Maîtrise d'Histoire (1973) michele grenot


SA CARRIERE POLITIQUE SON CHEMINEMENT DANS LA CARRIERE POLITIQUE



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3.SA CARRIERE POLITIQUE

SON CHEMINEMENT DANS LA CARRIERE POLITIQUE

Comment Henri WALLON arrive-t-il à la politique ?


Si WALLON a laissé son nom à la postérité, c'est que celui-ci est lié à son rôle politique. Notre étude sur WALLON concerne jusqu'à présent l'historien. N'est-ce pas d'ailleurs sa vocation première ? Pour être plus juste, nous pourrions dire que sa vocation est avant tout celle d'un honnête homme, homme de devoir. Sa conception de l'histoire, celle de l'enseignant et de l'écrivain répondent à un souci moral.

Secrétaire de la Commission d'abolition de l'esclavage sous la IIème République.


Le chemin qui le mène à la politique est directement lié à ce souci de "faire le bien". Nous avons insisté, dans notre deuxième partie, sur son ouvrage "L'Histoire de l'Esclavage dans l'Antiquité." L'aboutissement de son développement était d'éveiller les esprits à ce grand problème social de l'époque. Le résoudre était un problème politique. WALLON ne pensait sûrement pas en l'écrivant prendre part à son dénouement. En 1848, pourtant, Victor SCHŒLCHER, président de la Commission d'abolition de l'esclavage, frappé par la hardiesse du livre, le fait nommer secrétaire de cette commission. Nous pouvons dire avec L.HAVET, dans son discours :

"L'esclavage semble loin de nous par le nombre des années ; en réalité, il est tout proche, puisque le loyal Français qui vient de s'éteindre l'a connu en vigueur, a contribué à le détruire, et l'a vu disparaître non avec les cris de triomphe d'un jouvenceau, mais avec le contentement sévère d'un homme déjà mûr."

Député suppléant de la Guadeloupe en août 1848.


Il dut à cette fonction de secrétaire de la Commission d'abolition de l'esclavage son entrée dans la vie publique. Ses publications sur l'esclavage le signalèrent aux électeurs de la Guadeloupe qui lui conférèrent à l'Assemblée Constituante en août 1848 le mandat de député suppléant avec 11582 voix sur 33 734 votants. WALLON ne connut sa candidature que par l'élection même. Il aurait dû remplacer le titulaire (SCHŒLCHER élu aussi à la Martinique), à l'Assemblée comme premier suppléant, ce qui n'eut pas lieu, par suite d'une fausse interprétation de la loi : le résultat des votes, tenant compte du vote des militaires autres que ceux nés à la Guadeloupe, qui ont voté contre les antiesclavagistes comme WALLON, ce qui n'était pas légal. Louisy MATHIEU, candidat des grands propriétaires, a donc siégé à la place de WALLON à l'Assemblée. Fort de son droit, WALLON a fait une demande de réclamation au président de l'Assemblée Nationale, qu'il se voit refuser, survenue trop tardivement66.

Cette intervention politique de WALLON témoigne de l'intérêt qu'il portait à cette élection pourtant inattendue. Cet intérêt répond-il à sa volonté de satisfaire les électeurs qui l'ont choisi, de satisfaire donc son devoir d'accomplir la tâche qu'ils lui ont confiée, ou à un réel désir d'entrer dans la carrière politique ?


WALLON, candidat pour le Nord en mars 1848


Mais rayé de la liste pour les élections d'avril par le comité démocrate.

Méfions-nous, en effet, de faire de WALLON un homme qui se laisse porter à la politique, comme l’écrivent de nombreux journalistes. Un document d'archives de famille semble prouver son choix délibéré d'être candidat à la députation dans le Nord. Il s'agit du texte d'un discours de WALLON le 15 mars 1848 à ses concitoyens de Valenciennes. Ce texte nous apprend que de lui-même il se serait présenté à la députation du Nord pour l'Assemblée Constituante, en mars 1848. Sur le plan national, une journée populaire retarde les élections au 23 avril. Ce document nous indique ce qui s'est passé entre temps à Valenciennes.

Dans un premier discours aux citoyens de l'arrondissement de Valenciennes, WALLON s'indigne devant l'ostracisme du comité démocrate qui a frappé de suspicion la liste où il était inscrit, jugée par le comité trop royaliste. Nous réalisons, grâce à ce récit, l'atmosphère passionnée, révolutionnaire, des comités électoraux. Un jour sa candidature est accueillie avec faveur, puis soudain repoussée, Puis les "nominations sont emportées dans le tumulte", dit WALLON. Il faut se battre pour prendre la parole.

"On me permit, grâce à l'appui du citoyen MARTIN, de parler pour un fait personnel ; et le peuple répondit à ma paroleindignée par des acclamations universelles de sympathie. Cet exemple de ce que peut l'accent d'une âme ardente et convaincue sur les âmes honnêtes et sincères de nos ouvriers effraya sans doute le bureau. On avait ajourné toute explication sur ma candidature."

WALLON fut donc acclamé des Valenciennois : dans quel milieu ? Ouvrier, nous dit-il. Quel est donc son programme électoral ? Quelle idée les Valenciennois peuvent-ils se faire de sa personne ?67

Royaliste, dit le comité central démocrate. A cela, WALLON répond :

"Je fais appel à ceux qui veulent sincèrement la République. . , et il ajoute :"avec la liberté."

Il met en opposition cette liberté à la république des démocrates : "minorité violente".



"Je me retirais d'un lieu où l'on n'était plus libre, "(puisque les candidats sont désignés par le comité et non élus par les Valenciennois).

"C'est à la ville de Valenciennes, c'est à tous les arrondissements du département du Nord de dire s'ils entendent accepter ce mode de représentation à l'Assemblée Nationale."

Et pour lui "le jour du suffrage universel est proche. J'y convoque tous ceux," dit-il, qui n'accordent pas à une minorité exclusive le pouvoir de confisquer, à son profit, les droits de la majorité de tout un département."

WALLON parle aussi des autres candidats de sa liste et explique aux Valenciennois qu'ils n'ont rien de royalistes :



"Une liste de six noms qui comprenaient les citoyens HURE et CORNE, nommés procureurs généraux par le gouvernement provisoire, DELEBECQUE, le rédacteur républicain du Libéral du Nord et Anthony THOURET, ce vétéran de la liberté !"

