus grande liberté ; et effectivement, comme il a été dit, chacun vivait dans une indépendance presque absolue. La coutume et l’opinion, voilà quel était le gouvernement.

On suivait les usages traditionnels, l’instinct de la raison et de l’équité. Le fantôme d’autorité publique qui existait n’était appelé à agir que très rarement quand il fallait faire la guerre ou la paix, élire un chef, traiter d’une alliance avec une autre tribu, régler la marche d’une cérémonie publique. Mais jamais, ou presque jamais, il ne s’occupait de la conduite des personnes ; son pouvoir n’allait pas jusque-là. D’autre part on ne trouvait chez eux ni officiers civils, ni juges, ni prisons, ni bourreaux. L’absence de tribunaux laissait à chacun le soin de venger ses injures. Les querelles particulières, néanmoins, étaient très rares et quoique l’autorité publique n’eût aucun pouvoir sur les individus, elle réussissait ordinairement à les apaiser. En sacrifiant sa vengeance privée au bien général, qui ne se sent pas grandir ? et le sauvage était très sensible à l’honneur. Mais si le sang avait été versé, l’ombre des victimes ne pouvait être apaisée que par des représailles ou par un dédommagement proportionné à la renommée du mort. Un parent, un ami se chargeait de ce devoir sacré. Il traversait des contrées entières, souffrait la faim et la soif, endurait toutes les fatigues pour satisfaire l’ombre sanglante qui demandait vengeance.

La tribu n’intervenait que quand le crime lui avait porté un préjudice grave. Alors le coupable, livré à la vindicte publique, périssait sous les coups de la multitude. Mais cela était extrêmement rare. Il résultait des inconvénients sérieux de cette indépendance individuelle qui ne voulait point reconnaître d’autorité supérieure pour juger les actes privés. Il paraît impossible en effet qu’une société assise sur des bases aussi fragiles pût se maintenir. Mais comme ces peuples en partie menaient une vie souvent errante, comme il n’y avait chez eux ni achat, ni vente, ni commerce, ni transactions d’aucune espèce, si ce n’est quelques échanges de petits objets de la main à la main, la liste des délits se réduisait à peu de choses. Les ramifications de la famille se suivaient fort loin chez les sauvages et les liens du sang resserraient toute une tribu. Le frère payait la dette du frère défunt et embrassait sa vengeance comme la sienne propre. Les mendiants étaient inconnus. La tribu recueillait les orphelins.

Dans les peuplades où le chef l’était par le droit d’hérédité, ce droit s’acquérait par la descendance féminine, c’est-à-dire par la mère. Cette loi de succession était généralement répandue. L’hérédité, toutefois, était plutôt un privilège nominal que réel parce que la mesure de l’autorité du chef était toujours proportionnée à ses qualités et à ses talents. Le chef n’avait ni couronne, ni sceptre, ni gardes. Il n’était que le premier des hommes libres de sa tribu ; mais il n’en avait pas moins de fierté. « Ne savez-vous pas, disait l’un d’eux à un missionnaire, que je commande depuis ma jeunesse, que je suis né pour commander, et que sitôt que je parle tout le monde m’écoute ? » (Relat. des Jésuites.) Il n’aurait pu dire : tout le monde m’obéit.

Dans une société ainsi constituée, la religion devait avoir peu d’influence, ou plutôt son organisation est un indice qu’elle n’avait pas de religion régulière avec ses dogmes et ses cérémonies. Les premiers Européens qui ont visité les sauvages s’accordent presque tous à dire qu’ils ne professaient, à proprement parler, aucun culte. Au rapport des Jésuites et de Champlain, [les Montagnais, les Algonquins, les Hurons,] les Micmacs et leurs voisins n’avaient ni adoration, ni cérémonies religieuses. Les Cénis, suivant Joutel, n’avaient aucune notion certaine de Dieu. On pouvait anticiper déjà ces témoignages. L’existence d’un culte régulier eût entraîné nécessairement à sa suite certaines règles de morale et certains devoirs sociaux auxquels tout le monde eût été soumis. L’indépendance du sauvage rejetait toutes restrictions.

