Frère Sylvestre



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APPENDICE

Comprenant trois chapitres:


1. Mes rapports avec la Vénéré Père.
2. Quelques-unes de ses principales vertus.
3. Notes particulières76.

AVANT-PROPOS

J'ai promis, dans le chapitre 11, de faire connaître sous le nom d'appendice, les rapports que j'ai eus avec le P. Champagnat pendant les neuf années que j'ai eu le bonheur d'être sous son obéissance, et surtout pendant mon noviciat, car pendant que je suis resté dans les établissements, je n'ai eu avec le Vénéré Père que des relations comme le sont en général celles de la plupart des Frères placé dans les postes. Je ne prétends pas non plus faire le détail de toutes ses vertus et de tout ce qui peut y avoir rapport, car cela serait trop long. [237]

Je ne parlerai donc que de ce que j'ai vu de mes propres yeux d'édifiant dans sa conduite ou que j'ai entendu raconter par des témoins oculaires77. [238]


CHAPITRE I ier

MES RAPPORTS AVEC LE PERE CHAMPAGNAT



Mon entrée à l’Hermitage
1°. L'Hermitage! A ce nom béni, que de pieux souvenirs se réveillent dans ma mémoire! Que de douces émotions n'éprouvé-je pas en pensant à cette sainte maison où j'ai eu le bonheur, préférablement à tant d'autres, d'entrer en qualité de novice, le troisième dimanche de carême, en mars 1831! C'était un samedi, et j'ai toujours regardé comme une grâce insigne d'y être entré ce jour-là consacré à Marie, notre bonne Mère. Puissé-je y mourir pareillement un samedi!

2°. Il me semble encore entrer, avec un postulant de mon pays78 et le Frère qui nous amenait, dans la modeste chambre de notre Vénéré Fondateur et ressentir l'impression que fit sur moi sa taille élevée et pleine de majesté, son air bon et grave tout à la fois, sa figure commandant le respect, ses joues amaigries, ses lèvres peu saillantes qui semblaient vouloir sourire, son oeil perçant [239] et scrutateur, sa voix forte et sonore, sa parole nettement articulée, sans laconisme ni prolixité, tous ses membres bien proportionnés. Enfin, présentant dans tout son physique un de ces types de sainteté qu'on remarque dans les portraits d'un St. Vincent de Paul, d'un St. François d'Assise, du Vénéré curé d'Ars, etc.

3°. Après nous avoir fait asseoir bien poliment, mais sans affectation, il nous fit, à moi et à mon compagnon, plusieurs questions, nous demandant quel était le but qui nous amenait en religion, si nous avions bien laissé notre volonté à la porte du couvent, si nous aimions bien la Sainte Vierge, et plusieurs autres dont j'ai perdu le souvenir. Après cela, il nous reçut l'un et l'autre, mais il me trouvait bien jeune, car je n'avais que 12 ans et trois mois. Toutefois, comme nous étions présentés l'un et l'autre de la part de M. Rouchon, curé de Valbenoîte, avec lequel il était en très bon rapport, il passa par rapport à moi sur la question de l'âge et de la taille qui était passablement en défaut pour mon âge. Alors, prenant un gros cahier in-folio79, qui se trouvait dans sa bibliothèque, il y inscrivit nos noms, prénoms, etc. ... et nota tous les objets qui composaient notre modique trousseau. Comme M. Rouchon s'était chargé de notre pension, il ne nous en parla pas. Cela fait, après nous avoir dit quelques mots d'encouragement, il nous remit entre les mains du cher F. François qui alors était censé Maître des Novices, car le Vénéré Père seul donnait la permission pour la ste communion et c'était aussi [à] lui seul auquel on faisait sa direction tous les quinze jours, soit en confession, soit hors du st tribunal. [240]
* * *
1°. Avant d'aller plus loin, je prie le lecteur de vouloir bien faire attention, dans les paragraphes qui vont suivre, à tout ce qu'a fait le Vénéré Père pour me corriger de mes défauts et me conserver dans ma vocation. On y verra des traits d'une patience incomparable, laquelle, accompagnée de la paternité la plus tendre, jointe à une constante fermeté, a fini par triompher de mon caractère léger, dissipé et paraissant peu propre à la vie religieuse. J'en abrégerai le détail pour ne pas trop dépasser les bornes que je me suis prescrites dans cet abrégé de vie.
§ I. Commencement de mon noviciat


Note: Ce chapitre paraîtrait devoir être placé à la fin de l'appendice plutôt qu'au commencement; j'en laisse juge le lecteur.


