Maîtrise d'Histoire (1973) michele grenot


JEUNESSE D'HENRI WALLON SES ORIGINES



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1.JEUNESSE D'HENRI WALLON

SES ORIGINES


"Henri WALLON naquit à Valenciennes, le 23 décembre 1812, dans une famille de bourgeoisie modeste, où le travail et les vertus chrétiennes étaient en honneur. Son père était employé aux Messageries", nous dit CROISET.

Cette phrase sur les origines géographiques et sociales d'Henri WALLON a besoin d'être éclairée - voire même corrigée -par quelques commentaires.

En ce qui concerne ses origines géographiques, la ville de Valenciennes n'est pas une implantation de longue souche pour la famille WALLON. Aussi loin que nous pouvons remonter dans la généalogie, c'est-à-dire au début du 18ème siècle, jusqu'à Paschal WALLON et sa femme, d'origine flamande, nous savons que ces WALLON vivaient en Belgique à l'époque de la naissance de leur fils, Pierre Joseph WALLON, né en 1750.

Ce dernier est venu se fixer à Valenciennes où il se marie à une Valenciennoise en 1783. A partir de cette époque, ce ménage reste à Valenciennes où naquit leur fils, Alexandre, en 1783. Celui-ci se marie dans cette même ville le II juillet 1810 avec Fébronie CAFFIAUX (née également à Valenciennes). Ce sont les parents d'Henri Alexandre.

L'origine valenciennoise d'Henri remonte donc à son grand-père, Pierre Joseph WALLON. La bibliothèque de Valenciennes possède une demande de suppléance adressée en avril 1794 par ce dernier aux échevins de la ville en vue d'obtenir l'autorisation d'enseigner en sa maison et "à lire et le calcul". Le grand-père d'Henri7 était donc instituteur, mais professeur libre. Après la révolution, les écoles d'Etat n'avalent pas encore eu le temps de se former. Cependant, l'enseignement ne s'effondre pas.

"C'est que le principe de la liberté d'enseigner, toujours affirmé, laisse vivre en marge du contrôle de l'Etat des écoles particulières qui continuent le plus souvent les anciennes écoles de 1789", nous dit A. PROST.

Sans doute s'agit-il de ce genre d'enseignement libre auquel appartient le grand-père d'Henri.


Attachement d'Henri à la Région du Nord


Henri est fier de son origine flamande ; il s'intéresse à l'histoire de la Flandre. Son attachement à sa région du Nord - nous le voyons dans une lettre de 1883 - n'est pas dû à la vie mondaine, mais à l'attrait d'une vie provinciale où les traditions se perpétuent. Nous voyons déjà par là un trait de caractère d'Henri : sauvage, peu mondain, aux goûts simples. Il dit lui-même, dans une lettre de 1833 ; il est alors en 3ème année d'Ecole Normale, les vacances et le retour dans le Nord approchent :

"Je pense qu'un garçon peut échapper aux embarras des réceptions nombreuses à Douai et vivre comme un loup dans sa chambre sans être dérangé par une visite donnée ou reçue. C'est là la seule chose qui me rassure sans cela le plaisir que j'aurai à rentrer dans ma bonne Flandre serait bien diminué. C'est un si beau pays ! On y respire encore la bonne odeur du Moyen-Age. Voyez la réception du Roi à Valenciennes dans "L'Echo de la frontière", ôtez seulement le nom de roi-citoyen qui fait un fâcheux contraste, ne croirait-on pas lire un morceau de la chronique de Froissart : les clefs de joyeuse entrée, ces symboliques clefs forées et puis les clefs de fer et puis cette bonne réjouissance pour amuser le roi, c'est fort simple, fort naïf".

Henri parle aussi des préparatifs de cette réception :



"L'hôtel-de-ville sens dessus-dessous : c'est là que logera le roi. Il y aura des fêtes, les Incas doivent marcher".8

Depuis tout petit, Henri était toujours ravi d'assister à la fête des Incas. Mais depuis qu'il a quitté Valenciennes, ce folklore lui manque. Paris ne vit plus au Moyen-Age comme la province :



"Que j'aurai de plaisir quand, débarrassé des travaux préparatoires qui me sont nécessaires pour professer, je pourrai m'adonner librement à l'étude de mon pays, de la Flandre".

Henri, à ce moment là, envisage même de faire une thèse sur Froissart, historien Valenciennois, d'après lui le meilleur historien de son temps et même du Moyen-Age (mort en 1410).9

Continuera-t-il plus tard à rester attaché à Valenciennes ? S'il n'a pas réalisé son Histoire de Flandre, même habitant Paris, il reviendra souvent à Valenciennes. Si M.CARNOY ne parle pas de lui dans son Dictionnaire biographique des hommes du Nord, Henri WALLON était considéré pourtant par les Valenciennois comme quelqu'un de chez eux, et de grande notoriété -, à en juger par l'éloge funèbre fait au conseil municipal de Valenciennes par M.DEVILLERS, le maire. Il souligne l'attachement du savant à sa ville natale ; l'amour du clocher :

"Chaque fois qu'un événement heureux venait réjouir le cœur des Valenciennois, il ne manquait pas de nous envoyer un mot aimable pour nous dire toute la joie qu'il en ressentait."

