Maîtrise d'Histoire (1973) michele grenot


Comment accède-t-on à l'Ecole Normale ?



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Comment accède-t-on à l'Ecole Normale ?


Si à cette époque, le secondaire permet d'accéder directement aux études supérieures, pour entrer à l'Ecole Normale il faut passer un concours, qui a lieu dans chaque académie. Nous avons vu Henri le passer à Douai. M.GERBOD nous dit que ce concours est difficile. Nous avons dans les dossiers d'archives quelques sujets donnés à ce concours de 1831 ; par exemple pour l'épreuve de philosophie : "Classer et apprécier les divers arguments connus de l'existence de Dieu" (sujet qui a dû plaire à Henri, mais il sera difficile pour lui de le traiter avec objectivité). Le procès-verbal de l'examen subi par Henri indique des réponses bonnes partout : latin, grec, rhétorique, philosophie, histoire.

Avant de rentrer à l'Ecole en septembre. II est d'usage chaque année de se faire recommander ; pour sa première année, son beau-frère lui-même présente Henri au directeur, M.GUIGNIAUT. Par exemple, son beau-frère JANNET, lors de l'inspection de son collège, ne manque pas de parler d'Henri à l'Inspecteur qu'il connaît bien :



"J'ai causé de toi. Il m'a demandé une petite note pour ne pas t'oublier. Il te recommandera spécialement à tes Maîtres de conférences et surtout à M. GIBBON, avec lequel il paraît avoir conservé le plus de relations."

A ce moment là, Henri prépare sa deuxième année.

Lors de son entrevue avec M.GUIGNIAUT, JANNET apprend à Henri qu'il est reçu premier. Henri, ravi, écrit le soir même à son père :

"Je suis reçu le premier. Le croyez-vous ? A peine y crois-je moi-même. Je pense que je ne m'appelle plus Henri WALLON ! Cependant la chose est ainsi, si M. le Directeur ne s'est pas trompé de nom lui-même ! Je sors de chez lui. Après avoir lu la lettre de M. le Recteur" (M. DUPLESSIS, recteur à Douai qui avait remis à Henri, au moment de son départ pour l'Ecole Normale une lettre très élogieuse qui avait beaucoup touché ses parents), "il me dit que cette lettre était très flatteuse pour moi : "D'ailleurs, ajouta-t-il, je ne m'en étonne pas ; nous vous connaissons déjà : vous avez été reçu le premier, ce qui est d'autant plus flatteur pour vous qu'il y en a 7 des collèges royaux de Paris qui ont été reçus après vous. " M.VILLEMAJN, qui présidait, m'a dit qu'il était particulièrement très content de la pièce de vers latins."

Etre reçu premier est en effet un événement pour un provincial.

Cependant, l'épreuve de concours d'entrée n'est pas terminée, II faut encore passer des "examens vérificateurs". Henri perd sa place de premier ; son enthousiasme tombe, il réagit violemment.

Le côté cérémonial


Nous découvrons aussi par les lettres d'Henri, tout le côté cérémonial de l'entrée à l'Ecole Normale. Après les examens, la liste des élèves doit être présentée à la nomination du Roi, ce qui fait l'objet d'une ordonnance qui est communiquée officiellement aux élèves par le Directeur. Henri est nommé Elève à l'Ecole Normale (lettre du II décembre 1831). Le Directeur a ajouté ensuite que l'ordre du classement était le résultat de l'examen oral, seul mode d'examen en usage à l'école, seule classification légale ; la première comptait pour rien.

En résumé, Henri est donc déjà classé au milieu des parisiens "comme un provincial" particulièrement brillant. Nous apprenons aussi que le concours d'entrée se passe donc en deux fois ; un premier examen dans l'académie du candidat, au mois d'août (pendant quinze Jours) qui permet d'entrer en septembre à Normale, mais l'entrée officielle à l'Ecole ne se fait que par ordonnance royale après des examens à l'Ecole. Nous notons aussi l'Importance des recommandations.

Mais, avant de se soumettre à ses épreuves, les élèves ont déjà pris connaissance du Règlement, le jour de l'entrée, entrée très solennelle, d'ailleurs cela fait partie du prestige. Le Règlement a été lu par le Directeur, nous dit Henri, en tête duquel est dit que les Elèves "doivent respecter Dieu, le Roi et les Maîtres d'étude". Ce serment est assez sincère en général, il semble, d'après Henri, que les élèves respectent le Roi et leurs Maîtres, et si beaucoup de professeurs et d'élèves sont irréligieux, il règne en fait un esprit de tolérance.

La rentrée des classes donne lieu donc à une solennité très traditionnelle, à laquelle assistent M. le Ministre de l'Instruction Publique et toutes les notabilités universitaires (COUSIN, JOUFFROY, DAMIRON, BURNOUF etc.) ; et cette année là (1831), le Directeur, après un discours retraçant l'histoire de l'Ecole Normale, ajoute que "les Elèves n'avaient presque rien fait l'année dernière et qu'il espérait que les esprits seraient un peu plus calmes cette année. . . " Sans doute les esprits avaient été troublés par les événements de Juillet ? Quatre élèves qui avaient été indisciplinés sont d'ailleurs renvoyés à cause des derniers examens.

Chaque année, c'est la même cérémonie, avec discours, où l'on annonce à chaque élève son rang, où l'on juge le travail fourni par les élèves et même par les professeurs dans leurs cours !

Pour la deuxième année, Henri écrit à son père :



"Nous venons d'assister à la séance tenue par M.GUIZOT. Le Directeur y a lu le compte-rendu de l'année dernière et communiqué les nouvelles places selon lesquelles nous sommes rangés. J'ai été le second et assez bien nommé dans toutes les parties. Dans ce même rapport, le Directeur donnait aussi des détails sur la manière plus ou moins heureuse dont chaque professeur avait fait son cours, ce qui est assez drôle, lui étant à la fois juge et partie".

Et pour la troisième année, c'est toujours la séance présidée par le Ministre, assisté de P. COUSIN et le rapport fait au Ministre par le Directeur. Henri s'Indigne du traitement infligé à M. de SINNER pour lequel tous les élèves avaient la plus grande sympathie :



"Le Directeur vient de lui déclarer qu'il n'y avait pas de place pour lui à l'Ecole Normale… Pour vous parler de moi, je vous dirai que je suis le premier. Ce sont mes examens surtout qui m'ont valu cette place, car j'étais premier dans 4 examens : ceux de littérature française, de littérature grecque, de philosophie et d'histoire. M.COUSIN avait été spécialement mécontent des examens de philosophie et pour restaurer cette chère philosophie qui se meurt à l'Ecole, il a fait déclarer au Directeur qu'il reprendrait sa conférence de philosophie à l'Ecole. C'est un grand avantage pour les élèves de philosophie, mais un grand malheur pour ceux d'histoire qui suivent en auditeurs, pour mol surtout qui avait eu le singulier hasard de mériter une très bonne note de lui à l'examen de philosophie et qui vais perdre, s'il nous interroge dans ces conférences, la bonne opinion que j'avais donnée de moi. Justice se fait tôt ou tard et je m'y soumets. "

Nous constatons donc l'émulation entretenue, dans cette séance d'ouverture, en présence de hautes personnalités, la lecture publique des places, et aussi, pour les professeurs, de se voir ainsi juger par les notabilités et par leurs élèves. Nous constatons, aussi le souci de maintenir le haut niveau des études, et nous remarquons déjà pour Henri - lui qui est très sensible - l'importance de cette cérémonie, mais aussi déjà son peu de goût pour la philosophie (nous verrons pourquoi plus tard). Nous notons aussi l'importance du conseil royal et du ministère et les liens entre l'Etat et l'Université.

Nous avons parlé du caractère scolaire et disciplinaire de l'Ecole. Les élèves étaient en uniforme : habit bleu à collet retombant avec deux palmes sur chaque coin du collet rabattu, pantalon et gilet bleus, chapeau rond. Mais aussi quel prestige de le porter, c'était un véritable honneur pour les élèves.

Pour veiller à la discipline, et susciter le sens de la responsabilité, aux meilleurs élèves étaient attribuées différentes fonctions, lors de la séance d'ouverture.



