L’inconscient : l’ennemi intérieur des femmes



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L’inconscient : l’ennemi intérieur des femmes.1
Inverser la cause et l’effet.

Selon la psychanalyse, le moi parle et agit sans savoir exactement ce qu’il dit ou fait. Il ignore aussi ce qui le détermine. L’inconscient serait la raison dernière de sa raison et de ses passions. Par les actes ou pensées qu’il ne maîtrise pas, l’individu laisserait échapper une vérité. Les psychanalystes ajoutent : sa vérité, son désir subjectif, qu’il doit décrypter pour se connaître.

Or l’inconscient défini par Freud et Lacan est en soi « phallocentré », c'est-à-dire nécessairement sexiste. Ceci pour deux raisons. L’une est idéologique : selon eux, le patriarcat est un ordre équitable car nécessaire. L’autre est théorique : observant une correspondance entre contenus inconscients et hiérarchie sociale, ils ont rejeté l’hypothèse sociologique pour affirmer que l’inconscient organisait les sociétés. Les sociétés connues d’eux étant des patriarcats, les lois de l’inconscient seraient sexistes et immuables.

Mais, révolutionnaires, nous affirmons que l’ordre social, ancien ou actuel, n’est ni juste ni immuable ni soustrait aux décisions conscientes des individus. Ceci nous mène à formuler l’hypothèse suivante : si les contenus inconscients correspondent aux inégalités sociales, alors l’inconscient a une origine sociale. Dès lors, que doivent chercher les opprimé-e-s, ici les femmes, dans « leur » inconscient ? « Leur désir », « leur vérité subjective » ou plutôt la manière personnelle dont elles ont intériorisé les pressions sociales, les injonctions dominantes ?


L’inconscient sexiste

Freud et Lacan définissent l’inconscient par le concept de « castration », donnant une place centrale à ce qu’ils considèrent être le sexe, à la fois au sens de sexuation et au sens de sexualité. Selon eux, les différences anatomiques de sexe ont un impact psychique considérable. Mais ni l’enfant ni le langage ne pourraient symboliser les organes féminins. Dans l’inconscient, il existerait un référent universel : le pénis, et un critère de classification : présence vs absence de pénis2. En raison de cet androcentrisme, le registre de la perte, de l’échec, de la déchéance renvoie à la castration et à la féminité alors que le « phallus » (en fait le pénis3) inscrit l’homme du côté de la norme et de l’élection. Sur un plan psychologique, la féminité est caractérisée par l’« envie de pénis » et la dévalorisation de soi due entre autres à l’exclusion hors de ce qui crée le sujet (filiation, symbolique, sexualité active, parole légitime). D’un point de vue politique, le concept de castration est une manière savante de définir les femmes comme des sous-hommes pour justifier qu’elles soient traitées comme telles4.

La définition freudienne de la sexualité complète cette hiérarchie entre surhomme et sous-homme. Freud invente le « fantasme de la scène primitive » et y voit l’origine présociale des pratiques sexuelles individuelles et instituées. Or dans ce fantasme, le sujet voit son père commettre un acte sexuel sadique sur sa mère, qui y prend plaisir. La sexualité inconsciente serait donc irréductiblement sadomasochiste.
Théories sexistes de la sexualité patriarcale

Sur un plan théorique, le concept de castration implique de définir la sexualité comme une agression sexiste. Sur un plan épistémologique, Freud s’inscrit dans la sexologie naissante dont le modèle de sexualité est la « perversion ». C'est-à-dire tout acte non reproductif vécu comme sexuel par les « pervers ». Beaucoup voient dans ce tournant un progrès car l’homosexualité, la sodomie et la masturbation ont été réhabilitées. Mais les fondateurs de la sexologie voyaient dans les actes de Sade une sexualité déviante, non des crimes et des actes de barbarie5. C’est pourquoi leur modèle de sexualité englobe des pratiques qui ne sont pas neutres au regard des rapports sociaux. A savoir, les actes commis majoritairement par des hommes contre des femmes et des enfants : pédophilie, prostitution, exhibitionnisme, voyeurisme et sadisme. Loin de dénoncer la destruction des victimes, la psychanalyse et la sexologie ont qualifié ces agressions de « sexualité », n’y voyant que désir et plaisir. Mais de qui est-ce le plaisir ? de l’agresseur. Ces disciplines ont adopté sa version et l’ont généralisée. Or l’agresseur sadise, contraint ou surprend sa victime : il nie la subjectivité de l’autre. Ces actes de négation sont devenus un modèle de la relation sexuelle. Rien d’étonnant à ce que Freud ait inventé une tendance naturelle de la sexualité à hiérarchiser sujet/objet, actif-agressif/passif, phallique/castrée. Nulle injustice dans ces hiérarchies : seulement une essence qu’il nomme « pulsion »6. Mais sa théorie de l’ordre bon car naturel entre les sexes repose sur la négation des crimes incestueux et sexistes7 ; elle en reconduit donc le sadisme misogyne. Cela implique d’imputer un plaisir masochiste aux enfants et aux femmes, les protagonistes floué-e-s de ces « perversions ». De fait, Freud attribue aux enfants un « fantasme de fustigation » ; le « masochisme féminin » est un concept dans des dictionnaires actuels de psychanalyse ou de sexologie (Petit Larousse de la sexualité).