Il parle aussi de service qu'il avait rendu à Valenciennes :



"Notamment lors de la transformation de notre collège en Lycée" (Lycée qui garde toujours le nom d'Henri WALLON aujourd'hui). "Chaque fois qu'une affaire rendait utile une démarche collective des représentants, de notre côté, nous n'avions jamais en vain fait appel à son concours. Tout Valenciennois, à quelque opinion qu'il appartienne, lui rend hommage, je n'en veux pour preuve que cette touchante manifestation qui fut organisée à Paris par l'Union Valenciennoise pour fêter le cinquantenaire de son entrée à l'Institut."10

Dans la correspondance d'Henri avec ses parents, nous apprenons que "pour leur faire plaisir", Henri rentre à la Société Littéraire du Département du Nord. Il doit vaincre pour cela sa timidité et sa sauvagerie (ce sera peut-être une des seules sociétés qu'il fréquentera de sa vie, mises à part les grandes institutions que sont : l'Institut, l'Université et l'Assemblée, tant il tenait à son indépendance).

Lettre d'avril 1841, Henri a alors 29 ans :

"Je vous dirai, mon cher papa, que je vais être présenté à la Société du Département du Nord. M.MARTIN et son neveu,

M.HAMILLE, tiennent à m'y présenter et je n'ai pas cru devoir éluder cette proposition, un refus eût été mal interprété. . . "

Plus tard, Henri annonce à ses parents sa réception à l'unanimité après 8 jours de délibération. Henri se rend avec M.HAMILLE remercier le ministre.



"Je vous prie de ne pas faire mettre cette nomination dans les journaux. Elle ne pourra manquer d'y arriver. Je suis un peu là comme un pauvre petit pot de terre au milieu de pots de fer et d'or ! Voici que je compte parmi ces mécènes qui doivent aider aux jeunes gens du pays à se frayer un chemin dans la carrière des arts. Je vous demande si c'est bien là ma place ? Aussi, je l'avoue, j'aurais décliné ces honneurs si vous n'y aviez pas attaché tant d’importance . . ., mais je m'en félicite donc puisque cela vous fait plaisir."

Il s'agit là de la carrière littéraire d'Henri WALLON, mais nous plaçons cette remarque importante pour insister sur ses origines d'homme du Nord et montrer combien il y sera fidèle.

Cette lettre est annotée par le petit-fils d'Henri WALLON qui nous rappelle que son grand-père

"est toujours resté un membre actif de cette société. Les jeunes artistes de Valenciennes lui doivent beaucoup, ville qui a toujours été une pépinière d'artistes en tous genres : peinture, sculpture, musique, etc." 11

D'autre part, nous pouvons noter au passage que ce MARTIN, cité plus haut, dont parle Henri, est sans doute le fameux "MARTIN du NORD", puisque, déjà en 1838, Henri envisage de faire appel à ses relations du Nord pour se faire recommander et obtenir son titre de maître de conférences à Normale, protection politique de JANNET, le beau-frère d'Henri, qui avait, par sa position au ministère des Travaux Publics, beaucoup d'influence sur M.COUSIN, directeur de l'Ecole Normale. Il est intéressant de noter que la famille avait des relations parmi les libéraux, mais pour Henri ce n'est rien de plus qu'une relation.

Nous avons essayé de situer Henri dans sa région, d'en mesurer son attachement et de le situer par rapport aux personnalités. Nous n'avons pas connaissance d'autres relations plus importantes ; peut-être pouvons-nous déjà dire qu'Henri WALLON désire rester indépendant. Par exemple, quand, pour les élections de 1849 et 1871, il est sur la même liste du parti de l'ordre que ARMAND de MELUN ; il est étonnant qu'il n'ait pas eu plus de contact avec cet homme qui, pourtant, comme lui était catholique. Sans doute A. de MELUN est trop monarchiste pour H. WALLON, d'autre part H. WALLON - comme nous le verrons - semble ne jamais s'être engagé dans un mouvement catholique. Il est probable qu'il se soit laissé porter sur cette liste du parti de l'ordre par les Valenciennois.

Son origine flamande lui vaudra aussi la sympathie de MICHE-LET qui voit une relation entre cette origine et sa carrière. Dans une lettre d'Henri à sa mère quand il est à l'Ecole Normale, celui-ci raconte une de ses visites à son professeur le plus admiré : MICHELET. Henri lui rend compte de ses lectures :



"J'avais extrait les 13 volumes de GIBBON, il me parut satisfait vraiment et me dit : "Vous êtes flamand ? Je vous reconnais bien là ! " II me dit que les Flamands étaient historiens de naissance et il m'énuméra tous les historiens de Valenciennes et du pays. Il faut que tu saches que M. MICHELET croit beaucoup à l'influence du pays sur les dispositions intellectuelles ...en sorte que j'ai pour moi un préjugé favorable.

Henri est en deuxième année d'Ecole et il tient beaucoup à gagner sa réputation.


Sa famille


Les lettres de jeunesse nous permettent de faire connaissance avec ses parents : Henri considère qu'il leur doit tout. Quelle a été leur influencé propre sur leur fils ?