2°. Né avec un tempérament vif, léger et naturellement dissipé, je me laissai aller, dès les premiers jour de mon noviciat, à des enfantillages et à des étourderies qui ne tardèrent pas à m'attirer de la part du Vénéré Père, des avis, des avertissements, des menaces, des corrections, et même des pénitences que je faisais, il est vrai, sans répliquer, mais qui ne me corrigeaient guère, de sorte que, naturellement, le Vénéré Père devait me rendre à ma famille; même il m'en avait menacé; toutefois, voyant que j'étais grave et réfléchi dans tout ce qui avait rapport à la religion, il voulut user de toute sa patience, me gardant encore quelque temps pour s'assurer ou non si j'étais appelé à la vie religieuse, et aussi jusqu'à quel point j'étais attaché à ma vocation. Il était à réfléchir là-dessus, lorsqu’une [241] circonstance toute providentielle vint lever toutes ses incertitudes à cet égard. Un voiturier de mon pays, étant venu faire quelques commissions à l'Hermitage, me remit en cachette une lettre venant de mes parents et qui demandait une prompte réponse. Ne sachant trop que faire, car je me serais fait un scrupule de la décacheter, je la portai au Père Champagnat, en lui faisant connaître comment elle m'était parvenue. « C'est bien, mon cher ami », me dit-il, et je me retirai. Le lendemain, il me dit que cette lettre était insignifiante et que je n'avais pas à m'en occuper. J'ai su, plus tard, que cette lettre n'était autre qu'un piège que le démon m'avait tendu pour me faire rentrer dans le monde. Ce qui est certain, c'est que cet accomplissement d'un article de règle, que je ne connaissais pas encore, assit définitivement les idées du Vénéré Père sur ma vocation et que, dès lors, il ne pensa plus qu'à prendre tous les moyens possibles pour m'y conserver. Quelle profonde connaissance du cœur humain d'avoir trouvé dans cet acte, qui paraissait insignifiant, un signe certain de vocation!

3°. Depuis lors, j'ai eu lieu dans plusieurs circonstances d'éprouver par mes étourderies, la patience du Vénéré Père, mais il ne m'a plus jamais menacé de me renvoyer; même sa bonté pour moi dans les légèretés, a été toute paternelle. En voici un exemple. Un jour que la communauté se rendait, après la prière du soir, de la salle d'exercice à la chapelle, où l'on arrivait à l'aide d'un escalier au moins de 40 marches, je me permis une légèreté d'un genre assez curieux. Comme il faisait un peu obscur, et croyant qu'un Frère, à qui je faisais de temps en temps quelques espiègleries, était derrière moi, je me mis à lui entraver le passage par une certain mouvement de va-et-vient, de sorte qu'il ne pouvait monter qu'à grand peine; aussi [242] poussait-il de profonds soupirs. Arrivé au palier de la chapelle, je tourne la tête pour voir quelle mine il faisait. Oh! déception, n'était-ce pas le Père Champagnat... Je m'attendais donc naturellement à quelque pénitence exemplaire. Eh bien! il n'en fut rien. Lorsque j'allai le voir le samedi pour demander la permission d'usage, il me dit un petit mot piquant et plaisant tout à la fois, me recommanda d'être un peu plus sérieux, et il ne fut plus jamais question de cette sotte étourderie.