Quoique les peuples sauvages de l’Amérique du Nord ne pratiquassent point de religion au sens ordinaire de ce mot, plusieurs, cependant, avaient quelques sacrifices, que des auteurs ont voulu transformer en culte ; et tous, ou presque tous, reconnaissaient l’existence d’êtres supérieurs et invisibles, à qui ils adressaient des prières spontanément, lorsqu’ils voulaient éviter un mal ou acquérir un bien. Ceux du Canada disaient à Champlain que chacun priait son dieu en son cœur comme il l’entendait. Leurs prières n’avaient pas pour objet la possession du bonheur dans une autre vie. Le succès, les grandes actions indépendamment du droit, de la justice, étaient les seuls titres qui ouvrissent, après la mort, ce paradis où le guerrier, qui s’était distingué par des exploits, trouvait tout ce qui pouvait flatter ses sens, allumer son imagination avide de jouissances. Une terre sans animaux ni ombrage, frappée de stérilité, en proie aux maladies et à tous les fléaux, était la triste patrie de l’homme vieilli dans l’indolence et mort sans gloire.

Étonné de la majesté de la nature, qui se déploie à ses yeux avec tant de richesse et de magnificence, ravi de la marche invariable des astres, qui ornent les espaces incommensurables des cieux, l’homme demeure comme anéanti dans sa faiblesse. Sa raison consternée a besoin de croire à l’existence d’une cause première qui règle et maintienne l’ordre de l’univers au milieu duquel il est perdu. Le sauvage incapable de spiritualiser l’auteur de toutes ces choses, se plaît à se créer des liens avec les divinités qu’il croit voir dans tous les êtres dont il ne peut comprendre la nature. C’est ainsi que son intelligence, trop bornée pour concevoir un seul Dieu, infini, éternel, gouvernant le monde, voit dans le soleil, dans les fleuves, dans les montagnes, dans les animaux, autant de divinités, mais sans liaison ni rapport ensemble, à peu près comme se les représente le panthéisme ; chacun de ces êtres est, pour lui, l’émanation d’une divinité particulière. Le bruissement des flots, c’est le dieu de l’onde qui gémit ; le murmure du feuillage, c’est la divinité des bois qui soupire ; le souffle du vent, c’est l’haleine de l’esprit céleste qui passe. Il personnifie tout : un dieu habite dans sa cabane, un autre folâtre autour de son front et abaisse sa paupière dans le sommeil. Quoiqu’il n’ait ni culte d’adoration, ni temple, ni autel, on reconnaît facilement dans ses conceptions le principe de la mythologie païenne. Si les sauvages eussent fait un pas de plus, s’ils eussent élevé des temples à leurs dieux, la similitude aurait été frappante. Le culte des Grecs par exemple annonçait un peuple avancé en civilisation, parce qu’on n’a pas encore trouvé de peuple civilisé sans dogmes et sans religion.

Pourtant, le sauvage devait avoir une idée au moins confuse d’une divinité suprême à laquelle toutes les autres divinités étaient soumises. Car il pensait que le ciel et la terre avaient été créés par un être tout-puissant. Cette idée devint plus évidente pour lui après que les missionnaires lui eurent enseigné l’existence d’un seul Dieu sous le nom de Grand-Esprit. Il embrassait sans peine ce dogme qui ne faisait que préciser ce qu’il entrevoyait déjà à travers les ombres de son intelligence, et ce dogme se répandit ensuite avec tant de rapidité que quelques voyageurs l’ont pris pour une partie intégrante de sa foi primitive.

Les Algonquins croyaient que tout était eau avant la création de la terre ; que cette eau portait une arche sur laquelle se trouvaient tous les animaux ; que le Grand-Esprit fit plonger plusieurs de ces animaux pour tirer un grain de sable du fond de la mer afin d’en faire un continent. Après plusieurs tentatives infructueuses, le rat musqué réussit à en rapporter un qui se développa et atteignit bientôt la grosseur d’une montagne. Cela ressemble à quelques parties de l’histoire du déluge.

Ces sauvages pensaient que les animaux avaient été créés avant l’homme, et que l’homme sortait des restes de ces animaux. Ils croyaient aussi que la lumière avait été faite par la première de leurs divinités, mais que la mer et le firmament avaient toujours existé.