"Après la lecture du Règlement, le Directeur installa les élèves qui auront à remplir quelques fonctions dans l'Ecole : les deux élèves bibliothécaires, les chefs de quartier."

La Bibliothèque était très importante : Dans une lettre de 1833 :



"Notre bibliothèque vient de s'accroître du double environ : on vient de nous apporter les 6000 volumes de la bibliothèque de M.CUVIER, la partie historique est surtout fort complète. Je suis vraiment comme Tantale au milieu de tant de trésors de science dont j'ai faim et soif ! " (En outre, Henri s'est fait inscrire à la bibliothèque de l'Institut).

Henri parle de la fonction de chef de quartier : mission qui incombe au premier élève de la classe et qui consiste à présenter au Directeur les pétitions et prétentions de camarades, et, qui pour les élèves représente l'honneur suprême. Pourtant cette tâche est bien ingrate, à ce qu'en dit Henri :



"Et si ces pétitions ressemblent à celles de l'année dernière, nous en aurons à endurer ! Car un chef de quartier doit savoir présenter les pétitions devant le Directeur, répondre à ses objections et défendre les droits de tous. . . Nous sommes donc exposés au premier feu de sa colère ! Car les pétitions ne se font pas d'ordinaire pour témoigner la satisfaction de l'Ecole et prier le Directeur de maintenir l'état de choses actuel ! "

Chaque année, un incident l'empêchera d'obtenir cette fonction. Il avait, lors de sa première entrée à l'Ecole, été nommé chef de quartier, mais, puisque finalement il n'est que sixième, très déçu, il annonce à ses parents :



"J'ai été admis à ma retraite comme chef de quartier et je suis tout simplement élève de l'Ecole Normale. . . "

En deuxième année, il n'est que second, et en troisième année, bien que premier, cette mission lui échappe encore parce que l'année précédente, Henri avait signé une pétition contre le règlement (dont nous reparlerons). Aussi cette charge revient à un redoublant et Henri une fois de plus ne peut contenir son irritabilité, et par la lettre d'Henri, nous imaginons combien cet honneur est important pour les élèves, combien la discipline était stricte :



"Vous sentez qu'un gredin comme moi, à la tête de la troisième année, cela n'était pas pensable dans l'intérêt des bonnes mœurs ! Ce tour qu'on me joue cette année n'est pas comme celui qu'on m'a joué en première : je suis et demeure le premier et les ordonnances élaborées au chef-lieu de l'Ecole Normale ne peuvent rien contre l'arrêt pris en Conseil royal qui me donne ce rang. En un mot, je ne suis plus une personnification de la 3ème année, une idée générale, mais je suis toujours votre fils dévoué. "

Ceci est assez paradoxal, les élèves ont droit de pétition, c'est même pratiquement leur seul moyen de faire évoluer le règlement de l'Ecole ; en fait, nous voyons qu'ils ne doivent pas dépasser certaines limites et que cela est assez mal vu d'oser critiquer l'Ecole ; plusieurs lettres donnent des exemples de ces pétitions.

Autre cérémonie à laquelle tient, semble-t-il, le Directeur : la traditionnelle visite de nouvel an ; celui-ci n'accepte pas qu'on s'en abstienne. Sans doute était-elle considérée comme une marque de respect à l'égard du Directeur et une manière d'entretenir un bon esprit à l'Ecole.

Une opposition a été faite par une partie des élèves à la traditionnelle visite de nouvel an qui se fait en corps au Directeur. Henri déplore cette attitude envers M.GUIGNIAUT, le Directeur. Après consultations et votes entre les différents quartiers (Lettres et Sciences) et les différentes années, certains groupes s'abstiennent, d'autre vont rendre visite et les élèves de Sciences se contentent d'envoyer leur carte… que le Directeur refuse ! Une sanction était inévitable.



"Le jeudi suivant, le Directeur fait appeler les chefs de quartier et les consigne pour l'inconvenance dont leur quartier s'était rendu coupable devant lui ; ceux-ci rétorquèrent que c'était le résultat de la majorité, que sur 20 le Directeur n'avait eu que 3 voix et donc on n'avait pu venir lui rendre visite ! …. et puis ils donnèrent leur démission. "

Si Henri trouve cette visite une marque de politesse tout à fait normale,, il n'hésitera pas à s'élever contre ce qu'il appelle "le despotisme étroit et mesquin du Directeur". Par exemple, il participe à une lettre écrite au Directeur signée par 22 élèves de sa section des Lettres se plaignant (ce Directeur leur avait refusé d'aller dans la cour le matin) des institutions contraires au bien des élèves introduites par lui. C'est pour sa signature qu'Henri ne sera pas élu chef de quartier. Vraiment les élèves étaient considérés comme des petits garçons ; la raison était que les élèves risquaient "d'attraper des rhumatismes qui les tourmenteraient toute leur vieillesse."

Les élèves aussi devaient demander une autorisation quand ils prenaient une initiative. Par exemple, en février 1832, Henri décide de s'inscrire en Faculté de Droit ; le règlement exige qu'il adresse une pétition au Ministre, et il doit attendre qu'elle revienne agréée. En 1834, pour éviter de recopier les rédactions de différents cours, ils ont décidé, entre camarades, d'acheter une presse autographique (on ne reculait vraiment devant rien pour ne rien perdre du cours). Le Directeur fait saisir cette presse, parce qu'elle avait été achetée sans l'autorisation indispensable du conseil royal !! et Henri ajoute, non sans humour, "c'est pour avoir porté atteinte à la liberté de la presse que les dynasties sont culbutées !! . . . "

L’organisation des études


Après avoir indiqué le caractère assez sévère de l'Ecole, nous allons voir que l'organisation des études n'était pas moins austère. Mais n'était-ce pas la mentalité de l'époque ? Les élèves étaient "grisés" par ce travail à outrance. Voyons tout d'abord ce qu'en dit M.GERBOD :

"Aux petites et grandes conférences hebdomadaires, s'ajoutent les devoirs écrits, les compositions, les leçons et exposés oraux. Le personnel enseignant est recruté parmi d'anciens élèves déjà professeurs dans les collèges de la capitale, connus par leurs travaux, leurs talents pédagogiques et leurs succès aux concours académiques. Ce sont les meilleurs maîtres de conférences à l'Ecole Normale. Ils y restent de longues années", et M. GERBOD cite WALLON qui, après avoir été élève, sera professeur en histoire de 1838 à 1849. "De ce fait, les succès aux examens et aux concours sont nombreux ; aux concours d'agrégation, les candidats issus de l'Ecole emportent les premières places et donnent la grande majorité des agrégés".22

Quels sont les examens préparés à l'Ecole Normale ?23

En première année, Henri passe le "baccalauréat es-sciences", mais c'est une décision qu'il a prise de lui-même. En première année, tous les élèves étudient les sciences, mais ne passent pas obligatoirement le baccalauréat.

"J'avais eu deux boules blanches et une rouge : les blanches pour les mathématiques et l'histoire naturelle ; la rouge pour la chimie et la physique, avec M.THENARD. Pour passer bien avec lui, il faudrait mieux connaître la manipulation que la théorie ; il faudrait bientôt lui dire comment on s'y prend pour percer un bouchon ! "

Curieuse façon de noter un examen ; d'autre part, Henri semble assez dédaigneux à l'égard des Travaux Pratiques ; l'enseignement au 19ème siècle était beaucoup plus théorique.

Entre temps, chaque année, les élèves avaient à passer les examens de l'école, assez difficiles, et qui donnaient le classement d'entrée pour l'année suivante. A la rentrée de sa deuxième année, Henri a passé sa licence :

"J'ai été reçu licencié ; on ne nous a rangés que par ordre alphabétique et M.LECLERC en m'appelant pour l'examen oral m'a fait observer en souriant que si j'étais le dernier c'était à cause de mon W (c'est toujours l'émulation du classement). Sur 9 qui nous présentions de l'Ecole, 4 ont été ajournés. Sur 5 étrangers, 2 ont eu le même sort. Le Directeur avait eu la bonté de demander qu'on fût plus sévère cette année. "

En deuxième année, Henri pense à son sujet de thèse de doctorat. Il envisage d'abord de le faire sur le Moyen Age, sur le chroniqueur FROISSARD dont nous avons déjà parlé. Il avait déjà réuni tous les matériaux et fait son plan d'avance, quand il décide de changer de sujet.