4°. Le Vénéré Père, Pour essayer de faire trêve à ma dissipation, me fit passer par divers emplois: à la cuisine, à la forge, à la boulangerie, à la lampisterie, etc., mais c'était partout de nouvelles étourderies, de sorte que j'étais à peine resté quelques jours à un emploi, que de nouvelles légèretés ou quelque maladresse obligeaient le Vénéré Père de m'en sortir. Ainsi, par exemple, étant employé à la lampisterie, il arriva que le Vénéré Père vint voir comme je ni y acquittais de cette fonction; voulant faire l'habile, je laissai tomber à ses pieds un cruchon d'huile, dont le contenu rejaillit jusque sur sa soutane. Je méritais certes une pénitence, car c'était bien faute de précaution de ma part; eh bien! il se contenta de me dire de faire attention à ce que je faisais, et malgré cela, il me laissa dans cet emploi. Néanmoins, force fut de m'en sortir quelques jours après, pour essayer de me mettre à poste fixe, dans l'atelier des tisserands, sous la conduite d'un ancien Frère, bon, doux, et patient, mais grave, sérieux et d'une piété remarquable.

5°. Toutefois avant d'en venir là, il me confia la garde de deux de ces animaux, véritable symbole du caprice; il les avait fait acheter, d'après une consulte du médecin, pour fournir du lait à des Frères atteints de phtisie. N'ayant jamais gardé les [243] bestiaux, j'avais peine à contenir ces deux bêtes cornées. Pour y réussir, je m'avisai un jour, pour les maîtriser, de les attacher ensemble au moyen d'une longue ficelle que je saisis par le milieu, puis je les menai ainsi presque au sommet des rochers, c’est-à-dire à près d'une centaine de mètres de hauteur. Arrivé là, irritées sans doute de se voir ainsi enchaînées, elles se débattent, tournant à droite, tournant à gauche, et finissent par m'enlacer, puis tirant chacune de son côté, elles me jettent à terre, tombent elles-mêmes, et voilà que tous trois ainsi en peloton, nous roulons de rochers en rochers jusqu'au bas de la montagne. A cette vue, le Vénéré Père qui était non loin de là, crut que j'allais avoir le corps fracassé; heureusement, il n'en fut rien. Tous les trois, assez sots, nous nous relevons, sans avoir même, je crois, une seule égratignure. Le Vénéré Père avait prié; aussi arrivant en récréation, lorsque je racontai mon histoire, il se mit à sourire, en disant quelques plaisantes paroles, puis prenant un air sérieux, il ajouta: « Il n'en est pas moins vrai, mon cher ami, me dit-il, que je vous ai vu dans un si grand danger que j'ai cru devoir vous donner l'absolution. Remerciez Dieu de ce que vous ne vous êtes fait aucun mal. » Peut-on douter que ce ne soient ses prières qui m'ont sauvé de cet imminent péril ?


§ Il. Ma prise d'habit


1°. Depuis cette histoire, et surtout depuis que j'étais dans l'atelier des tisserands, j'étais devenu un peu plus raisonnable. Alors, je demandai au Vénéré Père à prendre le st. habit, et même je revins plusieurs fois à la charge. Voyant mon insistance, malgré quelques espiègleries qui m'échappaient encore, il se décida à m'accorder cette grande faveur. [244] Quels ne furent pas ma joie et mon bonheur en apprenant cette bonne nouvelle! Elle fut si grande que lorsque le tailleur me revêtit par essai de ma future soutane, je me mis à sauter et à gambader jusqu'à dissiper mes camarades. Sur ce, un aumônier, me voyant ainsi folâtrer, me donna une forte semonce qui me fit trembler d'être ajourné, mais Dieu merci, il n'en fut rien, car le lendemain, fête de l'Assomption 1831, je fus, avec quatre autres, admis à la vêture, qui fut faite par le Vénéré Père lui-même. Sut-il ou ne sut-il pas mes légèretés de la veille? Je n'en sais rien; mais sa patience lui avait fait si souvent dissimuler mes petites fredaines que je présume qu'il aura passé sur celle-là, plutôt que de troubler mon bonheur et ma joie.

