Introduction à la pensée de Michael walzer par Simon wuhl nov 2016



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Introduction à la pensée de Michael  WALZER 

par Simon WUHL nov 2016 

 

Présentation 

 

Théoricien de la société, philosophe politique, historien des idées et anthropologue, professeur 



émérite à l’université de Princeton, Michael Walzer (né en 1935) aborde les domaines de la 

politique, de la justice sociale, de la critique sociale, du pluralisme culturel ou de la question 

éthique au sein des conflits armés.  

Figure emblématique de la gauche intellectuelle américaine, il codirige la revueDissent 

(Controverse), où s’expriment les principaux débats politiques et sociaux qui traversent la société 

américaine.  

Bien qu’une grande partie de son œuvre ne soit pas centrée sur la thématique du judaïsme, 

l’ensemble de ses réflexions est irrigué explicitement par des références à la pensée, l’histoire et 

l’expérience du peuple juif à toutes les périodes : bibliques, médiévales, émancipées et 

contemporaines.  

 Et, depuis une quinzaine d’années, Michael Walzer s’est investi dans un projet individuel et 

collectif de réévaluation de la tradition juive en appliquant les méthodes de distance critique des 

sciences humaines, avec la thématique politique comme fil conducteur.  

 

 



 


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Les deux universalismes 

 

 Est-il possible de surmonter l’opposition ruineuse entre ceux qui, animés par la seule référence 



universaliste, prétendent formuler des théories valables pour toute communauté humaine, quelle 

que  soit  son  histoire,  sa  tradition  et  sa  culture  spécifique ;  et  ceux,  attentifs  au  particulier 

uniquement, qui privilégient un ancrage dans chaque communauté observée ?  

Les  universalistes  se  voient  taxés,  au  mieux,  de  s’en  tenir  à  des  théories  abstraites,  au  pire,  de 

mépris  vis-à-vis  des  autres  cultures.  Les  particularistes  sont  fustigés  pour  leurs  positions  dites 

« relativistes »,  voire  conservatrices,  supposées  accorder  une  valeur  équivalente  à  tout  système 

social.   

 Dans Les deux universalismes, Michael Walzer propose une troisième voie en puisant, au départ, 

dans  la lecture de la Bible hébraïque.  

 

Il existe, soutient-il, non pas un mais deux universalismes :  



-

 

Le  premier,  dominant  dans  la  conscience  occidentale,  prétend  façonner  l’ensemble  des 



communautés  humaines  autour  d’une  seule  conception  de  la  vie  bonne,  de  l’excellence 

éthique, de la société juste ou du bon régime politique. Cet universalisme centralisateur, 

est qualifié d’universalisme de surplomb 

-

 



Le  second,  occulté  par  le  premier,  qui  s’inspire  des  expériences  singulières,  se  présente 

comme  un  universalisme  de  réitération,  décentralisé,  où  chaque  société  progresse  en 

suivant  son  propre  chemin,  notamment  en  adaptant  des  expériences  de  libération  ou 

d’émancipation d’un autre peuple en fonction de ses caractéristiques sociales spécifiques.  

 

La source de ces deux universalismes est inscrite dans la Bible hébraïque. 



 L’universalisme de surplomb impose une vision monolithique avec « un seul Dieu, une seule loi, une 

seule justice, une seule conception exacte de la vie bonne, de la société bonne ou du bon régime, 

un salut, un messie, […] pour toute l’humanité. »  

L’Alliance conclue avec Dieu au Sinaï, le système moral et légal qui en est résulté avec la Torah, sont 

les fondements de l’histoire des Juifs, bien sûr, mais concernent l’ensemble du genre humain.  

Le  prophète  Isaïe,  par  exemple,  rapporte  les  paroles  suivantes  de  Dieu adressées  au  peuple 

d’Israël : « J’ai fait de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations… » (Is 42,6) 

 L’universalisme, de réitération, s’exprime au sein du récit biblique avant l’exil à Babylone vers le vi

e

 

siècle av. J-C. Ainsi, dans le livre du prophète Amos, Dieu ne s’adresse plus au seul peuple d’Israël : 



« Enfants d’Israël, vous êtes à moi, mais les enfants des Ethiopiens ne m’appartiennent-ils pas aussi ? 