En troisième année, Henri prépare sa thèse et l'agrégation, il prépare aussi une thèse latine.

Le concours d'agrégation commence le 10 septembre. Ils sont quinze ou seize concurrents. Il y a une composition écrite qui dure une journée et une double épreuve orale, en tout environ 10 jours. Son beau-frère vient à Paris pour le soutenir à ce moment là. Pendant ce temps là, la famille WALLON est vraiment très inquiète : "Quel supplice de vivre comme cela pendant 8 jours". JANNET les rassure : Henri garde son calme et paraît satisfait de la première composition écrite (de 8h à 14 h). La famille est dans une joie "qu'il est impossible d'imaginer" dit Sophie, parce que JANNET fait un éloge du comportement d'Henri à l'épreuve orale publique :



"Profondeur, exactitude étonnante, plan bien tracé et bien suivi. Après cela dans les objections : justesse, discussion très serrée, connaissance des sujets traités par les autres beaucoup plus solide qu'ils ne l'avaient eux-mêmes. Enfin l'auditoire se prononçait en sa faveur de la manière la plus honorable".

La grande nouvelle tant attendue à Valenciennes arrive enfin. La correspondance fait de l'agrégation un événement. Cela confirme le jugement de M.GERBOD :



"Les épreuves orales qui s'ouvrent à Paris dès le milieu d'août sont devenues un grand événement dans la vie universitaire et les journaux pédagogiques".

Et GERBOD souligne les difficultés de cet examen :



"Sous la monarchie de Juillet, les Directeurs présentent des sujets de plus en plus précis, qui portent sur des problèmes d'histoire peu connus ou controversés. Les jurys se font plus exigeants."

Ainsi, Henri est récompensé de son travail. Il possédait énormément de connaissances. Ces qualités, nous les retrouverons chez le professeur Henri WALLON. Henri est tout heureux, il est premier et il a ainsi "des droits à une place d'agrégé à Paris. "

Ce qui nous paraît différer des études d'aujourd'hui : dans l'enseignement supérieur, l'enseignement reste très universel (tout du moins pour les deux premières années), en troisième année, l'élève se spécialise.

"Car, "nous dit Henri, "les études normales finissent proprement à la deuxième année. Je ne m'en plains pas, car il est bon d'avoir au moins une année pour réfléchir un peu sur ce qu'on a vu et c'est bien assez qu'on se fasse universel pendant deux ans. "

Henri souhaiterait une spécialisation plus tôt.

Par exemple, quand il préparait son baccalauréat es-sciences (physique), pour compléter les connaissances qu'il a déjà en mathématiques, il obtient du Directeur, en vue de préparer cet examen, des cours spéciaux de physique, de chimie et d'histoire naturelle pour lui et deux de ses camarades.

Mais le principal de ses études est fait d'histoire, de philosophie et de littérature. Cette année-là, Henri indique à JANNET les cours qu'il préfère et, d'ailleurs, il lui fera parvenir :



  1. Histoire ancienne et moderne de M.MICHELET,

  2. Histoire de la littérature grecque et latine de M.GUIGNIAUT,

  3. Histoire de la littérature française de M. PATIN,

  4. Histoire moderne de la philosophie de P.JOUFFROY,

  5. Grammaire générale de M.BURNOUF,

  6. Histoire de la littérature étrangère de M.AMPERE,

  7. Cours de grammaire grecque de M.MABLIN,

et cette liste n'est pas exhaustive ; nous avons ainsi les noms de la plupart de ses professeurs : ils sont de qualité (quelques-uns se sont fait un nom dans les Lettres. . .!)

Lettre de mai 1832 ; puis Henri détaille ses travaux et ses lectures en dehors des conférences :



"Quand je suis libre de toutes ces conférences, je m'occupe de l'histoire : en fait d'auteurs anciens, j'ai lu la traduction française de THUCYDIDE, de DENIS D'HALICARNASSE. J'ai lu aussi HERODOTE dans le texte, presque en entier, les Helléniques de XENOPHON et un bon tiers de TITE-LIVE. Avant la fin de l'année, je voudrais bien pouvoir lire POLYBE et TACITE mais je l'espère à peine ! Car non seulement les examens avancent, mais j'ai encore à m'occuper de maths, je veux risquer le Baccalauréat. Il me faudrait bien 15 jours complets d'étude pour l'examen de l'Ecole. Il me reste donc 3 semaines tout au plus pour faire des devoirs et lire ce que je me propose."

Nous notons ce goût prononcé pour les études de l'antiquité à cette époque-là, et spécialement chez Henri. Formé par "VILLEMAIN, ST MARC DE GIRARDIN, qui sont des fidèles, des modèles d'humanisme de l'antiquité",24 on comprend le goût d'Henri pour l'antiquité où il situe son idéal d'honnête homme, (dont nous avons déjà parlé).

Cependant, nous pouvons remarquer qu'à cette époque, l'enseignement se modernise et l'enseignement des langues étrangères se développe :

"Je suis toujours les leçons d'Anglais et d'Allemand. J'avais commencé à lire de temps en temps dans une histoire anglaise ; mais depuis deux mois j'ai été obligé d'interrompre ces études" (il semble qu'elles ont donc moins d'importance).

Et Henri conclue :



"En général, si la multiplicité des études est bonne en ce qu'elle nous donne une idée de tout, elle a le grand désavantage de nous empêcher d'approfondir quelques études spéciales. J'espère, cependant, bien pendant les vacances, m'adonner sans réserve à l'étude de l'histoire et des langues anglaises et allemandes. . . "

et son beau-frère JANNET lui répond au sujet de cette langue :



"Je ne saurais trop insister sur ce point, ni te répéter souvent que c'est une mine précieuse, inépuisable, pour tout littérateurs. Il faut te faire une idée fixe de posséder parfaitement cette langue."

Par conséquent, si les langues étrangères ont de l'importance à cette époque, ce n'est pas pour les parler, mais pour saisir toutes les nuances de la littérature du pays !

Henri exprime aussi son dépit au sujet d'un nouveau règlement d'études qui ne lui permettrait pas de se consacrer tout entier à l'histoire. Henri doit faire de la littérature.

"C'était dans la première année de l'Ecole que je devais attendre le plus de succès, parce que là dominent les études dans lesquelles je me soutenais au niveau des autres : le grec et le latin. Ecoutez le tour qu'on nous joue ! On veut disposer arbitrairement de nos spécialités : Imposer telle partie à l'un, interdire telle autre à tel autre. Il paraît que presque tous devront prendre deux parties à la fois. Rien de plus contraire à nos succès pour l'agrégation ; plus de thèses possibles ! Une amélioration à apporter eût été de nous spécialiser dès la première ou la deuxième année et nous ne le serons que sur la fin de la troisième. Les Elèves, que cette mesure intéresse cette année, se proposent de soutenir ce point de droit : nous avons été admis sous tel règlement, il faut le suivre. Si cette réclamation n'est pas écoutée, je serai politique... Si je faisais comme l'année dernière, ce serait fait de moi au bout de cette année, on me mettrait de toute force à la littérature. Je renoncerai donc à toute chance de succès pour cette année ; je veux me montrer grande médiocrité pour le latin et le grec, ne suivre les cours de littérature qu'autant qu'il le faudra pour n'être point renvoyé et me donner tout entier à l'histoire, car je suis fermement résolu à me retirer plutôt que de ne point professer l'histoire. Aussi vais-je prendre mes inscriptions en droit avec plus de zèle que jamais."

Henri a fait son choix : l'Histoire ; mais nous verrons pour quel motif; toutefois si on se met à lui barrer sa route, il prévoit une porte de sortie : le droit.

En deuxième année, Henri est surchargé de travail. Il écrit en avril 1833 à ses parents qui n'ont pu venir le voir qu'il ne le regrette pas, il n'aurait pas eu de temps à leur consacrer :

"Attendez l'année prochaine, je ne prendrai mes vacances qu'un mois plus tard à cause de l'agrégation et je pourrai sortir à peu près tous les jours de midi à 5 h".