Les divinités inférieures exerçaient leur empire, chacune envers un être créé. Aussi, le sauvage a dû les révérer ou les craindre selon le bien ou le mal qu’il croyait en recevoir. Le chrétien aime et adore Dieu parce qu’il est son créateur. Le sauvage n’avait point établi cette relation auguste entre son auteur et lui. Il aime une divinité si elle lui fait du bien, il la craint si elle lui fait du mal, et il tâche de se la rendre favorable par des prières et par des sacrifices. Il n’y avait que la certitude d’un bien ou d’un mal, qui portât le sauvage à tourner sa pensée vers son dieu. Si la chasse était abondante, il l’attribuait à son influence. S’il lui arrivait un malheur, il l’attribuait à son courroux. « Ô Manitou ! s’écriait un père entouré de sa famille et déplorant la perte d’un fils, tu es courroucé contre moi ; détourne ta colère de ma tête et épargne le reste de mes enfants. »

Lorsque les sauvages partaient pour quelque expédition, ils tâchaient de se rendre les esprits favorables par des prières et des jeûnes. S’ils allaient à la chasse, ils jeûnaient pour se rendre propices les esprits tutélaires des animaux qu’ils voulaient poursuivre, et donnaient un festin, dans lequel profaner les os des animaux semblables, en donner aux chiens, par exemple, eût été s’exposer à de grands malheurs. S’ils allaient à la guerre, les Hurons recherchaient la faveur d’Areskoui, dieu des combats, par des sacrifices et des mortifications. Si la largeur d’un fleuve, la hauteur d’un cap, la profondeur d’une rivière, le bruit d’une chute frappaient leur attention sur le chemin, ils offraient des sacrifices aux esprits de ce fleuve, de ce rocher. Ils jetaient du tabac, ou des oiseaux dont ils avaient coupé la tête, dans les ondes ou vers la cime des montagnes. Les Cénis offraient en sacrifice les prémices de leurs champs.

Le dieu du mal et celui de la guerre voulaient des sacrifices sanglants. Les Hurons offraient des chiens en holocauste. Les victimes humaines n’ensanglantaient les fêtes sauvages qu’après une victoire. Le P. Jogues rapporte que, lorsqu’il était chez les Iroquois, ils sacrifièrent une femme algonquine en l’honneur d’Agriskoüé, leur dieu de la guerre. « Agriskoüé, s’écrièrent-ils, nous brûlons cette victime en ton honneur ; repais-toi de sa chair, et accorde-nous de nouvelles victoires ».

Le sauvage, qui avait mis la nature animée et inanimée sous l’influence de nombreuses divinités réglant, dans leur domaine invisible, le destin de toutes choses, ajoutait foi aux songes et disait que les êtres supérieurs profitaient du sommeil des hommes pour leur communiquer des avertissements ou des ordres. Chacun, toutefois, restait libre d’interpréter ses visions à son gré, et de choisir son génie tutélaire.

Comme il ne portait qu’avec une crainte superstitieuse sa pensée vers ce monde invisible qui l’environnait de toutes parts, il devait croire que la nature avait doué quelques hommes de la faculté d’en sonder les profonds mystères. Ces hommes privilégiés étaient connus dans les forêts sous le nom de devins ou jongleurs. Ils prétendaient être en communication intime avec les esprits et avoir assez d’empire sur la nature pour pouvoir provoquer la chute des eaux du ciel, détourner la foudre, prédire l’avenir, favoriser les chasseurs en faisant tomber sous leurs flèches heureuses un gibier abondant. Les jongleurs passaient pour médecins. Ils soignaient avec des simples, et accompagnaient l’application de leurs remèdes de cérémonies propres à en imposer à la superstition du malade.

On a vu plus haut quelle était la croyance des sauvages touchant une autre vie. Le grand dogme de l’immortalité de l’âme était répandu parmi tous les peuples de l’Amérique. L’homme sauvage trouvait toute naturelle une vie qui ne finît point, et il n’eût pas compris comment un esprit pouvait mourir. En cela sa foi était bien contraire à celle du matérialiste civilisé, qui ne comprend pas comment un esprit peut toujours exister. Mais si les sauvages croyaient à l’immortalité de l’âme, ils ne pouvaient concevoir cette âme séparée d’un corps. Dans leur idée, tout prenait des formes sensibles. C’est pourquoi ils allaient déposer religieusement des vivres sur la tombe d’un parent ou d’un ami chéri : ils pensaient qu’il fallait plusieurs mois pour se rendre au pays des âmes, vers l’Occident, et que le chemin était semé d’obstacles et de dangers.