J’ai  tiré  Israël  de  l’Egypte.  Mais  n’ai-je  pas  tiré  aussi  les  Philistins  de  Cappadoce  et  les  Syriens  de 

Cyrène ? » (Am 9,7) 

 

  Dans cette deuxième optique, présentée comme la véritable doctrine alternative du peuple juif 



aux  temps  bibliques,  la  réitération  exprime  l’idée  que  la  libération,  l’Exode,  est  une  aventure 

susceptible de se répéter (se réitérer) pour chaque peuple opprimé, mais en s’adaptant à chaque 

contexte singulier. L’ universel, c’est le rejet de l’oppression. 

  Pour Walzer, il existe un lien entre l’universalisme de surplomb et l’idée du triomphe.  

Or, d’après le récit biblique, la période triomphante d’Israël n’a duré que trois siècles, entre l’arrivée 

en « Terre Promise », à la suite de Josué au xiii

e

 siècle av. J-C, et la fin du règne du roi Salomon au x



e

.  


  C’est désormais avec l’expansion du christianisme et des nations chrétiennes, puis sécularisées, 

que  l’universalisme  de  surplomb  a  prospéré.  Et  cela,  sous  forme  de  l’exportation  d’une  mission 

universelle et même de « l’impérialisme des nations qui se sont appelées chrétiennes ».  

  Lorsque le judaïsme devient une religion en exil, il est réprimé au sein des nations chrétiennes. Le 

deuxième universalisme, de réitérationdevient alors la doctrine alternative qui s’impose au sein du 

judaïsme.   

 



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 Dans le même esprit, Emmanuel Levinas (1906-1995) oppose l’universalisme juif, qui diffuse son 



expérience  par  une  démarche  de  « rayonnement »  à  la  démarche  d’« englobement »  de 

l’universalisme chrétien, à prétention totalisante.  

 On  retrouve  le  même  type  d’opposition  entre  les  universalismes  chez  Benny  Lévy  et,  plus 

récemment, chez Jean-Claude Milner (L’universel en éclats, Verdier, 2014), tous deux opposant un 

universalisme intensif, attaché au judaïsme et basé sur l’exemplarité, à un universalisme extensif

de source chrétienne, qui procède par diffusion et ralliement par le haut. Enfin, Etienne Balibar, qui 

s’interroge  également sur  la  pluralité des  conceptions de  l’universel,  fait référence  à  l’article de 

Walzer.  

 

 

Les principes divergents de la critique sociale 



 

Il  existe  deux  modalités  d’exercice  de  la  critique  sociale,  étape  préalable  à  la  définition  d’une 

orientation politique : 

 

-



 

La première s’inscrit dans le cadre de l’universalisme de surplombElle consiste à déconnecter 

la réflexion par rapport à la société critiquée et à donner une portée générale à ses résultats, 

applicables à toute société en tous temps et en tous lieux : c’est une critique par invention de 

principes à prétention universelle.  

Le marxisme, la doctrine utilitariste (maximiser les satisfactions pour le maximum d’individus ou les 

principes de justice de John  Rawls (impératif de progression socio-économique limitée aux plus 

défavorisés de la société) en sont des exemples. 

 

-

 



La  seconde  a  les  caractéristiques  de  l’universalisme  de  réitération.  La  critique  demeure 

étroitement connectée au monde social concerné. Elle s’adresse au plus grand nombre et, dans 

cette optique, s’inscrit dans le cadre de l’histoire, de la tradition et de la culture d’une société 

donnée.  

C’est une critique par interprétation des principes moraux que la société s’est elle-même donnée. 

Cette voie critique est attentive aux attentes - latentes ou nouvelles. Elle peut parfaitement intégrer 

des critiques ou des expériences externes, à condition de les resituer et les interpréter en fonction 

de la tradition culturelle de cette société particulière.  