En fait, malgré une organisation différente dans les études, plus d'indépendance, Henri n'aura pas beaucoup de temps non plus en troisième année :



"Cette année-ci n'est pas comme les autres années de l'Ecole : le travail est donné dès le commencement pour tout le reste de l'année. J'aime mieux pousser l'ouvrage dans cette saison, où je suis encore tout frais du repos des vacances, afin d'avoir moins à faire pendant l'été. Je veux faire le contraire de la fourmi (sans imiter cependant la cigale !).25 Nous avons eu hier une conférence de M.MICHELET dans laquelle il nous a donné six ou sept questions que nous aurons à traiter durant notre 3ème année, outre les questions d'agrégation. Nous sommes deux et nous nous les partagerons toutes."

Henri prendra à cœur ces travaux (cela lui vaudra d'ailleurs l'admiration de MICHELET).

Nous pouvons souligner dans ce que nous avons dit pour l'organisation des études à l'Ecole, la multiplicité des matières pour les deux premières années, les cours comptent beaucoup. Les élèves ont l'obligation de prendre des notes chacun leur tour et le travail est contrôlé par des devoirs et des exposés. La 2ème année complète la 1ère ; on n'étudie pas les mêmes matières, car en deux ans, on doit avoir suivi les cours de toutes les sections. L'étudiant ne peut faire un choix lui-même que pour sa spécialisation de 3ème année. Celle-ci est un travail moins scolaire et plus une question de recherche avec un professeur.

Outre ce travail (pourtant énorme) que l'élève fournit à l'Ecole, celui-ci a la possibilité de suivre des cours à la Faculté ; à un moment donné cela devient même une obligation. L'Ecole a un tel rayonnement en elle-même. C'est de l'Ecole, nous le verrons, que sortent les disciples de COUSIN, c'est-à-dire de l'éclectisme panthéiste, et les disciples de MICHELET. Ainsi naît dans l'opinion universelle la tentation de séparer l'Ecole de l'Université.

Henri raconte à son beau-frère l'entrevue qu'il vient d'avoir avec le Directeur, M.GUIGNIAUT, qui prétendait lui faire choisir un cours à la faculté, alors qu'il avait lui-même témoigné, dès le commencement, le désir que les élèves "n'allassent pas à ces cours d'amusement". Oui, lui répondit M.GUIGNIAUT, mais on se plaint à la Chambre de ce que l'Ecole Normale est trop détachée de la Faculté. Enfin, après discussion, M.GUIGNIAUT l'autorise à ne pas suivre un des 4 cours de littérature de la Faculté, comme c'était imposé, et à s'inscrire au cours de philosophie de M.JOUFFROY à la Sorbonne, après lui en avoir fait la demande par écrit.

Ceci prouve donc que la politique et l'université étaient liées, et on comprend facilement que cette "monarchie de professeurs" voyait d'un mauvais œil que l'Ecole Normale lui échappe. D'autre part, M.GUIGNIAUT parle à propos de la Faculté de ses "cours d'amusement" et Henri essayera de s'en dispenser. Il jugera toujours l'enseignement à l'Ecole plus solide sauf le cours de M.JOUFFROY qu'il apprécie, mais qu'il préfère cependant dans ses cours à Normale.

Pour les Normaliens, ces cours ne sont pas sérieux. Il est vrai qu'à cette époque (cela changera en 1880), les facultés n'étalent pas ce qu'elles sont aujourd'hui :

"La raison d'être des facultés de lettres et de sciences, c'est la collation des grades : fournir des jurys de baccalauréat. Les candidats à la licence sont des répétiteurs ou des maîtres de collège qui ne peuvent venir suivre les cours. La licence es-Lettres est un bac supérieur ? Certains tentent d'échapper au rôle absurde de professeurs sans étudiants, en s'adressant au seul public possible : le grand public. GUIZOT, VILLEMAIN et COUSIN inaugurent cette tradition dans leurs célèbres cours à la Sorbonne qui sont autant d'événements politiques et mondains", nous dit PROST.

Henri donne quelques échos de l'atmosphère "assez mondaine" à la Sorbonne : "II est si difficile", ajoute-t-il "de se garantir de l'amorce de la popularité". Et à ce propos il cite le Doyen même de la Faculté de Paris, M.LECLERC :



"Le pauvre homme ! II ne se croit pas permis de faire une seule leçon sans une péroraison patriotique ! Dans une leçon de 3/4 d'heure, la péroraison obligée dure un quart d'heure et il faut 10 minutes pour l'amener. Quant à M.GIRARDIN, qui remplace M. GUIZOT, cet historien si ingénieux, si fin, si sensé, quel fat ! c'est de l'histoire à l'eau de rosé, telle qu'on en pourrait faire à de belles dames dans un beau salon. . .! II y a cependant un jeune littérateur d'un vrai mérite, c'est M.AMPERE, notre professeur. Son cours réunit un auditoire nombreux qu'il mérite. M.de CHATEAUBRIANT y assista dernièrement et à la fin de la leçon, il partagea les acclamations du public pour le professeur".

Cette lettre présente un intérêt tout spécial, car nous verrons, en 1850, Henri WALLON défendre l'Université dans la question de la liberté de l'enseignement. Quels seront ses arguments ?

Henri sera pourtant obligé de s'inscrire à des cours de littérature et de philosophie en faculté, outre ses études de droit qu'il mène en parallèle (mais celles-ci sont plus sérieuses parce qu'elles ont un caractère plus professionnel).

Les distractions


PERROT dit en parlant de l'Ecole (et on comprend maintenant la différence de niveau avec la Faculté) : "On sortait de l'Ecole pour quelques cours en Sorbonne et quelques heures de sortie le dimanche." Les sorties et les cours à la Sorbonne, voilà les récréations."Des réunions mondaines et de théâtre pas question. " De temps en temps, Henri reçoit des visites des membres de sa famille, ou va rendre visite, quelquefois dîner, chez des amis ou cousins de ses parents, mais très rarement.

Le seul autre délassement dont parle Henri dans ses lettres est la musique ; pendant la récréation de midi, des quatuors sont organisés entre camarades et parfois le soir il y a des auditions devant un public composé de camarades : c'est alors le "concert qui obtient un succès facile", dit Henri.

Mises à part les petites aventures internes à l'Ecole et bien sages que nous avons racontées, et quelques événements de l'époque, que nous relaterons, où apparaissent les tendances politiques et religieuses de l'Ecole, les lettres ne parlent que d'études et débats intellectuels. Dans aucune de ses lettres, pendant trois ans, ne se dégage le nom d'un ami avec lequel Henri aurait sympathisé plus spécialement, sans doute était-il déjà très indépendant.

Les amis d’HENRI


Quels sont les amis qu'Henri gardera plus tard ?

Pourtant, nous avons vu que CROISET était le fils d'un ami de WALLON et que celui-ci témoigne :



"Les amitiés contractées ne s'effacèrent jamais. Les différences de tempérament, d'idées religieuses ou politiques ne purent les altérer. Sans doute un lien plus intime avec ceux de ses camarades qui pensaient comme lui existe-t-il. Mais cette différence ne fut jamais qu'une nuance : ils étaient tous de la même famille et il y avait entre eux une affinité que rien ne pouvait corrompre. "26

G.PERROT nous dit :



"A l'Ecole, sa promotion et les quatre autres qui habitèrent avec lui, donnèrent de grands hommes : V. DURUY, HENRI-MARTIN, E. HAVET, Emile SAISSET, J. SIMON etc."

Et nous savons par quelques lettres qu'Henri WALLON a gardé contact avec ses amis de l'Ecole. Nous avons quelques lettres de correspondance entre Henri WALLON et E. HAVET : il s'agit de débats littéraire ; WALLON reste courtois malgré les attaques de HAVET quant à son catholicisme trop prononcé dans ses œuvres.

Mêmes relations amicales, encore plus intimes, avec V. DURUY. Pourtant, ces lettres sont postérieures au ministère de l'Instruction Publique. DURUY est anticlérical et WALLON ne lui en tient pas rigueur. Nous n'avons que quatre lettres d'Henri WALLON à DURUY ; une lettre, par exemple, de 1889 de condoléances à la mort de son fils ; Henri termine en disant :

" Je t'en exprime ma bien vive douleur" et il signe : "ton vieux camarade".

Une autre lettre donne l'impression qu'ils s'envoient mutuellement des exemplaires de leurs œuvres. Ils se tutoient et se traitent donc en bons camarades.