Voyons ce que dit PERROT dans sa notice sur son père, Alexandre-Joseph WALLON ;



"Par ses fonctions mêmes (agent des Messageries), A. J. WALLON était en rapport avec tout le petit peuple de la cité ; il s'intéressait à ses affaires et à ses aspirations confuses, c'était ce qu'on appelle un homme d'opinions avancées, sous la monarchie de Juillet il passait pour républicain. Tout en le sachant le meilleur et le plus honnête homme du monde, c'était un rouge, disait-on de lui non sans quelque effroi. "

"De vertu chrétienne" nous dit CROISET, un "rouge" nous dit PERROT ; les idées d'Alexandre WALLON sont exprimées dans les lettres et permettent de nuancer ces affirmations.

De vertu chrétienne, c'est une erreur. Les relations entre Henri et son père sont tendues à ce propos, justement parce qu'Alexandre WALLON refuse toute pratique religieuse ; celui-ci est même considéré comme un voltairien par Henri et maintes fois il essaye de lui transmettre sa foi. Alexandre était déjà irréligieux au moment de son mariage : nous avons les lettres de fiançailles des parents d'Henri, dans lesquelles Fébronie CAFFIAUX, sa mère, exprimait son hésitation à épouser Alexandre WALLON pour cette raison.

PERROT va jusqu'à dire que Fébronie, après son mariage, "levait les bras au ciel quand, devant elle, son mari, dans son langage imagé, jurait contre ses postillons ou tonnait contre les curés". C'est peut-être exagéré, quand on lit les lettres d'Alexandre WALLON à son fils, on imagine plutôt un homme pondéré et modéré.

Un article dans le journal des facultés catholiques de Lille prend la contrepartie de ce que dit PERROT :



"Protestant, de doctrines et d'opinions, très différent m'assure-t-on de M.WALLON, P. PERROT était-il suffisamment préparé à comprendre et à reproduire la physionomie du grand chrétien catholique que nous pleurons ? "

(On peut dire que l'auteur réagit dans l'excès contraire de PERROT et refuse de reconnaître qu'Henri est "libéral par son père", ce qui semble en partie vrai pourtant).



"Comment ces jurons et ces tonnerres ont-lls été pour le fils des leçons de libéralisme ? II y a bien de la fantaisie dans le tableau que nous fait M.PERROT de ce foyer fort disparate. où "l'adolescence d'Henri ne reçut d'autres empreintes que celles des conversations et des exemples de parents tendrement aimés".

Oui, leurs divergences d'opinions religieuses ne les empêchaient pas d'être un ménage uni, du moins à en croire l'admiration qu'ils ont l'un pour l'autre et celle de leur fils, d'après les lettres ; ce sera toujours un exemple pour Henri.

Les lettres que nous avons d'Alexandre WALLON sont d'une écriture posée dénotant un homme d'ordre et de bon sens. La correction de son style, tant au point de vue de la forme qu'au point de vue grammatical, est tout à fait remarquable. C'est l'écriture, un peu redondante, mais si claire et si agréable, du 19ème siècle.

D'où viendrait cette réputation de "rouge", alors, qui semble être démentie dans les lettres ? Sans doute de ce qui s'est passé lors de la révolution de 1830 aux Messageries de Valenciennes et qui nous est raconté par une lettre de Sophie, sœur d'Henri, à son mari, parvenue à Henri ; une chaîne de correspondance s'était établie dans la famille WALLON (père, mère, Henri et Sophie : celui qui recevait une lettre la faisait suivre aux autres membres de la famille). Il est intéressant de constater le décalage entre la révolution de Juillet à Paris et sa réaction en août à Valenciennes, réaction faible d'ailleurs, Sophie le dit bien : « Personne ici n'aurait osé prendre ce ton ». On saisit bien par cette lettre la province passive par rapport à la capitale agitée. Elle nous permet aussi de comprendre d'où vient la fausse réputation d'Alexandre WALLON.



"Ce sont nos diligences qui sont cause que le drapeau tricolore est arboré ici. Dimanche, la diligence est arrivée à II h du soir, le drapeau flottant sur l'impériale. Une foule considérable entourait notre maison et s'est portée dans la cour, sans qu'on puisse l'empêcher. Le conducteur s'était battu à Paris et avait une large balafre à la figure (un coup de baïonnette) ; ce jeune homme est ordinairement fort doux. Papa a été bien étonné de l'entendre parler avec une si grande chaleur des événements qui se passent à Paris. Personne ici n'aurait osé prendre ce ton, mais il paraît que cela a monté toutes les têtes.

On s'est emparé du drapeau et on l'a promené dans toute la ville, en criant toutes sortes de choses. Il y eut du bruit. Le colonel des Dragons voulut se montrer, mais grâce à la modération de M. le Maire et des autorités qui n'ont pris aucun parti pour concilier les choses, tout est rentré dans l'ordre. Hier, le drapeau flottait encore sur la diligence. Plusieurs personnes de la ville voulurent s'en emparer, mais Papa le refusa et déclara qu'il ne le remettrait qu'à un agent de la police. On fût chercher l'agent de police et le drapeau fut porté en triomphe à l'Hôtel de Ville après avoir parcouru toute la ville".

Nous voyons ainsi le schéma classique de la révolution de Juillet en province : le nouveau régime est en général accepté dans l'enthousiasme, dès l'arrivée des premières diligences arborant le drapeau tricolore.