 

Les fondements bibliques de la critique par interprétation  

 

Dans son livre de référence sur le Judaïsme antique, Max Weber évoque les prophéties bibliques 



comme  les  premiers  pamphlets  politiques,  observation  élargie  par  Walzer  qui  présente  les 

prophètes comme les inventeurs de la pratique critique de la société.  

Le prophète Amos est le plus emblématique sur la critique des comportements, des puissants et 

dans le domaine de la justice sociale.  

Au viii

e

 siècle av. J-C, selon le récit biblique, les règnes monarchiques d’un peuple d’Israël affaibli, 



divisé en deux États, la Judée au sud, Israël au Nord, donnent lieu à un accroissement considérable 

des inégalités. Les découvertes archéologiques confirment que les maisons relativement uniformes 

des premiers siècles sont remplacées par des demeures luxueuses coexistant à côté de taudis. Plus 

grave encore, les riches vivent de l’exploitation des pauvres. Les marchands aisés sont accusés de 

pratiquer  l’usure,  la  fraude,  la  confiscation  des  biens  en  cas  d’insolvabilité.  C’est  pourquoi,  le 

prophète  précise  son  interprétation  de  la  Torah  :  les  rituels  et  les  sacrifices  supposés  suffire  à 

montrer son allégeance, ne valent rien en l’absence d’un comportement qui ne respecte pas le droit 

et n’applique pas la justice. 



« Je hais, je méprise vos fêtes » (Am 5,21), […] Mais que le droit coule comme de l’eau et la justice 

comme un torrent qui ne tarit pas. » (Am 5, 24) 

  



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La prophétie d’Amos conclut Walzer « est de la critique sociale [par interprétation] parce qu’il défie 



les dirigeants, les conventions et les pratiques rituelles d’une société particulière, et qu’il le fait au 

nom de valeurs reconnues et partagées dans cette même société. »  

 

Dans le Livre de Jonas, récit tardif, ultérieur à l’Exil à Babylone au vi



e

 siècle av. J-C, Yahvé ordonne à 

Jonas de se rendre à Ninive, la grande cité de l’Etat prédateur de l’Assyrie, où sévissent la violence 

et  l’ignorance  du  Dieu  unique,  pour  leur  annoncer  la  destruction  de  la  ville  si  les  habitants 

n’abandonnent pas leur mauvaise conduite. Après un certain nombre de péripéties (Refus et fuite 

de Jonas par bateau. Jonas jeté à la mer par les marins qui craignent les foudres de Yahvé. Jonas 

avalé par un gros poisson puis recraché après son repentir), le prophète parvient à Ninive et prêche 

dans la rue la parole divine par cette seule phrase : 

« Encore quarante jours et Ninive sera détruite » (Jon 3, 4) 

 Et le miracle se produit : Les gens de Ninive, sous la direction de leur souverain, se mettent à croire 

en Yahvé, puis acceptent d’abandonner leurs mauvaises pratiques.  

En retour, « Dieu se repentit du mal dont il les avait menacés, il ne le réalisa pas » (Jon 3, 10) 

 

Le prophète, dans ce récit, apparaît comme un simple messager de Dieu, détaché des traditions et 



des croyances du peuple auquel il s’adresse. On peut penser qu’il obtient un résultat éphémère, 

peut-être en se fondant sur un code minimaliste, une sorte de loi internationale (déjà attestée par 

le  récit  biblique)  où  certaines  manifestations  extrêmes  de  violence  sont  proscrites.  Face  au 

caractère superficiel et aux effets peu durables de l’action de Jonas, la critique du prophète Amos 

est beaucoup plus sérieuse car, partie prenante, il peut interpeller le peuple en se fondant sur des 

valeurs qu’il partage et proposer des réformes, en matière de justice sociale, qui vont bien plus loin 

que la simple proscription du crime de sang. 

 

La critique sociale à l’époque moderne :  Albert Camus et Jean-Paul Sartre 

 

  Albert  Camus  et  Jean-Paul  Sartre  représentent  deux  démarches  critiques  opposées  lors  de  la 



guerre d’indépendance de l’Algérie.  