C'est avec J. SIMON - pourtant philosophe spiritualiste -qu'il semble qu'Henri WALLON ait eu le plus de contact et de correspondance. Nous avons 19 lettres dans lesquelles Henri WALLON demande des conseils à J. SIMON à propos de sa carrière ; il lui expose des problèmes posés à la Chambre ou au Sénat. En mars 1873, lors d'un débat important à la Chambre, J. SIMON et H. WALLON ne sont pas d'accord sur un point de détails et J. SIMON, alors ministre, se permet de souligner dans son discours :

"II y a 40 ans que M. WALLON et moi nous sommes liés par l'amitié qui, j'ose le dire, nous honore l'un et l'autre (oui ! oui ! très bien, très bien.. .clame la foule). Je ne doute pas que M.WALLON ne soit de mon sentiment, car il a la même expérience que moi."

C'est tout ce que nous pouvons dire de ces relations suivies avec ses camarades de l'Ecole Normale ; cela est dû sans doute à son caractère un peu sauvage, mais peut-être aussi à un manque de documents à ce sujet.


Ses professeurs


Mais laissons Henri parler de ses professeurs :

" M. JOUFFROY, écrit-il à Sophie. "Je lui trouve un merveilleux talent d'élocution : simple et claire ; c'est le langage de la philosophie. Il n'a qu'un défaut, c'est d'être étonnamment paresseux. Il nous fait quelques petites leçons d'½ h, ¾ d'heure ; mais il nous en a fait deux ou trois plus étendues et qui sont bien remarquables. Je regrette beaucoup de n'avoir pas le temps de les copier pour les montrer à ton mari, car ce sont des idées neuves et que, d'ailleurs, il vante assez pour telles ! Car il est passablement suffisant, notre cher Maître, Professeur à la Sorbonne et au Collège de France, membre de l'Institut et de la Chambre des Députés. On nous fait craindre que cette accumulation d'honneurs ne le fasse renoncer au titre trop modeste de Maître de conférences. M.GUIGNIAUT pourrait bien nous dire quelque chose de bon, mais généralement il y a si peu d'ordre dans ce qu'il nous dit, ses phrases sont si embrouillées qu'on a peine à y apercevoir le mérite de son érudition. M. RINN : "ses leçons : bien faibles".

Avec quelle admiration Henri vient à parler ensuite de son maître, M.MICHELET :



"Quel homme ! Je l'ai entendu parler et j'en suis encore ébahi ! Ce qui me charme, c'est son admirable talent d'exposition, la brillante poésie de ses paroles ! J'avoue que cette poésie passe quelquefois des paroles aux idées et que, quand on est dans le monde positif, il est dangereux de se jeter dans le monde idéal ; il faut convenir aussi qu'il a des vues bien souvent fécondes, un aperçu délicat et une merveilleuse sagacité à découvrir et à montrer la filiation des événements et c'est encore là ce que j'admire en lui : ses vues neuves, féconde.s et vraies présentées sous une ferme pittoresque. En résumé, vraies ou fausses, ses paroles produisent toujours un heureux résultat. Je sais bien qu'il serait dangereux de prendre l'erreur pour la vérité ; mais moi et ceux qui partagent mes opinions, nous avons une pierre de touche infaillible : la religion. Sur la religion, il nous dit parfois des choses parfaitement ridicules ; mais aussi il nous dit des choses admirables qu'un chrétien aurait bien pu sentir, mais que jamais peut-être, il n'aurait si nettement formulées. "

Cette admiration pour un grand romantique du 19ème siècle nous étonne de la part d'Henri, lui qui l'est si peu (nous verrons plus tard qu'Henri manque de vivacité dans ses cours, de pittoresque, mais cela n'empêche pas qu'il sait apprécier "la poésie" chez les autres, mais il lui impose certaines limites).



"M.MICHELET rachète par son beau talent le vice de son système. Un professeur qui aurait ses vues hasardées, sans avoir son talent, serait vraiment funeste. "

Henri admire surtout "l'impulsion que M. MICHELET donne à l'Ecole aux sciences historiques ; et aussi ses idées libérales"(dont l'influence ne sera pas négligeable sur les œuvres d'Henri WALLON).

Et nous pouvons dire avec M. GERBOD :

"En 1828 MICHELET devint Maître de conférences à l'Ecole Normale jusqu'en 1836 ; il forme toute une série de futurs historiens (comme Henri WALLON) et exerce sur les élèves une influence indéniable".

Par ce jugement, on voit que la grande admiration d'Henri pour ce savant historien n'était pas aveugle au point de ne pas remarquer - et sans doute regretter - la trop grande indifférence et le scepticisme affiché par ce dernier en matière de religion.

Henri dit encore :

"Moi je recueille tout ce qu'il dit soit dans ses leçons du lundi, soit dans ses causeries du vendredi. J'ai pris le parti de rédiger perpétuellement ses leçons. Aussi c'est le seul cours complet qui me restera. Sur les autres, je ne fais que prendre des notes."

Décidément pour Henri, les deux personnalités de l'Ecole sont M. JOUFFROY et M. MICHELET auxquelles il porte toute son admiration.



« Décembre 1832 : M. JOUFFROY quitte l'Ecole Normale. Si M. MICHELET s'en allait aussi, ce ne serait plus la peine d'y rester ! Vous connaissez trop bien le talent de M. JOUFFROY pour que je légitime par une longue explication les regrets que je manifeste. C'est bien assurément l'homme le plus propre à l'enseignement de la philosophie et c'est un mérite de plus, car tout bon philosophe ne serait pas bon professeur… »

Henri déplore que les meilleurs professeurs partent pour être professeurs au Collège de France ou à la Faculté, parce que beaucoup mieux payés qu'à l'Ecole Normale. C'est le cas de GUIZOT, de MICHELET, de JOUFFROY.

L'Histoire de France de MICHELET paraît,27 qu'en pense Henri ? Henri raconte une de ses entrevues avec un de ses professeurs, M. LETRONNE, qui juge cette Histoire "peu saine". Henri ne le pense pas, bien au contraire.

"Cette Histoire de France va enfin acquérir à notre Maître la réputation qu'il mérite ! Son tableau de la France, qui commence le 2ème volume, pourra paraître un peu hardi, mais il me semble bien vrai. "

Henri parle du cours de MICHELET :



"II lit et fait des extraits de l'Histoire des Français de SISMONDI".

"C'est, cdit MICHELET, du bon pain : ça nourrit et ça ne peut pas faire de mal; il aime à déclamer contre les prêtres à la moindre occasion ; c'est un reste de l'opposition mesquine du 18ème siècle, mais nous, hommes du 19ème siècle, nous n'en sommes plus là."

"Non seulement nous n'en sommes plus là", ajoute Henri après avoir cité son maître vénéré M. MICHELET, " mais je pense qu'il est bien temps que l'on revienne enfin sur cette vieille injustice et qu'on rende à chacun ce qui lui est dû. Les leçons de M. MICHELET sont excellentes pour cela, c'est un des motifs de mon admiration. "

Décidément, Henri n'accepte pas qu'on attaque la religion, d'où son mépris (exprimé si souvent) envers les Voltairiens ; il voit un progrès dans le mouvement des idées par rapport au 18ème siècle ; le 19ème siècle, et par exemple MICHELET, est plus tolérant. C'est pour défendre cet esprit de tolérance que nous verrons Henri WALLON prendre part à la liberté de l'enseignement.

Les lettres font aussi quelquefois écho de la rivalité entre COUSIN et MICHELET, dont Henri pâtira d'ailleurs dans la suite de sa carrière. COUSIN est plus haut placé et voit d'un mauvais œil la protection de MICHELET pour WALLON.

M.GERBOD dit :



"V. COUSIN lui-même est sensible à l'influence que son rival exerce parmi les élèves (il enlève ou risque d'enlever les meilleurs esprits à la philosophie). L'historien et le philosophe sont à couteaux tirés. "

En ce qui concerne MICHELET, nous avons déjà parlé de ses qualités séduisantes pour Henri, mais, si Henri aime l'histoire, voyons ce qu'il pense de la philosophie, tout au moins du mouvement philosophique spiritualiste de l'époque, qui est bien représenté à l'Ecole Normale et qui n'est pas dans ses idées. Il vit tellement dans ce milieu philosophique qu'il ne peut s'en désintéresser. Cependant, Henri n'est pas bon philosophe et en première année, il a beaucoup de mal. Que pense-t-il des philosophes ?



