[281a] Socrate o sage et excellent Hippias, voilà bien longtemps que tu n’es pas venu à Athènes ! Hippias



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Hippias

Oui.


 

Socrate

Ne disons-nous pas de même du corps entier, qu’il est beau, soit pour la course, soit pour la lutte ? Et pareillement de tous les animaux, par exemple qu’un cheval est beau, un coq, une caille ; de tous les ustensiles ; [d] de tous les moyens de locomotion, tant sur terre que sur mer, comme les bateaux de commerce et les navires de guerre ; de tous les instruments, soit de musique, soit des autres arts ; et encore, si tu le veux, des mœurs et des lois ? Nous donnons ordinairement à toutes ces choses la qualité de belles, envisageant chacune d’elles sous le même point de vue, c’est-à-dire par rapport aux propriétés qu’elle tient ou de la nature, ou de l’art, ou de sa position, appelant beau ce qui est utile, en tant qu’il est utile, en tant qu’il sert à une certaine fin, et autant de temps qu’il est utile [e] ; et laid, ce qui est inutile à tous égards. N’est-ce pas aussi ton avis, Hippias ?

 

Hippias

Oui.


 

Socrate

Ainsi, nous avons raison de dire que le beau n’est autre chose que l’utile ?

 

Hippias

Sans contredit, Socrate.

 

Socrate

N’est-il pas vrai que ce qui a la puissance de faire quoi que ce soit, est utile par rapport à ce qu’il est capable de faire, et que ce qui en est incapable est inutile ?

 

Hippias

Certainement.

 

Socrate

La puissance est donc une belle chose, et l’impuissance une chose laide ?

 

Hippias

Assurément : tout atteste la vérité de cette définition, Socrate ; mais la politique en est une preuve particulière [296 a]. En effet, avoir de la puissance politique dans sa propre ville, est ce qu’il y a de plus beau au monde, comme ne rien pouvoir est ce qu’il y a de plus laid.

 

Socrate

C’est fort bien dit. Et, au nom des dieux, Hippias, n’est-ce pas pour cette raison que rien n’est plus beau que la sagesse, ni plus laid que l’ignorance ?

 

Hippias

Et pour quelle autre raison, s’il te plaît, Socrate ?

 

Socrate

Arrête un moment, mon cher ami : je tremble pour ce que nous dirons après cela.

 

Hippias

Que crains-tu, Socrate, maintenant que tes recherches vont on ne peut mieux ? [b]

 

Socrate

Je le voudrais bien, mais examine, je te prie, ceci avec moi. Fait-on ce qu’on ne saurait et ce qu’on ne peut absolument faire ?

 

Hippias

Nullement ; et comment veux-tu qu’on fasse ce qu’on ne peut faire ?

 

Socrate

Ainsi ceux qui pèchent et font de mauvaises actions involontairement, ne les auraient pas commises s’ils n’avaient pas eu le pouvoir de les commettre ?

 

Hippias

Évidemment. [c]

 

Socrate

Mais c’est la puissance qui rend capable de faire ce que l’on peut ; car ce n’est pas sans doute l’impuissance ?

 

Hippias

Non, certes.

 

Socrate

Et tous ceux qui font quelque chose, ont le pouvoir de le faire ?

 

Hippias

Oui.


 

Socrate

Mais tous les hommes, à commencer depuis l’enfance, font beaucoup plus de mal que de bien, et commettent des fautes involontairement ?

 

Hippias

Cela est vrai.

 

Socrate

Quoi donc ! Dirons-nous qu’une pareille puissance, et tout ce qui est utile pour faire le mal, est quelque chose de beau ? Ou s’en faut-il beaucoup que nous le disions ? [d]

 

Hippias

Il s’en faut beaucoup, Socrate, à mon avis.

 

Socrate

A ce compte, Hippias, le pouvoir et l’utile ne sont donc pas la même chose que le beau ?

 

Hippias

Il faut, Socrate, que ce pouvoir ait le bien pour objet, et qu’il soit utile à cette fin.