Les funérailles étaient accompagnées de cérémonies touchantes. On couvrait le mort de ses plus beaux vêtements, on lui peignait le visage, et on l’exposait à la porte de sa hutte, ses armes à côté de lui. Des guerriers de la famille célébraient ses exploits à la chasse et à la guerre. Il était porté ensuite au lieu de sa sépulture. On l’asseyait dans une fosse profonde, tapissée de fourrures, et on plaçait à ses pieds un casse-tête et un arc bandé. Une petite colonne était élevée sur sa tombe, on y suspendait divers objets en témoignage de l’estime que l’on avait eue pour lui ; quelquefois on y mettait son image taillée en bois avec des signes indicatifs de ses hauts faits.

Chez les Hurons et d’autres nations, il y avait deux sépultures. La première se faisait immédiatement après la mort. Le cadavre, replié sur lui-même et couvert de ses ornements les plus précieux, était enveloppé de riches pelleteries et déposé dans un cercueil d’écorces avec de la nourriture. Le cercueil était porté, au milieu des pleurs et des lamentations des femmes, dans un champ où il était déposé sur quatre poteaux de huit à dix pieds de hauteur pour y rester jusqu’à la fête des morts, qui avait lieu tous les dix ou douze ans. Les honneurs de la seconde sépulture étaient publics et solennels, et se faisaient au nom de la nation entière. C’était la cérémonie la plus célèbre parmi les indigènes.

Quand arrivait l’époque de cette fête funèbre, les sauvages se réunissaient pour nommer un chef. L’élu faisait inviter les nations voisines ou alliées. Au jour fixé, tous se rendaient, avec les signes de la plus profonde tristesse, en procession au cimetière, où les tombes étaient de nouveau livrées à la lumière du jour et aux regards des vivants. La foule contemplait ce spectacle dans un morne silence, pendant qu’une femme jetait des cris plaintifs. Les os des morts, après avoir été dépouillés des restes de chairs, étaient recouverts de peaux de castors et chargés sur les épaules des assistants, qui regagnaient le village aux accords des instruments et des voix.

Ces ossements étaient portés dans la salle du grand conseil, pour être suspendus aux parois et un chef commençait alors le beau chant des funérailles : « Os de mes ancêtres, qui êtes suspendus au-dessus des vivants, apprenez-nous à vivre et à mourir. Vous avez été braves, vous n’avez pas craint de piquer vos veines ; le maître de la vie vous a ouvert ses bras et vous a donné une heureuse chasse dans l’autre monde.

« La vie est cette couleur brillante du serpent qui paraît, disparaît plus vite que la flèche ne vole ; elle est cet arc-en-ciel que l’on voit à midi sur les flots du torrent ; elle est l’ombre d’un nuage qui passe.

« Os de mes ancêtres, apprenez au guerrier à ouvrir, ses veines, à boire le sang de la vengeance. »

Ces devoirs sacrés se terminaient par un festin donné en mémoire des morts. Les jours suivants étaient remplis par des danses funèbres et par des combats, espèces de tournois où se donnaient des prix.

Chez plusieurs peuples, les ossements étaient portés de village en village ; et à la fin de la solennité, ils étaient déposés dans une grande fosse tendue de pelleteries. Les sauvages y mettaient tout ce qu’ils possédaient de plus précieux. Chacun prenait ensuite de la terre dans la fosse et la gardait soigneusement, croyant qu’elle lui porterait chance au jeu.

Dans cette grande fête tout se passait avec ordre. Peu de nations ont eu une solennité plus imposante et en même temps plus propre à inspirer du respect pour la mémoire des ancêtres. Seule la sombre majesté des forêts pouvait être en harmonie avec le spectacle qu’elle déployait à tous les regards. Pour y assister, les tribus venaient d’une grande distance ; elles étaient reçues avec toute l’hospitalité qui les distinguait ; on faisait des présents, on en recevait à son tour.