"II faut avouer que je ne suis pas fort en philosophie et que je n'ai pas gagné grand'chose. Je voudrais y voir moins de phrases et plus de logique, car sur certains points, leur doctrine ne me parait pas bien solide. Pendant les conférences de M. DAMIRON, je prends des notes assez amples. Du reste, là se bornent toutes mes études philosophiques. . ." "Quand donc viendra l'homme qui relèvera la philosophie sur ses bases véritables ? Peut-être en ce moment n'est-il pas si loin ? J'ai vu annoncer l'introduction à une philosophie par M. BAUTAIN. J'ai entendu dire, par des Allemands qui l'ont vu à Strasbourg, que par l'éloquence il l'emporte sur COUSIN et que pour la philosophie il égale JOUFFROY, c'est-à-dire qu'en tout il est bien supérieur à COUSIN. Quant à JOUFFROY, sa supériorité sur COUSIN n'est pas l'objet d'un seul doute ; c'est certainement le meilleur représentant et le représentant le plus logique de son système. Aussi est-il profondément sceptique ! J'attends avec impatience l'ouvrage de M. BAUTAIN et je désire qu'il réalise mes espérances. Ce serait une excellente idée à lui inspirer, s'il ne l'a pas, d'envoyer un exemplaire à la bibliothèque de l'Ecole. On ne l'achèterait sans doute pas. Aucun jeune homme, qui ait de la religion, ne se destine ici à la philosophie ; se faire l'écho des doctrines de COUSIN, on n'en est pas tenté ! "

Tout en reconnaissant leur talent, les catholiques ne pouvaient admettre leurs idées anti-religieuses. JOUFFROY a écrit un article retentissant au titre explicite :



"Comment les dogmes finissent" et V.COUSIN: "La religion n'est qu'un produit de la spontanéité individuelle. . ."28

Si les catholiques à l'Ecole ne semblent pas s'intéresser à leurs cours, Henri, lui, ne les condamne pas ; il reconnaît leur talent, il est beaucoup plus tolérant que les autres et aimerait cependant qu'une philosophie catholique se révèle. Il pense à ce M. BAUTAIN et il voudrait que cette autre tendance philosophique (qui est la sienne) soit représentée.

Mais en fait, ces systèmes philosophiques respectent toutes les valeurs spirituelles, religieuses en particulier. Ce relativisme ne pouvait plaire aux catholiques - et pour l'éclectisme (ex. COUSIN) la Raison est le critère de toute vérité.

En France au 19ème siècle, la philosophie est plutôt une science positive dont la source de connaissance est l'expérience. Henri se rapproche beaucoup plus de la philosophie allemande ; il s'y intéresse ; c'est en partie aussi pour cela qu'il étudie l'allemand. Pour les philosophes allemands du 19ème siècle, la moralité est première et la nature n'apparaît que comme moyen de manifestation.


vers quelle carrière ?


Quelles sont alors les autres raisons qui ont amené Henri à choisir l'Histoire ? Comment envisage-t-il sa carrière ?

Peut-être, tout d'abord, parce que ce genre d'études convient mieux à son caractère, comme lui dit son beau-frère JANNET. A Normale, les étudiants ont le choix en Lettres entre l'Histoire, la Philosophie et les Belles-Lettres.



"Sans vouloir déprécier le caractère particulier de ton esprit," lui dit-il, "et tu le sens bien toi-même, tu n'as pas ce brillant, cette vivacité, cette exubérance de force qui font un homme à part de celui que la nature destine à sentir, à produire ou à faire sentir aux autres ce qui est l'objet des beaux-arts. Je conclus donc qu'avec les dispositions particulières dont le fond est un esprit très droit, sentiment sûr et distinct du vrai et du bon, joint à une douce chaleur, il ne faut point porter tes études spéciales sur la Littérature, mais sur l'Histoire. Tu ajoutes, toi-même, une considération qui est d'un grand poids ; c'est qu'il est important que "l'histoire ne soit pas professée par des gens de toute opinion".

Nous avons parlé de ce qu'Henri pensait de la philosophie. Et la Littérature ?



"M. GIBON, le professeur de Littérature, se fait surtout remarquer par la justesse de ses 'observations et la sagesse de sa critique. Cependant il a fort à faire avec les élèves de Paris, qui, romantiques enragés, s'attachent à le contredire en tout point. . . "

Le romantisme n'a pas encore atteint l'enseignement de l'Ecole, il semble que quelques élèves le déplorent, par contre Henri juge très mal ce genre littéraire. Il reste en dehors du courant.

Il avoue aussi la raison de son choix à un de ses professeurs catholiques, M. de SINNER :

"Je lui avais franchement avoué que c'est parce qu'il m'avait semblé que dans cette place je pouvais faire plus de bien que dans les autres chaires."

Henri tient fermement à ses convictions, et à les professer. Il est conscient des risques qu'il encourt avec l'Université à ce sujet. Son but premier est donc de faire passer sa morale du bien. A ses parents qui se figuraient que c'était par boutade ou "pour un misérable motif de vanité" qu'il avait parlé de son désir d'étudier le droit pour avoir le titre d'avocat, Henri répond qu'il n'en est rien :



"Ce n'est point que ma future profession me dégoûte mais c'est que ce titre pourrait peut-être me servir et non seulement comme un vain titre, mais peut-être aussi d'une manière plus directe. Qui sait ? La chaire d'Histoire est très glissante - mes opinions religieuses sont bien fixées - quand je m'occuperai de politique (en a-t-il déjà réellement l'arrière-pensée), elles ne le seront pas sur ce sujet. Et je ne serai pas disposé à en changer pour le premier gouvernement venu. Par conséquent, je me trouverai toujours fort exposé, si je veux conserver mon indépendance. Avec ce titre, j'aurais toujours un refuge. Cependant, il est très possible que je n'en aie pas besoin."

Ce passage nous paraît essentiel, et la clef de voûte entre la jeunesse d'Henri et sa carrière future. Il arrive à la fin de ses études : il garde ses convictions, ses idées ont mûri, au contact d'autres influences souvent en sens contraire, mais il y restera fidèle.


réactions d’henri a divers evenements


Du point de vue politique, est-il déjà un libéral ? Son admiration pour MICHELET va peut-être aussi au "démocrate". En analysant les réactions d'Henri à divers événements, sans doute pourrons-nous concevoir ses idées politiques.

"C'est un trait original des années de 1830 que le grand rôle joué par la jeunesse et la part parfois considérable qu'elle prend alors à tous les mouvements d'idée : le catholicisme libéral, le saint-simonisme, le parti républicain" nous dit R.REMOND dans La droite en France.

Ces mouvements ont-ils leur répercussion à l'Ecole Normale ? En ce qui concerne le catholicisme libéral, c'est à l'époque où Henri est à l'Ecole que naît le mouvement fondé par OZANAM. Les lettres d'Henri ne font pas écho de la "conférence d'Histoire qui réunit à la Sorbonne quelques étudiants catholiques pour des questions d'histoire, de droit, de littérature, de philosophie29". Pourtant, Henri aurait beaucoup de points communs avec eux. Dans une lettre d'OZANAM, nous apprenons qu'en 1832, 15 étudiants ont protesté contre le rationalisme de JOUFFROY en plein cours.30 Henri ne relate pas cet événement, car il reste très indépendant. Pourtant, dès la création des conférences à Notre-Dame en 1835, Henri les suivra avec intérêt. Quelques lettres plus tardives témoignent de son amitié avec OZANAM. Mais dans les études sur la naissance de la Société St Vincent de Paul, Henri WALLON ne figure pas. Y a-t-il pris part par la suite ?31

Pendant ses années à l'Ecole, il raconte seulement qu'il a eu la visite d'un membre d'une société de congréganistes qui a été des plus agréables pour lui :

"II m'est toujours doux de converser avec des amis aussi purs"

Mme WALLON a peur que cet homme l'entraîne dans sa société : "Mon bon ami, marche libre dans ta carrière" lui répond-elle.

Quant au saint-simonisme, il n'en est pas question à cette époque à l'Ecole Normale.

