LES TESTAMENTS DE MICHEL PINHAN
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Pour J. – Cl. Bouvier
27
, c’est un « phénomène médiéval ou post-médiéval ».
Selon A. Grafström
28
, « Le r final remontant à lat. rr reste presque partout,
alors que celui contenant lat. r tombe dans beaucoup de parlers…. La pré-
dominance de la graphie r est probablement due à l’influence du latin, qui ne
connaît pas rr final ». Mais, paradoxalement, certains mots semblent conser-
ver le –r : « amor ; sener (mais aussi souvent mosene) ». Pourquoi, alors, cette
permanence, alors qu’il n’était pas géminé à l’origine ? Peut-être s’entendait-
il dans ce cas précis ? En effet, Pinhan, ne prononçant pas une lettre, la sup-
prime. Cette disparition de –r est sûrement un fait avéré, car nous la rencon-
trons parfois, bien que rarement, dans d’autres documents. Cette quarence
quasi systématique observée chez Pinhan doit avoir une signification pré-
cise : il ne s’agit pas d’une méconnaissance, ou même d’une élimination inté-
grale de cette lettre. Cette tendance ne peut être que le reflet d’une réalité
phonique, que ne suit pas toujours la graphie.
Si Pinhan omet systématiquement -r final, il conserve le –t, surtout celui
des participes passés. Il a donc, apparemment, une intuition morphologique, -
t étant ressenti comme un fait syntaxique et non phonétique. Il le note pour
distinguer les participes passés des autres mots. Mais il le supprime après –n- :
« preren », ainsi que dans les adverbes en –ment. On a tendance à dire que la
chute des consonnes finales est due à l’influence du français, alors que ce phé-
nomène pourrait être autochtone (fait corroboré par les autres textes, qui pro-
posent aussi la chute de –t après –n-). Le mouvement décrit par H.
Coustenoble
29
pour le provençal contemporain (« On remarque dans la pro-
nonciation familière des Arlésiens que les consonnes l,r,R,s,d,et b ne sont pas
toujours prononcées. On ne prononce pas toujours r final ; il tombe dans cer-
tains mots isolés, ou suivis d’un autre mot commençant par une consonne… d
tombe quelquefois devant R à l’intérieur d’un mot… ») est amorcé à l’époque
médiévale. Enfin, Pinhan supprime souvent –d devenu final: « fe ; gran ;... ».
D’autres cas de suppression de lettres apparaissent, qui ne concernent
plus ce phénomène. Certaines consonnes internes sont parfois « omises » :
« p(l)us ; io(r)n ; pau(b)ra ; co(n)sel ». Signalons le cas de « gleyra > greyra >
g(h)eyra ».
D’autres sont antéposées : « presona ; sebrantura ». Mais cette métathèse
n’a pas une grande signification, dans la mesure où les occurrences sont peu
nombreuses.
L’assimilation de rs > s et de ns > s est assez fréquente : « quos ; endeve-
nidos ; soscesos ; sequtos ; partiqulas ; lu(r)s ». Lorsque nous ajoutons –s,
marque du pluriel, à un mot terminé par –r, ce dernier se transforme. Il y a
27. J.-Cl. B
OUVIER
, Les parlers provençaux de la Drôme ; Etude de géographie linguistique,
Paris, 1976, p. 279.
28. A. G
RAFSTRÖM
, Etude sur la graphie des plus anciennes chartes languedociennes avec
un essai d’interprétation phonétique ; Upsal, 1958, p. 162.
29. H. C
OUSTENOBLE
, La phonétique du Provençal moderne en terre d’Arles, (Hertford)
1945, p. 124.
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MARIE-ROSE BONNET
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assimilation, fait usuel alors. Pinhan fait subir le même sort à « co(r)s », mot
singulier. Selon A. Grafström
30
, « Il est possible que r ( < lat. r) soit faible
devant un s final et même qu’on l’écrive parfois sans le prononcer ». C’est
donc un procédé graphique presque traditionnel.
De même que certaines consonnes finales ne se prononçaient plus, de
même une autre transformation est attestée chez Pinhan, celle du son [z].
Dans la plupart des cas, le scribe le transcrit par –s- entre deux voyelles, ou
par –z-. Notre testateur propose une autre possibilité : -s- > -r- : « preren ;
quaura ; firel ; Blari ; plarera (subjonctif pour plasa) ; prerechados ; equle-
riasta ; gleyra ; reclura ; serviri ; farie ; proveri ; plare (= plaser) ; felere(na) ;
paurat ; fermera ; farie ; claurula ; mayron ; peraron ». Il semble aller jusqu’au
bout d’un phénomène, la sonorisation de la consonne sourde intervocalique
[s] > [z] > [r]. Il fait passer [z] prépalatal à [r] alvéolaire sonore. Par contre,
le son [s] est conservé et noté –s- : « mesa ; ynserta ; quontraversa ; espesial-
men ; selebradoyra ; quausa (= chausser) ; grosa ; grasia ». Il distingue très
nettement « quaura » et « quausa » et n’emploie jamais l’un pour l’autre. Il
ne confond pas les deux sons, alors qu’il peut hésiter quant à la transcription
de [k], par exemple. A. Grafström
31
note qu’il « a éventuellement existé une
variante dévibrée, témoin S. CABRARI ( < Caprasium) lod…, un r dévibré
étant très voisin de [z] ». B. Boysset offre quelques exemples de ce rhota-
cisme, mais moins fréquents.
Un autre emploi particulier est celui de –h-. Dans la plupart des docu-
ments, cette lettre a pour effet de transformer le son de la consonne précé-
dente : -lh-, -nh- ont un son mouillé, -ch- équivaut à [k]. La disparition du
–h- latin a permis cet usage. Toujours d’après A. Grafström
32
, « Comme les
h latin et germanique s’étaient amuïs, on avait dans la lettre h un signe propre
à entrer dans diverses combinaisons pour représenter des sons nouveaux et
l’on a su s’en servir largement. » Chez Pinhan, son emploi est quelquefois
surprenant :
– Il ne l’écrit pas là où d’autres le mettent : « mosene(r) ; senor ; linage ;
senada ; mole » ; il ne peut donc représenter un son mouillé, et fonctionne
comme le signe d’une autre catégorie phonique. La mouillure peut être notée
par un double –l- : « ellos ; pupilla », ou par –li- : « molie ; pupilia ».
– Il l’utilise par contre d’une manière particulière. Nous pouvons
d’abord supposer qu’elle représente un son dur [k] ou [g] (nous ne tiendrons
pas compte de « que », pronom ou conjonction, du relatif « local… », ni de
« quan(t) ». Considérons d’abord le cas de [k] à l’initiale, ou précédé de a- :
qu + a, o = 81,6% ; c + a, o = 9,2% ; ch + a, o = 7,8% ; s + a, o = 1,2% (à un
moment, « se » = « que »). Voyons maintenant les mots où [k] à l’initiale est
suivi d’une consonne, l ou r : c + cons. + voy. = 36,9% ; qu + cons. + voy. =
30. A. G
RAFSTRÖM
, op. cit., p. 163.
31. A. G
RAFSTRÖM
,
op. cit., p. 163.
32. A. G
RAFSTRÖM
, op. cit., p. 140.
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