Relations des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l'Inde et à la Chine dans leIXe siècle de l'ère chrétienne



Yüklə 0,88 Mb.
səhifə4/14
tarix15.03.2018
ölçüsü0,88 Mb.
#31633
1   2   3   4   5   6   7   8   9   ...   14

Ptolémée dit que, de son temps, les navires, lorsqu'ils étaient arrivés près de l'embouchure du Mœsolus, mettaient à la voile pour la chersonèse d'Or, c'est-à-dire la presqu'île de Malaca 2. Le Mœsolus est, suivant D'Anville, la Kitsna ou Crichna, nom d'un demi-dieu indien, donné probablement à ce fleuve après que le culte d.090 brahmanique se fut établi dans le sud de la presqu'île, c'est-à-dire quelques siècles après notre ère. Ce qui confirme cette opinion, c'est le nom de la ville de Masulipatam, bâtie à l'embouchure du fleuve, et dont la terminaison patam est synonyme, en tamoul, de ville. Quant à l'endroit précis d'où les vaisseaux faisaient voile vers l'est, le major Rennell, dont l'autorité est grande dans ces matières, paraît croire que c'était le cap Gordeware, situé un peu au nord, à l'embouchure du Godaveri 1.

Quoi qu'il en soit, on reconnaît dans le mot Kedrendj le lieu qui, suivant Massoudi, donnait son nom à la cinquième des sept mers 2. À l'égard du temps considérable que les navigateurs mettaient à se rendre, soit de Kalah-bar à Betouma, soit de Betouma à Kedrendj, cette lenteur s'explique facilement par le manque de ports d.091 sur la côte de Coromandel, et par le mouvement des vagues, appelé ressac, qui rend difficile l'accès de ces parages 3.

Il y a encore quelques considérations à faire valoir en faveur de la place que j'assigne à Kedrendj ; mais pour cela il est nécessaire de présenter d'abord le tableau des divisions de l'Inde, telles qu'elles étaient réparties au IXe siècle de notre ère ; c'est ce que je vais essayer de faire, en observant l'ordre qu'a suivi le marchand Soleyman lui-même. Ce tableau est fort précieux ; malheureusement, une partie des dénominations arabes est altérée, et il est devenu bien difficile de les rétablir. D'ailleurs on ne sait pas toujours si ces dénominations sont des noms de pays, de dynasties ou de princes.

On se rappelle que le marchand Soleyman était parti des côtes du golfe Persique pour l'Inde, en s'abandonnant à la mousson. Le premier pays qui attire son d.092 attention est naturellement la contrée située aux environs du golfe de Cambaye, contrée devant laquelle venaient passer les navires arabes qui se rendaient sur la côte du Malabar et dans la direction de l'île de Ceylan. Cette région, qui s'étendait fort loin dans les terres, du côté du Nord-Est, comprenait le Guzarate, le golfe de Cambaye et le Malva ; elle se terminait, vers le Midi, à la province de Concan, dont Bombay est maintenant la ville principale, et qu'Édrisi surnomme le pays du Sadj, c'est-à-dire le pays du teck 4, à cause des forêts de cet arbre précieux qui couronnent le versant occidental de la chaîne des Ghattes ; cet arbre fournit jadis, aux habitants de Syraf, dans le Farsistan, et d'Obollah, sur les bords du Tigre, du d.093 bois pour bâtir leurs maisons ; aujourd'hui c'est avec cet arbre que le gouvernement anglais fait construire à Bombay ses vaisseaux de guerre 5.

Les provinces qui entourent le golfe de Cambaye formèrent l'empire qui, un peu avant l'ère chrétienne, sous le règne du grand Vikramaditya, effaça tous les autres empires de l'Inde, et qui avait pour capitale Ozène, ou, comme prononcent les Indiens, Oudjayana, et, comme prononcent les Arabes, Odjein. Massoudi, dans son Moroudj-al-dzeheb 1, raconte que le premier centre de la civilisation indienne fut à Canoge, ville à laquelle il donne l'épithète de Hauzè, signifiant centre. Le désordre étant survenu dans les affaires du gouvernement, à une époque qui paraît d.094 répondre à l'an 607 de notre ère, l'empire se divisa et de ses débris il se forma plusieurs royaumes, tels que Canoge, qui conserva le titre de centre, le Sind, le Cachemire et l'empire dont il est question ici, lequel, suivant Massoudi, reçut, à cause de sa prééminence, le titre de Grand centre. Le prince qui régnait dans le Grand centre était désigné par le titre de Balhara, mot qui est probablement altéré, et que je présume dériver de Malva-radja ou radja du Malva. L'empire avait pour capitale une ville située à quatre-vingts youdjanas, ou parasanges, c'est-à-dire un peu plus de cent lieues de la mer. Massoudi ajoute qu'au moment où il écrivait, cet empire existait encore, et son témoignage a d'autant plus de poids, qu'ainsi qu'on l'a vu, il avait visité les villes situées sur la côte.

