Relations des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l'Inde et à la Chine dans leIXe siècle de l'ère chrétienne



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« Le Tibet, suivant Massoudi, est un des pays les mieux partagés pour l'air, l'eau, d.147 les plaines et les montagnes. Les habitants sont si heureux qu'ils ne cessent pas de rire ; jeunes et vieux, tout le monde se livre à la joie. Les fruits sont très abondants dans leur pays, et on y compte beaucoup de villes et de lieux fortifiés.

Quant à la plus grande partie des enfants d'Amour, ils gagnèrent les bords de la mer Orientale. Ceux-ci se partagèrent les provinces de la Chine et en défrichèrent le sol. Le premier qui régna sur eux traça le cours des rivières, extermina les bêtes féroces et planta des arbres. Dans ce pays, la population est si nombreuse que les villes et les habitations se touchent les unes les autres. Anmoua, la capitale, est située à trois mois de marche de la mer. Les Chinois sont partagés en familles et en tribus, comme le sont les Arabes. Ils comptent cinquante générations, plus ou moins, depuis le temps actuel jusqu'à Amour. Ils tiennent compte de ces différences de race dans les rapports de la vie, et les familles évitent de s'allier d.148 entre elles, de peur de laisser dépérir le sang 1.



Les Chinois, malgré l'époque reculée où remontent leurs traditions historiques, n'ont qu'une idée confuse de leur première origine. Néanmoins, les inductions qu'on peut tirer des documents chinois les plus anciens s'accordent, pour le fond, avec ce que dit Massoudi. C'est ce que l'on voit dans un mémoire d'où j'extrais en partie les résultats relatifs à cette question d'origine. D'après les anciens documents historiques, géographiques et moraux que M. Édouard Biot, auteur de ce mémoire, a rassemblés et discutés, la nation chinoise ne fut d'abord qu'une réunion de pasteurs et de planteurs, établis avec leurs familles, dans la longue vallée du fleuve Jaune, et liés entre eux par le besoin de se défendre contre les hordes sauvages de ces contrées, alors boisées et marécageuses. Le chef faisait d.149 des règlements pour le calendrier, pour les travaux de dessèchement d'une utilité reconnue, et pour les peines à infliger aux malfaiteurs. La race, dont il était le chef, est distinguée par un nom spécial, la race aux cheveux noirs 2, épithète qui convient parfaitement aux tribus turkes ; car c'est la même dont se servent les écrivains persans pour désigner, dans les poésies érotiques, les beautés venues du Turkestan 3. Les mêmes documents paraissent indiquer que la race aux cheveux noirs s'emparait d'un sol sur lequel elle n'était pas née. Le berceau de cette nation semble devoir être placé sur les degrés inférieurs d'une des grandes chaînes de l'Asie centrale, le Kouen-lun, qui, se liant avec l'Himalaya, à son extrémité occidentale, s'étend directement de l'ouest à l'est, jusqu'aux frontières de la Chine. Ces traditions remontent à plus de d.150 deux mille ans avant notre ère. Vers le XIIe siècle avant J.-C., un nouveau centre de colonisation se crée dans la partie occidentale de la Chine, dans la vallée boisée de la rivière Weï, un des affluents du fleuve Jaune. Cette colonie s'étend par la conquête ou par des arrangements pacifiques avec les chefs des peuplades sauvages qui l'entourent. Bientôt une lutte s'engage entre les deux centres de civilisation. La famille de l'ouest, aguerrie par ses débats avec les hordes des environs, remporte aisément la victoire sur la famille de l'est, amollie par les douceurs de la paix, et celle-ci est presque exterminée. C'est alors que s'établit la dynastie des Tcheou, qui tient une grande place dans l'histoire des institutions nationales. Sous cette dynastie, la résidence principale du souverain fut établie à Foung, dans la province du Chen-si, non loin de Si-ngan-fou ; ce fut ce qu'on nommait alors la cour occidentale. À l'orient, non loin du fleuve Jaune et sur les bords de la rivière Fo, on bâtit la seconde d.151 cité royale, Lo-y ou Lo-yang, nommée ordinairement la cour orientale. Le souverain séjournait alternativement dans ces deux résidences, afin de mieux surveiller les différentes parties de l'empire 1.