Si Alexandre WALLON accepte la monarchie de Juillet, ses idées ne sont pas de droite, mais bien loin du "rouge". A.WALLON se révèle monarchiste opportuniste et pose les conditions pour l'établissement d'une république.

En juin 1832, Henri fait allusion, dans une lettre, aux émeutes à l'occasion des funérailles du Général LAMARQUE ; nous reviendrons sur ces événements. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les réactions de son père et la réponse d'Henri. Alexandre, répondant à la longue lettre d'Henri relatant les émeutes de Juin, se montre favorable à la monarchie de Juillet, mais il est aussi pour l'ordre et contre l'insurrection.



"L'Ecole Polytechnique est bien blâmable d'avoir participé à la révolte contre l'autorité des Lois. Les mouvements populaires ne sont et ne peuvent jamais être permis. Laissons faire ceux qui sont appelés à nous gouverner. Bien certainement le gouvernement a fait des fautes, mais c'est aggraver notre position intérieure et extérieure que de vouloir y remédier par la révolte qui n'est jamais permise à aucun parti. Je vois avec peine que les jeunes gens, en général, veulent se mêler de gouvernement et de politique : ils devraient savoir que leur âge et leurs positions ne leur permettent pas de prendre part aux affaires publiques. N'avons-nous pas un Roi, deux chambres dont les intentions sont de faire le bonheur de la France ? l lest vrai que les Ministres se sont quelquefois écartés du principe de la révolution de Juillet et qu'ils n'ont pu apprécier tout ce que la France a de pouvoir, mais, il faut bien le reconnaître, la Royauté actuelle est la seule qui puisse convenir à la France. Le retour de la branche aînée des Bourbons amènerait une catastrophe épouvantable et une guerre européenne. Pour être républicain dans la véritable acception des termes, il faut des vertus que les Français n'ont pas. La France est trop divisée d'opinions pour pouvoir établir avec succès un gouvernement comme celui des Etats-Unis. Le mot républicain seul fait peur aux trois-quarts des Français, surtout à la classe des hommes paisibles ; le mot républicain pour eux est synonyme avec la misère, la mort. Espérons que le gouvernement de notre roi-citoyen, le seul qui peut faire notre bonheur, ouvrira les yeux et qu'enfin il saura prendre une allure plus franche, plus énergique et digne de la nation française. Sachons dire à l'étranger que nous voulons la paix, mais que nous ne craignons pas la guerre et qu'enfin une époque soit fixée pour le désarmement car l'état actuel des choses est pire que la guerre. On peut gémir sur un mauvais gouvernement, mais le meilleur patriotisme, c'est toujours d'obéir aux lois."

Alexandre WALLON se défend donc d'être conservateur comme la majorité des Français, mais ne cache pas son orléanisme, ni son amour de l'ordre et de la paix.

Dans sa réponse, Henri n'exprime-t-il pas des idées influencées par celles de son père, mais aussi par celles du milieu étudiant ?

"Je me doutais bien que vous désapprouveriez, comme tous les hommes modérés, le mouvement qui a eu lieu dans ces journées des 5 et 6, mais je suis étonné que vous les désapprouviez en renversant de fond en comble les principes qui légitiment la révolution de Juillet. Vous dîtes que, dans aucun cas, il n'est permis de se révolter contre le gouvernement. C'est bien là ce que doit proclamer tout gouvernement au pouvoir. Charles X pouvait le dire sans inconséquence mais il n'en est pas de même de Louis Philippe qui gouverne d'après le principe : que l'insurrection est le plus saint des devoirs quand les lois sont violées. Aussi, autant je trouve qu'on a eu tort de commencer l'émeute le 5, autant une révolution me semblerait juste quand les lois sont despotiquement violées, la charte abrogée. Charles X avait au moins pour lui l'article 14 qu'on a reconnu publiquement comme très ambigu (celui de faire les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois et la sûreté de l'état). Mais quand il est dit dans la Charte que les cours prévôtales ne pourront jamais être rétablies sous quelque prétexte et sous quelque dénomination que ce soit, est-il permis d'établir des commissions militaires, de leur donner une portée rétroactive ? C'est une violation manifeste et s'il ne se rend pas (Louis-Philippe) aux justes réclamations, la révolution sera peut-être encore plus forte qu'en juillet ; mais, de plus, n'est-il pas infâme d'ordonner, en vertu d'une ordonnance de 1600, à tous les médecins de traiter lâchement tous les blessés qui se confient à leurs soins ?

En vérité, jamais jamais je n'aurais attendu rien de semblable du gouvernement et si la république ne devait pas venir à la suite d'une révolution, si je ne détestais pas autant la république, j'applaudirais très fort à une révolution. Toutefois, je vous le répète, ne craignez pas que je m'en mêle jamais, car j'aime mieux tout qu'une république au bonnet rouge, celle qui nous menace, "

Henri est donc hostile à Louis-Philippe (très sensible, comme tous les jeunes de sa génération, en matière de justice, il ne se sent pas pour la république, mais il n'est pas non plus très chaud royaliste).