Le marchand Soleyman 2 donne au d.095 Balhara le titre de prince des hommes qui ont l'oreille percée, apparemment parce que les habitants portaient des anneaux à l'oreille, circonstance qui devait étonner les Arabes, comme elle avait étonné les Grecs et les Romains. Suivant lui le Balhara était le premier des princes de l'Inde, et tous les Indiens reconnaissaient sa prééminence. Les Arabes jouissaient d'une grande faveur dans ses États ; il n'existait pas, dit Soleyman, parmi les princes de l'Inde, quelqu'un qui aimât plus les Arabes, et ses sujets suivaient son exemple.

« Balhara, ajoute Soleyman, est le titre que prennent tous les rois de cette dynastie. Il revient à celui de Cosroès, etc.

Au contraire, suivant Ibn-Haucal, Balhara n'était pas un mot significatif, mais le nom même du pays 3.

Après le Balhara, le marchand Soleyman place immédiatement le roi du Djorz, qui me paraît être le roi de Canoge ; c'est d.096 ce que dit Abou-Zeyd 4. On verra ci-dessous que c'est probablement ce qu'a voulu aussi indiquer Édrisi, lorsqu'il a placé le Djorz du côté du golfe du Bengale. Le témoignage d'Édrisi a de plus l'avantage de nous faire connaître ce qu'était la langue de terre dont parle Soleyman. Cette langue de terre se rapporte à la direction du royaume de Canoge, qui se prolongeait de l'ouest à l'est, depuis le Pendjab jusqu'à l'embouchure du Gange. Massoudi ajoute une circonstance qui semble venir à l'appui de cette manière de voir ; c'est que le roi du Djorz était, après le calife de Bagdad, le prince le plus noble de la terre. Cependant Massoudi semble établir une distinction entre le Djorz et le royaume de Canoge 1. Il ne faut pas oublier, du reste, que l'empire de d.097 Canoge, au temps où voyageait Soleyman, était considérablement déchu.

On est d'abord étonné qu'il ne soit point parlé ici du royaume de Magadha, qui avait succédé à l'empire de Palibotra, empire qui, après la mort d'Alexandre le Grand, étendit ses limites depuis l'Indus jusqu'au golfe du Bengale. Le royaume de Magadha, qui répondait au Bengale actuel, était encore puissant dans la première moitié du VIIe siècle ; mais il ne tarda pas à déchoir à son tour. D'ailleurs, les Arabes et les Persans paraissent n'avoir pas entendu parler du royaume de Magadha, à cause de son éloignement.

Soleyman 2 place à côté du Djorz le royaume du Thafec, qui, dit-il, n'était pas considérable, mais où les femmes étaient blanches et plus belles que dans le reste de l'Inde. Massoudi fait aussi mention de cette contrée, et il semble croire d.098 qu'elle se trouvait dans l'intérieur des terres, du côté du Pendjab 3 ; mais il ajoute une circonstance singulière qui suppose une tout autre position. Massoudi rapporte que les femmes du Thafec n'étaient pas seulement les plus belles de l'Inde ; il dit qu'elles étaient citées dans les livres érotiques comme possédant des moyens particuliers de procurer du plaisir aux hommes, et que les marchands qui parcourent les mers orientales les achetaient à des prix exorbitants 4. Or, Ibn-Bathoutha, qui visita toutes les provinces de l'Inde, ainsi que presque tout l'ancien monde, et qui se connaissait en femmes, puisque, d'après son propre récit, il ne pouvait arriver dans un pays sans en épouser quelqu'une, retrouva les d.099 femmes du Thafec ; il s'empressa même de s'en procurer une. Ibn-Bathoutha parle de ces femmes en deux endroits de sa relation 5. À propos de la ville de Deoguir, nommée à cette époque par les musulmans, Daulet-abad, il dit que le territoire de cette antique cité était occupé par un peuple de race maratte ; puis il ajoute :