  La  démarche  critique  d’interprétation  de  Camus,  explique  Walzer,  consiste  à  se  fonder  sur  les 

normes du régime colonial, supposées guidées par un esprit de justice, puis à dévoiler l’expérience 

réelle de l’oppression : « Camus poursuivait en revendiquant une redistribution des terres (…), une 

autonomie régionale (au début), des droits égaux pour tous les habitants de l’Algérie. »  

 Dès lors, il s’est retrouvé de plus en plus seul sur cette ligne à la fois critique et solidaire : d’un côté, 

la  France  n’appliquait  pas  ses  propres  normes  démocratiques  ;  de  l’autre,  le  FLN  algérien 

revendiquait l’indépendance totale sans compromis.  

Camus  ne  s’opposait  pas  à  l’indépendance,  mais  à  une  indépendance  conduite  par  le  FLN  qui 

signifiait le départ forcé des pieds-noirs.  

  Il ne s’est jamais joint non plus aux soutiens sans faille du FLN, de sa politique de négation des 

droits de la minorité pied-noir et de ses méthodes terroristes aussi violentes vis-à-vis des civils que 

la  violence  coloniale.  Ce  qu’exigeait  la  justice  pour  Camus  « c’est  que  les  Français  et  les  Arabes 

négocient leurs différences […] il n’y est jamais parvenu […] mais cela ne signifie pas qu’il ait eu 

tort d’essayer. »  

 

  À l’opposé, Jean-Paul Sartre professe que « la vie d’un critique social doit commencer par le rejet 



de  sa  propre  socialisation,  le  refus  de  la  société-en-lui. »  Il  s’agit  d’échapper  à  son  propre 

conditionnement social afin de s’universaliser. L’intellectuel critique doit, à l’intérieur, s’allier avec 

les classes défavorisées contre les oppresseurs et, à l’extérieur, s’allier avec les forces motrices de 

libération.  

 Pendant la guerre d’Algérie, les sartriens ont soutenu le FLN sans exprimer de restrictions sur son 

programme ou sur ses méthodes.  




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 Dès  lors,  Walzer  émet  une  double  objection  à  la  démarche  sartrienne :  elle  demeure 



incompréhensible  pour  les  larges  masses  des  dominés  destinés  à  rallier  au  sein  de  sa  société 

d’appartenance

 

; elle ne conduit qu’à remplacer une aliénation par une autre. 



Elle ne s’accompagne d’aucune vision critique de la nouvelle cause et des méthodes pour le moins 

discutables, notamment sur le plan de la violence aveugle.  

 

Martin Buber : Les implications politiques de l’éthique juive 

 

  L’activité  critique  de  Buber  s’est  en  grande  partie  exercée  à  l’encontre  des  orientations  du 

sionisme dans le conflit israélo-arabe. Mais il s’agissait d’une critique interne et non d’une critique 

externe, visant à délégitimer la nature même du sionisme. Ainsi a-t-il répondu négativement à une 

demande d’article formulée par un mouvement antisioniste américain en 1962, en déclarant : « ma 

critique de la politique arabe du gouvernement vient de l’intérieur, la vôtre de l’extérieur. Notre 

programme de coopération entre Juifs et Arabes n’est pas inférieur à ce qu’on appelle le sionisme 

officiel, plutôt, c’est un sionisme plus grand [c’est à dire meilleur]. »  

  Pour  Buber,  le  danger  principal  du  sionisme  était  celui  de  tous  les  nationalismes  cherchant  à 

affirmer une souveraineté sur un territoire dans un contexte conflictuel : la perte de sa conscience 

éthique, valeur cardinale du judaïsme. 

  Buber adopta concrètement deux positions successives : 

 La première, particulièrement ambitieuse prônait l’idée d’un État  binational (ou plus tard d’une 

Fédération) co-gouverné(e) par les Juifs et les Arabes conjointement.  

Mais à la fin des années 1930, et surtout après la tragédie de la Shoah, cette option est apparue 

comme  illusoire  du  fait  du  rejet  arabe  de  toute  présence  juive  en  Palestine  et,  d’autre  part,  de 

l’afflux  des  réfugiés  avec  l’urgence  morale  absolue  de  la  revendication  sioniste  d’une  libre 

immigration juive en Palestine.  