 

Socrate

Il n’est plus vrai, du moins, que le pouvoir et l’utile soient le beau pur et simple ; et ce que nous avons voulu dire, Hippias, c’est que le pouvoir et l’utile sont le beau, dans la mesure ou ils tendent vers le bien. [e]

 

Hippias

Il me parait que oui.

 

Socrate

Mais cela, n’est-ce pas l’avantageux ?

 

Hippias

Sans doute.

 

Socrate

Ainsi, et les beaux corps, et les belles institutions, et la sagesse, et toutes les autres choses dont nous avons parlé, sont belles, parce qu’elles sont avantageuses ?

 

Hippias

Cela est évident.

 

Socrate

Il apparaît donc que, pour nous, le beau, c’est I ‘avantageux.

 

Hippias

Assurément, Socrate.

 

Socrate

Mais l’avantageux est ce qui fait du bien ?

 

Hippias

Oui.


 

Socrate

Et ce qui fait n’est autre que la cause, n’est-ce pas ?

 

Hippias

Tout à fait.

 

Socrate

Le beau serait donc la cause du bien ? [297a]

 

Hippias

Il l’est en effet.

 

Socrate

Mais la cause, Hippias, et ce dont elle est la cause, autrement dit l’effet, sont deux choses différentes ; car jamais une cause ne saurait être cause d’elle-même. Considère ceci de cette manière. Ne venons-nous pas de voir que la cause est ce qui fait ?

 

Hippias

Oui.


 

Socrate

N’est-il pas vrai que la chose produite par ce qui fait n’est autre que l’effet, et nullement ce qui fait ?

 

Hippias

Cela est certain.

 

Socrate

L’effet est donc une chose, et ce qui le produit une autre chose ?

 

Hippias

Qui en doute ?

 

Socrate

La cause n’est point, par conséquent, cause d’elle-même, mais cause de l’effet qu’elle produit ? [b]

 

Hippias

Sans contredit.

 

Socrate

Si donc le beau est cause du bien, le bien est l’effet du beau ; et nous ne recherchons avec tant d’empressement la sagesse et toutes les autres belles choses, selon toute apparence, que parce qu’elles produisent le bien, lequel est l’objet de tous nos désirs. Il résulte de cette découverte que le beau est en quelque sorte le père du bien.

 

Hippias

Tout à fait. Cela est fort bien dit, Socrate.

 

Socrate

N’est-ce pas également une chose bien dite, que le père n’est pas le fils, ni le fils le père ? [c]

 

Hippias

Oui.


 

Socrate

Et que la cause n’est point l’effet, ni l’effet la cause ?

 

Hippias

Cela est vrai.

 

Socrate

Par Zeus, cher Hippias, le beau n’est donc pas plus le bien que le bien n’est le beau. N’est-ce pas la conclusion que nous devons tirer de ce que nous venons de dire ?

 

Hippias

Je ne vois pas comment faire autrement.

 

Socrate

Consentirons-nous donc à dire que le beau n’est pas le bien, et que le bien n’est pas le beau ?

 

Hippias

Non, par Zeus, cela ne me satisfait pas.

 

Socrate

Et, par Zeus, tu as raison, Hippias ; et de tout ce qui a été dit jusqu’ici, c’est ce qui me déplaît le plus. [d]

 

Hippias

C’est aussi mon avis.

 

Socrate

Ainsi il parait que la définition qui fait consister le beau dans ce qui est avantageux, utile, capable de produire quelque bien, loin d’être la plus belle de toutes les définitions, comme il nous semblait tout à l’heure, est, s’il est possible, plus ridicule encore que les précédentes, où nous pensions que le beau était une jeune fille, et chacune des autres choses que nous avons énumérées.

 

Hippias

Il y a toute apparence.