Idées politiques de WALLON.

WALLON joint à cette protestation la déclaration de principe qu'il avait adressée à l'Impartiale du Nord, avant d'être exclu par le comité :



"Voici ma profession de foi" . II s'adresse ici "aux citoyens du département du Nord."

Retenons deux principes essentiels de son programme :



"La République : non par ce qu'elle est, mais pour ce qu'elle est."

"C'est la souveraineté du peuple : L'égalité est étendue au droit politique. .. La république est la chose de tout le monde. "

Par conviction personnelle et pour rassurer tous ceux pour rassurer tous ceux pour qui la république engendre l'anarchie, il souligne :



"Son nom effraie ceux qui ne se rappellent que les déchirements du passé".

Mais "cette conscience de ses droits donnera au peuple du calme dans sa force, et à mesure que la vérité pénétrera plus avant dans les masses, elle les détournera de ces protestations tumultueuses qui frappent l'ouvrier avant d'atteindre le maître, et qui, atteignant le maître frappe plus dangereusement encore l'ouvrier. "

WALLON accepte donc, par conviction, la République, et voit avec enthousiasme les mouvements à l'étranger :



"Sans porter nos armes au-dehors, nous nous répandrons dans le monde par la lumière de nos idées. Déjà le mouvement est donné ; les gouvernements s'empressent de le suivre.

"Notre force au dehors dépendra uniquement du développement de notre révolution intérieure."

Il désire donc un changement de régime : il parle lui-même de révolution intérieure, tout en se défendant d'être rangé au côté des démocrates-socialistes ; il défend les principes de liberté, égalité, fraternité ; mais "Egalité" dans le respect et dans la protection de tous les droits légitimes : "droit de la propriété, droit du travail."

Nous avons vu les réactions politiques de WALLON, alors étudiant, sous la Monarchie de Juillet, pour la république en théorie, mais à ce moment-là, il a peur de la forme de "république qui menace" disait-il. Nous constatons donc la continuité de ses Idées politiques, son souci d'ordre, mais républicain convaincu, même si ce n'est pas un "républicain de la veille", déjà engagé.

Dans ce document, WALLON se présente ensuite comme candidat. De même que dans ce qui précède, il faut tenir compte des circonstances dans lesquelles tout ceci est dit, ou écrit : en pleine révolution, et dans un but électoral.



"J'ai rencontré vos sympathies à chaque pas que le droit du concours m'ont permis de faire dans la carrière de l'enseignement. Aujourd'hui, c'est à vos suffrages que je demande l'honneur d'entrer dans la carrière politique" (WALLON avait donc bien l'intention de faire carrière politique) . "Homme nouveau, j'appartenais pourtant au parti populaire et, par je ne sais quel vieux levain de famille et par des convictions raisonnées, que vous n'avez jamais vues se démentir, que si, exclu des droits de citoyen, comme la plupart d'entre vous, je n'ai pas pu encore appuyer de mon vote la cause de la liberté ; j'ai du moins essayé de la servir par mes écrits et tout récemment par mon Histoire de l'Esclavage ; travail auquel je sois l'honneur d'être nommé par le gouvernement provisoire secrétaire de la commission instituée pour préparer l'acte d'émancipation immédiate des Nègres. Salut et fraternité. H. WALLON. "

Etant donné ce que nous connaissons de sa jeunesse, son milieu familial et universitaire : goût pour la politique, désir de justice et de liberté, WALLON nous paraît sincère. Homme nouveau en 1848, oui : exclu du droit de vote (son origine sociale l'explique) ; mais le vocabulaire et le style qu'il emploie outrepassent l'homme que nous connaissons : II prend la terminologie d'un "quarante-huitard":



"J'appartenais au parti populaire. "

Nous pouvons nuancer cette affirmation. Il termine enfin son article, "salut et fraternité", formule qui n'a pas l'emphase de son style habituel : II s'identifie à son public.


Député du Nord pour l'Assemblée Législative en 1849


En 1848, WALLON manque donc deux occasions de rentrer dans la politique, mais II s'est fait connaître de ses concitoyens ; en mal 1849, lors des élections à la Législative, II est élu cette fois-ci, un des plus jeunes députés pour le Nord, Il a 37 ans.

Sous quelle étiquette ? Certains documents l'associent à la majorité contre-révolutionnaire, d'autres conservatrice (le Dictionnaire des Parlementaires de ROBERT et COUGNY, eto), d'autres aux républicains modérés.

WALLON est un des 15 élus parmi les universitaires peu nombreux (100 à se présenter) aux côté de J. SIMON, E. QUINET, Barthélemy SAINT-HILAIRE, H.MARTIN, et le seul conservateur : ROUX-LAVERGNE. Le Moniteur Universel cite WALLON parmi les modérés. Or M. GOSSEZ le place aux côtés des légitimistes et catholiques avec de MELUN… Mais il explique que, dans le Nord, la liste ca-tholique, n'ayant qu'un nombre restreint de candidats personnels s'est jointe aux royalistes. WALLON est élu 9ème sur 24 avec 92 290 suffrages68, et nous croyons pouvoir dire que, parmi les groupes qui constituent l'Assemblée, WALLON n'est ni dans celui des légitimistes, ni dans celui des orléanistes, ni dans celui des catholiques conservateurs, mais plutôt avec quelques républicains modérés qui ne vont pas aux réunions de la rue de Poitiers ; par contre, il se défend d'être rangé parmi les candidats montagnards : nous le savons par une lettre qu'il écrit au directeur du Journal des Débats : lettre de protestation. En octobre 1849, l'Assemblée eut à discuter la proposition faite par M. CRETON, tendant à abolir les lois d'exil contre les deux branches de la maison des Bourbons : le Journal des Débats fait erreur :

"M.WALLON fut l'un des 100 membres qui votèrent pour l'abrogation de ces lois. Ces 100 membres appartiennent aux différents partis de la Chambre qui s'étaient divisés sur l'opportunité d'adopter ou de repousser la proposition. "

Le Journal des Débats, dans un classement des votes, l'a rangé par nous ne savons quelle inadvertance parmi ceux des montagnards favorables à la proposition.

Voici la lettre de WALLON répondant au Journal :

"Monsieur,

A propos de mon vote pour la proposition de M.CRETON, vous me rangez parmi les montagnards… C'est un titre que démentiraient mes votes, y compris celui-ci."