2°. Chacun a son défaut où toujours il revient, a dit La Fontaine, et cela n'est que trop vrai quand on ne le combat pas ou qu'on ne le fait que faiblement. Et c'est ce qui m'arriva. Donc, pendant les premiers mois qui suivirent ma prise d'habit, tout alla assez bien; mais, ne me veillant pas assez et oubliant mes bonnes résolutions et toutes les promesses que j'avais faites au Vénéré Père, il arriva que je retombai peu à peu dans mes anciens défauts, et par suite, arrivèrent de nouveau les avertissements, les corrections et les pénitences publiques. A la fin, le Vénéré Père, qui me portait visiblement la plus vive affection, voyant que je ne m'amendais pas et que plusieurs anciens Frères paraissaient mécontents de sa longue patience à mon égard, revint à sa première idée, c'est-à-dire celle de me renvoyer au moins pour quelque temps de la Congrégation. Mais auparavant, il voulut me soumettre à une forte épreuve qui devait décider en définitive ce qu'il devait faire de moi, et qui lui ferait connaître en même temps si réellement j'étais bien attaché à ma vocation, ce dont il commençait à [245] douter. Mais avant de m'y soumettre, il attendit que je fisse quelque chose d’un peu marquant pour la mériter. Malheureusement cela ne tarda pas.

3°. Dans l'atelier où je travaillais se trouvait un jeune Frère, moins âgé que moi, qui me pria un jour de lui couper les cheveux. Tout en faisant semblant de lui rendre ce service, je lui fis une tonsure, et même artistement faite pour mon premier essai. Le Vénéré Père s'en étant aperçu, lorsque ce Frère faisait sa coulpe, lui en demanda l’auteur; celui-ci, en balbutiant, lui déclina mon nom. Alors le Vénéré Père m'interpelle au milieu de la salle, et après m'avoir fait une correction qui m'atterra, il ajouta, en jetant sur moi un regard foudroyant: « Allez quitter ce saint habit; je verrai quand vous mériterez de le revêtir de nouveau; allez et mettez un terme à vos étourderies, car les choses pourraient aller plus loin. » Et force fut de m'exécuter à l'instant même.

4°. Je tâchai bien de me corriger le plus possible; même je redemandai ma petite soutane à plusieurs reprises; quelques anciens Frères, et surtout le F. Stanislas qui avait beaucoup d'influence auprès du Vénéré Père, en firent autant pour moi, mais ce fut en vain. Il leur répondit à tous, comme à moi, ces paroles désespérantes: « Nous verrons plus tard. » Mais l'épreuve n'était pas finie. Sur ces entrefaites, on annonça, par une beau jour, que M. Cattet, grand vicaire, venait visiter la maison. Après les réceptions d'usage, il se rend à la salle des exercices où la communauté était rassemblée, et là il nous adressa quelques mots d'édification. Puis, voyant qu'il y avait dans la salle plusieurs jeunes Frères, il se prit à les interroger sur le catéchisme. Pendant ce temps-là, le Vénéré Père s'approche de moi et me dit tout bas, mais de manière à [246] être entendu de mes plus près voisins «Mon cher ami, si vous voulez ravoir votre soutane, il vous faut aller mettre à genoux au milieu de la salle, faire votre coulpe au grand vicaire, sans oublier d'accuser la faute qui vous l'a fait ôter; puis, vous le prierez humblement de vous la rendre. » Et sur ce, il se retire sans me dire rien de plus. J'hésite un instant, mais la soutane a la victoire. Je me lève donc avec fermeté et me voilà à deux genoux au milieu de la salle, exécutant dans toute sa teneur le programme tracé par le Vénéré Père, mais non sans verser de grosses larmes. Le grand vicaire, appréciant ma faute à son juste point de vue et n'y voyant qu'un enfantillage sans malice aucune (et j'ai su plus tard que, dans le fond, le Vénéré Père la jugeait ainsi, mais son but était de me corriger et de donner à tous un exemple du respect qu'on doit avoir pour les choses saintes), le grand vicaire, dis-je, me fait approcher de lui, m'embrasse et me dit: « Allez vite chercher votre soutane, je veux vous en voir revêtu avant de sortir d'ici. » Je pars à l'instant, après l'avoir remercié affectueusement, et bientôt me voilà en costume religieux devant l'illustre personnage. Il me dit encore un petit mot d'encouragement, m'embrasse de nouveau, et se retire après quelques paroles d'adieu à la communauté.