Pour l'opinion politique, il semble que l'état d'esprit qui règne à l'Ecole (tout du moins en ce qui concerne la direction) est tout à fait dans la ligne d'Alexandre WALLON.

Libéral, il accepte la Monarchie de Juillet, déplore la violation de la Charte et serait républicain, si la république devait amener l'ordre et la paix ; mais, pour l'instant, il pense que la parti républicain amènerait l'anarchie - ce serait une république trop rouge. Il place donc l'ordre avant tout.

Ceci est la réponse de M. WALLON à son fils, après que celui-ci lui ait raconté les émeutes de juin 1832 à l'occasion de l'enterrement du Général LAMAROUE : Henri se prononce contre ce désordre, mais également contre la répression trop dure et contre les récompenses dont le gouvernement a honoré la garde nationale qui en a eu la charge. Il est intéressant de voir, par cette lettre, combien les étudiants sont surveillés et de voir le contraste entre l'Ecole Normale pour l'ordre et Polytechnique prenant part à l'émeute. Dans l'Histoire de la Chambre des Députés, nous pouvons lire à propos de cet événement :



"On profite de ces obsèques pour opérer un rassemblement en masse de tout ce qui peut créer une agitation dans Paris : cérémonie grandiose : tambours, drapeaux, chœurs révolutionnaires défilent sous un ciel lourd, derrière le catafalque. Un immense chant de la Marseillaise et, soudain, un cavalier vêtu de noir, porteur d'un drapeau rouge, entraîhe la foule aux cris de "Vive la République" ; le lendemain, Louis-Philippe cantonne la foule, lui-même rassurant les gardes nationaux qui. l'acclament : 120 morts, 3 députés arrêtés. Jamais roi naturellement débonnaire n'a excité pareils sarcasmes dans une presse enfiévrée."

Le récit d'Henri confirme bien ce qu'il en est dit ici : dans sa lettre du 6 juin 1832, nous voyons bien aussi le décalage Paris province :



"L'heure où je vous écris fait que je puis vous donner des nouvelles que les journaux ne peuvent pas donner à Valenciennes aussi tôt. Je vous écris aujourd'hui parce que hier (5 juin), au convoi de Général LAMARQUE, il y a eu des troubles et comme j'ai été à l'enterrement de CUVIER vous auriez pu croire peut-être que je me trouvais aussi à cette affaire, mais il n'en est rien ; personne n'est sorti de l'Ecole et les troubles ont éclaté seulement dans les faubourgs St Antoine, St Martin et St Denis. Un professeur nous a dit que les troubles venaient enfin d'être étouffés. C'est un reste du mauvais levain qui a cru trouver bon compte du gouvernement après la mort de PERIER ; Mais enfin, nous en voilà quitte pour longtemps, j'espère, si l'affaire n'était pas finie, je vous pourrais dire que ma prudence et surtout mes opinions auraient pu vous rassurer dans les circonstances, et d'ailleurs avant d'aller faire des émeutes au dehors, il aurait fallu en faire dans l'Ecole d'où l'on ne sort pas comme on veut. Ce fut une rude affaire pour le gouvernement, mais au moins il peut se rassurer pour longtemps, car tous les agitateurs d'émeute avaient consacré toutes leurs forces dans cette tentative. Ils sont maintenant ou tués ou pris. C'était le pendant de la Révolution de Juillet, seulement la force est restée aux troupes. A quoi cependant il tient d'être héros ! Tel qui aurait eu dans huit jours une croix de Juin," (le pendant, dans l'esprit d'Henri, de la croix de Juillet que le gouvernement de Louis-Philippe avait décernée aux héros de la révolution de Juillet) , "va peut-être dans huit jours monter à l'échafaud ; je n'ai jamais douté que les troupes ne finiraient pas p?r avoir le dessus, car ce n'était pas le peuple unanime qui se soulevait, il n'y avait, au contraire, que la Société des Amis du Peuple et quelques canailles désœuvrées. Hier au soir, on criait par toutes les rues : "Vive le Roi ! A bas la République ! " Je vous assure que la République est au fond de l'eau ! Tout le peuple que j'ai vu est transporté d'indignation contre les émeutiers et il n'y a pas un coin de rue où on ne les maudisse, ce qui est une preuve qu'ils ne pourront jamais renouveler leurs attaques. Tous ceux qui n'ont pas été tués ont été pris et c'est le plus petit nombre. . . Le Directeur nous a félicités de notre bon esprit ! On s'est joliment moqué de sa peur ! . . . La garde nationale n'est plus occupée qu'à se régaler : d'immenses tables sont disposées dans les serres des Tuileries et ils vont joliment expédier les bouteilles . "

Le lendemain, Henri qui n'avait pas eu assez de temps la veille, réécrit pour donner des précisions sur l'émeute :



"Je vous ai promis de vous dire ce que je pourrais savoir des événements du 5 et 6. Je ne m'attendais pas plus que personne à des sanglantes funérailles pour le pauvre LAMARQUE. Le jour où elles eurent lieu, tout à coup nous entendons battre l'appel, puis battre encme ore, nous ne doutions plus qu'il y ait eu émeute. Un de nos camarades monte au 3ème quartier d'où on plane sur tout Paris. Il nous dit qu'on a entendu trois décharges. Nous nous prîmes à rire ; mais à 8 h, un élève, qui était sorti, affirme qu'il avait vu tuer un jeune homme. Nous-mêmes, après le souper, nous montons au 3ème quartier et nous entendons la fusillade qui roulait assez bien. Le sous-directeur qui était sorti, vint nous rapporter que les postes voisins étaient pris par les rebelles. Cela nous cause un peu d'inquiétude, car il n'en est peut-être pas deux dans toute la section les Lettres qui ne soient ennemis de la République . Quant au peuple, après que le combat eut été engagé, il se dispersa sous la conduite des élèves de l'Ecole Polytechnique Ces troubles-là ne sont pas comme des émeutes à l'arme blanche qui peuvent se prolonger plusieurs jours parce que, s'il n'y a pas de conflit sérieux, il faut qu'une révolution tombe en triomphe sur le champ et quand elle tombe, elle ne se relève plus. Je n'ai pas oublié que vous m'avez recommandé de faire route à gauche si je vois une émeute à droite. J'allai chez les de Lussigny qui, de leurs fenêtres, avaient été témoins des premières affaires avec le poste voisin. Ils me dirent qu'ils étaient allés voir le convoi, qu'avant la marche un gros monsieur, à la tête de la Société des Amis du Peuple, avait dit à ses compagnons qui voulaient attacher une branche de saule à leur chapeau : "Pourquoi ces branches ? On nous prendrait pour des pleureurs ! Ce n'est pas par des pleurs qu'il faut célébrer le général LAMARQUE". Cela et le bonnet rouge qu'ils portaient au bout d'un drapeau rouge indique assez qu'ils avaient déjà leur coup en tête. Quand on se battait encore place de la Bastille, les ouvriers du faubourg St Antoine tinrent une singulière conduite ; ils ne voulaient pas se mêler de la révolution et pour cela ils avaient formé une barricade d'où ils tiraient sur tout ce qui voulait pénétrer de leur côté : troupes ou républicains, de sorte que l'artillerie fut obligée de faire un grand détour pour aller chercher les pièces à Vincennes. Peut-être, sous le canon, n'aurait-on jamais forcé les républicains derrière leurs barricades et dans les maisons qu'Ils avalent envahies. J'ai été sur la scène de combat, et, en face des maisons criblées de balles et marquetées de boulets, j'entendais raconter par les voisins les circonstances du combat. Tous désapprouvaient les républicains, presque tous approuvaient les rigueurs de la garde nationale. J'ai entendu dire que s'il n'y avait eu que la troupe, les républicains auraient bien pu avoir le dessus. Dans la rue St Martin, on m'a montré une barricade près du quartier général des républicains, qui avait résisté à sept assauts. Enfin le canon les a forcés. 40 s'étaient réfugiés dans le cloître de St Méry. On les a sommés de se rendre ; ils demandèrent à donner seulement leurs armes et à partir libres. On leur donna dix minutes ; ils persistèrent et on battit en brèche : la troupe, montant à l'assaut, les massacra presque tous. Ce sont là des scènes bien tristes. Je vais aller voir aujourd'hui la Revue que le Roi passe. »

La mère d'Henri ne peut contenir sa peur et avait écrit à Henri :



"Evite tous les endroits où tu verrais quelque rassemblement, car maintenant l'uniforme d'une école sera suspect à tous les agents de police". . .