Il vota souvent avec la majorité conservatrice, par exemple quand il s'agit d'être pour l'expédition de Rome, mais d'une grande indépendance de conscience, WALLON n'hésite pas à se séparer de ses amis conservateurs à deux moments importants :



  • lors du vote de la loi FALLOUX,

  • lors de l'abolition du suffrage universel.

Son esprit chrétien suscitera chez lui un grand intérêt à la loi FALLOUX, mais son libéralisme l'entraînera à défendre l'université.

Contrairement à ce que disent certains journaux, WALLON ne vota pas la loi, il s'abstint : "C'était se séparer de presque tous ses amis politiques", nous dit PERROT. Nous verrons, en suivant les débats à la Chambre, dans le Moniteur Universel, sur cette question, que, si WALLON se prononce par principe pour la liberté de l'enseignement, il est contre les trop grands privilèges accordés à l'Eglise dans les propositions de loi. Nous le verrons intervenir souvent par des discours pleins de verve et d'audace. Nous pouvons dire avec CROISET69 :



"Dans sa courte apparition à l'Assemblée, il a eu le temps de marquer sa peine, à côté de SCHŒLCHER, parmi les destructeurs de l'esclavage, et de défendre l'Université contre certaines attaques de la droite ; quelques mois lui avaient suffi pour se montrer républicain et libéral, comme il le fut jusqu'à sa mort. Vingt et un ans plus tard, les électeurs du Nord devaient s'en souvenir."

En 1850, WALLON donne sa démission.


En effet, autre idée libérale de WALLON, le suffrage universel. Le 31 mai 1850, la loi du "domicile", qui le restreint, lui paraît réactionnaire ; il ne se contente pas de refuser son vote à cette loi, il donne même sa démission de représentant du peuple.

Pendant tout l'Empire, il reste à l'écart de la vie politique et comme le dit CROISET, il sera réélu en 1871 dans le Nord.

Sa lettre au Président de l'Assemblée du 17 juin 1850 explique les raisons de cette prise de position : il estime que l'Assemblée, issue du suffrage universel, outrepassait les pouvoirs qu'elle avait reçus. Par cette loi, deux tiers des inscrits sont supprimés pour le département du Nord ; il y eut 20 000 signatures de protestataires, nous dit GOSSEZ70 :

"C'est au Nord que revient l'honneur de flétrir le premier la loi du suffrage restreint, avec la démission du représentant WALLON et la campagne d'abstention lors de la candidature du successeur." (Les protestations viendront d'ailleurs des ouvriers).

Les journaux de Lille réagissent différemment à cette démission. Le Messager du Nord l'approuve :



"Une démission inattendue confia à notre département la charge de blâmer positivement la loi, un modéré, M.WALLON, se sépara sur cette loi de la majorité, homme honnête et scrupuleux, il démissionna de sa fonction."

Un journal de droite, sans doute l'Echo du Nord, annonce, en d'autres termes, cette démission :



"Une mauvaise nouvelle est arrivée hier à Valenciennes : M .H. WALLON, notre compatriote, représentant à l'Assemblée Nationale pour l'arrondissement de Valenciennes, vient de donner sa démission. Son vote, dicté par sa conscience, n'était pas, ce nous semble, de nature à rendre nécessaire le parti extrême qu'il a dû devoir prendre."

La décision de WALLON répond bien à un souci d'honnêteté, de conscience, puisque quelques personnes ayant cru voir dans son geste, un appel aux électeurs, il écrit que celle-ci n'est point une protestation contre la majorité :



"Ma réélection," ajoute-t-il, "en serait une, ou pourrait en avoir l'apparence ; c'en est assez pour que je ne me représente pas au suffrage de mes concitoyens."

Le trombinoscope de Touchatout (revue de satire politique) dit, au sujet de WALLON :



"Le 31 mai 1850, fidèle à son système d'opinions et de principes panachés, il donna sa démission, ne voulant pas s'associer à la loi électorale restrictive du suffrage universel que, selon lui, l'Assemblée n'avait pas le droit de voter. M. WALLON, qui n'était pas le moins du monde républicain, pensait néanmoins qu'élu lui-même, il n'avait pas mandat pour faire sauter, derrière lui, le pont sur lequel il avait passé."

Est-ce uniquement par honnêteté ? Non, contrairement à ce que dit cet article, nous pensons que WALLON, s'il n'est pas républicain (tant que la République possible n'amènera pas l'ordre), accepte les principes républicains: le suffrage universel. Par opposition aux députés de droite (la coalition monarchiste et catholique de la rue de Poitiers) qui est contre le suffrage universel, il ne conçoit pas un régime dont celui-ci soit le fondement. Le 29 septembre 1872, il écrira dans L'Impartial du Nord :



"Si vous voulez que la république soit accueillie et qu'elle dure, ne lui choisissez pas d'autre date que celle du jour où elle sera proclamée par la libre représentation du pays. "

Sous l'Empire : pas d'activité politique.


Nous pouvons seulement parler par exemple d'un de ses sujets d'Inquiétude : la prise de position des catholiques, pour suivre Pie IX dans sa politique absolutiste, son Syllabus.

Le syllabus


Nous savons, par la correspondance entre WALLON et DUPANLOUP, que WALLON soutient celui-ci au concile de Rome en 1870, tout comme BROGLIE et ses amis du Correspondant, où DUPANLOUP s'est prononcé contre le Syllabus. Mais, comme nous le dit D. HALEVY :

"DUPANLOUP et ses amis n'étaient pas l'Eglise. Loin de là ; ils y faisaient figures de vaincus et de suspects. "

Nous voyons, par cette prise de position de WALLON, une certaine continuité dans ses idées : son intérêt porté à son catholicisme libéral : c'est-à-dire acceptant les principes de la société moderne (WALLON était déjà en marge des catholiques au moment de la loi Falloux) .


Pendant la guerre de 1870


"L'année terrible devait le faire sortir de cette paix des études", nous dit Cl. DELTOUR71.

Pas d'action 'politique pour WALLON, c'est vrai, mais paix de l'esprit toute relative, donc, et activité littéraire uniquement (très laborieuse).

En effet, à Paris, dès le mois de décembre 1870, sur 528 fonctionnaires de l'Instruction Publique. 470 participent à la défense nationale dont 225 dans la garde nationale. WALLON est des leurs : revenu des "Petites Dalles" à Paris pour être, pendant le siège, auprès de son second fils, garde mobile au fort d'Issy, il prend lui-même, pendant le bombardement, sa place aux remparts dans une compagnie de l'Ecole Polytechnique.