5°. Le changement qu'opéra cette terrible correction dans toute ma conduite et cette marque visible d'attachement à ma vocation me gagnèrent pour toujours toute l'affection du Vénéré Père. Non seulement il ne pensa plus à me renvoyer, mais quelques jours après, il eut la bonté de m'envoyer dans un poste, quoique je n'eusse alors que quatorze ans.

6°. Il est certain que si le bon Dieu (ne) m'eût pas fait la grâce de me soumettre à cette humiliation, [247] c'en était fait de ma vocation, car j'ai su ensuite que j'aurais été renvoyé le lendemain. J'ajouterai que jamais depuis le Vénéré Père ne m'a rappelé mes étourderies, ni cette scène dramatique qui m'en corrigea presque totalement.
§ III. Ma première sortie
1°. Il était bien temps de ne plus fatiguer le Vénéré Père, dont j'avais mis la patience à l'épreuve pendant près d'une année et demie. Or, quelques jours après le fait que je viens de raconter, (jugez combien il oubliait les fautes dont on se corrigeait sincèrement et combien son cœur était bon) il me fit appeler et me dit: « Mon cher ami , je vais vous envoyer à Ampuis pour y faire la cuisine, et pour aider au F. Directeur dans sa classe; c'est un de mes meilleurs établissements sous tous les rapports; puis, lorsque vous serez bien au courant de votre emploi, je retirerai le Frère que vous allez remplacer. Ainsi, allez préparer votre trousseau et nous partirons ensemble. Mais comme la route est longue (elle était au moins de trente kilomètres) je mènerai le cheval, et de cette manière la fatigue sera bien diminuée. Faites vite, car je suis obligé de revenir ce soir. N'oubliez pas de passer à la cuisine et de bien vous restaurer ». Mes préparatifs sont bien vite faits, et à moins d'une demi-heure j'étais dans la chambre du Vénéré Père, portant dans un sac mon petit trousseau. Admirez sa sollicitude! Il me fait rendre compte de tout ce que je portais pour voir s'il ne me manquait rien, et après avoir tout vérifié, comme des affaires pressantes le retenaient encore pour près d'une heure, il me dit de prendre le devant, et m'indiqua la route que j'avais à tenir. Donc, après avoir fait une visite au St Sacrement et m'être recommandé à la Ste Vierge, à [248] St Joseph, et à mon ange gardien, je partis. Mais j'étais si peu attentif lorsqu'il me traça mon itinéraire que bientôt je m’égarai, et si bien que j'avais fait à peine deux km. lorsqu'il me rencontra, et notez qu'il était à cheval. Etonné de me voir si près de l'Hermitage, sans me faire de reproches, il descend de cheval, m'y met à sa place, range les étriers à ma mesure, me donne la bride et m'indique la manière de la gouverner, me recommandant de bien suivre la route et de l'attendre à la Croix-de-Mont-Vieux, que pour lui, il va prendre une coursière pour me rejoindre au plus vite. Et, ce disant, il donne la mesure du pas du cheval, le mène quelques instants par la bride et part. Ne dirait-on pas, en lisant cette scène, que le supérieur disparaît et n'est plus qu'un père à l'égard de son inférieur.