 

Socrate

Pour ce qui me regarde, Hippias, je ne sais plus de quel côté me tourner, et je suis bien embarrassé. Et toi, te vient-il quelque chose ? [e]

 

Hippias

Non, pour le présent ; mais, comme je t’ai déjà dit, je suis bien sûr qu’en réfléchissant un peu je trouverais ce que nous cherchons.

 

Socrate

L’envie que j’ai d’apprendre ne me permet pas d’attendre que tu aies le loisir d’y réfléchir. Et puis je crois que je viens de faire une bonne découverte. Vois si le beau n’est pas ce qui nous donne du plaisir ; et je ne dis pas toute espèce de plaisirs, mais ceux de l’ouïe et de la vue. Qu’avons-nous en effet à opposer à cela ? [298a]. Les beaux hommes, Hippias, les belles tapisseries, les belles peintures, les belles sculptures nous font plaisir à voir ; les beaux sons, toute la musique, les beaux discours et les belles fables produisent le même effet, de sorte que, si nous répondions à notre téméraire interlocuteur : « Mon ami, le beau n’est autre chose que ce qui nous cause du plaisir par l’ouïe et par la vue, » ne penses-tu pas que nous rabattrions son insolence ?

 

Hippias

Il me paraît, Socrate, que ceci explique bien la nature du beau. [b]

 

Socrate

Mais quoi ! dirons-nous, Hippias, que les belles mœurs et les belles lois sont belles parce qu’elles causent du plaisir par l’ouïe ou par la vue ? Ou que leur beauté est d’une autre espèce ?

 

Hippias

Peut-être, Socrate, que cette difficulté échappera à notre homme...

 

Socrate

Par le chien ! Hippias, elle n’échappera point à celui devant lequel je rougirais bien davantage d’extravaguer et de faire semblant de dire quelque chose, lorsqu’en effet je ne dis rien qui vaille.

 

Hippias

Et quel est cet homme-là ?

 

Socrate

Socrate, fils de Sophronisque, qui ne me permettrait pas plus de parler à la légère sur ces matières, [c] sans les avoir approfondies, que de croire savoir ce que je ne sais pas.

 

Hippias

Il me paraît aussi, depuis que tu me l’as fait remarquer, que la beauté des lois est différente.

 

Socrate

Arrête un moment, Hippias ; il me semble que nous nous flattons d’avoir trouvé quelque chose sur le beau, tandis que nous sommes à cet égard tout aussi peu avancés que nous l’étions auparavant.

 

Hippias

Comment dis-tu ceci, Socrate ?

 

Socrate

Je vais t’expliquer ma pensée ; tu jugeras si elle a quelque valeur. [d] Peut-être pourrait-on montrer que la beauté des lois et des mœurs n’est point si étrangère aux sensations qui nous viennent par les oreilles et par les yeux. Mais supposons la vérité de cette définition, que le beau est ce qui nous cause du plaisir par ces deux sens, et qu’il ne soit point du tout ici question des lois. Si cet homme dont je parle ou tout autre nous demandait : « Hippias et Socrate, pourquoi avez-vous séparé de l’agréable en général une certaine espèce d’agréable, que vous appelez le beau, et prétendez-vous que les plaisirs des autres sens, [e] comme ceux du manger, du boire, de l’amour, et les autres semblables, ne sont point beaux ? Est-ce que ces sensations ne sont pas agréables, et ne causent, à votre avis, aucun plaisir, et ne s’en trouve-t-il nulle part ailleurs que dans les sensations de la vue et de l’ouïe ? » Que répondrons-nous, Hippias ?

 

Hippias

Nous dirons sans balancer, Socrate, qu’il y a de très grands plaisirs attachés aux autres sensations.