Les sauvages avaient encore plusieurs autres solennités, des danses et des jeux. La fête des songes n’était qu’une saturnale, dans laquelle ils s’abandonnaient à tous les écarts d’hommes ivres ou insensés, allant quelquefois jusqu’à brûler leurs cabanes. Quant aux jeux, ceux de hasard surtout, ils y montraient une ardeur effrénée. Le plus célèbre était celui des osselets, qui se jouait à deux, dans un bassin avec de petits os à six facettes inégales, dont une noire. Le perdant était remplacé jusqu’à ce que tout le village y eût passé. Quelques fois la lutte s’engageait entre deux villages, et les joueurs invoquaient leurs dieux tutélaires, promettaient des sacrifices, demandaient de bons rêves, présages certains de succès, se portaient des défis, se querellaient, se battaient ensemble. Les grandes parties duraient plusieurs jours, au milieu des applaudissements et des imprécations.

Le mariage était une institution reconnue. Les enfants auxquels les sauvages étaient très attachés resserraient généralement ce lien, et assuraient par le sentiment du cœur des protecteurs à leurs premiers jours. Leurs mères veillaient avec d’autant plus de soin sur eux qu’ils paraissaient en avoir plus besoin à cause de l’état nomade de leurs parents. Durant les marches, elles les portaient sur leurs dos dans des maillots, que l’amour maternel se plaisait à orner des ouvrages les plus délicats ; pendant le travail, elles les suspendaient à une branche d’arbre, où ils étaient bercés par la brise.

Dès qu’ils pouvaient marcher, les enfants étaient affranchis de toute gêne, et abandonnés à leur jeune et capricieuse volonté. Ils contractaient ainsi, dès l’âge le plus tendre, cet amour de la liberté et de l’indépendance que n’a jamais pu dompter la civilisation. Le P. Daniel avait établi pour eux une classe au collège de Québec, lors de sa fondation (1635). Il crut avoir triomphé de la répugnance des Hurons chrétiens à y envoyer leurs enfants ; mais sa tentative n’eut aucun succès. Le jeune sauvage, aussitôt qu’il était capable de manier l’arc, s’accoutumait à l’usage des armes, et se formait en grandissant, sur l’exemple de ses pères dont les exploits, célébrés dans les fêtes publiques, faisaient battre son cœur.

Le don de l’éloquence est un grand avantage chez un peuple ignorant ou barbare, où la parole est le seul véhicule de la pensée. Ce talent, joint au courage, était chez les sauvages un titre pour devenir chef de tribu. Leurs langues, pleines de figures, se prêtaient admirablement à l’éloquence.

L’histoire sociale d’un peuple peut donner d’avance une idée de la perfection de son langage. Et ce que nous avons déjà dit dans ce livre suffit à faire juger de l’état des langues parlées dans l’Amérique septentrionale, lors de sa découverte. Ce n’étaient pas, il est vrai, des idiomes développés et mûrs ; mais l’organisation n’en était pas moins complète et soumise à des règles exactes. Nulle horde n’a été trouvée encore avec une langue informe, composée de sons incohérents, sans signification, car l’esprit donné à l’homme et qui opère indépendamment de lui, suit des lois stables comme celles de la nature, et se manifeste logiquement par des sons qui éclatent avec le jet de la pensée. Aucune langue sauvage n’offre les marques d’une agrégation arbitraire, produit pénible et lent du travail et de l’invention humaine. Le langage est né tout fait avec l’homme. Les dialectes des tribus sauvages portent bien l’empreinte, si l’on veut, de l’état où elles vivaient. Mais ils sont clairs, uniformes, et peuvent, sans avoir été régularisés par le grammairien, servir à la précision de la logique et à l’expression de toutes les passions.

