Neophilologica
, n
o
17, 2005, 84-95.
Morphème opportuniste et lexicalisation d’inférences :
la préfixation négative
in-
Denis Apothéloz
Université de Nancy 2 & ATILF (UMR 7118)
1. Introduction : généralités lexicologiques
La préfixation négative en
in-
est des plus productives en français contemporain. Elle
construit,
comme formations primaires, quasi exclusivement des adjectifs (type
matériel
,
immatériel
), ceux-ci pouvant secondairement donner naissance à
des adverbes
(
immatériellement
), des noms (
immatérialité
) ou des verbes (
immatérialiser
). Les formations
primaires nominales (type
irrespect
,
irréligion
,
inaction
,
insécurité
,
insuccès
,
inconfort
,
inexpérience
,
inconduite
,
impasse
,
impudeur
) sont peu nombreuses. Quant aux verbes ils sont
inexistants, à une exception notoire toutefois :
il m’insupporte
, qui signifie d’ailleurs non pas
« il ne me supporte pas » mais « je ne le supporte pas » et qui est à ma connaissance un hapax
morphologique.
In-
est aujourd’hui productif principalement dans
le domaine des adjectifs en
-able
(
incassable
,
infroissable
,
indéchirable
,
indémontable
,
intachable
,
irrétrécissable
, etc.). Il l’est
également, mais dans une moindre mesure, dans le domaine des adjectifs issus de participes
passés (
inachevé
,
infichu
,
inoccupé
,
invaincu
,
invendu
,
imprévu
,
insoumis
,
inusité
, etc.). Au
total, on s’aperçoit que cette préfixation concerne massivement des adjectifs déverbaux.
Assez nombreux sont les adjectifs négatifs en
-able
dont la contre-partie positive est
d’un usage rare voire inexistant. La liste (1) en fournit un petit échantillon :
(1)
imbattable, imbouffable, immanquable, inaltérable, inconsolable, indécrottable,
indéfectible, indéniable, indispensable, indubitable, inextricable, infranchissable,
inlassable, insatiable, insécable, intransigeant, introuvable, inusable, invincible,
irrépressible, irrésistible, etc.
1
On ne prendra ici en considération que les lexèmes dans
lesquels la construction
négative présente encore une certaine motivation. On exclura donc des items comme
immense
(litt. et étym. « qui n’a pas de mesure »),
immonde
(litt. et étym. « non propre »,
mundus
1
Anscombre (1994) a formulé l’hypothèse que cette absence d’antonyme positif s’explique parfois par le type de
propriété dénoté par l’adjectif.