 

Socrate

« Pourquoi donc, reprendra-t-il, ces plaisirs n’étant pas moins des plaisirs que les autres, leur refuser le nom de beaux, et les priver de cette qualité ? » [299 a] C’est, dirons-nous, que tout le monde se moquerait de nous si nous disions que manger n’est pas une chose agréable, mais belle, et que sentir une odeur suave n’est point agréable, mais beau ; qu’aux plaisirs de l’amour, tous soutiendraient qu’il n’y en a point de plus agréables, et que cependant il faut les goûter de manière que personne n’en soit témoin, parce que c’est la chose du monde la plus laide à voir. A ce discours notre homme répondra peut-être que « c’est la honte qui nous empêche depuis longtemps d’appeler beaux ces plaisirs, parce qu’ils ne passent point pour tels dans l’esprit des hommes. [b] Cependant je ne vous demande pas ce qui est beau dans l’idée du vulgaire, mais ce qui est beau en effet. » Nous lui ferons, ce me semble, la réponse que nous lui avons déjà faite, a savoir que nous appelons beau cette partie de l’agréable qui nous vient par la vue et l’ouïe. As-tu quelque autre réponse à faire, et dirons-nous autre chose, Hippias ?

 

Hippias

Après ce qui a déjà été dit, c’est une nécessite, Socrate, de répondre de la sorte.

 

Socrate

« Vous avez raison, répliquera-t-il. Si donc l’agréable qui naît de la vue et de l’ouïe est beau, il est évident que toute espèce d’agréable venant d’une autre source ne saurait être belle. » [c] L’accorderons-nous ?

 

Hippias

Oui.


 

Socrate

« Mais, dira-t-il, ce qui est agréable par la vue l’est-il tout à la fois par la vue et par l’ouïe ? Et pareillement, ce qui est agréable par l’ouïe l’est-il à la fois par l’ouïe et par la vue ? » Nous répondrons que ce qui est agréable par l’un de ces sens ne l’est point par les deux, car apparemment c’est là ce que tu veux savoir ; mais nous avons dit que l’une ou l’autre de ces sensations, prise séparément, est belle, et qu’elles le sont aussi toutes deux ensemble. N’est-ce pas là ce que nous répondrons ?

 

Hippias

Absolument. [d]

 

Socrate

« Une chose agréable, quelle qu’elle soit, objectera-t-il, diffère-t-elle en tant qu’agréable de toute autre chose agréable ? Je ne vous demande point, dira-t-il, si un plaisir est plus ou moins grand, plus ou moins vif qu’un autre ; mais s’il y a des plaisirs qui diffèrent entre eux, en ce que l’un est un plaisir et l’autre ne l’est pas. » Nous ne le pensons point, n’est-il pas vrai ?

 

Hippias

Non, sans doute.

 

Socrate

« Pour quel autre motif, dira-t-il, avez-vous donc distingué entre tous les autres les plaisirs dont vous parlez ? Qu’avez-vous vu en eux de différent des autres [e] plaisirs, qui vous a déterminés à dire qu’ils sont beaux ? Sans doute le plaisir qui naît de la vue n’est-il pas beau précisément parce qu’il naît de la vue ; car si c’était là ce qui le rend beau, l’autre plaisir, qui naît de l’ouïe, ne serait pas beau, puisque ce n’est pas un plaisir qui ait sa source dans la vue. » Ne lui dirons-nous pas qu’il a raison ? [300 a]

 

Hippias

Oui.


 

Socrate

« De même le plaisir qui naît de l’ouïe n’est pas beau précisément parce qu’il naît de l’ouïe ; car en ce cas le plaisir qui naît de la vue ne serait pas beau, puisque ce n’est pas un plaisir qui ait sa source dans l’ouïe. » N’avouerons-nous pas, Hippias, que cet homme dit vrai ?

 

Hippias

Nous l’avouerons.

 

Socrate

« Mais ces plaisirs sont beaux l’un et l’autre, à ce que vous dites. » Ne le disons-nous pas ?

 

Hippias

Oui.


 

Socrate

« Ils ont donc une même qualité qui fait qu’ils sont beaux, une qualité commune à tous les deux, et particulière à chacun. Car il serait impossible autrement qu’ils fussent beaux tous les deux ensemble, et chacun séparément. » [b] Réponds-moi comme si tu avais affaire à lui.

 

Hippias

Je réponds qu’il me parait que la chose est comme tu le dis.