Les hommes ont les organes de la voix constitués de la même manière, et sont conséquemment susceptibles d’apprendre toutes les langues, les sons primitifs étant essentiellement les mêmes. Cela est si vrai que l’alphabet de notre langue pouvait servir à rendre presque tous les sons des idiomes des sauvages, avec quelques légères variations comme celles-ci. Les Onneyouts changeaient l’r en l : ils disaient Lobelt au lieu de Robert. Le reste des Iroquois rejetait la lettre l, et aucun de leurs dialectes ne se servait de l’m et n’avait de labiales. Des différents dialectes de ce peuple, celui des Onneyouts était le plus doux, étant le seul qui admît la lettre l, et celui des Tsonnontouans le plus dur et le plus énergique. Les dialectes algonquins, remplis de consonnes, étaient sans douceur. Néanmoins, il y avait des exceptions, comme l’abénaquis, abondant en voyelles et par là même plus harmonieux.

Les sauvages ne connaissaient point les lettres. Toutes leurs communications se faisaient par la parole, ou à l’aide de figures hiéroglyphiques, grossièrement tracées. On pourrait conclure de ce dernier fait que les signes alphabétiques dérivent de figures semblables, modifiées, abrégées dans l’origine d’une manière infinie par le génie des peuples. La figure d’un animal, gravée sur une écorce de bouleau, indiquait à un sauvage le symbole de sa tribu, et les autres marques tracées à l’entour renfermaient un message ou quelque brève et simple pensée. Mais ce système était insuffisant pour conserver les faits de l’histoire ; du moins, on ne savait pas en faire usage pour un objet aussi important.

Le sauvage, qui peignait sa pensée sur l’écorce d’un arbre par une image, employait un langage figuré dans ses discours. Son intelligence n’était point formée à l’analyse, il avait peu d’idées complexes et de conceptions purement abstraites. Il possédait des mots pour exprimer les choses qui tombent sous le sens. Il en manquait pour traduire les opérations de l’esprit. Il n’en avait pas pour désigner la justice, la continence, la gratitude. En revanche, sa langue possédait un coloris frais et brillant, avec ces grâces simples et naïves que donne la nature. Ses expressions animées et hardies, son allure libre et toujours logique, la rendaient très propre à l’éloquence et aux réparties nobles.

Les gestes, l’attitude, l’inflexion de la voix, si naturels chez les sauvages, donnaient aussi beaucoup de force à l’expression de leurs pensées. Ils employaient les métaphores les plus belles et les plus énergiques.

S’il est quelque chose qui distingue les langues américaines, c’est le mode synthétique. Le sauvage ne séparait pas les parties constituantes de la proposition qu’il énonçait. Il n’analysait jamais. Ses pensées étaient formulées par groupes et faisaient un tableau complet. L’absence de toute raison réfléchie, de toute analyse logique, forme le grand trait caractéristique des idiomes indiens. Toutes les expressions devaient être définies. Les Algonquins, les Iroquois ne pouvaient dire « père » sans ajouter le pronom mon, notre, votre. Ils avaient fort peu de termes génériques. Chaque chose était désignée par un nom propre. Ils avaient des mots pour indiquer l’individu, mais non pas l’espèce. Ils disaient bien « un chêne blanc, un chêne rouge » ; ils n’avaient pas de terme pour exprimer une même action modifiée par le changement d’objet. De là une précision étonnante dans leur langage.

La nature de leurs langues permettait de ne faire qu’un seul mot du nom, du pronom et de l’adjectif. Cette propriété avait l’effet de varier à l’infini les expressions.

Les terminaisons des verbes ne changeaient jamais. Les variations s’exprimaient par des mots ajoutés. Il y avait souvent des transpositions singulières de syllabes de différents mots. En voici un exemple. O gila signifiait feu, et cawaunna, grand ; au lieu d’ajouter au premier mot le dernier, pour dire un grand feu, les deux mots étaient fondus ensemble pour n’en faire qu’un seul, et on disait co-gila-waunna. Il existait entre toutes les langues américaines, depuis la baie d’Hudson jusqu’au détroit de Magellan, une analogie qui mérite d’être observée. C’est une disparité totale dans les mots à côté d’une grande ressemblance dans la structure. C’étaient comme des matières différentes revêtues de formes analogues. Si l’on se rappelle que ce phénomène embrassait, d’un pôle à l’autre, presque tout un côté de notre planète ; si l’on considère les nuances qui existaient dans les combinaisons grammaticales, on ne saurait être surpris de trouver chez une portion si considérable de l’espèce humaine une tendance uniforme dans le développement de l’intelligence et du langage.