Depuis 1870, il s'est fait suppléer à la Sorbonne, mais reste à Paris pour être à son poste de citoyen.

A 58 ans, il prend les armes comme artilleur. Nous le savons par une lettre de sa fille Jeanne à son fiancé, le capitaine PETIT. Lettre du 7 septembre 1870 :

"Papa vient de nous quitter, craignant que demain il ne fut plus possible de regagner Paris

II envoie sa famille en Normandie. A un moment donné, il envisage même de lui faire gagner l'Angleterre, si l'invasion de la Normandie par les Prussiens se faisait trop menaçante. Ce temps de séparation est dur pour lui, il attend avec anxiété les nouvelles qui arrivaient par pigeons-voyageurs. Il écrit à son fils Paul au fort d'issy :



"Mon cher Paul,

On ne t'a pas trompé ! Je suis canonnier, mais rassure-toi, mon service n'est pas très rude. Je désirais prendre ma petite part, comme les autres, à la défense de Paris. Qui n'a pas la force de charger peut apporter la charge, ou mettre le feu. Un de mes collègues m'offrit de me présenter à sa batterie et il se trouve que c'est celle de l'Ecole Polytechnique. Je m'y trouve donc en très belle compagnie. "

En janvier 1871, Mme WALLON écrit à ses enfants :



"Votre cher Père a bien besoin de se reposer de toutes les fatigues dont il a généreusement pris sa part, trop généreusement même. Il va vous apprendre la vérité et j'espère que vous le gronderez bien fort, comme cependant je n'ai guère osé le faire moi-même, tellement je trouvais beau et excusable son sacrifice. . . II vous avouera donc que, sans s'en vanter, sans vous avoir demandé votre avis, il s'est fait artilleur et montait sa garde comme le plus humble soldat à l'un des bastions de Paris !"

Entre ses heures de service, WALLON continue ses travaux historiques, publie, dans le Correspondant, des articles sur les Prisons de Paris et le Tribunal Révolutionnaire. Il écrit le 26 octobre à sa femme :



"Rien ne te servirait de te tourmenter à mon sujet puisque d'ailleurs nous n'avons pas d'autres raisons (à part le malheur public qui prime tout), de nous tourmenter que de notre séparation.Pour moi ici, je travaille beaucoup sans me fatiguer, parce que j'emploie bien mon temps sans distractions. Je ne fais pas plus de visites que si ma propre maison était investie. Je m'y tiens comme campé : point de rideaux aux fenêtres, les tapis restent plies... . J'achève tranquillement mon travail. On ne le publiera dans toute sa suite au Correspondant ou, si l'interruption de la revue ou la longueur du travail ne le permettaient pas, on se bornerait à joindre aux articles que j'ai déjà réunis pour la composition sur les Prisons de Paris et le Tribunal Révolutionnaire, la conclusion qui devait s'y joindre et que je n'aie réservée qu'en vue de l'addition sur les Provinces et puis, je publierai en volume ces mêmes articles sous ce titre : "Les Prisons et les Tribunaux de la Terreur. . . "

Nous savons qu'il a pu réaliser son premier projet.


Election à l'Assemblée Constituante.


Nous savons, par la correspondance entre le capitaine PETIT et sa fiancée, Jeanne WALLON72*, que, dès le mois de septembre à Valenciennes, on s'occupe très activement des élections pour l'Assemblée Constituante :

"II est grandement question d'y porter votre Père parmi les 4 représentants que doit y envoyer Valenciennes. . . "

WALLON accepte d'abord, le capitaine PETIT explique pourquoi, en février 1871 :



"Monsieur votre Père veut défendre encore les Intérêts de notre pays dans la prochaine Assemblée et, à mon avis, c'est faire acte de patriotisme, car les destinées de la France ont été trop longtemps entre les mains de gens incapables ou malhonnêtes . . . "

Puis finalement WALLON voudrait décliner cette candidature. Jeanne WALLON explique la réaction de son Père et dit ce qu'elle en pense :



"On conçoit que Père recule à la pensée d'avoir à signer une paix aussi désastreuse. . . Mais, si les hommes aussi sages, aussi intelligents, et je pourrais dire aussi bons politiques (car n'a-t-il pas montré combien il l'était dans toutes des tristes circonstances ?), si ces hommes, dis-je, se retiraient, comment la France serait-elle conseillée et ensuite gouvernée ? "

Mme WALLON va consulter Ernest BOULAN, puis un M. DIDIER, puis leur ami M. ROUSSEAU. Elle pense qu'ils sont tous -les trois d'avis - la liste étant déjà arrêtée - qu'il ne conviendrait pas de retirer le nom de WALLON de la liste et "qu'il serait d'un très mauvais effet de retirer dans un moment aussi critique une candidature qu'on avait laissée poser dans des circonstances moins difficiles."

Et Mme WALLON ajoute : "II ne faut pas l'abandonner aux rouges. "

Finalement, WALLON ne retire pas sa candidature.

Comment se déroulent les élections à Valenciennes ? Mme WALLON écrit, début février, à ses enfants :

"Je vous enverrai bien volontiers les numéros de l'Echo qui parleront des élections et de la candidature de votre Père, mais c'est seulement celui de ce soir qui publiera la liste des candidats patronnés par ce journal et aussi je crois par le Courrier du Nord. On espère fortement à Valenciennes que c'est cette liste qui passera, car l'esprit n'y est nullement à la République avancée et encore moins à la continuation de la guerre que tout le monde juge tout à fait impossible maintenant ; on a dû mettre sur cette liste quelques noms qu'on aurait bien voulu voir remplacer par d'autres, mais qu'on s'est résigné à accepter dans la crainte d'une scission qui aurait pu faire trop de tort à la cause commune" (II s'agit sans doute des légitimistes).

Mme WALLON continue :



"J'ai su que, dans un comité de Fabricants de sucre de l'arrondissement de Valenciennes, réuni samedi dernier, pour arrêter le choix des candidats, le nom de votre Père avait été accueilli à l'unanimité ; or, vous savez que les fabricants de sucre n'ont pas une petite importance dans ce pays. . . "

WALLON donc, comme la majorité des Français, est pour l'ordre et la paix ; la question du régime n'est pas soulevée, il est inscrit sur une liste de droite. Quant à la remarque de Mme WALLON sur les fabricants de sucre, nous pouvons dire que, peut-être pour ceux-ci, WALLON est avant tout "antiesclavagiste" comme eux (pour eux, l'esclavage aboli dans les colonies sera la ruine du sucre de canne, favorisera donc leur sucre de betterave).