 

Socrate

Si donc ces deux plaisirs pris ensemble ont quelque qualité qui n’est point particulière à chacun d’eux, ce n’est point en vertu de cette qualité qu’ils sont beaux.

 

Hippias

Comment se peut-il faire, Socrate, qu’une qualité que deux choses quelconques n’ont point séparément, elles l’aient, prises ensemble ? [c]

 

Socrate

Tu ne crois pas cela possible ?

 

Hippias

Il faudrait, pour le croire, que j’eusse bien peu de connaissance de la nature des choses, et des termes dont nous faisons usage dans la dispute présente.

 

Socrate

Voilà une charmante réponse, Hippias. Pour moi, il me semble que j’entrevois quelque chose qui est de cette façon, que tu dis être impossible : mais peut-être ne vois-je rien.

 

Hippias

Ce n’est pas peut-être, Socrate, mais très certainement, que tu vois de travers.

 

Socrate

Cependant il se présente à mon esprit bien des objets de cette espèce ; mais je m’en défie, puisque tu ne les vois pas, [d] toi qui as amassé plus d’argent avec ta sagesse, qu’aucun homme de nos jours ; et que je les vois, moi qui n’ai jamais gagné une obole. Je crains, mon cher ami, que tu ne badines avec moi, et ne me trompes de gaieté de cœur, tant j’aperçois distinctement de choses telles que je t’ai dit.

 

Hippias

Personne ne saura mieux que toi, Socrate, si je badine ou non, si tu prends le parti de me dire ce que tu vois ; car il paraîtra clairement que ce n’est rien de solide ; et jamais tu ne trouveras une qualité qui soit étrangère à chacun de nous séparément et que nous possédions ensemble.

 

Socrate

Comment dis-tu, Hippias ? Peut-être as-tu [e] raison, et ne te comprends-je pas. Mais je vais t’expliquer plus nettement ma pensée : écoute-moi. Il me parait que ce que nous n’avons pas la conscience d’être en particulier ni toi ni moi, il est très possible que nous le soyons tous deux pris ensemble ; et réciproquement, que ce que nous sommes tous deux conjointement, nous ne le soyons en particulier ni l’un ni l’autre.

 

Hippias

En vérité, Socrate, ceci est encore plus prodigieux que ce que tu disais tout à l’heure. En effet, penses-y un peu. Si nous étions justes tous les deux, chacun de nous ne le serait-il pas ? Et si chacun de nous était injuste, ne le serions-nous pas tous les deux ? Ou si nous étions tous les deux en bonne santé, chacun de nous ne se porterait-il pas bien ? [301a] Et si nous avions l’un et l’autre quelque maladie, quelque blessure, quelque contusion, ou tout autre mal semblable, ne l’aurions-nous pas tous les deux ? De même encore, si nous étions tous les deux d’or, d’argent, d’ivoire, ou, si tu aimes mieux, nobles, sages, considérés, vieux ou jeunes, ou doués de telle autre qualité qu’il te plaira, dont l’homme est capable, ne serait-ce pas une nécessité indispensable que chacun de nous fût tel ?

 

Socrate

Sans contredit. [b]

 

Hippias

Ton défaut, Socrate, et le défaut de ceux avec qui tu converses d’ordinaire, est de ne point considérer les choses dans leur ensemble. Vous détachez le beau, vous découpez dans vos discours chacune des réalités pour en éprouver la qualité. De là vient que la grandeur et la continuité des choses concrètes vous échappent. Et maintenant tu es si éloigné du vrai, que tu t’imagines qu’il y a des qualités, soit accidentelles, soit essentielles, qui conviennent à deux êtres conjointement, et ne leur conviennent pas séparément ; ou qui conviennent à l’un et à l’autre en particulier, [c] et nullement à tous les deux : tant vous êtes incapables de raison et de discernement, tant vos lumières sont courtes et vos réflexions bornées.