II s'agissait en fait de l'Ecole Polytechnique qui a participé, voire même mené l'émeute, et non de l'Ecole Normale.

Nous voyons que le parti républicain n'était qu'une faible minorité à l'Ecole Normale. Dans sa famille, à l'Ecole, Henri a donc été soumis à des influences libérales, mais aussi avant tout à un grand attachement à l'ordre. Est-ce que ce ne sera pas le réel souci d'Henri WALLON toute sa vie ?

A propos d'un procès.

Henri s'était déjà montré modéré en janvier 1832 à propos d'un procès (ou plutôt d'un jugement relatif à des affaires politiques au sujet desquelles il n'entre pas dans les détails). Cela devait être un procès dont on parlait beaucoup : sans doute le procès des ministres de Charles X qui s'ouvrit le 15 décembre ; procès qui provoqua une grande effervescence parmi la jeunesse des Ecoles.

"D'après ce que j'ai entendu dire par les personnes qui lisent les journaux, "(Henri n'en prend même pas le temps) "et assistèrent aux séances, il paraît que les accusés se conduisirent encore plus indignement qu'on ne l'a rapporté. Du reste, c'est le genre, parmi les étudiants, d'approuver tous ces excès. J'ai entendu même dans l'Ecole s'extasier sur la Convention, appeler Saint-Just un homme pur ! Quant à moi, je ne me mêle jamais à toutes les disputes, je crois que c'est le plus sage parti."

Nous reconnaissons là la prudence d'Henri ; il ne se mêle pas à ces discussions politiques, il y avait donc quand même quelques éléments républicains à Normale, sans doute une minorité.

II est un passage intéressant de la correspondance où l'on voit la solidarité, l'amitié entre les élèves. Il est un point où ils sont tous d'accord :

La lutte contre le monopole.

Sans doute ont-ils trop souffert de la domination des grands universitaires sur leurs études ; pour Henri, dans le choix de sa carrière, dans l'expression de ses idées etc. Henri, racontant un banquet offert par les Anciens aux Nouveaux, laisse entendre à quel point l'esprit des élèves était avancé :

"On y porta divers toasts, entre autres un toast à la liberté de l'Instruction Publique. Nous, élèves de l'Ecole Normale et futurs soutiens de l'Université "(décidément ils ont conscience d'être une élite et voués à se donner à l'Université), nous avons appelé de nos vœux son coup de mort ! Je ne serais pas fâché que vous fassiez connaître à JANNET l'opinion de l'Ecole Normale à ce sujet. . . "

Et Henri s'empresse d'affirmer qu'il s'associe pleinement à cette idée de liberté, en ajoutant :



"Mes camarades et moi le premier, nous trouvons ce monopole trop absurde dans un temps de liberté pour ne pas applaudir à son abolition".

N'est-ce pas là le fondement de la lutte menée par Henri WALLON toute sa vie pour la défense de l'Université, tout en réclamant la liberté de l'enseignement. Ce mot de liberté ne doit-il pas être précisé ; il semble que, dans cette lettre, il soit employé dans le sens de la tolérance, par des élèves de toutes opinions politiques et religieuses (pour Henri, ce sera le sens qu'il y mettra toujours : égalité des droits pour les catholiques). Nûus verrons que pour MONTALEMBERT, ce mot prend un sens légèrement différent : ce n'est pas l'égalité de droit, mais liberté totale pour les catholiques dans l'enseignement.

Les lettres d'Henri révèlent assez l'importance réelle des événements historiques, nous avons relaté quelques événements politiques. Les études de la Monarchie de Juillet parlent toutes aussi d'un autre événement à caractère plus social, nous voulons dire : "la crise du choléra" en 1832.

Les lettres d'Henri à sa mère nous donnent des détails sur l'ampleur de ce phénomène et justement de son caractère "social", qui touche les gens les plus miséreux envahis d'une réelle panique.



"Celui-ci n'attaque que la classe indigente. L'Ecole Normale étant sur une hauteur, entourée de cours bien aérées, son quartier en sera nécessairement préservé. Vous savez, "écrit-il à sa mère/les soins de propreté que l'on exige des élèves et leur bon régime. Les meilleurs médecins de Paris vont journellement dans cet établissement etc."

La famille reste longtemps préoccupée et toutes les lettres échangées à cette époque disent les inquiétudes de chacun pour celui ou ceux dont il est éloigné. On échange des conseils d'hygiène, des combinaisons chimiques pour désinfecter. Mme WALLON a si peur pour son fils (en province, le phénomène, essentiellement parisien, prend encore beaucoup plus l'aspect d'une catastrophe), qu'elle demande à son mari d'écrire au Directeur de l'Ecole de faire revenir Henri à Valenciennes ; le Directeur refuse.

Dans ces cas de panique, beaucoup de bruits circulent :

"Imagine-toi que le peuple ne veut pas croire au choléra morbus, " écrit Henri à sa sœur. "Et, comme pour faire croire qu'il n'était pas dupe de ce bruit semé par le gouvernement pour se débarrasser de jeunes gens des écoles, dimanche dernier tout le peuple, pour ainsi dire, roulait dans les ruisseaux, ivre-mort. Ainsi y en a-t-il eu une grande partie moissonnée, les jours suivants, par le choléra. On a donc été obligé de reconnaître qu'en effet, il y avait beaucoup de monde qui mourait après ces douleurs d'intestin. Qu'ont-ils imaginé ? Qu'on les empoisonne, et les voilà criant à l'empoisonneur, mettant en pièces quelques suspects et les jetant dans la Seine. Au dire de certaines personnes, il paraît cependant que les soupçons du peuple ne sont pas dénués de fondement et que quelques hommes, pour soulever le peuple, ont empoisonné, ou fait mine d'empoisonner du vin d'un marchand."

Les seuls échos que nous ayons à travers les récits d'Henri, de la vie parisienne, sont justement les moments forts et les émeutes A ce moment-là, leur résonance est telle, qu'Henri ne peut y rester indifférent. Autrement, nous avons l'impression que l'univers d'Henri reste confiné à l'Ecole ou aux études, et l'Ecole vit en vase clos.

Nous avons aussi, par cette analyse, quelques fondements des idées politiques d'Henri WALLON, qui sont une introduction nécessaire pour comprendre notre troisième partie : la carrière politique d'Henri WALLON.

Nous avons aussi quelques fondements de ses idées intellectuelles et morales, qui seront les bases de sa carrière littéraire, notre deuxième partie.

Avant de rentrer dans la vie de professeur et de savant d'Henri WALLON, rappelons-nous la réflexion de M. GERBOD qui parle, sous la monarchie de Juillet, d'une

"culture conservatrice qui se complaît dans la tradition d'auteurs grecs et latins. L'histoire est un exercice d'érudition et la critique littéraire universitaire n'en est qu'à ses balbutiements". "Ces caractères sont : la prudence et la mesure, le souci de la vérité (au risque de paraître tatillonne), la précision et les vertus morales".

Le professeur Henri WALLON sera guidé par cette formation. Et, à propos des professeurs formés à l'Ecole Normale, GERBOD parle de "l'élément aristocratique dont la mentalité et la carrière ne ressemblent pas à celles de l'ensemble des membres de l'Université".

"WALLON aimait son école", nous dit PERROT, et il y resta fidèle toute sa vie ;

"Quand se fonda, pour secourir des misères imméritées, l'Association des Anciens Elèves de l'Ecole, il fut un des membres les plus actifs de son conseil jusqu'à la dernière année de sa vie".

Et il verra avec joie rentrer deux de ses fils et deux de ses petits-"fils à l'Ecole Normale.

En conclusion, nous pouvons dire :

en 1834 - Henri a 22 ans - à la fin de ses études, il demeure inébranlable dans sa foi, fondement de sa personnalité. Il n'a pas cédé aux idées de son père, ni à celles de son temps : scepticisme, etc. Il n'a jamais douté (comme l'avait fait à ce moment-là LACORDAIRE, par exemple).



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