Suivant Massoudi, la race qui, parmi les tribus turkes, l'emportait sur les autres par la pureté du sang et la beauté des formes, était celle des Kharloks. Les Kharloks exercèrent jadis la suprématie sur toutes les tribus turkes ; ils furent pendant quelque temps maîtres d'une grande partie de l'Asie, et leur prince portait le titre de Khacan des Khacans. Afrassyab, qui, suivant les traditions persanes, régnait à la fois sur la Tartarie et la Chine, et qui envahit la Perse, était l'un d'entre eux. Ce sont les Scythes, qui, suivant Hérodote, s'avancèrent jusque sur les frontières de d.152 l'Égypte. Massoudi nomme la capitale de leur empire Aman.

Les Kharloks ayant été abattus, furent remplacés par les Tibétains. Il est certain, d'après le témoignage des écrivains chinois, que les Tibétains, appelés par eux du nom de Thou-fan, jouèrent, aux VIIe et VIIIe siècles de notre ère, un grand rôle dans l'Asie centrale ; les Tibétains firent place à leur tour aux Tagazgaz. Néanmoins Massoudi ajoute que, de son temps, les Tibétains étaient encore fort redoutables, et qu'ils ne désespéraient pas de reconquérir leur ascendant.

La race turke, qui au temps de Massoudi, l'emportait sur toutes les autres, était celle des Tagazgaz.

« Il n'y a pas eu ce moment, dit Massoudi, parmi les Turks, de population plus forte, plus nombreuse et mieux gouvernée que les Tagazgaz ; ils sont maîtres de la ville de Kouschan ; leur empire s'étend depuis le Khorassan d.153 jusqu'en Chine. Leur roi se nomme Afez-Khacan ; c'est un titre que ces princes se transmettent l'un à l'autre ; on lui donne de plus le surnom de roi des bêtes féroces et de roi des chevaux. En effet, il n'y a pas sur la terre d'hommes plus brutaux, ni plus prompts à verser le sang, ni qui possèdent un plus grand nombre de chevaux. À la différence du reste des Turks, les Tagazgaz professent le manichéisme (c'est-à-dire la doctrine des deux principes, le principe du bien et celui du mal, le principe de la lumière et celui des ténèbres). C'est à Afez-Khacan que s'adressa l'empereur de la Chine, quand il eut besoin d'appui pour pouvoir remonter sur son trône. Afez fit partir son fils avec quatre cent mille hommes à pied et à cheval 1.

L'empereur de la Chine, dans la d.154 conversation qu'il eut avec Ibn-Vahab, compta le roi des Tagazgaz parmi les cinq rois les plus puissants de l'univers, et il le qualifia comme le qualifie ici Massoudi. Mais au temps du marchand Soleyman, c'est-à-dire vers l'an 850 de notre ère, il n'était pas encore parlé chez les Arabes du roi des Tagazgaz, ce qui prouve que la puissance de ce roi était d'une date récente 2.

La ville de Kouschan était probablement située au centre de l'empire turk, du côté du lac de Lop. Moyse de Khorène, qui écrivait au Ve siècle de notre ère, parle d'une vaste contrée nommée Kouschan ou Couchan et située au midi et au nord de l'Oxus 3 ; il n'est pas probable que ni l'une, ni l'autre dénominations se rapportent au pays des Tagazgaz. Je serais porté d.155 à croire que la ville mentionnée par Massoudi répond à la ville de Koutché, ou, comme prononcent les Chinois, Kou-tché. Cette ville, qui renferme aujourd'hui plus de mille familles, est située à cinq degrés à l'ouest du lac de Lop. À l'égard du nom des Tagazgaz, ce mot est probablement altéré ; les manuscrits varient beaucoup dans sa transcription, et il est devenu impossible de le rétablir.