« Dieu a doué les femmes des Marattes d'une grande beauté, particulièrement dans le nez et les sourcils. Ces femmes ont des moyens de plaire et... moyens qui ne se rencontrent pas chez les autres 1.

d.100 Le second endroit où Ibn-Bathoutha a parlé de ces femmes, c'est lorsqu'il se trouvait dans les îles Maldives. Il raconte que le vizir de ces îles lui ayant, par forme de politesse, envoyé une esclave, en lui faisant dire que, si celle-ci ne lui convenait pas, on lui enverrait une femme maratte, lui qui ne désirait rien tant que de faire connaissance avec les femmes marattes, demanda une de celles-ci, ce qui lui fut accordé. Cette femme portait le nom de Cal-astan, ce qui, dans la langue du pays, signifiait fleur du jardin, et elle lui plut beaucoup. Le vizir lui en donna encore une qui était originaire du Mabar, c'est-à-dire de la partie du continent indien qui fait face à l'île de Ceylan 2.

D'après cela le pays du Thafec répondrait à la province actuelle d'Aureng-abad, et, par ses relations amicales avec les marchands arabes, il rappellerait ce que les écrivains de l'antiquité racontent du d.101 commerce fait par les Grecs et les Romains avec la ville de Tagara, la Deoguir des Indiens. À la vérité il s'agit ici de femmes d'un teint blanc, tandis que le teint maratte tire vers le noir ; mais on peut supposer que les femmes en question formaient une race particulière.

Suivant le marchand Soleyman, aux royaumes du Balhara, du Djorz et du Thafec était contigu un empire nommé Rohmy, qui possédait des troupes extrêmement nombreuses, encore plus nombreuses que celles du Balhara et du roi du Djorz ; quand le souverain marchait à la guerre, il était accompagné de cinquante mille éléphants. On fabriquait dans ce pays des étoffes de coton qui n'avaient pas leurs semblables pour la légèreté. Une robe faite avec cette étoffe pouvait passer à travers l'anneau d'un cachet. De son côté, Massoudi rapporte que le royaume de Rohmy se trouvait, en partie sur les bords de la mer, en partie dans l'intérieur des terres. Il ajoute que Rohmy, ou d.102 plutôt, suivant sa manière d'écrire, Ouahman n'était pas le nom du pays, mais le titre qu'avait adopté le souverain 1. Ces différentes circonstances me font croire que le pays de Rohmy répondait à l'ancien royaume de Visapour.

Soleyman parle ensuite 2 d'un royaume situé dans l'intérieur des terres, et qu'il nomme Kascheb ou Kaschibyn. Ce royaume correspond probablement au Myssore.

Il est singulier que Soleyman n'ait rien dit à cette occasion du cap Comorin et du territoire environnant. Abou-Zeyd a suppléé à son silence 3, et son récit est conforme à l'état des lieux.

Soleyman passe immédiatement du pays de Kascheb à celui dont le roi, dit-il, se nomme Kyrendj, et qui est situé sur les bords de la mer. Ce royaume me paraît répondre aux environs de Madras et de Masulipatan, et je serais porté à identifier d.103 ce lieu avec le pays de Kedrendj, pays qui, ainsi qu'on l'a vu, donnait son nom à la cinquième mer, et d'où les navires qui se rendaient en Chine, mettaient à la voile pour les côtes de la presqu'île de Malaka 4. Édrisi semble avoir placé au même endroit une île qu'il nomme Herendj ou Herydj 5 ; il parle à cette occasion d'une pagode qui est peut-être l'immense édifice dont on voit encore les ruines, à quelque distance, au midi, sur les bords de la mer, au lieu nommé Mavalipouram ou Mahabalipouram, et plus ordinairement les Sept pagodes. D'un autre côté, l'on trouve, à l'embouchure du Godaveri, un territoire appelé Coringa, et les livres sanscrits placent au nord de la Kitsna un pays nommé Kalinça.

Une circonstance qui me semble confirmer la place que je donne à Kyrendj, d.104 c'est ce que dit le marchand Soleyman, immédiatement après avoir parlé de cette contrée. Il s'exprime ainsi :

« Ensuite on rencontre plusieurs royaumes dont Dieu seul connaît le nombre.