2°. Figurez-vous comme j'étais enfant. Je croyais qu'il y avait réellement une croix portant cette inscription: « Croix-de-Mont-Vieux », comme « croix de mission ». Or, c'était simplement le nom d'un petit hameau qui se trouvait environ à 10 km du lieu de notre séparation. Donc regardant toutes les croix et même tous les poteaux, j'allais toujours, ne pouvant jamais trouver le signe indicateur. Je traversai ainsi toujours à cheval un village qu'on m'a dit ensuite être Pélussin; même j'allais entrer dans un second lorsque je me hasardai à demander quel il était. C'est Chavanay, me fut-il répondu. Alors, sachant que nous avions là des Frères, je me fis conduire à la maison d'école. Là, ma petite taille fut cause d'une grande hilarité parmi les enfants, car sans le savoir, j'entrai dans la grand classe. Le F. Directeur me mena vite à la cuisine, expédia tous ses élèves qu'il avait peine à contenir, fit remiser le cheval que j'avais attaché à un anneau, et vint ensuite m'entretenir en me demandant le [249] sujet de mon voyage. Mais au moment même on sonna à la porte. Et qui vient? Le Vénéré Père. « Comment, vous voilà ! me dit-il en m'abordant, mais sans fâcherie. Est-ce là la Croix-de-Mont-Vieux? En voilà une! ajouta-t-il, en s'adressant au F. Directeur, j'avais pris ce matin des bottes neuves, comptant faire en partie la route à cheval, et voilà que ce jeune Frère, sans le vouloir, m'a fait écorcher tous les pieds. Vraiment, me dit-il, en s'adressant à moi, mais bien paternellement, je ne comprends pas que vous ayez été si distrait au point de passer la Croix-de-Mont-Vieux, sans y faire attention. » Tout chagriné, je lui réponds: « Mon Père, je puis vous assurer que j'ai regardé toutes les croix et même tous les poteaux sans y lire: Croix-de-Mont-Vieux. » Alors, tous les Frères se mirent à rire et le bon Père avec eux. « Enfant, que vous êtes, me dit-il, la Croix-de-Mont-Vieux n'est pas une croix, c'est le nom d'un hameau que vous avez traversé avant d'arriver à Pélussin ». Puis il dit au F. Directeur: « Comme je suis obligé de me rendre ce soir à l'Hermitage, vous conduirez demain ce jeune Frère à Ampuis. » Et vous, mon cher ami, soyez sage et faites bien votre cuisine. » Puis, ayant échangé quelques mots avec les autres Frères, il partit.


§ IV. Mon retour à l’Hermitage
1". Arrivé à l'établissement d'Ampuis après des incidents assez curieux80, mais hors de mon sujet, je me mis à l’œuvre. Or, le F. Directeur, qui n'aimait pas les petites tailles, après deux mois d'essai, résolut de se débarrasser de moi, en soi-disant que je ne faisais pas convenablement la cuisine; mais au [250] lieu d'y aller franchement il usa de ruse. Prétextant qu'il avait besoin d'un chapeau, il m'engagea à lui en aller chercher un à l'Hermitage. Donnant dans le panneau, je partis avec plaisir, non à cheval, mais à pied. Hélas! sans le savoir, j'étais porteur d'une lettre où était contenue ma condamnation. J'y arrivai, Dieu merci, sain et sauf, et ma visite faite au St Sacrement, je me rendis auprès du Vénéré Père, qui me fit un très bon accueil. Alors, je lui remis la lettre, dont j'étais porteur. Je voyais, à mesure qu'il la lisait, sa figure devenir de plus en plus sérieuse. Après en avoir terminé la lecture, il me dit d'un ton un peu sec: « il paraît, mon cher ami, que votre Directeur n'est pas trop content de vous, puisqu'il me demande votre changement.», et m'en donna les raisons. Je m'excusai de mon mieux sur les divers griefs dont j'étais accusé, et fis remarquer au Vénéré Père que la principale raison pour laquelle le F. Directeur demandait mon changement n'était pas énoncée dans sa lettre, savoir la petitesse de ma taille, lui donnant pour preuve que le F. Directeur ne voulait pas que je l'accompagnasse à l'église, de crainte de provoquer quelque risée de la part du public. Le bon Père le comprit, et quand j'eus fini de m'excuser, il me dit avec bonté: « C'est bon, mon cher ami, retournez à votre atelier, en attendant que je vous fasse appeler. » Et j'y retournai au même instant. J'ajouterai que ce changement frauduleux ne me causa aucun chagrin, car j'aimais de tout mon cœur la Maison-Mère, et même plus, cette absence de deux mois ne fit que m'y attacher davantage.