Gallatin est d’avis que la parité de caractère, dans les formes grammaticales ou la structure de toutes les langues américaines, indique une origine commune à une époque très reculée. Le caractère synthétique des langues sauvages nous permet aussi, selon d’autres auteurs, de tirer une conclusion encore plus certaine. C’est que les ancêtres des sauvages ne descendaient point de nations plus civilisées qu’eux, et que leurs langues portent en elles-mêmes la preuve qu’elles n’avaient jamais été parlées que par des peuples plongés dans des ténèbres et fermés à la civilisation. Il en est, cependant, qui disent au contraire, avec peut-être plus de raison, et Alexandre de Humboldt est du nombre, qu’aucune des langues américaines n’est dans cet état d’abrutissement que longtemps et à tort l’on a cru caractériser l’enfance des peuples ; et que plus on pénètre dans la structure d’un grand nombre d’idiomes, plus on se défie de ces divisions en langues synthétiques et langues analytiques, qui n’offrent qu’une trompeuse simplicité.

On s’est demandé quelquefois si les hommes de la race rouge étaient doués de facultés intellectuelles à l’égal de la race européenne. Si la même question avait été faite aux Romains sur les barbares qui envahissaient leur empire, ils auraient probablement répondu comme nous faisons aujourd’hui à l’égard des sauvages. En vain, pour expliquer les efforts infructueux qu’on a faits pour les civiliser, veut-on tirer des déductions de la conformation physique de leur crâne, de leur figure, même de leur teint, elles seront toujours entachées de l’esprit de système, répudiées avec raison aujourd’hui dans les questions de cette nature. Combien n’a-t-il pas fallu de générations pour civiliser les barbares qui inondèrent l’Europe dans les premiers siècles de l’ère chrétienne ? Et ils étaient venus s’asseoir au sein de populations policées et nombreuses ; ils étaient entourés des monuments que les arts et les sciences avaient élevés en Grèce, en Italie, dans les Gaules, en Espagne. Si au lieu de vivre au milieu d’une civilisation aussi avancée que leur barbarie pouvait bien faire reculer, mais n’était pas assez puissante pour éteindre tout à fait, ils n’avaient trouvé que des forêts et des bêtes sauvages, pourrait-on calculer le temps qu’il leur aurait fallu pour sortir de leur ignorance ?

Rien n’autorise donc à croire que les facultés intellectuelles des sauvages fussent inférieures à celles des barbares qui ont renversé l’empire romain. Frontenac en parle ainsi, à l’occasion d’une conférence qu’il eut avec les Iroquois, à Cataracoui (fort Frontenac, auj. Kingston), en 1673 : « Vous auriez assurément été surpris, monseigneur, de voir l’éloquence, la finesse avec laquelle tous leurs députés me parlèrent ; et, si je n’avais pas peur de passer pour ridicule auprès de vous, je vous dirais qu’ils me firent en quelque sorte souvenir des manières du sénat de Venise, quoique leurs peaux et leurs couvertures soient bien différentes des robes des procurateurs de Saint-Marc ». (Mémoire à Colbert, 14 nov. 1673).

Parmi les Iroquois qui furent obligés de passer en Canada après la Révolution américaine, se trouvait un homme qui avait acquis une certaine réputation dans les lettres. Thayendanegea, un chef agnier, était officier de l’armée anglaise où il était connu sous le nom de colonel Brant. Il avait fait des études classiques dans un collège de la Nouvelle-Angleterre, et avait appris les langues mortes. Il traduisit, du grec en iroquois, l’Évangile de saint Marc. Il a passé pour cruel et Thomas Campbell lui avait attribué, dans Gertrude of Wyoming, des cruautés qu’il n’avait pas commises, mais le poète a ajouté à ses dernières éditions une note qui lave de tout blâme ce chef cultivé. Thayendanegea reçut une pension de retraite, et fixa sa demeure à quelque distance de Niagara. Tout étranger était sûr de trouver chez lui un accueil bienveillant.