Autre anecdote racontée par Jeanne WALLON sur le déroulement des élections qui montre vraiment, comme dit le capitaine PETIT, que "beaucoup de députés ont brigué cette position comme un honneur. M.WALLON l'a acceptée comme un devoir."

A cette date, leur "bon Père" est arrivé à Valenciennes où il apprend son élection possible (après des mésaventures) :



"Nous passions toutes nos journées dans l'attente," écrit Jeanne à son fiancé,". . .aussi comme nous l'avons embrassé, entouré et pressé de mille questions. . . ; que nous étions heureuses de le retrouver toujours le même, nous avions si peur de le voir changé et vieilli. . . " Nous sommes maintenant en pleine élection," continue-t-elle ; depuis hier soir, on procède au dépouillement du scrutin, on y a passé toute la nuit ; le résultat n'est pas encore connu. Que de questions vont être traitées et combien il est important que nos représentants soient sagement choisis. La candidature de mon Père est fortement appuyée. Elle aurait certainement passé avec une grande majorité s'il n'y avait eu, comme mon Père l'expliquait à Paul dans sa lettre d'hier, cette erreur sur le nombre de candidats. Un décret portait le nombre à 29, tandis que le département n'avait droit qu'à 28. Un deuxième décret, paru la veille des élections, annule le premier, mais alors que les listes étaient imprimées et distribuées depuis longtemps et, dans le cas où on aurait laissé 29 noms, le 29ème devait être annulé. Mon Père, grâce à son W, se trouvait le dernier, donc grande chance en moins. Il s'en réjouissait en pensant que cela le délivrerait de cette lourde responsabilité, mais il paraît qu'il est presque sûr qu'Il sera nommé quand même et Valenciennes en particulier a voulu témoigner, par son vote, de l'estime qu'Il lui inspire. Nous serions heureux et fiers si sa candidature réussissait, mais nous n'osons désirer un tel sujet d'inquiétude. "

Nous pouvons dire, cette fois-ci, par le cheminement de sa carrière, que WALLON s'est bien laissé porter sur les listes par les Valenciennois. PERROT dit :



"Les électeurs avaient été convoqués, à très bref délai, pour nommer leurs députés ; l'Assemblée avait seule qualité pour trancher les questions de paix. L'heure n'était donc pas aux réunions électorales et aux programmes ambitieux. Dans chaque département, il se forma des comités qui dressèrent leurs listes, où ils cherchèrent à grouper les noms d'hommes connus et estimés dans leur pays. WALLON était tout désigné par les souvenirs de 1849 et sa réputation de professeur et d'historien. Quand il arriva à Valenciennes, ses amis l'avaient déjà mis sur la liste de droite. "

WALLON fut élu avec 181 217 voix73, 26ème sur 28. L'étude par régions des élections générales du 8 février 1871 de M. GOUAULT74 est bien conforme pour le Nord à ce que dit Mme WALLON sur l'état d'esprit des électeurs de Valenciennes. M. GOUAULT dit :



"Le Nord : riche région agricole, en plein essor industriel, demeurée conservatrice et catholique ; listes républicaines partout battues même. La liste de paix menée par THIERS et composée essentiellement d'orléanistes et de légitimistes passe tout entière avec une grosse majorité."

M.GOUAULT signale un fait important :



"Plusieurs des élus du Nord devaient se distinguer, de façon très différente d'ailleurs bien que colistiers à l'Assemblée Nationale ; citons le général CHANGARNIER, E. de MARCERE et le futur "Père de la Constitution": WALLON."

Nous reparlerons d'eux dans notre étude de la questions constitutionnelle (CHANGARNIER évoluera vers la droite, de MARCERE vers le centre gauche).

Cette liste est celle présidée par A. de MELUN et qui se présente comme une "Association des libertés publiques"75 ; l'adhésion de WALLON à cette liste ne nous étonne pas, le manifeste électoral est bien conforme à ses idées :

"Ni contre-révolution, ni anarchie, adhésion franche, loyale, à la République : une république libérale et non despotique. Liberté individuelle, Droit de la propriété, Liberté de travail, Liberté des capitaux, Liberté de la presse, Liberté de conscience et de culte, Liberté et indépendance dans une Eglise catholique, Liberté sincère d'enseignement comme conséquence de la liberté de conscience, Liberté d'association pour tous les intérêts civils, religieux, politiques et commerciaux. La loi et non pas l'arbitraire, Le droit au-dessus de la force, L'ordre et la liberté par la république, Le drapeau tricolore et non pas le drapeau rouge."

Manifeste conforme à l'homme politique WALLON, au catholique WALLON et aussi à l'universitaire WALLON : l'Université, comme en juin 1848, se range aux côtés des défenseurs de l'ordre. «

D'autre part, ce que nous avons dit du déroulement des élections à Valenciennes montre bien que "jamais les élections ne furent plus libres, moins adultérées par la pression administrative ou les manœuvres partisanes", comme le dit D. HALEVY.

WALLON, élu député du Nord à l'Assemblée Nationale, se rend à Bordeaux pour siéger, le II février, avec des députés qui ne lui sont pas inconnus, puisque, parlant des chefs de cette Assemblée, D.HALEVY dit : ceux de la gauche comme ceux de la droite sont des "hommes du passé, Louis BLANC, E. QUINET, J.SIMON et BROGLIE, DECAZES, AUDIFFRET, PASQUIER, et THIERS, leur chef."

Comme en 1849, il est difficile de situer politiquement WALLON. Le Dictionnaire des Parlementaires76 le place au centre droit, c'est-à-dire parmi les orléanistes parlementaires acquis à la souveraineté nationale. (Nous savons que WALLON tient au suffrage universel, c'est pourquoi il s'oppose sur ce point aux orléanistes, tels que de BROGLIE, etc., qui sont méfiants depuis l'expérience de l'Empire). II serait donc plutôt de la tendance du duc d'AUDIFFRET-PASQUIER et du duc DECAZES.