Cette discussion entre le père et le fils nous fait dire qu'Henri a pu être influencé par ce milieu familial où on s'intéresse à la politique et où l'on essaye de justifier son opinion. Nous pouvons même dire, dans une certaine mesure, avec PERROT, qu'Henri tient ses idées libérales de son père (ce ne sera pas d'ailleurs la seule Influence, et d'autre part, celle-ci est tempérée par un grand souci de l'ordre auquel Henri tiendra lui aussi par-dessus tout). Alexandre indique dans une de ses lettres qu'il lit "Le Libéral"12.

En janvier 1841, dans une lettre de Fébronie WALLON à son fils, celle-ci raconte que son mari est malade : tous les jours elle doit lire 5 ou 6 journaux apportés à son mari depuis qu'il ne va plus à sa Société (de quelle société s'agit-il ? Peut-être à ce moment-là ses idées auraient évolué et ce serait une société républicaine, mais rien ne le prouve). Cela confirme son intéressement à la politique, qui a pu être très formateur pour son fils. Cet intérêt porté à la politique, la lecture du journal, sont autant d'éléments donnés dans les lettres qui justifient le développement nouveau de l'opinion politique en province.

Fébronie CAFFIAUX, sa mère, Valenciennoise, était aussi issue d'un milieu de bourgeoisie très "modeste" - son père était coiffeur de l'aristocratie et du clergé à Valenciennes. Comme la plupart des femmes de cette époque, elle n'a jamais suivi de cours et dans ses lettres les fautes d'orthographe sont en grande quantité. Malgré cela, Fébronie, nous le voyons par sa correspondance, est une femme pleine de bon sens, à l'intelligence fine, toujours soucieuse du bien-être et de la réussite de son mari et de ses deux enfants : Henri et Sophie. Elle s'intéresse moins à la politique, si ce n'est à la répercussion que risque d'entraîner celle-ci sur la vie d'Henri à Paris. Elle craindra toujours que son fils soit pris dans une émeute. Elle suit de très près la politique du ministère de l'Instruction Publique, dans l'espoir qu'Henri obtienne un meilleur poste ou de meilleures conditions. Par contre, "elle a le goût des arts", nous dit PERROT. En effet, elle apparaît très enthousiaste dans les lettres, quand elle raconte à son fils ses soirées de concert, de théâtre ou de fêtes, où elle se rend avec sa fille Sophie. Quand elle vient rendre visite à son fils à Paris, ce qui arrive une fois par an, Henri l'emmène à chaque fois voir une pièce de théâtre. Fébronie, qu'on appelle Féfé, est allée à Paris pour le nouvel an 1835 ; enchantée de son' séjour qui lui procure la jouissance d'aller au spectacle, car elle a une prédilection particulière pour le théâtre (à Valenciennes elle ne s'en prive pas, le théâtre étant juste à côté de la maison des Messageries). Elle est déjà allée deux fois au Français depuis son arrivée. Une de ses amies, qui a quelquefois des billets pour l'Odéon, lui a offert de l'y emmener "et dimanche prochain c'est à la Porte St Martin qu'Henri l'emmènera". Nous n'avons pas le titre des pièces.

C'est seulement lors d'une visite de sa mère ou de sa sœur qu'Henri se rend au théâtre, sans doute à cause de son travail. Exceptionnellement une fois, raconte-t-il, il s'est laissé tenter par un beau programme d'opéras et de ballets en passant devant le théâtre du Français.

Sophie raconte son admiration pour le talent de Mlle RACHEL lors d'une soirée de Bajazet.

Fébronie a toujours souffert du peu de religion de son mari. Elle est très pieuse, et Henri considérera toujours sa mère comme un exemple de piété. Par sa mère, Henri WALLON a vécu dans un milieu catholique.

"De bourgeoisie modeste", CROISET a raison. Les lettres montrent souvent les soucis de Mme WALLON, quand elle fait ses courses, d'être économe, et Henri réalise le sacrifice que cela représente pour ses parents de lui payer ses études. Il raconte qu'ayant perdu trois francs, il se prive de lait et de beurre à son déjeuner, pour ne pas avoir à leur demander, et cela pendant trois mois ! Les problèmes matériels sont souvent exposés, ce sera une des préoccupations d'Henri.13 Même quand sa sœur lui présentera sa future femme, il s'inquiétera de savoir si la dot est suffisante. Il se plaint toujours de son salaire et se demande s'il pourra faire vivre une femme et des enfants.

Son père participe pourtant au développement industriel du 19ème siècle en achetant les actions du charbonnage. Plus tard, il préférera acheter les actions du chemin de fer ; il demande conseil à son fils. A propos des placements de son père et de JANNET dans la concession du chemin de fer de Naples, Henri ne peut s'empêcher dans sa lettre (15 mai 1837) de faire cette réflexion :



"Je ne puis assez admirer l'engouement avec lequel vous vous jetez dans un chemin de fer à l'usage des Italiens, quand on va en faire un de Paris à Valenciennes ! Au moins, vous auriez pu attendre que j'aie pris ici des renseignements certains . . . "

Alexandre WALLON se plaint des faibles et rares dividendes dans les mines et pense "qu'aujourd'hui tout annonce que les mines actuelles sont plus que suffisantes, au moins en Belgique".