 

Socrate

Ainsi sommes-nous faits, Hippias ! On n’est pas ce qu’on voudrait être, mais ce qu’on peut, comme dit le proverbe. Mais tu nous rends service, en nous donnant sans cesse des avis. Je veux te faire connaître encore davantage jusqu’où allait notre stupidité, avant les conseils que nous venons de recevoir de toi, en t’exposant notre manière de penser sur le sujet qui nous occupe. Ne t’en ferai-je point part ? [d]

 

Hippias

Tu ne me diras rien que je ne sache, Socrate ; car je connais la disposition d’esprit de tous ceux qui se mêlent de disputer. Cependant, si cela te fait plaisir, parle.

 

Socrate

Hé bien, cela me fait plaisir. Nous étions donc tellement bornés, mon cher, avant ce que tu viens de nous dire, que nous pensions de toi et de moi que chacun de nous est un, et que ce que nous sommes séparément, nous ne le sommes pas conjointement ; car pris ensemble nous ne sommes pas un, mais deux : tant notre ignorance était profonde. A présent tu as réformé nos idées, en nous apprenant que, si nous sommes deux conjointement, c’est une nécessité que chacun de nous soit aussi deux ; [e] et que si chacun de nous est un, il est également nécessaire que tous les deux nous ne soyons qu’un : l’essence des choses ne permettant pas, selon Hippias, qu’il en soit autrement ; que par conséquent, ce que tous les deux sont, chacun l’est, et ce que chacun est, tous les deux le sont. Je me rends à tes raisons. Cependant, Hippias, rappelle-moi auparavant si toi et moi ne sommes qu’un, ou si tu es deux et moi deux.

 

Hippias

Qu’est-ce que tu dis, Socrate ?

 

Socrate

Je dis ce que je dis : car je crains de m’expliquer [302a] nettement devant toi, parce que tu t’emportes contre moi, lorsque tu crois avoir dit quelque chose de bon. Néanmoins dis-moi encore : chacun de nous n’est-il pas un, et n’a-t-il pas cette qualité d’être un ?

 

Hippias

Sans doute.

 

Socrate

Si donc chacun de nous est un, il est impair. Ne juges-tu pas qu’un est impair ?

 

Hippias

Assurément.

 

Socrate

Mais pris conjointement, et étant deux, sommes-nous aussi impairs ?

 

Hippias

Non, Socrate. [b]

 

Socrate

Nous sommes pairs au contraire, n’est-ce pas ?

 

Hippias

Oui.


 

Socrate

Parce que nous sommes pairs tous deux ensemble, s’ensuit-il que chacun de nous est pair ?

 

Hippias

Non, assurément.

 

Socrate

Il n’est donc pas nécessaire, comme tu disais, que chacun de nous soit ce que nous sommes tous les deux, et que nous soyons tous deux ce qu’est chacun de nous ?

 

Hippias

Non pour ces sortes de choses ; mais cela est vrai pour celles dont je parlais plus haut.

 

Socrate

Je n’en demande pas davantage, Hippias : il me suffit qu’en certains cas il en soit ainsi, et en d’autres d’une autre manière. Je disais en effet, si tu te rappelles ce qui a donné lieu à cette discussion, que les plaisirs de la vue et de l’ouïe ne sont pas beaux par une beauté qui fut propre à chacun d’eux en particulier, sans leur être [c] commune à tous deux ensemble ; ni par une beauté qui leur fût commune à tous deux, sans être propre à Chacun d’eux séparément ; mais par une beauté commune aux deux, et propre à chacun ; puisque tu accordais que ces plaisirs sont beaux pris conjointement et séparément. J’ai cru en conséquence que s’ils étaient beaux tous les deux, ce ne pouvait être qu’en vertu d’une qualité inhérente à l’un et à l’autre, et non d’une qualité qui manquât à l’un des deux ; et je le crois encore. Dis-moi donc de nouveau : si le plaisir de la vue et celui de l’ouïe sont beaux pris [d] point commun aux deux et propre à chacun ?

 


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