Il serait même plus juste de dire avec D. HALEVY :



"L'Assemblée est au début de son pouvoir une masse indistincte. Les partis ne l'avaient pas formée et il leur fallut du temps pour enfin se dégager d'elle. Entre la droite blanche et la gauche rouge, environ 100 hommes cherchaient leurs aîfinités, nobles et bourgeois plus ou moins libéraux, plus ou moins favorables à la religion, mais tous conservateurs, d'ailleurs instruits, cultivés, véritable élite, mais aucun chef éprouvé. "

Sans doute WALLON se range-t-il parmi eux. D. HALEVY dit, de cette Assemblée :



"La multitude novice, confusément parlante par les voix des DUPANLOUP, des MEAUX, des ERNOUL, des WALLON, des Lucien BRUN, des BELCASTEL encore et des FRANCSLIEUX, chevaliers de la tiare et des lis."

HANOTAUX dit plus précisément :



"Comme toutes les Assemblées, celle de 1871 comprenait un certain nombre d'indépendants qui oscillaient de droite à gauche. C'était le futur centre gauche" et il cite : BAZE, BETHMONT, Casimir PERIER, DUFAURE, WALLON, Léon SAY, de TOCQUEVILLE, WADDINGTON.

Cette classification est peut-être encore trop catégorique ; nous verrons, dans notre étude de la question constitutionnelle, que, si WALLON évolue vers le centre gauche, il n'obéit à l'ordre d'aucun groupe, sauf exception, et, au moment des lois de 1875, il crée lui-même un groupe qui porte son nom.


Pendant la Commune.


Avant de trancher sur des questions constitutionnelles, WALLON et l'Assemblée de 1871 eurent à subir l'épreuve de la Commune.

L'Assemblée est à Versailles, WALLON est pessimiste, et le capitaine PETIT l'écrit à sa femme fin mars 1871 :



"Votre Père souhaiterait que la Chambre soit mise plus souvent en congé car ces 750 députés discutant avec passion, dans des circonstances aussi délicates, n'aboutissent à aucun résultat. M. THIERS se donne bien du mal pour contenir les passions extrêmes qui divisent la Chambre comme le pays. "

Et en avril :



"Je puis vous dire tout ce que nous souffrons ici et combien votre Père a besoin d'être entouré d'affection et d'être consolé en ce moment, je lui montre donc vos lettres et vais le voir le plus souvent possible, presque tous les matins, et chaque jour je sens davantage combien il est digne d'être aimé comme vous l'aimez. . . "

Connaissant son amour de l'ordre, nous comprenons le désarroi du député WALLON. En mai 1871, ayant entière confiance en THIERS, il est l'auteur d'une proposition pour la reconstruction de la maison de celui-ci. Dans son discours, WALLON fait un réquisitoire contre l'anarchie. L'Assemblée l'applaudit. Son gendre l'écrit à sa fille dans une lettre du 26 mai :



"Je n'ai pas le temps de lire les journaux. J'ai lu seulement le rapport de Monsieur votre Père à l'Assemblée sur la reconstruction de la maison de M. THIERS. Je n'ai pas besoin de vous dire avec quelle justesse, quelle netteté d'appréciation ce rapport est écrit et pensé ; ce rapport a valu à M. WALLON une lettre très flatteuse de M. THIERS. Monsieur votre Père a très bien montré que des doctrines partant du néant ne pouvaient aboutir qu'à la destruction et, en cet endroit du rapport, il a été salué par les applaudissements de toute la Chambre. . . "

Le retour de la famille est prévu pour le 15 juin. La vie de famille va reprendre, WALLON reste attaché à sa région du Nord. Par exemple, en février 1872, à Valenciennes, un comité pour la libération du territoire s'est formé et Valentine nous apprend que son Père a bien voulu adhérer par lettre à ce comité :



"Malheureusement cette œuvre, "nous dit-elle, "n'est soutenue que par les bourgeois et les ouvriers. Les familles les plus riches ne donnent guère, voulant savoir, avant de se risquer, comment cette œuvre marchera et doutant beaucoup du résultat."

Nous étudierons, dans notre partie constitutionnelle, le rôle de WALLON député dans cette Assemblée, nous pouvons dire que c'est l'apogée de sa vie politique : il se fait un nom dans l'histoire.


Elections sénatoriales,


L'Assemblée se sépare le 31 décembre 1875. En mars 1875, nous l'avons vu, WALLON a reçu le portefeuille du Ministère de l'Instruction Publique, reconnaissance due à son rôle de "Père de la Constitution". Nous verrons que dans les propositions de loi relatives à la Constitution, il est l'auteur de l'institution de 75 sénateurs inamovibles. Pendant son ministère, en décembre 1875, il est élu lui-même pour cette fonction, pourtant celle-ci a bien failli lui échapper.

Le Dictionnaire des Parlementaires dit :



"WALLON fut porté sur la liste des droites, il ne passa qu'au 9ème tour de scrutin, le 18 décembre 1875, 72ème sur 75.

Que savons-nous au sujet de cette élection ?

"Election retardée par les rancunes de la droite", nous dit PERROT. Celle-ci reproche à WALLON d'institutionnaliser la république,

Pour l'élection des sénateurs inamovibles, on assiste à un "antagonisme des deux droites monarchistes", nous dit R. REMOND. Pour désigner les 75 sénateurs inamovibles prévus par la Constitution, plutôt que de laisser élire des hommes du centre droite, une fraction de légitimistes préfère s'entendre avec la gauche et faire passer 57 républicains. Le centre droite n'est représenté que par 8 députés.

De plus, comme nous dit CAPERAN :

"Par un mauvais coup des monarchistes et la défection complice de II légitimistes, un accord patronné par ROUHER et GAMBETTA s'était conclu chez T.SIMON pour évincer les orléanistes."

Ces accords expliquent la victoire des républicains. Mais, lors des derniers scrutins, un peu de flottement se produit. Quelques radicaux se refusent à voter pour des drapeaux blancs. Quelques légitimistes, honteux de l'opération à laquelle on les a entraînés, changent de camp. C'est ainsi que sont élus : le Général de CISSEY, l'amiral de MONTAIGNE, Mgr DUPANLOUP, et H .W ALLON.

Mais il est trop tard pour changer le sens des élections. Les républicains ont 60 sièges. Ainsi, une fois de plus, le destin de WALLON rejoint celui de DUPANLOUP. Les Français l'associent à un même type d'homme : catholique libéral.