  La  seconde,  après  1948,  prôna  une  orientation  qui,  tout  en  demeurant  critique,  privilégia  la 

solidarité et la connexion avec le monde juif : celle de la préservation de l’impératif moral.  

  Ainsi, il nia l’efficacité de la violence sans pour autant adopter une position pacifiste, il demanda 

que les forces israéliennes n’interviennent que sous la menace explicite, qu’elles réagissent avec 

une proportionnalité des moyens en fonction d’objectifs limités. Il rejeta les expropriations et les 

représailles et chercha localement des occasions pour mettre en œuvre une coopération.  

 

Les sphères de justice 

 

Le livre Sphères de justice, paru en 1983, est considéré comme l’œuvre majeure de Michael Walzer. 



Contrairement à de nombreux de ses écrits, parus ultérieurement, les liens au judaïsme sont peu 

apparents, même s’ils ne sont pas complètement absents.  

 

 Cependant,  l’intérêt  particulier  pour  la  justice  sociale  comme  élément  central  de  la  question 



politique, s’il ne constitue pas une marque exclusive des auteurs juifs, renvoie néanmoins à un axe 

principal de la Bible et à

 

de grandes figures de la pensée juive de l’exil.  



  Ensuite, la problématique de Walzer partant d’une mise en lumière du « fait du pluralisme » dans 

les sociétés démocratiques occidentales et, corrélativement, d’une prise en compte de la diversité 

des collectivités historique et culturelle, fait écho à sa propre expérience de Juif-américain et à son 

souci de préservation du fait culturel juif en Diaspora.  

  Enfin, les références historiques puisées dans la tradition à l’appui de ses démonstrations, pour la 

sphère éducative par exemple, sont révélatrices de l’érudition de Walzer sur l’histoire du judaïsme.   

 

Le concept d’égalité complexe 

 

  On peut résumer sa théorie par la formule suivante :  



Il faut remplacer la notion d’égalité simple - qui limite la justice sociale à la distribution d’un seul 

bien, de nature économique – par le concept d’égalité complexe, qui prend en compte d’autres 




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biens  sociaux  comme  l’éducation,  le  bien-être  et  la  santé,  la  politique,  l’identité  culturelle  ou  le 



temps libre.  

 

  Quelques exemples de théories de l’égalité simple autour de la sphère économique :  



-

 

Le principe d’égalité des chances, qui sous-tend les politiques de justice sociale en France  



-

 

Les théories utilitaristes : « donner le maximum de satisfaction au maximum de personnes », 



référence des sociétés anglo-saxonnes.  

-

 



La théorie beaucoup plus élaborée de John Rawls, en réaction à l’utilitarisme : « Maximisation 

de la situation des plus défavorisés de la société ».  

 

Toutes ces théories ont un point commun : elles ne prennent en considération, dans l’évaluation 



des effets, que le seul facteur économique (Si le politique ou l’éducatif sont pris en considération, 

c’est dans leur impact sur les situations économiques.)  

Notons que dans d’autres sociétés, comme le régime de l’ancien URSS, le facteur politique écrase 

tous les autres.  

 

  L’égalité complexe apporte deux modifications importantes dans la problématique de la justice 



sociale :   

-

 



Premièrement, un élargissement à un ensemble de biens : l’économique, le pouvoir politique, 

la responsabilité de service public, la reconnaissance de l’appartenance culturelle, l’éducation, 

le bien-être individuel (sécurité, santé), etc.  

Il y a donc plusieurs sphères de justice, dotées chacune d’une autonomie relative. (Nul ne devrait 

obtenir un pouvoir politique parce qu’il est économiquement riche).  

 

-



 

Deuxièmement, une limitation des biens dans une société donnée. 

Certains (l’économique, le bien-être sécuritaire et sanitaire, par exemple) ont une valeur partagée 

par tous. D’autres (l’éducation, le pouvoir politique, par ex.) ont une valeur partagée plus affirmée 

pour certaines communautés. 