Quoi qu'il en soit, si on compare le récit d'Abou-Zeyd avec celui des écrivains chinois, l'on ne peut s'empêcher de reconnaître les Tagazgaz dans les Cha-tho ; c'est l'opinion qui a été adoptée par le père Gaubil 4, Deguignes 5 et Klaproth 6. Je suis également porté à identifier Afez-Khacan avec Li-Khoue-tchang 1. Afez-Khacan, d.156 suivant Massoudi, n'est pas un nom propre, mais un titre ; et Li-koue-tchang est un mot composé appartenant à la langue chinoise. Li était le nom de famille des empereurs de la dynastie Thang, et Koue-tchang était un surnom, signifiant « splendeur de l'empire ». Le titre de Li-koue-tchang fut donné, l'an 869 de J.-C., au prince des Cha-tho, à cause des services signalés qu'il avait rendus à l'empire. La plus grande difficulté, ce me semble, consiste dans la contradiction des deux récits, d'après l'un desquels le roi des Tagazgaz pouvait faire marcher avec lui quatre cent mille hommes, tandis que, d'après l'autre, ce roi était un simple vassal de la Chine, lequel, voulant échapper au courroux de l'empereur, s'était réfugié auprès d'une tribu mongole. Probablement les écrivains chinois ont ici, comme ils le font souvent, d.157 rabaissé outre mesure un prince qui n'avait pas l'avantage d'appartenir à la famille du fils du ciel, bien qu'il eût été assez puissant pour le remettre sur son trône. Peut-être le pays des Tagazgaz était-il en ce moment en proie à des troubles intestins, et fallut-il le sentiment du danger que courait un prince ami, pour faire marcher la nation entière à son secours.

Abou-Zeyd dit 2 qu'entre la Sogdiane et la Chine il y a deux mois de marche, mais que cet espace consiste en un désert impraticable et dans des sables qui se succèdent sans interruption, n'offrant ni eau pour boire, ni rivière pour naviguer, ni habitations pour se reposer. Il ajoute que c'est l'aspect désolé de ces contrées qui avait empêché les Arabes d'en faire la conquête et de pénétrer jusqu'en Chine.

Néanmoins, telle est la passion de l'homme pour le mouvement et pour le gain, que, dès la plus haute antiquité, les caravanes ne craignirent pas de d.158 s'exposer dans ces contrées sauvages. À l'époque où les peuples maritimes de l'Asie occidentale, les Phéniciens, les Grecs et les Romains, ne connaissaient pas encore la route directe de la Chine, c'est-à-dire dans les premiers siècles de notre ère, un commerce très actif se faisait, par terre, entre l'Asie orientale et les contrées de l'Occident. Les marchands de la Perse, comme ils le firent plus tard, sous les khalifes arabes, partaient du Khorassan et franchissaient l'Oxus ; les Romains, à qui la Perse était fermée, passaient au nord de la mer Caspienne. Ptolémée dit que les caravanes se rassemblaient auprès de la Tour de pierre, et que c'est de là qu'elles se rendaient dans la Chine, qu'il nomme pays des Sères 3. Sur les cartes qui accompagnent le traité de Ptolémée, la Tour de pierre 1 est placée dans une vallée, entre les sources de l'Oxus et d'une rivière qui répond probablement au d.159 Yarkend. À quelque distance, du côté de l'orient, est marquée une espèce de col, avec l'indication d'une autre tour. Les voyageurs modernes ont trouvé dans la chaîne du Belour des restes de bâtisse qu'ils ont pris pour la tour de pierre dont parle Ptolémée 2. Il était naturel que les princes de la contrée élevassent dans ces lieux sauvages des moyens de défense pour des hommes venus de loin, et qui, peut-être, n'avaient pas d'armes ; mais je ne comprends pas comment un tel lieu eût pu servir de rendez-vous. On trouve, à peu de distance, la ville de Taschkend, située sur les bords du Yaxarte, et le mot taschkend signifie, en turk, « château de pierre ». Albyrouny, qui écrivait à une d.160 époque où les anciennes traditions avaient pu se conserver, dit positivement que Taschkend répond à la tour de pierre de Ptolémée 3. Ne serait-il pas plus naturel de placer le véritable rendez-vous des caravanes à Taschkend, et de ne considérer les deux tours de pierre marquées sur les cartes de Ptolémée que comme des espèces de corps de garde placés dans les gorges les plus dangereuses ?