Nous n'avons pas encore parlé de Sophie WALLON, sœur aînée d'Henri, née en avril 1811 ; elle aussi reste très unie à ses parents et à son frère. Comme les filles de son époque, elle a suivi des cours de musique ; très douée, elle est entrée au conservatoire ; dans les lettres, elle raconte ses concerts, il lui est arrivé par exemple d'accompagner PAGANINI. Sophie passe beaucoup de temps à la composition musicale, cela paraît bien innocent. Pourtant son frère lui fait des reproches, il trouve qu'une femme, auteur en littérature ou en musique, est ridicule. Il espère que Sophie ne lui fera pas objection qu'une femme peut se livrer aux arts comme les hommes. Il estime, lui, que les femmes ont un bien plus beau rôle à remplir en élevant leurs enfants et pour lui, les deux choses sont si complètement incompatibles que toujours une femme artiste est mauvaise mère de famille. Un universitaire d'aujourd'hui ne pense peut-être plus comme lui !

Sophie se mariera à 19 ans avec un M. JANNET, un universitaire, d'abord professeur au lycée de Douai, ensuite il espérait être proviseur au lycée de Versailles, en fait il n'a jamais pu l'obtenir14, il est nommé proviseur au collège royal de Limoges.

Comme le dit PERROT, Henri est énormément influencé par sont beau-frère. A chaque décision qu'il doit prendre dans le choix de ses études, Henri écrit à JANNET pour lui demander conseil. C'est lui qui finalement décidera les parents d'Henri à le faire entrer à l'Ecole Normale.

Ce fut un soutien et une aide précieux pour Henri d'avoir un membre de sa famille "dans le milieu universitaire", surtout à une époque où - nous le verrons - les recommandations sont très importantes. Par exemple, en 1831, JANNET profite d'un de ses voyages à Paris pour présenter Henri à P.GUIGNIAUT, le directeur de l'Ecole Normale, avant la rentrée. Dès l'entrée d'Henri à l'Ecole Normale, ce sera le contraire. Henri essayera d'influencer ses professeurs qui appartiennent au Conseil Royal de l'Université pour obtenir pour JANNET le poste de proviseur à Versailles qu'il souhaitait. Par ces lettres, nous apprenons que dans ce milieu universitaire, JANNET passe pour "un républicain déguisé", son meilleur ami s'étant fait prendre en train de parler fortement dans un discours contre le gouvernement. En fait, une lettre de JANNET à sa femme Sophie WALLON nous donne ses réelles idées politiques et nous voyons que sa simple fréquentation avec des amis républicains suffit à lui barrer sa carrière Au 19ème siècle, les opinions politiques des professeurs de collège sont très surveillées (tout au moins sous Louis-Philippe).



"Eh bien, ma pauvre Sophie", lui écrit JANNET (16 juin), "ce que je.t'avais tant de fois répété n'a pas manqué d'arriver. J'ai été fortement desservi au Ministère à cause de ma liaison trop intime avec M.ANTONY THOURET : "Etes-vous bien sûr de M. JANNET ? N'est-ce pas un républicain déguisé ? On a fort mauvaise idée de ses opinions politiques au Ministère."

Conclusion fausse quant à la réalité, mais fondée à en juger par les apparences. Je dois l'avouer, un homme qui vise à un poste comme celui que je désirais, et en général à toute place dépendant de l'administration, ne saurait être trop réservé dans ses liaisons. Que faire ? Mon projet est d'écrire une lettre détaillée et confidentielle à M. VILLEMAIN dans laquelle j'exposerai l'origine et l'ancienneté de ma connaissance avec ANTONY et la distance qui nous sépare en fait d'opinion politique. "

Nous pouvons donc supposer que dans "le milieu WALLON", si l'on n'était pas "républicain", les républicains n'étaient pas considérés comme malveillants ; Henri est dans un milieu ouvert et tolérant aux idées républicaines.

La famille ne se gênera pas pour continuer à voir ce M. ANTONY, qui doit être assez haut placé dans le milieu républicain, à en croire une petite anecdote savoureuse racontée dans les lettres. M. ANTONY venu voir Mme Alexandre WALLON, celle-ci écrit à sa fille :

"II m'a apporté la lettre que tu lui avais écrite. Il l'a trouvée si bien faite qu'il l'a lue à M.Victor HUGO. Il est vrai que cette lettre est remarquable de naturel et d'originalité".15

Il est vrai que ces lettres ne manquent pas de poésie et égayent le monde austère d'Henri (l'université) qui, à cette époque, est si indifférent au romantisme comme au naturalisme. Henri, pour se détendre, lit PASCAL et non Victor HUGO, BALZAC ou LAMARTINE.