Ces paroles semblent annoncer une interruption dans l'énumération qui vient d'être faite des principautés de l'Inde, et cette interruption ne peut guère tomber que sur les côtes d'Orissa, du Bengale et de l'Aracan. Un passage cité par Édrisi semble avoir la même intention. Voici ce que dit Édrisi 6 :

« Le plus grand roi des Indes est le Balhara, titre qui équivaut à celui de roi des rois. Ensuite vient le Komkam (ou Concan) ; son pays est le pays du Sadj 1 ; après cela vient le roi du Thafec, puis le roi du Djaba 2 ; puis le roi du Djorz 3 ; enfin le d.105 roi du Camroun, dont les États touchent à la Chine 4.

Telles paraissent avoir été les divisions de la presqu'île de l'Inde, au IXe siècle de notre ère. Il est à regretter, comme je l'ai dit, que les noms de lieux ne soient pas mieux fixés. Quelques-unes de ces dénominations semblent avoir été des titres attachés à certaines dynasties, et non pas des désignations de pays ; elles seraient même toutes dans un cas pareil, si l'on s'en rapportait au témoignage d'Ibn-Khordadbèh, écrivain arabe de la dernière moitié du IXe siècle de notre ère 5.

Le marchand Soleyman, après avoir d.106 traversé le golfe du Bengale, s'arrête à une contrée où se faisait sentir l'influence chinoise, et qui probablement était située aux environs du cap Martaban ; c'est le pays de Moudjah, dont Édrisi a fait une île. Le récit de Soleyman donne lieu de croire que le pays de Moudjah était dans le voisinage d'un lieu maritime appelé Senef, lequel avait donné son nom à tous ces parages. Soleyman s'exprime ainsi 6 :

« Les navires (en partant de Kedrendj) se rendent au lieu nommé Senef, situé à une distance de dix journées. Quelques auteurs ont rattaché le mot Senef à celui de Tsiampa, nom que portait alors et que porte encore aujourd'hui la partie méridionale de la Cochinchine 7. Mais Soleyman et Massoudi semblent s'accorder à représenter la mer de Senef comme se trouvant à l'occident du détroit de Malaka et des îles de d.107 Java et de Sumatra ; immédiatement après avoir franchi le détroit de Malaka et celui de la Sonde, on entrait, suivant Massoudi, dans la mer qu'il appelle Sandjy, et qui est peut-être une altération du mot Mandjy ou Manzi, nom donné dans le moyen âge à la Chine méridionale 1. Il faut donc rattacher la dénomination de Senef à une autre origine.

Au delà, reprend Soleyman 2, se trouvent les États du Mabed, qui comptent un grand nombre de villes, et dont les habitants se rapprochaient de plus en plus des Chinois. Le royaume du Mabed et la Chine étaient séparés par des montagnes. Ce royaume me paraît répondre à celui de Siam.

Après cela les navires arabes se dirigeaient vers la Chine. On a vu que les vaisseaux chinois, qui doublaient l'île de Ceylan, retournaient dans leur pays par d.108 le détroit de la Sonde, qui sépare Java de Sumatra.

Pour les navires arabes qui, autant qu'il leur était possible, ne s'éloignaient pas des côtes, ils passaient entre la presqu'île de Malaka et l'île de Sumatra. Le marchand Soleyman, après avoir parlé de l'arrivée des bâtiments à Senef, ajoute 3 qu'ils se rendent en dix journées dans une île ou presqu'île nommée Senderfoulat. Qu'on fasse de Senderfoulat une île ou une presqu'île, sa situation était nécessairement près de l'entrée du détroit de Malaka. Soleyman ajoute :

« Quand Dieu a fait la grâce aux navires de sortir de Senderfoulat, ils mettent à la voile pour la Chine et y arrivent au bout d'un mois.

Sur ce mois, sept journées étaient employées à franchir ce que Soleyman appelle les portes de la Chine, et qui étaient, dit-il, des montagnes baignées par la mer ; ces montagnes ne laissaient aux vaisseaux qu'un étroit passage. Les portes de la Chine d.109 me paraissent désigner les groupes d'îlots situés entre l'île Formose et l'île Tchu-san, sur un espace d'environ cinq degrés.