La  forte  signification  sociale  d’un  bien  est  liée  aux  traditions  historiques  et  culturelles  de  ces 

groupes sociaux.  

 

Le cas des communautés juives 

 

Walzer met en correspondance le désir d’éducation au sein des communautés juives de la diaspora 



contemporaine avec une forte tradition forgée à l’époque du judaïsme médiéval. Vers le quinzième 

siècle,  dans  toutes  les  communautés  juives,  on  faisait  très  attention  à  l’éducation.  On  payait 

couramment les frais de scolarité des enfants pauvres et on donnait des subsides plus ou moins 

importants, ainsi que des dons supplémentaires de charité, aux écoles religieuses et aux académies. 

Dans  le  même  sens,  deux  économistes,  Maristella  Botticini  et  Zvi  Eckstein,  dans  un  livre  très 

documenté paru en 2012, avancent la thèse selon laquelle il existe une corrélation entre le niveau 

d’enseignement  des  populations  juives  et  leur  degré  de  fidélité  au  judaïsme,  depuis  l’obligation 

rabbinique (du moins faite aux hommes), dès l’an 200 de notre ère, de connaître la Torah écrite, 

donc d’être éduqués, sous peine de se voir mis en dehors de la communauté.  

 

En résumé, le souci de Walzer, exprimé dans Sphères de justice, est de proposer un cadre théorique 

représentatif  de  la  composition  réelle  de  la  société.  En  particulier,  il  prend  en  compte  les 

communautés  culturelles (au  sens  large)  qui  la  composent,  avec  leurs  traditions  historiques  qui 

orientent leurs préférences pour des biens sociaux distribués ou « à distribuer ».  



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Le pluralisme culturel  

 

  

 



Walzer juge stérile l’opposition entre le « communautarisme civique » qui, à l’instar d’un courant 

« républicaniste »  en  France,  n’accorde  de  la  valeur  qu’au  lien  politique,  et  disqualifie  les 

communautés fondées sur des liens hérités et le « multiculturalisme radical », débouchant soit sur 

l’enfermement communautaire, soit, sur une sorte de séparatisme culturel.  

C’est  pourquoi  Walzer  préfère  l’expression  de  « pluralisme  culturel »  à  celle  de 

« multiculturalisme »,  ce  qui  implique  une  articulation  nécessaire  ente  le  lien  culturel,  le  lien 

politique et l’intégration économique.  

 

 



Les sources juives : le maintien d’une personnalité collective du judaïsme en Diaspora     

 

  En Europe orientale : A la fin du 19



e

 siècle et au début du 20

e

, des grands penseurs juifs – comme 



Simon Doubnov ou Ahad Haam (Asher Ginsberg)  – et des mouvements juifs influents comme le 

Bund  (Union des  travailleurs  juifs),  ont  engagé  des  réflexions  et  des  actions  dans  le  sens d’une 

émancipation des Juifs sur un double plan : de l’intégration économique et politique, d’une part ; 

du  maintien  d’une  personnalité  collective  pour  les  Juifs  en  Diaspora,  au  sein  de  leur  pays  de 

résidence, d’autre part.  

 Aux Etats-Unis :  Au début du 20

e

 siècle, ces orientations ont donné lieu à des prolongements sur la 



question culturelle, l’égalité citoyenne étant acquise. Ainsi, on doit à Horace Kallen, philosophe juif-

américain  et  fils  de  rabbin,  l’invention  et  la  première  théorisation  du  multiculturalisme.    Dans 

l’Amérique des années 1910-1920, où dominent les idées purement assimilationnistes du courant 

racialiste anglo-saxon, Kallen propose un modèle respectueux de la multiplicité des communautés 

ethniques et culturelles qui composent la nation américaine.  

 

La reconnaissance d’une pérennité du fait communautaire 

 

 En suivant Kallen, Walzer avance trois types d’arguments en faveur d’une reconnaissance du fait 



communautaire :  

- Donnée fondamentale de nature anthropologique, l’expression des différences communautaires 

s’observe dans toute l’histoire des sociétés, quels que soient les régimes politiques.  