Massoudi, parlant des mines de sel ammoniac qui se trouvent dans l'Asie centrale, dit avoir vu à Balkh un vieillard, plein d'intelligence, qui avait fait plusieurs fois le voyage de Chine, et toujours par terre. Il dit encore avoir connu plusieurs personnes du Khorassan, qui s'étaient rendues de la Sogdiane au Tibet et en Chine, en passant par les d.161 montagnes qui produisent le sel ammoniac. Voici les détails qu'il donne 4 :

« Les pays situés entre le Khorassan et la Chine renferment les montagnes du sel ammoniac (nouschader). L'été, pendant la nuit, on voit des flammes sortir de ces montagnes, sur une étendue d'environ cent parasanges 5 ; le jour, il ne sort que de la fumée, à cause que la flamme est éclipsée par la clarté du jour. C'est de ce lieu que vient le sel ammoniac. Au commencement de l'hiver, les personnes qui veulent se rendre du Khorassan dans la Chine se dirigent vers cet endroit. Là est une vallée située au milieu des montagnes, et qui a quarante ou cinquante milles de long. Les voyageurs s'adressent à des hommes établis dans le pays, et d.162 obtiennent leurs services au moyen d'un salaire considérable. Ces hommes portent les effets des voyageurs sur leurs épaules, et font marcher ceux-ci devant eux, en les frappant avec un bâton, de peur qu'ils ne faiblissent sur ce sol brûlant, et qu'ils ne s'arrêtent, ce qui entraînerait leur perte. Les voyageurs marchent toujours devant, jusqu'à ce qu'ils atteignent l'extrémité de la vallée. Il y a en ce lieu des bois et des eaux stagnantes ; en arrivant, ils se jettent dans l'eau, afin de calmer la chaleur qui les embrase. Aucun animal ne peut s'engager sur cette route ; l'été, le sol jette des flammes, et personne n'ose se présenter dans la vallée. L'hiver, lorsque les neiges et les pluies ont humecté le sol, la chaleur s'amortit et les flammes s'éteignent ; c'est alors qu'on peut se hasarder dans la vallée ; mais les animaux ne pourraient supporter une telle chaleur. Les personnes qui viennent de Chine en Khorassan ont recours aux mêmes guides que celles qui vont du Khorassan en Chine, d.163 et sont également exposées à recevoir des coups de bâton. Le trajet du Khorassan en Chine, en passant par les montagnes du sel ammoniac, est d'environ quarante journées, et se fait sur un sol, tantôt cultivé, tantôt couvert d'eau, tantôt mou, tantôt sablonneux. Il y a un autre route, où peuvent passer les bêtes de somme ; celle-ci exige quatre mois de marche environ, et l'on est obligé de se mettre sous la protection des tribus turkes.

Les traités chinois, et les relations de quelques voyageurs européens, font mention de plusieurs mines de sel ammoniac, exploitées encore de nos jours dans la Tartarie ; ces mines sont désignées par les Chinois sous la dénomination de hochan ou « montagne de feu ». Une d'entre elles se trouve dans la chaîne appelée par les Chinois Thian-chan ou « mont Céleste », à l'endroit nommé Pe-chan ou « mont Blanc ». Cet endroit est situé à quelques degrés au nord de la ville de Kou-tché, dont il a déjà été parlé, et que je d.164 présume être le lieu nommé Kouschan, par Massoudi 1. Voici ce que dit, d'après les relations chinoises, un voyageur russe qui a naguère traversé lui-même l'espace qui sépare Kiakta de la Chine :

« Les montagnes où l'on recueille le sel ammoniac sont situées au nord de Koutché ; les rochers y renferment des grottes nombreuses. Au printemps, en été et en automne, on voit briller dans ces grottes des feux qui ressemblent à des lampes ardentes, et il est difficile d'en approcher ; mais ces feux s'éteignent pendant l'hiver, dans les grands froids et quand les neiges sont abondantes. C'est alors que les habitants de ces contrées vont ramasser le sel ammoniac ; ils se déshabillent tout nus pour effectuer cette opération 1.