2°. Si dans les premiers paragraphes de ce chapitre, on a eu lieu d'admirer la bonté, la patience et la fermeté du Vénéré Père, n'y a-t-il pas lieu d'admirer dans ces deux derniers, sa sollicitude pour les jeunes Frères qui s'étend jusque dans les plus [251] petits détails, et sa justice à leur égard? Car il fut loin d'appuyer le tour que m'avait joué mon F. Directeur, puisque, non seulement il ne me fit aucun reproche, mais après m'avoir laissé quelques jours dans l'atelier des tisserands, il me donna une marque bien sensible de sa confiance en me chargeant de donner des leçons aux Frères étudiants. Après être resté quelque temps dans cet emploi, il m'envoya faire la classe à Marlhes, son pays natal, puis finalement à La Côte-St. André, deux établissements alors des plus importants. Ainsi qu'on l'a vu, j'étais dans ce dernier quand il mourut. Je lui ai écrit plusieurs lettres de ce poste, et dans toutes ses réponses, quelle affection ne me montrait-il pas! Combien étaient puissants ses encouragements! Je voudrais pouvoir citer quelques-unes de ces intéressantes réponses, mais hélas! elles m'ont été enlevées ou je les ai égarées. Une seule a survécu au naufrage. Je me permettrai de la relater ici textuellement comme conclusion de ce chapitre81 .

3°. J.M.J. Notre D. de l'Hermitage 25 nvbre 1837.

Mon bien cher Frère S.

Je souhaite bien, mon cher ami, que Jésus et Marie bénissent vos bonnes dispositions. Votre ouverture ne peut manquer d'être bénite, vous remporterez la victoire, courage, seulement soyez toujours dans la disposition de faire bien connaître à vos Supérieurs et Directeurs vos dispositions. Nous avons reçu une lettre de nos missionnaires qui sont en route pour l'Océanie; nous vous en donnerons connaissance sous peu de jours. Le P. Bret est mort dans la traversée de Valparaiso, les [252] autres se portent tous bien. Ils sont très contents de leur vocation, ils soupirent ardemment d'arriver à leur destination. Le zèle du salut de ces insulaires les intéresse d'une manière toute particulière. Prions mes chers Frères, prions pour leur salut et celui de ceux qui nous sont confiés; l'âme des Français est aussi le prix du sang d'un Dieu que celle des idolâtres. Dites au Cher F. Louis-Marie (c'était le Directeur) que sa position ne sera pas sans bénédiction. Nous ne vous oublions pas ni les uns ni les autres.

Nous faisons nos préparatifs pour Paris, recommandez fortement cette affaire au bon Dieu afin qu'il n'arrive que ce que le bon Dieu veut et rien de plus, sa sainte volonté et voilà tout; en vain nous penserions autrement, en vain nous nous agiterions, la volonté de Dieu toute seule. Adieu, mon cher Ami, je vous laisse dans les sacrés cœurs de Jésus et de Marie.

J'ai l'honneur d'être,

Votre tout dévoué Père en Jésus et M.

Champagnat, sup. des ff. M.

Ne voit-on pas dans cette réponse, toute la bonté du Vénéré Père, son grand esprit de foi, son zèle pour le salut des âmes et son talent pour encourager les jeunes Frères afin de les conserver dans leur vocation.

J'aurais bien d'autres faits personnels à raconter; je le ferai dans le chapitre suivant, quand l'occasion s'en présentera, ainsi que cela a eu lieu dans l'abrégé de sa vie. [253]


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