-  On  peut  toujours  réprimer  les  communautés  culturelles,  mais  on  ne  peut  les  supprimer.  Par 

exemple, après des dizaines d’années de répression dans les sociétés bureaucratiques d’Europe de 

l’Est au xx

e

 siècle au nom d’un universalisme communiste de « surplomb », elles sont revenues plus 



fortes que jamais après la fin de ces régimes.  

- Le déni de reconnaissance de la différence culturelle aboutit non à un renforcement du lien à la 

nation, mais à un repli identitaire et à une rupture.  

 

    Walzer rejoint ici les constats de Simon Doubnov : la reconnaissance de la personnalité collective 



des minorités n’est pas un obstacle, mais se pose en condition pour l’inscription de leurs membres 

dans le cadre du lien social national.  

 

Pluralisme culturel et lien social national   

 

  Le  pluralisme  culturel  ouvert  et  tempéré  se  distingue  du  multiculturalisme  aux  contours  mal 



définis, par trois additifs importants comme facteurs d’intégration à la nation :  

   


- Il est de nature inclusive. L’encouragement institutionnel à l’exercice d’une citoyenneté active – 

dans les associations à vocation économique et sociale - est considéré comme un prolongement 

naturel de l’engagement culturel.  

 - Il est de nature redistributive : indissociable d’une politique active d’intégration économique en 

direction des plus démunis (l’encouragement au militantisme associatif et syndical étant un des 

moyens de susciter une telle orientation). Dans le même sens, Walzer propose une redistribution 




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des ressources  entre  les communautés  culturelles  -  qui  assurent  des services  à  leurs  membres  - 



entre les mieux dotées (la communauté juive entre autres) et les plus démunies (afro-américaine 

ou latino-américaine). 

-  On  peut  s’en  défaire :  dans  les  régimes  démocratiques,  si  on  ne  choisit  pas  l’héritage  culturel 

transmis, il est tout à fait possible en revanche de s’en séparer totalement ou partiellement. Le 

raisonnement en termes de communautés historiques et culturelles ne suffit pas à rendre compte 

de l’évolution des sociétés. Ainsi, des processus d’individualisation se développent, donnant lieu à 

des  affiliations  de  nature  pluraliste,  à  des  multi-appartenances,  surtout  à  une  diffusion  de  la  bi-

appartenance (juive-américaine, italo-américaine, etc.).  

 

Toutefois, soutient Walzer, les processus d’individualisation n’entament pas le rôle indispensable 



de  la  communauté  historique  et  culturelle  comme  référence  et  soutien  lorsque  les  individus 

ressentent  le  besoin  de  s’arrimer  à  des  liens  de  solidarité  indéfectibles :  leur  circulation  entre 

plusieurs  identités,  héritées  ou  choisies,  ne  peut  s’effectuer  dans  de  bonnes  conditions  que  s’il 

existe des « ports d’attache », des communautés historiques et  culturelles, qui leur procurent des 

repères pour le redéploiement de leur identité. 

 

Conclusion : pluralisme et modèle français 



 

Toute entreprise de transposition « clé en main » d’un modèle étranger à la tradition française est 

à  proscrire.  En  revanche, en  s’inspirant de  la  problématique  de critique  par interprétation et  de 

réitération de certaines analyses ou expériences étrangères, on peut interroger le modèle français. 

 

La source girondine, occultée dans la tradition républicaine.  

 

  La tradition girondine, qui accorde une large place à la décentralisation, à la société civile et aux 



minorités  collectives,  est,  selon  l’historienne  de  la  Révolution  Mona  Ozouf,  à  l’origine  de  la 

définition  républicaine  au  même  titre  que  la  tradition  centraliste  jacobine.  Pour  l’historienne, 

l’héritage  de  l’esprit  girondin  demeure  vivace  et  peut  agir  comme  point  d’appui  pour  des 

revendications de reconnaissance des minorités dans le cadre d’un pluralisme régulé. (Mona Ozouf. 