Sophie et son mari habitaient Douai, et il semble, d'après une lettre intéressante pour situer le milieu social de la famille WALLON, que le ménage JANNET fréquentait une "société" (qui est le milieu universitaire) au niveau social plus élevé. Sophie avait invité sa famille pour les fêtes de GAYANT à Douai et son père refuse de s'y rendre :

"Vous m'auriez évité de la peine, car il me semble voir que vous ne venez qu'avec peine à Douai, à cause de la société que nous fréquentons. Je vous avouerai que j'y ai cru voir encore autre chose : vous semblez insinuer que votre présence m'est peu agréable au milieu de ce monde là. Si je croyais que telle est votre pensée, j'en serais au désespoir. Faudrait-il me supposer un petit esprit et peu d'amour pour mes parents ! Loin d'avoir honte de ce que vous voulez bien appeler votre peu d'usage (ce qui est surtout une chimère de Maman), je me fais gloire de mes parents ; je n'ai trouvé personne à qui je puisse les comparer pour les soins tendres et délicats, pour les sacrifices que vous avez faits pour notre éducation à tous deux. . . Moi, ne pas mettre mes parents au-dessus de tout ceux que je connais, vous me faites pleurer, vous ne connaissez pas bien mon cœur ! … "

Peut-être est-ce Mme WALLON qui, par ses observations motivées par la crainte que son mari soit gêné dans ces réunions composées d'universitaires, l'aurait découragé d'accepter l'invitation de sa fille à l'occasion des fêtes de Gayant ?

Henri a beaucoup d'admiration pour son beau-frère, il n'est pas de doute que cela a dû compter dans le choix de sa carrière. Un gendre universitaire, et qui plus est, un fils universitaire, cela représente pour M. et Mme WALLON, non seulement une promotion intellectuelle, mais aussi une promotion sociale - encore que l'université au 19ème siècle soit dans un certain isolement social, un milieu à part. Peut-être pouvons-nous rattacher cette promotion à "l'évolution des mœurs du 19ème siècle. L'instruction semble de plus en plus nécessaire et les parents souhaitent que leurs enfants en sachent plus qu'eux-mêmes", nous dit A. PROST dans l'Histoire de l'enseignement en France au 19ème siècle. Cependant, dans la famille WALLON, l'écart culturel entre parents et enfants, s'il existe, n'est pas tellement énorme. Henri rentre à Normale Supérieure parce qu'il avait des dispositions particulières, mais aussi parce qu'il a vécu dans un milieu prédisposé à la culture. Nous avons vu le niveau des discussions en famille : on lit des livres, et même le journal, on s'intéresse à la politique, on va au théâtre. . .

Ce que nous venons de dire sur les parents d'Henri, cet amour de la vie de famille, ce dévouement pour la réussite dans les études de leur fils, sera un stimulant pour Henri ; et pour Henri, les satisfaire sera un devoir filial et une juste reconnaissance. Même dans un collège royal, les études coûtaient cher ; elles étaient même plus onéreuses que l'enseignement libre. Sans doute les WALLON considéraient le niveau élevé dans un collège royal, et les idées y étaient plus conformes à celles de M.WALLON,

Dans une lettre à sas parents, Henri dit :

"Votre lettre m'a fait un bien ! Elle m'a donné un vif désir d'être meilleur. En recevant les marques de votre amitié, on voudrait en être plus digne ! "

De là résultent ses principaux traits de caractère : son ardeur au travail, sa sensibilité dans son attachement à sa famille. Et là nous voyons l'évolution de la vie d'une famille du 19ème siècle jusqu'à nos jours : la fréquence des lettres, les enfants rendent compte de tout ce qu'ils font, passent leurs vacances en famille, les liens familiaux étaient de loin beaucoup plus importants ; et il est essentiel de réaliser cela pour comprendre les réactions sentimentales d'Henri, sa façon de vivre. Son principal centre d'Intérêt est la famille. Il donne l'Impression parfois de dépendre tellement de ses parents qu'on Imagine mal qu'Il ait 21 ans ou plus.

C'est l'anniversaire d'Henri, il écrit le 26 décembre.

"Me voilà donc majeur depuis trois jours, pouvant contracter des dettes etc. etc. mais ce n'est point dans le code civil que vous m'avez fait apprendre mes obligations envers vous et je reprends volontairement celles dont le privilège de la loi m'affranchit : il me sera toujours doux et agréable d'être enfant auprès de vous ; je ne veux être que le petit frère de Laure (Laure étant sa nièce...). Je ne dis pas cela parce que vient la nouvelle année et que je veux avoir pour étrennes quelque beau jouet ! II me suffira d'une lettre."

Et l'on comprend mieux le sacrifice que cela représentait pour des parents d'envoyer leur fils si loin d'eux, quelle longue séparation16! De Paris à Valenciennes, en partant par la diligence de II h du matin, on n'arrivait que le lendemain vers 4 h (avec une moyenne de 12 km/h). C'est aussi pour cela que travail et famille sont les seuls horizons pour un étudiant du 19ème siècle.

En 1830-31, Henri a passé son baccalauréat de Lettres à Douai ; en juillet, il écrit à ses parents :

"L'instant où je pourrai vous embrasser me sera mille fois plus doux que celui où je recevrai des prix. "

Mais aussi, quelle puissance de travail et quelle passion :



"Je fais toujours de l'histoire à force," nous dit-il en troisième année d'Ecole ; "j'ai déjà lu cette année : 13 volumes de GIBBON, 5 volumes de THIERS, 5 volumes de GUIZOT, 16 volumes de SISMONDI, 5 volumes de LINGARD. Cependant, je ne fais point cela seulement. Comme dit MICHELET, l'histoire est une liqueur trop forte, elle brûle ceux qui en usent sans ménagement. Je le sens surtout maintenant que je m'occupe de l'histoire de l'Angleterre. On ne peut toujours rester sur un théâtre aussi sanglant et je me repose de ces scènes épouvantables en lisant PASCAL ou bien nos bons fabliaux champenois et flamands."