Soleyman, Massoudi et Abou-Zeyd s'accordent à dire que les navires arabes abordaient dans un port de la Chine, appelé Khanfou. Renaudot et Deguignes 4 ont cru qu'il s'agissait ici de Canton. La vérité est que depuis longtemps il y avait des marchands arabes établis à Canton, ville que les Chinois nommaient alors Thsing-hai. Les auteurs chinois racontent que, vers l'an 758 de notre ère, les Arabes et les Persans établis à Canton profitèrent des troubles qui affligeaient en ce moment la Chine pour exciter un tumulte dans la ville, et qu'à la faveur du désordre ils pillèrent les magasins, brûlèrent les maisons des marchands et s'enfuirent par mer 1. d.110 Mais Klaproth a fait voir que la situation de Khanfou était plus au nord, dans la province de Tche-kiang, sur les bords de la rivière Kiang, près de son embouchure 2. C'est la ville que Marco-Polo a nommée Gampou. Elle servait de port à la ville de Hang-tcheou-fou, située sur la même rivière, à quelques journées au-dessus, et encore aujourd'hui capitale de la province ; Hang-tcheou-fou répond à la ville que Marco-Polo nomme Quinsai, et qui est appelée par les Arabes Al-khansah 3. Voici ce que dit Marco-Polo 4 :

« Et encore vous fais savoir que vingt-cinq milles loin de cette cité est la mer, entre grec (nord-est) et levant, et illuec a une cité qui est appelée Ganfu, et illuec a moult bon port, et y vient grandissimes d.111 navies et grandissimes mercandies et de grand vailance de Inde et d'autre part.

Il est dit dans le Ketab-al-adjayb 5 que la meilleure des portes de la Chine, pour faire le commerce, était celle qui conduisait à Khanfou ; c'était la plus proche : pour entrer par une autre, il eût fallu faire un détour. Le port de Khanfou, jadis si florissant, est à présent engorgé par les sables, et il n'y entre plus que de petites barques.

Il me paraît, du reste, que les grands établissements des Arabes et des autres étrangers qui venaient faire le commerce en Chine n'étaient pas à Khanfou, mais dans la capitale de la province, Hang-tcheou-fou. Abou-Zeyd dit 6 qu'entre Khanfou et la mer il y a une distance de quelques journées, ce qui ne saurait s'appliquer au port proprement dit de Khanfou. Il en était de même au temps de Marco-Polo ; et cet illustre voyageur, d.112 qui dit à peine quelques mots de Khanfou, s'étend longuement sur la ville de Quinsai, dont le nom, suivant lui, signifiait « la cité du ciel ». La description que Marco-Polo donne de Quinsai s'accorde avec ce que disent les écrivains persans et arabes de la même époque 7. Comme cette description éclaircit certains passages de la relation du marchand Soleyman et des remarques d'Abou-Zeyd, je ne puis me dispenser d'en reproduire un extrait. Marco-Polo, après avoir dit que Quinsai était sans contredit la plus noble cité et la meilleure qui fût au monde, s'exprime ainsi 8 :