Une technique de colonisation mentale

Un psychanalyste, professeur à l’université, résume le problème politique majeur de la psychanalyse : « L’inconscient n’est ni égalitaire ni démocratique et il reste sourd à toute éducation [...]Attendre de l’analyse de l’inconscient […]qu’elle fournisse des représentations dont les femmes puissent (consciemment) se satisfaire, c’est […] se tromper d’adresse. » (J. André, La sexualité féminine, p.42). Ainsi, Freud et Lacan prétendent aider les femmes en leur imputant un inconscient qui, selon eux, réclame l’inégalité. La cure devrait mener l’individu à s’attribuer ses pensées inconscientes pour réduire sa souffrance. Mais mener les hommes à admettre leur agressivité et leur mépris envers les femmes n’a pas le même effet que de faire assumer aux femmes un désir masochiste et une identité méprisable. La première démarche consolide la conscience dominante en renforçant la continuité entre vision personnelle et réalité collective inégalitaire puis en éliminant le remords. La seconde renforce l’oppression subie en disloquant la conscience : elle creuse l’écart entre expérience personnelle et perception idéologique, elle augmente la culpabilité et la haine de soi propres aux opprimé-e-s. L’interprétation psychanalytique opère ici une ultime destruction de la conscience dominée : déjà morcelée, médiatisée et limitée8, celle-ci est jetée dans un doute sans fin - J’ai dû le vouloir/ désirer inconsciemment. Face à un jeu de mot ou un fantasme sexistes, psychanalystes et dominants répondent : c’est ce que tu désires « au fond ». Face à une plainte ou une dénonciation : ce n’est pas vraiment ce que tu veux dire/ au fond ça t’a plu. Les opprimées sont ainsi expropriées de leur subjectivité comme elles le sont de leur corps par la sexualité imposée et le travail extorqué.


Des critiques qui restent internes

Bien-sûr les critiques n’ont pas manqué, mais presque aucune n’a porté un coup fatal au sexisme freudien. Par exemple, celles émanant d’intellectuelles ont souvent consisté à appliquer à Freud et Lacan ou à leur théorie leurs propres concepts. Elles restent dans la tradition analytique d’expliquer l’espace social et les destins individuels par l’inconscient. Les fondamentaux de la théorie sont donc conservés. Par exemple, dans L’Enigme de la femme, Sarah Kofman « psychanalyse » Freud au lieu d’analyser les conditions sociales de la production du savoir dominant et des « Grands Hommes ». Luce Irigaray, dans Speculum, Julia Kristeva, dans Le génie féminin, exaltent, au lieu de la rejeter, la figure d’Autre dans laquelle Lacan a relégué « La Femme » pour mieux insulter les femmes9. Par son écriture poétique, Hélène Cixous entérine l’essentialisme lacanien concernant le langage10 et illustre l’éternelle fuite du signifiant vers le « phallus ».

Parmi les tendances non différentialistes du féminisme, on notera l’impasse sexiste dans laquelle les queer se sont jeté-e-s. La complaisance de Gayle Rubin (1975) pour le concept de pulsion, ou de Judith Butler (1990 ; 1993) pour ceux de phallus et de langage, a légué aux queers l’essentialisme freudien avec les paradoxes et l’idéalisme lacaniens. Entre autres, ils-elles ont récupéré l’idée de « bisexualité psychique » ; or elle repose sur la hiérarchie pulsionnelle sujet/objet, actif-agressif/passif-masochiste. Sans surprise, on trouve dans leur rangs des défenseurs-euses du SadoMasochisme.

Enfin, pour être féministes, les marxistes et les anarchistes doivent critiquer l’androcentrisme de leur sujet politique car les femmes subissent une oppression spécifique11. Par exemple, Reich a resitué le freudisme, comme doctrine et pratique, dans un contexte d’exploitation de classes sociales. Mais rien dans son analyse de la sexualité n’est féministe : il garde le concept de pulsion, il ne politise pas la classification sociale par sexe ; surtout, il dénonce la « misère sexuelle » de tous, hommes comme femmes. En fait, il feint d’ignorer que ce n’est pas par misère mais par volonté de pouvoir que les hommes détruisent la sexualité des femmes, à force de violences idéologiques, physiques et économiques12. De fait, ses propositions politiques de « libération sexuelle » ont été désastreuses pour les femmes13.