Une lettre de la correspondance d'Henri WALLON, fils d'Henri Alexandre WALLON, à son frère Paul, concernant leur père, relate le déroulement de cette élection sénatoriale. Tout d'abord il dénonce cette coalition "contre-nature".



Rouen, 17 décembre 1875 : "Le marché que les légitimistes ont consenti à passer avec les gauches, leur vaudra peu de gloire. Il y a là quelque chose qui répugne à l'honneur. D'autre part, la situation faite par là au centre droite et à la droite me paraît tout à fait méritée. Ils se sont crus maîtres du terrain et ont prétendu introduire au Sénat une majorité hostile aux institutions qu'on a tant de mal à fonder. L'événement a trompé leurs espérances et les voilà tous exclus. "

Dans la famille WALLON, on ne souhaitait pas une victoire de la droite. L'amendement d'H. WALLON le place au centre gauche : pour le maintien de la République et de la constitution. Nous apprenons par Henri WALLON fils que son père aurait voulu être sur la liste des gauches :



"Quant à Père, j'aurais pensé qu'il eût été porté sur les deux listes et qu'il eût passé dès les premiers jours avec le président de l'Assemblée nommé par la grande majorité de la Chambre Un malentendu, d'après ce que tu me racontes, ne lui a pas permis de laisser son nom figurer sur la liste des gauches. La condition que lui faisait J. SIMON était inacceptable et il est étonnant que, connaissant notre Père comme il le devait connaître, il ait même eu la pensée de tenter une pareille démarche."

Est-ce parce que H. WALLON était contre l'accord ROUHER-GAMBETTA, ou bien est-ce que la condition était de renoncer à la loi de 1875 sur la liberté de l'enseignement : pour WALLON c'était renoncer à son œuvre et à une idée chère. J. SIMON, son grand ami, sera sénateur inamovible et les deux hommes garderont quand même des relations très amicales ; cette lettre nous apprend encore que WALLON fut finalement élu par les gauches départis de la liste initiale :



"On a dû terminer aujourd'hui cette fameuse élection. Les journaux laissaient pressentir que, pour les 5 derniers sièges des sénateurs, les gauches pourraient bien se départir de la liste sur laquelle ils ont voté jusqu'ici et porter certains noms modérés du centre droite. On citait même le nom de Père. Si on fait pour lui en finissant ce qu'on aurait dû faire au début et qu'on le nomme par 5 ou 600 voix, soit. "

(A ce moment de sa vie, WALLON est un homme mieux considéré par les gauches que par les droites. L'évolution de la IIIème République vers le radicalisme et l'anticléricalisme lui fera prendre une position autre, et on assistera pour WALLON à un revirement vers la droite. )

Par Henri WALLON, fils, nous voyons aussi que son père avait la considération de son département :

"S'il n'est pas nommé avec un nombre de voix important, il faudra attendre le vote des départements," continue-t-il. "Ce vote, on peut le pressentir, car on ignore tout à fait ce que seront les délégués des communes. Mais, pour le département du Nord, en particulier, où la liste des sénateurs à élire a été déjà discutée et où on la faisait commencer par le nom de Père, je serais bien étonné si le scrutin de Lille ne l'envoyait pas à la tête de sa députation siéger au futur Sénat."

Quant au déroulement de l'élection de WALLON sénateur, et de sa place dans un groupe politique, il est intéressant aussi d'avoir l'opinion d'un journal républicain. Le XIXème Siècle, dans un article du 20 décembre 1875, 9ème journée des élections :

Cet article situe WALLON entre deux hommes, DUPANLOUP et BUFFET, ce qui nous donne bien une idée de la position politique de WALLON pour ce journal. Le XIXème Siècle parle pour ce jour et pour les républicains :


  • d'un échec : c'est la nomination de M. DUPANLOUP ;

  • d'un demi-succès : c'est celle de M. WALLON ;

  • d'une victoire : c'est la non élection de BUFFET, vice-président du conseil, ministre de l'Intérieur.

DUPANLOUP était, à la différence de WALLON, sur la liste de droite et du centre droit. Sa nomination est un échec pour les républicains parce qu'ils le considèrent comme un légitimiste, comme un catholique de Rome qui n'a pas rejeté le Syllabus (DUPANLOUP avait seulement essayé d'en atténuer les conséquences).

BUFFET, pour le XIXème Siècle, était le chef de la politique réactionnaire, cléricale, anti-constitutionnelle. Et Le XIXème Siècle déplore que WALLON soit trop proche de BUFFET (WALLON a fait partie de son ministère et a fait voter la loi de 1875 sur la liberté de l'enseignement supérieur). Cependant, les deux hommes s'éloignent pour la question constitutionnelle :



"L'honorable M. WALLON de la liste de gauche, du centre droit et de la droite modérée, a eu la bonne fortune d'attacher son nom à la Constitution qui nous régit. Sa place était donc toute marquée au Sénat conservateur. "

Mais Le XIXème Siècle reproche à WALLON sa tiédeur, son manque d'envergure, il fait voter la république, une constitution, puis s'efface, il ne revendique pas le rôle d'un chef de parti républicain pour poursuivre son œuvre. WALLON a peur de la droite :



"Dès le premier jour, il eût été porté sur les listes de gauche si les républicains n'avaient eu à lui reprocher son peu de tendresse paternelle."

En fait. Le XIXème Siècle reproche à WALLON de rester affilié à la droite. Il est vrai qu'il n'est ni de gauche, ni de droite, mais pour l'union des Français pour une république. . . une république conservatrice :



"II y a quelques jours, encore, M. WALLON, après s'être laissé porter, pendant trois scrutins consécutifs, sur la liste des droites, s'avisait de décliner toute candidature, sous prétexte qu'il eut voulu devoir son mandat à l'Union de tous les groupes constitutionnels. Ainsi, M. WALLON avait mis trois jours à s'apercevoir que la liste des droites, patronnée par son collègue M. BUFFET, contenait 36 départements ayant voté contre la constitution du 25 février. Quoiqu'il en soit, l'œuvre constitutionnelle se personnifie dans Monsieur le Ministre de l'Instruction Publique et on peut dire, qu'en votant pour lui, une partie des gauches a entendu voter pour la constitution. A ce point de vue, nous doutons fort que Monsieur le vice-président du Conseil éprouve une bien grande joie du succès de son collègue et cette considération suffit à nous y faire applaudir. "

WALLON est élu sénateur, en 1896 il en sera le doyen.