A ce rythme là, Henri sera formé à une vraie culture d'érudit. De même quand il prépare ses examens, il estime "se ménager". Nous avons du mal à le croire !



"Je me ménage plus que je ne me suis jamais ménagé. Je vais me coucher vers 9 h, comme si je n'avais rien à faire, et ne me lève qu'à 5 h. "

Sa sœur Sophie dit à son frère ce qu'elle pense de cet excès de travail et lui conseille tendrement de se modérer, dans l'intérêt de sa santé. Elle abandonne ce petit air raisonnable qu'elle prend en écrivant à ses parents et redevient la grande sœur du bon petit Henri :



"Tu ne vaincras jamais ta timidité, ta sauvagerie, c'est le mot. Tu ne te plais qu'avec ton Virgile, ton Horace, tous les vieux Grecs et Romains de l'antiquité. Tu aimes mieux ces gens là que tous les barons d'à présent avec leurs équipages et leurs dîners. . .et moi aussi, je suis bien ta sœur ! "

Sophie a une telle affection pour son frère qu'elle est toute triste quand son frère part pour Paris chaque année après les vacances



"Je lui confiais mes contrariétés et je trouvais dans son cœur une sensibilité que l'on ne trouve pas ordinairement dans un homme. "

Nous retrouvons les mêmes goûts simples, la joie de la vie de famille, de la musique et une certaine sauvagerie et beaucoup de sérieux, quand il pense à la manière dont il va employer ses vacances à Valenciennes :



"Comme nous allons bien employer ce temps : pas de visites, pas de dîners en ville si c'est possible. Nous n'avons que huit jours. Ce n'est point tous les jours ducasse"(nom donné aux fêtes foraines dans le Nord), "mais la semaine sainte. Il fera beau, nous irons nous promener tous ensemble, ou, s'il fait mauvais, nous écouterons Sophie jouer du piano, en rond auprès du feu. . .car il ne faut pas croire que je laisse la musique : j'en suis plus que jamais amateur."

Nous avons voulu montrer jusqu'ici les liens qui unissent parents et enfants, frère et sœur, le style respectueux de la correspondance. Pourtant, il est un grand point de discorde entre Henri et son père, et le fils se montre plus ferme. Il ne peut rester soumis, tant le sujet lui tient à cœur ; la foi religieuse ; II voudrait tant que son père croie en ce qui est pour lui la vérité et le fondement de sa vie :



"Mai 1837: Je suis fâché, mon cher Papa, que vous abordiez la question si grave dont nous parlions avec l'idée fixe que vous avez une conviction raisonnée et fondée sur des lectures. En sorte que les livres que vous lisez maintenant ne seraient que des livres d'amusements.

J'aurais aussi préféré vous voir lire l'ouvrage que Je vous dis. Quant à LAMMENAIS, vous ne finirez jamais ses 5 volumes. Lisez le premier et laissez les autres qui sont uniquement destinés à fonder son système philosophique dont vous devez assez peu vous soucier. Lisez le Comte de VALMONT et ensuite les lettres de quelques Juifs à M. de VOLTAIRE (JANNET les a) et vous verrez si on doit être tranquille quand on a fondé ses convictions sur des livres qui ont si impudemment menti à l'histoire.

Remarquez bien que ceci est un fait aujourd'hui universellement reconnu ; on ne saurait où vous vous être caché depuis la fin du 18ème siècle si vous paraissiez ne pas le savoir.. . "

A propos des conférences de M.de RAVIGNAN qu'il suit à NOTRE-DAME, il dit à son père, avec fermeté :



"Je voudrais que vous l'entendiez ! Le séjour de Paris vous enlèverait, j'en suis sûr, à bien des fausses opinions. Vous verriez cet immense concours de jeunes gens et d'hommes distingués qui affluent au pied de la chaire chrétienne et vous comprendriez où est le progrès aujourd'hui. Quand donc me rendrez-vous compte de ces lectures que vous m'avez promis de faire ? Quand voudrez-vous traiter sérieusement avec moi de si graves questions ? Quand nous sommes ensemble, vous me renvoyez à votre prochaine correspondance, et quand nous sommes éloignés, à notre prochaine entrevue ! J'espère que vous accepterez enfin la discussion."

Henri luttera encore longtemps, tant le sujet le préoccupe :



"Ce sujet qui m'est plus cher que mon avenir, que ma vie, auquel je me consacrerai tout entier à quelque prix que ce soit. .. Cherchez la vérité, vous la trouverez. "

Cela nous parait un comble de la part d'Henri, si respectueux, et à cette époque, de voir le fils juger son père "dépassé". Cela prouve justement, quand on connaît le caractère d'Henri, étant donné le ton employé, une foi sûre et réfléchie qui ne se laissera pas influencer.

Henri pense que son père n'est pas évolué (il en est resté au voltairianisme du 18ème siècle, au lieu de comprendre le renouveau catholique). Alexandre WALLON n'est sûrement pas irréligieux, mais d'une génération antérieure ; il a certainement subi l'influence des écrivains, des philosophes de la fin du 18ème, sceptiques, qui voyaient Dieu dans les manifestations de la nature, sous une forme aimable, non sous la forme profonde telle que l'envisage Henri.


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