Composition française, Folio)  

 

Loi de 1905 et laïcité   



 

  La loi de 1905 est une loi équilibrée, qui accorde une grande importance à la liberté religieuse et 

culturelle, y compris dans l’espace commun si l’ordre public n’est pas menacé. Une interprétation 

abusive  de  cette  loi  lui  donne  un  tour  restrictif,  en  introduisant  des  dispositions  issues  de  la  loi 

jacobine dite « Le Chapelier » de 1790, dont l’objet était de supprimer toute instance intermédiaire 

– d’ordre communautaire ou professionnel – entre gouvernants et gouvernés. Or, ces dispositions 

qui ont été débattues lors des débats préparatoires à la loi de 1905, n’ont pas été retenues. (Jean 

Baubérot et Christine MilotLaïcités sans frontières, Seuil).  

 

Clarifications sur la notion de « Communauté » dans les sociétés démocratiques 



 

    Il existe dans nos sociétés démocratiques deux types de regroupements en collectivités ou en 

communautés, qu’il faut bien distinguer :  

-

 

Les regroupements volontaires en associations, partis ou syndicats par exemple, qui sont libres 



de tout engagement et qui n’affectent pas l’identité profonde de l’individu.  

-

 



Les  communautés  constituées  sur  une  base  ethnique,  religieuse  ou  culturelle.  Ces 

communautés  constituées  ont  une  importance  toute  particulière  car  elles  transmettent  une 

part  d’identité  que  l’individu  devrait  s’approprier  pour  s’intégrer  en  toute  connaissance  de 

cause à la société.  




9 / 9 

 

Si  les  communautés  volontaires  relèvent  du  choix,  les  communautés  constituées  relèvent  de  la 



découverte de soi et de l’attachement à une communauté d’identité et de destin.  

 

Trois remarques complémentaires :  



-

 

Les communautés constituées ne sont pas totalisantes dans les sociétés démocratiques : une 



part  de  l’identité  se  réalise  en  dehors  du  cadre  communautaire,  à  travers  un  engagement 

citoyen, syndical ou dans les associations volontaires par exemple ;  

-

 

Si  l’appartenance  originelle  à  la  communauté  constituée  n’est  pas  choisie,  la  possibilité  de 



quitter – partiellement ou totalement – le lien communautaire est en revanche totale dans les 

sociétés démocratiques.  

-

 

Les  réflexions  issues  du  contexte  américain  sur  la  notion  de  « communauté »  peuvent 



parfaitement être réitérées et adaptées à d’autres contextes démocratiques comme la France.  

 

L’Ecole et le pluralisme culturel  

 

Toutes les sociétés démocratiques d’immigration, y compris la France, ont le choix entre deux types 



de stratégies éducatives vis-à-vis de la diversité culturelle :  

 

 - L’une, conforme au modèle français, envisage l’éducation sous l’angle principal, voire exclusif, de 



la  réflexion  critique,  en  mettant  à  distance  toutes  les  appartenances  historiques,  religieuses  et 

culturelles mais se heurte toutefois à deux écueils importants :  

     D’une part, les citoyens ainsi formés ont certes l’esprit critique mais pas forcément l’esprit de 

tolérance  qui  favoriserait  une  compréhension  d’autres  traditions  historiques  ouvrant  sur  une 

qualité meilleure des rapports sociaux ; 

   D’autre part, cette orientation risque de générer un flux de « vagabonds culturels » - mal à l’aise 

dans leur propre culture et hostiles à une culture dominante qui semble mépriser la leur.  

  

 -  L’autre option, prônée par Walzer, conçoit une éducation qui formerait des citoyens à la fois 



critiques  et  tolérants.  À  l’aide  d’une  école  qui  jouerait  pleinement  son  rôle  « en  reconnaissant 

simplement  la  pluralité  des  cultures  et  en  intégrant  dans  les  programmes  scolaires  un 

enseignement minimal de l’histoire et de la culture des différents groupes. »   

 

Et Walzer ajoute dans une veine réaliste : « Même non critique, la seule expérience de la différence 



suffira à encourager l'échange critique ». 

 

 



 

 

 



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