« Quinsay est si grant qu'elle a d.113 bien cent milles de tour, et si y a douze mille pons de pierre, si hauls que par dessous passait bien une grant navie. Et ne se merveille nuls se il y a tant de pons ; car je vous dis que la cité est toute en eaue et environnée d'eaue ; si que pour ce convient-il qu'il y ait maint pont pour aller par la cité. En cette cité avoit douze manières de divers mestiers ; et pour chacun mestier avoit douze mille maisons où ceux qui ouvroient demouroient. Et en chacune maison avoit dix hommes du moins, et en telle y avoit vingt, et en telle y avoit trente, et en telle y avoit quarante. Non pas qu'ils fussent tous maitres, mais valets menestraux qui font ce que le maitre commande. Et tout ce avait bien mestier en la dite cité. Car d'elle se fournissent cités et villes de la contrée... Et etoit établi et ordonné de par le roy que nul ne fit autre mestier que celui de son père, si eût tout l'avoir du monde. Et a dedans la cité un grand lac qui a bien trente milles de tour ; et en d.114 tour ce lac a moult de beaux palais et moult de belles maisons, qui sont de grands gentis et riches hommes et puissants demourant en la cité. Et y a moult d'abbayes et d'églises de ydolatres... Aux maisons de cette cité avoit hautes tours de pierre où l'on mettoit les chières choses pour doute du feu. Car les autres habitations sont de bois. Les gens sont idolâtres... et mangent de toutes chairs de chien et d'autres viles bêtes que chrétiens ne mangeraient en nulle manière... Encore sachiez que en la dite cité a un mont sur lequel a une tour, et sur cette tour une table de fust, et toute fois que feu ou autre éfroi étoit en la cité, un homme qui là étoit ordonné, tenoit un martel en sa main, dont il feroit sur la dite table, si fort qu'il étoit ouï de moult loin ; sy que quand on oyoit sonner cette table, chacun savoit certainnement qu'il avait feu en la cité ou autre besoing. Et est à savoir que le grand kaan fait moult bien garder cette cité, pour ce qu'elle est d.115 chief de la contrée de Mangy, et pource qu'il y a moult grand trésor des droitures des marchandises que l'on y fait ; car il en a si grand profit que nul ne le pourroit croire, qui vu ne l'auroit. Et sont toutes les rues pavées de pierre, et aussi sont tous les chemins de la contrée de Mangy, si que on y peut bien chevaucher et aller par tout nettement. Et si n'étoit le pavement, on ne pourroit bonnement chevaucher, car le pays est moult bas, et y a moult parfond (mares) quand il pleut. Et encore sachiez que en cette cité a bien trois mille bains qui sourdent de terre, de quoi les gens ont moult de delit et de netteté. Et est la mer océane à vingt-cinq milles, près de cette cité, qu'on appelle Ganfu ; et y a moult grand navie qui vient et va en Inde et aux autres parties étranges, portant et rapportant marchandises de maintes manières de quoi la cité vaut mieux ; et de cette cité de Quinsai part un fleuve grand qui va jusqu'au port de la mer... Encore est en cette cité le d.116 palais du roy, qui est le plus grand qui soit en tout le monde. Il a dix milles de tour, et est tout muré entour de hauts murs et tout crénelés ; et dedans les murs a les plus beaux jardins et les pius délittables qui soient au monde ; et y a maintes fontaines et maints lacs qui sont pleins de poisson. Et au milieu est le palais qui est moult grand et moult beau. Il y a vingt sales belles, etc.

Khanfou, et par conséquent Hang-tcheou-fou, étaient dans une position bien plus favorable pour le commerce que ne l'est Canton. Canton, par sa situation au sud-est d'une chaîne de montagnes, communique difficilement, avec les provinces du nord-ouest de l'empire, les plus riches de toutes. Khanfou et Hang-tcheou-fou l'emportaient à cet égard. La capitale de l'empire était alors la ville nommée actuellement Si-ngan-fou, laquelle était appelée par les écrivains arabes et syriens du moyen âge Khomdan. Si-ngan-fou, qui, ainsi que Deguignes l'a reconnu le d.117 premier, se nommait Tchan-ngan ou la cour occidentale, est située sur les bords du Wei, l'un des affluents du fleuve Jaune, dans la province du Chen-si 1. C'est là qu'a été trouvée l'inscription chinoise et syriaque, qui fut érigée vers l'an 780 de notre ère, et qui prouve que la religion chrétienne était dès lors répandue en Chine 2. Khanfou et Hang-tcheou-fou étaient très bien placées pour communiquer avec l'intérieur de l'empire, et l'établissement des musulmans, et des peuples d'autre religion, dans deux lieux aussi importants, montre que le gouvernement chinois était bien moins ombrageux qu'il ne l'a été d.118 depuis trois siècles envers les puissances européennes. On sait que, jusqu'à ces dernières années, les Européens n'ont eu la faculté de commercer que dans la place de Canton ; lorsque les missionnaires catholiques, dont le savoir était d'un secours si utile à l'empire, et les agents diplomatiques obtenaient la faculté de se rendre à Péking, beaucoup plus rapproché de la mer que Si-ngan-fou, et qui, depuis le XIIIe siècle de notre ère, a l'avantage de communiquer par un canal avec Hang-tcheou-fou, ils étaient obligés de faire plus de quatre cents lieues dans l'intérieur des terres, tantôt à travers des montagnes escarpées, tantôt dans des barques où à peine on laissait entrer l'air.


Yüklə 0,88 Mb.

Dostları ilə paylaş:
1   2   3   4   5   6   7   8   9   ...   14




Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©genderi.org 2024
rəhbərliyinə müraciət

    Ana səhifə