Il partagera son temps entre le Sénat et l'Institut. Il écrit en octobre 1878 à Monsieur le Ministre de l'Instruction Publique :

"Mes devoirs de sénateur ne me permettent pas de reprendre mon cours cette année. Je vous prie de bien vouloir continuer ma suppléance à Monsieur L. LACROIX."

Au Sénat, WALLON, nous l'avons dit, évolue vers un certain conservatisme dû à l'évolution politique de la IIIème République. Il s'efforce de lutter contre une révision de "sa constitution" et contre la montée du radicalisme anticlérical.


Son indépendance de conscience.


Finalement, pour toute sa carrière politique, nous pouvons dire que ce qui la caractérise, c'est son indépendance de conscience par rapport aux partis. Reprenons le discours de L.HAVET, président de l'Institut, dans sa notice nécrologique :

"Dans l'action M.WALLON a eu cette originalité de combiner deux éléments souvent séparés l'un de l'autre : l'esprit chrétien et l'esprit de 1789. "

Et L. HAVET continue en ces termes :



"De cette dualité d'inspiration sont venues, pour parler le langage des partis, ses "contradictions politiques" ; cela veut dire l'indépendance de sa conscience à l'égard des pressions amies. "

Son esprit de 1789 le dissocie de la droite modérée en 1850, quand il se prononce pour le maintien du suffrage universel, quand il se prononce, par exemple, aussi pour le retour de l'Assemblée à Paris après la Commune, etc. . . . et surtout quand il fonde un groupe politique entre la droite et la gauche en 1875 pour faire passer son amendement constitutionnel.

Enfin, son esprit chrétien le pousse à la liberté de l'enseignement et à lutter contre l'anticléricalisine. Il combattit les divers projets de loi sur l'enseignement de MM. BARDOUE et J. FERRY (la nouvelle loi sur l'enseignement supérieur), celle de l'organisation du Conseil Supérieur de l'Instruction Publique ; il proteste contre la transformation des écoles congréganistes en écoles laïques à Paris, etc.

Cependant indépendant des catholiques, il refuse de voter la loi Falloux, etc. Indépendance de conscience donc, mais à une exception près: le 24 mai 1873, il vote l'ordre du jour ERNOUL, tendant au renversement du Président de la République (dont il repousse la démission), mais il ne l'avait pas souhaitée, et propose de la repousser (sans doute vote dû à ses liens avec le groupe catholique).

D'après PERROT, on l'avait persuadé que M.THIERS, en cherchant son point d'appui à gauche, risquait de "livrer la France à un parti qui méditait la ruine de l'Eglise."

Mais WALLON regrette d'avoir participé à la chute de THIERS.

Il soutient le ministère de BROGLIE77 et après sa chute évolue vers le centre gauche.

Le Larousse du 19ème siècle, en examinant les différents votes de WALLON, souligne bien cette qualité de WALLON "que n'aveuglait pas l'esprit de parti" D'abord en 1848,



"M. WALLON vota presque constamment avec la parti réactionnaire : pour l'état de siège, pour la suppression des clubs, etc.. .Toutefois, le 30 juin 1849, il repoussa l'autorisation de poursuite demandée contre MARTIN BERNARD".

Et en 1874 :



"Parle sur la proposition PERIER, demandant la mise à l'ordre du jour des lois constitutionnelles et se prononça contre la proposition de dissolution faite par M. de MALEVILLE (29 juillet). A cette époque, M. WALLON avait constaté, parmi tous les hommes que n'aveuglait pas absolument l'esprit de parti et de réaction qu'il était devenu impossible de faire la monarchie. Le 23 juillet 1874, il déposa une proposition qui devait devenir fameuse et dit :

"A mes yeux, il n'y a que trois formes de gouvernement : la royauté, la république ou l'empire. La royauté, vous n'avez pu la faire, l'empire vous n'en voulez pas, il ne reste donc que la république."

Et le Larousse souligne bien ce qu'a ajouté WALLON : "Ma proposition cherche à en conjurer les dangers. "

C'est bien ce qu'exprime, dans la notice biographique complémentaire de son article satirique, La Ménagerie Républicaine, qui résume assez bien les idées de WALLON et qui se termine par une conclusion très élogieuse :

"WALLON est le prototype du républicain conservateur, défenseur des principes sans lesquels il n'y a pas de société possible, adversaire résolu de l'anarchie et du désordre et partisan de la République comme forme de gouvernement, mais d'une République honnête, modérée, tolérante, protectrice de la religion. Si tous les républicains étaient comme M. WALLON, le régime qui est l'objet de ses préférences verrait bientôt le désarmement de tous ses adversaires. "

Désarmer ses adversaires, tel sera bien le but de WALLON quand il instituera la République. Jugé, souvent, à cause de ses votes, avec la droite comme monarchiste, et comme catholique. En fait, nous pouvons dire avec M.CHASTENET78 :



"Plus catholique que monarchiste, il a fini par se rallier dans son cœur à la République conservatrice. "

Conséquence de son indépendance par rapport à l'esprit de parti : le rôle de conciliateur qu'il pourra mener. C'est ce rôle que souligne Le Trombinoscope dans son article satirique sur WALLON :



"Fidèle à la toquade de toute sa vie, il travailla avec ardeur à rechercher les moyens de cimenter cette incestueuse alliance entre les gens qui chérissent la République et ceux qui l'abhorrent. "

Quant à son opinion politique donc, nous pouvons dire que WALLON suit l'évolution des universitaires :



"L'Université, c'est une mosaïque d'opinions", nous dit A.PROST et il parle de libéralisme dans l'université :

"Ce libéralisme tend à constituer une société idéale où toutes les opinions et tous les cultes se rencontraient, non seulement sans se combattre, mais avec une parfaite bonne grâce. En fait, les conflits idéologiques sont seulement feutrés. Un climat de politesse et de bonne compagnie évite qu'ils dégénèrent. La tolérance est une entente entre individualismes qui se' respectent mutuellement. L'esprit de la société moderne, l'esprit laïc sont aussi naturellement de l'esprit universitaire et le corps enseignant se trouve inévitablement situé au centre gauche. "

Voyons plus précisément les évolutions des idées de WALLON dans les deux grands rôles politiques qu'il a menés :

Pour la liberté de l'enseignement. Pour la question constitutionnelle .


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