Si les sauvages ont succombé devant la civilisation, c’est que, outre la faiblesse de leur nombre, cette civilisation leur est apparue tout à coup, sans transition, avec toute la hauteur qu’elle avait acquise en une marche progressive de plusieurs milliers d’années. D’ailleurs on a beaucoup plus travaillé à les dépouiller qu’à les instruire. L’histoire des peuples anciens le prouve, la conquête peut anéantir même les nations les plus civilisées et les plus nombreuses.

Mais si les sauvages nord-américains étaient susceptibles de civilisation, il faudrait croire qu’ils n’étaient jamais venus en contact avec une société plus avancée qu’eux, si ce n’est peut-être dans une antiquité très reculée, car ils en auraient conservé quelque chose. Ils ne connaissaient point la vie pastorale ; ils n’avaient ni vaches ni moutons, et ignoraient l’usage du lait pour la nourriture. Ils ne savaient employer ni la cire, ni le fer qui leur eût été d’un si grand avantage. Doit-on conclure de là que leurs ancêtres n’ont pas émigré de l’Asie, où toutes ces choses sont connues et servent à l’homme ? L’Amérique centrale et méridionale a jadis été civilisée. Comme nous l’avons vu plus haut. Du reste, la race rouge offre une ressemblance frappante avec la race mongole. John Ledyard, voyageur américain, écrivait de la Sibérie que les Mongols ressemblaient sous tous les rapports, aux aborigènes de l’Amérique, où il restait encore des traces fort perceptibles d’un courant d’émigration, allant du Nord-Ouest à l’Est et au Sud. (Library of American Biography de J. Sparks, 2e ser. vol. XIV.) Les Tchouktchis du nord-est de l’Asie et les Esquimaux de l’Amérique paraissent avoir la même origine, comme semble le prouver l’affinité de leurs langues ; ils se regardent comme des peuples de même race, (G. T. Muller). Les Tongouses de la Sibérie sont l’image de nos indigènes ; et si nous parcourons l’Amérique, en partant du Nord, nous trouvons plus de langues primitives vers le golfe du Mexique que partout ailleurs, comme si les nations, arrêtées par le rétrécissement du continent sur ce point, s’étaient précipitées les unes sur les autres. Il y avait peut-être quelque communication entre les deux continents. Un Jésuite, [le P. Adrien Greslon, voyageant en Tartarie], fut bien étonné un jour d’y rencontrer une femme huronne qu’il avait connue en Canada. En adoptant l’hypothèse de l’émigration asiatique, il faut supposer que les Esquimaux et les Tchouktchis formaient l’extrémité de ce grand torrent de population, qui s’est arrêté au moment où les deux peuples étaient, l’un sur la rive américaine et l’autre sur la rive asiatique, séparés, au détroit de Behring, par un bras de mer de quarante-quatre milles géographiques seulement de largeur. Les Californiens et les Aztèques eux-mêmes prétendent, d’après leurs traditions, venir du Nord. Tous les faits recueillis jusqu’à ce jour confirment l’opinion que les indigènes du Nouveau-Monde ont eu leur berceau dans l’Ancien ; et que ceux de l’Amérique septentrionale en particulier, bien moins avancés que les peuples qui ont élevé les monuments trouvés au Mexique et dans la partie méridionale du continent, sont peut-être originaires des déserts de la Tartarie. Il ne peut y avoir plus de similitude entre deux peuples séparés par de longs espaces de temps et par de longues distances, qu’entre les sauvages américains et les Tartares asiatiques.

On sait aujourd’hui combien le climat change le physique de l’homme, modifie ses manières, ses mœurs et même la tournure de son intelligence. L’habitant des États-Unis ne ressemble déjà plus à celui de l’Angleterre. L’Américain est grand, mince, svelte, avec un teint bruni par le soleil et les vents chauds de la terre. L’Anglais est gros, replet, et son teint est rougi par les brouillards chargés du sel de la mer, qui envoloppent son île. La différence du climat a amené ce changement considérable dans l’espace d’un siècle à peine.

Si un pareil changement a pu s’opérer chez un peuple auquel la civilisation semblait assurer pour bien plus longtemps la conservation de son type physique d’autrefois, il ne doit pas paraître étonnant que chez l’homme sauvage, qui marche beaucoup plus près de la nature, le physique éprouve plus vite aussi l’impression des climats.



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