Les concepts fondamentaux de la psychanalyse sont liés au « sexe ». La débarrasser de son sexisme implique de supposer ceci : tout concept impliquant les différences de sexe ou la sexualité est sexiste, et il faut être prêt-e à le rejeter – fût-il l’inconscient, au sens des psychanalystes passés et actuels. Seul un tel a priori permet une critique radicale. Monique Plaza a laissé entrevoir l’ampleur de cette révolution possible14.
Libérer les opprimées de « leur » inconscient

L’inconscient, compris comme dissociation psychique, peut être vu comme la séquelle d’une socialisation violente, ancrée dans les inégalités patriarcales (parents/enfants, hommes/femmes), classistes et racistes. Comprendre l’aliénation, c’est analyser les versions individuelles de la « face mentale des rapports de pouvoir » qu’est l’idéologie (Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir, 1992). L’introspection ne doit plus mener les opprimées à se reconnaître dans leur inconscient mais à reconnaître les représentations dominantes qui parasitent et dissocient leur conscience. Cet inconscient, dans l’ombre, abîme notre qualité de vie à coup de symptômes, et, quand on l’éclaire, nie notre parole et notre dignité. Nous devons l’analyser au regard des injustices subies et déjouer l’intériorisation des intérêts dominants. Les hommes pro-féministes, eux, devront critiquer le socle de leur conscience15 et renoncer au semblant de rationalité et d’objectivité16 que leur donne l’automatisme idéologique.



1 A paraître dans Le Monde Libertaire, 2011.

2 J’ai critiqué le concept de castration dans « Le genre dans la famille », formation Femmes, FSU, nov. 2010 (http://formation.fsu.fr/spip.php?article1320.).

3 Lacan a préservé le sexisme freudien en usant du paradoxe. Ce mot n’est pas lui-même, a-t-il ajouté aux concepts clefs de sa théorie du patriarcat (phallus, père, mère, femme). Il a dématérialisé la violence de l’ordre social et l’a resservi aux contestataires de tout bord.

4 Entre autres thèses sexistes : G. Pommier : Que veut dire faire l’amour ?P. Legendre : La fabrique de l’homme occidental  P.L. Assoun : Le pervers et la femme J. Laplanche :  Problémtique IV, Castration; les articles liés à féminité sur les sites de la Société Psychanalytique Paris ou de l’Association Lacanienne Internationale.

5 Pour une critique féministe de la sexologie voir Sheila Jeffreys (1985) : The Spinster and her Enemies. Feminism and Sexuality 1880-1930.

6 J’ai critiqué le concept de pulsion dans « L’Éducation nationale française: de l’égalité à la "libération sexuelle" », Nouvelles Questions Féministes, 29 n°3, 2010.

7 Voir Alice Miller : L’enfant sous terreur, 1986. Catherine Morbois, Marie-France Casalis : L’aide aux victimes de viol, 2002

8 Voir Nicole Claude Mathieu : « Quand céder n’est pas consentir… », in L’Anatomie Politique, catégorisations et idéologies du sexe, 1991.

9 Le séminaire Encore, 1972-1973, comme une réponse au MLF, mêle concepts et jeux de mots insultants.

10 Pour une critique radicale féministe du naturalisme en linguistique, Claire Michard : Le sexe en linguistique. Sémantique ou zoologie ? 2002.

11 Christine Delphy : L’ennemi principal. L’économie politique du patriarcat, 2001. Voir les articles de Léo Thiers Vidal pour sa perspective féministe sur ses engagements anarchistes (ici).

12 On verra Paola Tabet : La grande arnaque. Sexualité des femmes et échange économico-sexuel, 2004. Pour sa critique des mythes de l’ethnologie sur la sexualité libre : La construction sociale de l’inégalité des sexes, 1998.

13 Sheila Jeffreys : Anticlimax : a feminist perspective on the sexual revolution, 1991.

14 dans « Pouvoir phallomorphique et psychologie de "la Femme", un bouclage patriarcal», 1977 ; « La même mère », 1980.

15 Voir Léo Thiers-Vidal : De l’ennemi principal aux principaux ennemis ; position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination, 2011.

16 Voir Catharine MacKinnon : « Désir et pouvoir », in Le féminisme irréductible, discours sur la vie et la loi, 2005 ; Andrea Dworkin : « Le Pouvoir », in Pouvoir et violence sexiste, 2007.

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