d.165 La vallée dont a parlé Massoudi, me paraît devoir être placée à travers le mont Thian-chan. Du reste, Massoudi fait mention de deux routes, dont l'une était beaucoup plus longue que l'autre. Il y a plus, les historiens chinois indiquent, pour les commencements du XVIIe siècle de notre ère, trois routes qui conduisaient, de la province chinoise du Chen-si, dans les régions occidentales. La première route, qui menait au pays de Ta-tsin ou des Romains, passait par Hami, Turphan, Talas, sur les bords du Yaxarte, et se prolongeait au nord des côtes de la mer Caspienne. Cette route se développait, ce me semble, le long du lac Yssikoul. La deuxième route passait par Hami, Turphan, Kasgar et Samarcand, puis conduisait, à travers l'Oxus, dans le Khorassan ; c'est probablement d.166 celle qu'ont en vue le marchand Soleyman et Massoudi. Enfin, la troisième route conduisait en Perse, par Cha-tcheou, Yarkend, les environs des sources de l'Oxus et le pays de Badakschan 2. C'est le chemin que paraît avoir suivi le grand Marco-Polo quand il se rendit de Perse en Chine 3.

On jugera de l'activité qui régnait jadis dans ces contrées, par des débris d'établissements qui remontent sans doute à une haute antiquité. Il existe encore au pays de Turphan des tables de marbre ou de pierre qui indiquent les anciens noms de la contrée ; on y conserve le souvenir de temples et de forteresses bâtis à l'époque de la dynastie Thang. Près du lac d.167 Lop est le lieu où campait la horde des Turks Cha-tho. Toute la route est couverte de vestiges d'anciennes villes et de tours construites autrefois, soit par les Chinois, soit par les tribus nomades qui y faisaient errer leurs troupeaux 4.

Ces mêmes contrées reçurent une nouvelle vie dans le cours des XIIIe et XIVe siècles de notre ère, lorsque Djengis-khan et ses enfants eurent ouvert l'Asie centrale à l'active curiosité des Européens. Il n'était pas rare alors de rencontrer des marchands, des guerriers et des missionnaires qui, bien que nés sur les bords du Rhin, en France ou en Italie, avaient bu de l'eau de l'Oxus et du Yaxartes, et avaient franchi la Grande muraille.

Maintenant encore ces régions sont traversées par des caravanes de marchands indigènes. Le thé et la soie de la Chine arrivent par cette voie à Samarcand et à d.168 Bokhara ; aux caravanes de la Perse et de la Transoxiane se sont jointes les caravanes russes qui partent d'Orembourg, de Semipolatinsk et de Kiakta, et qui sont devenues de puissants intermédiaires entre la Chine et l'Europe occidentale 1.

Le marchand Soleyman et Massoudi s'accordent à dire que la mer de Sandjy, qui baigne les côtes de la Chine, se prolongeait à l'Orient à des distances inconnues. Suivant eux, il n'existait au-delà de la Chine que quelques îles nommées Syla (Alsyla) ; les habitants avaient le teint blanc et vivaient en paix avec le gouvernement chinois. On trouvait dans ce pays des faucons blancs. Du reste, au rapport de Soleyman 2, aucun Arabe ne s'était avancé aussi loin. Suivant Massoudi, au d.169 contraire, quelques Arabes avaient pénétré dans ces îles ; mais presque tous y avaient été retenus par la douceur de l'air et l'abondance des biens de la terre. Massoudi ajoute que la population de ces îles était venue de la Chine, et qu'elle appartenait à la race d'Amour, dont il a déjà été parlé. Par Syla, il faut probablement entendre le Japon, dont les habitants entretenaient depuis longtemps des rapports de commerce avec la Chine 3.

Telle est la suite des remarques qui m'ont paru propres à jeter du jour sur l'ensemble de la relation du marchand Soleyman et des observations d'Abou-Zeyd. Soleyman et Abou-Zeyd n'étaient pas des hommes savants ; tout porte à croire qu'ils étaient restés étrangers aux systèmes enfantés par la docte curiosité des Grecs et des Romains, systèmes qui s'étaient maintenus chez les Arabes. Abou-Zeyd parle 4, d.170 comme d'un fait auquel jusque-là personne n'avait jamais songé, d'un récit d'après lequel la mer de l'Inde et de la Chine aurait communiqué par le nord-est avec la mer Caspienne, la mer Noire et la mer Méditerranée. Ces opinions, sur lesquelles je m'étends longuement dans mon introduction à la géographie d'Aboulféda, se retrouvent pourtant dans les récits des Grecs les plus anciens. Pour Massoudi, qui, sans avoir des idées parfaitement nettes sur la configuration du globe, avait lu dans des traductions arabes les principaux traités des Grecs et des Romains, il rapporte le même récit, sans s'en montrer étonné.



Mais c'est précisément cette absence de toute idée préconçue, de toute théorie savante, qui, à mon avis, donne le plus de valeur au récit de Soleyman et d'Abou-Zeyd. Soleyman parle en général d'après ses observations personnelles. Abou-Zeyd, qui n'était pas sorti de l'enceinte du golfe Persique, répète ce que disaient de plus d.171 plausible les personnes qui avaient navigué dans les mers orientales. L'un et l'autre d'ailleurs ont fait preuve de beaucoup de bonne foi et de bon sens ; l'un et l'autre, à la différence d'autres écrivains plus instruits, se sont affranchis de tout système et de tout préjugé religieux.

Rien ne montre mieux l'avantage du point de vue où, dès l'abord, se sont placés Soleyman et Abou-Zeyd, que les erreurs fatales où est tombé un auteur bien plus habile et plus érudit ; je veux parler d'Édrisi. Édrisi, pour la composition de son traité, s'entoura de tous les secours dont on pouvait disposer de son temps ; le patronage d'un prince zélé pour les sciences ne fut pas de trop pour le monument qu'Édrisi a élevé à la géographie. Je ne pense pas qu'Édrisi ait connu la relation de Soleyman et les observations qui l'accompagnent ; mais il eut dans les mains le Moroudj-al-dzeheb, de Massoudi, et le Ketab-al-adjayb, auxquels il emprunte des pages entières ; de plus, il profita de d.172 certains ouvrages qui ne nous sont point parvenus, par exemple, le traité d'Al-djayhâny 1. Avec tous ces secours, et tout en faisant un livre d'un usage indispensable, Édrisi, en quelques points, fit plutôt reculer la science géographique qu'il ne l'avança. Mon observation s'applique surtout à la description de l'Afrique orientale et du midi de l'Asie, avec les îles qui les bordent. Édrisi était imbu de l'idée, jadis émise par Hipparque et Ptolémée, d'après laquelle le continent africain se prolongerait indéfiniment du côté du midi et de l'orient. Suivant Édrisi, ce prétendu prolongement se développait dans le même sens que l'équateur, à une distance plus ou moins rapprochée de la ligne équinoxiale, et formait de la vaste mer de l'Inde un grand lac qui ne communiquait que par un canal avec la mer extérieure. Or, Ptolémée avait dit que la mer de l'Inde renfermait près de quatorze cents îles, dont d.173 quelques-unes étaient fort grandes. La relation de Soleyman et les remarques d'Abou-Zeyd, dont l'équivalent se retrouve dans les écrits de Massoudi, en supposaient un nombre encore plus considérable. Où trouver, dans un espace ainsi resserré, une place suffisante pour une si grande quantité d'îles ? Ajoutez à cette difficulté l'embarras auquel donne lieu, dans la langue arabe, l'absence d'un mot particulier pour désigner une île, ce qui fait qu'en général, en arabe comme dans la langue grecque, on se sert du même mot pour désigner une île et une presqu'île 2. Édrisi, voulant mettre d'accord l'opinion de Ptolémée et le récit des Arabes, et se trouvant gêné par le prétendu continent, qui ne lui permettait pas de s'étendre beaucoup au delà de l'équateur, a fait de certaines îles des continents, et de certains continents des îles. Il place les îles du Zabedj, qui correspondent à Java et Sumatra, sur la d.174 côte du Zanguebar 1. D'un autre côté, des pays situés sur le golfe du Bengale et dans la presqu'île de Malaka sont rejetés, sous forme d'îles, dans la mer de la Chine 2. Ces erreurs déplorables furent reproduites par Ibn-Sayd, et elles se sont perpétuées en Orient jusque dans ces derniers temps. Il faut rendre cette justice à Aboulféda ; son ouvrage, considéré sous le point de vue de la rédaction, est, en général, inférieur à celui d'Édrisi ; mais Aboulféda avait l'instinct géographique, et, dans toutes les grandes questions, il s'est rencontré avec la vérité 3.

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