Histoire du Canada (1944) 1



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Chapitre II



Canada

1608 – 1628


Nous avons vu dans le chapitre précédent que M. de Monts avait abandonné l’Acadie, après la perte de son privilège, en 1607. Son attention se tourna alors vers le Canada, [sur l’avis de Champlain qui lui remit une carte des ports et des côtes qu’il avait visités]. Deux motifs le faisaient persister dans ses projets : le désir d’agrandir les possessions françaises, et l’espoir de pénétrer quelque jour, par le Saint-Laurent, jusqu’à l’océan Pacifique et de là jusqu’à la Chine. Le passage au Grand Océan par le nord de l’Amérique est un problème dont on a cherché la solution depuis Colomb, et qui n’a été résolu que de nos jours. [La découverte en revient à un navigateur anglais, sir Robert McClure, qui, en 1853, passa le détroit de Behring et s’avança jusqu’à l’île Melville. Mais c’est au capitaine norvégien, Roald Amundsen, qu’appartient l’honneur d’avoir, en 1906, franchi pour la première fois de l’Atlantique au Pacifique, le passage du Nord-Ouest. Amundsen s’est encore distingué depuis (1911) par la découverte du pôle Sud.]

Après avoir obtenu du roi le monopole de la traite pour une année (7 janvier 1608), de Monts nomma Champlain son lieutenant particulier, et arma [à Honfleur, en avril 1608, avec ses anciens associés deux navires : le Lévrier, de 80 tonnes, sous la conduite de Du Pont-Gravé), pour trafiquer à Tadoussac ; l’autre, [le Don-de-Dieu, de 150 tonnes), pour transporter Champlain [et trente colons, ouvriers et artisans, parmi lesquels étaient Étienne Brûlé et Nicolas Marsolet], qui devaient commencer un établissement plus haut en amont du Saint-Laurent. Il débarqua sur la petite pointe de terre qu’occupe aujourd’hui la basse ville (30 juin 1608). La nature semblait avoir formé le plateau que baignent le fleuve Saint-Laurent, la rivière Saint-Charles et la rivière du Cap-Rouge, pour être le berceau de la colonie et plus tard le siège et le rempart d’un empire. Champlain y fixa son établissement au cours du mois de juillet. Il mit tout son monde à l’œuvre. Les uns élevèrent une habitation spacieuse et fortifiée, les autres défrichèrent le terrain à l’entour ; on fit quelques jardinages. Le mouvement et le bruit remplacèrent le silence qui avait régné jusque-là sur cette rive déserte et solitaire, et annoncèrent aux sauvages l’activité européenne et la naissance d’une ville qui allait devenir bientôt l’une des plus fameuses du Nouveau-Monde.

L’origine du mot Québec a été, comme celle du mot Canada, l’objet d’une discussion entre les savants ; mais il ne paraît plus y avoir aucun doute aujourd’hui. La ville de Québec ne doit le nom qu’elle porte ni au cri d’un Normand, frappé de l’aspect tourmenté du pays à cet endroit, ni à la piété patriotique d’un Français, qui aurait transporté avec lui un nom cher à son souvenir. Champlain nous dit positivement qu’il débarqua dans un lieu que les indigènes nommaient Québec, mot sauvage qui signifie détroit, et qui désigne le rétrécissement du Saint-Laurent au Cap-Rouge, où le fleuve n’a pas plus de 500 verges de largeur.

À peine les Français s’étaient-ils arrêtés sur le sol qu’ils devaient défricher, qu’un complot menaça de détruire leur établissement. La discipline sévère maintenue par le chef servit de prétexte à un serrurier normand, nommé Jean Duval, pour chercher à se défaire de lui. Cet homme, qui était d’un caractère violent et qui ne manquait pas de courage, comme l’attestaient les blessures qu’il avait reçues, en Acadie, dans un combat contre des sauvages, trouva plusieurs complices. Ils avaient résolu, lorsqu’ils auraient fait périr Champlain, soit en l’étranglant dans son lit, soit en le tuant à coups d’arquebuse, de piller les magasins, puis de se retirer en Espagne. Quelques jours avant la prise d’armes, l’un d’eux, tourmenté par les remords, vint tout avouer et nomma les conjurés qui lui étaient connus. Quatre des principaux furent arrêtés sur-le-champ, et dans l’ignorance où l’on était de l’étendue du complot, on les transféra à Tadoussac, afin de rompre la trame et d’ôter à leurs complices le moyen de les délivrer.

Aussitôt les mesures de sûreté prises et le conseil organisé, on ramena les prisonniers à Québec, pour leur procès ; ils confessèrent leur crime et le conseil les condamna à mort. Duval seul fut exécuté. [Du Pont-Gravé transporta] les autres en France (18 septembre 1608) où ils obtinrent plus tard leur grâce du roi. Cette prompte justice imposa aux mécontents, qui ne remuèrent plus.

Champlain avait été revêtu des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire les plus amples, et ils passèrent tout entiers à ses premiers successeurs. Ils constituaient un despotisme tempéré par d’anciens usages, et par des formes qui devenaient cependant de plus en plus imaginaires. « En paix, repos et tranquillité, disaient les instructions royales à de Monts, commander et gouverner, tant par mer que par terre ; ordonner, décider, et faire exécuter tout ce que vous jugerez se devoir et pouvoir faire, pour maintenir, garder et conserver les dits lieux sous notre puissance et autorité, par les formes, voies et moyens prescrits de nos ordonnances. Et, pour y avoir égard avec nous, commettre, établir et constituer tous officiers, tant ès affaires de la guerre que de justice et police, pour la première fois, et de là en avant nous les nommer et présenter, pour en être par nous disposé, et donner les lettres, titres et provisions tels qu’ils seront nécessaires. Et, selon les occurrences des affaires, vous-même, avec l’avis de gens prudents et capables, prescrire sous notre bon plaisir des lois, statuts et ordonnances, autant qu’il se pourra conformes aux nôtres, notamment ès choses et matières auxquelles n’est pourvu par icelles. » (Commission du 8 novembre 1603).

Les gouverneurs n’avaient ainsi, pour tempérer leur volonté, que les avis d’un conseil, qu’ils se choisissaient ; encore n’étaient-ils pas obligés de les suivre. Tout cela était bien vague et bien fragile. Mais tels ont été à peu près les pouvoirs délégués à tous les fondateurs de colonies en Amérique, sauf quelques exceptions dans les provinces anglaises. Cette autorité absolue avait peu d’inconvénients dans les commencements, parce que la plupart des colons étaient aux gages d’un gouverneur ou d’une compagnie. Mais, à mesure que les colonies se peuplèrent et s’étendirent, elles réglèrent leurs institutions sur celles de leurs métropoles, qui étaient leurs modèles, quand ne s’y opposait point la nature des choses.

Depuis Cartier, des révolutions avaient bouleversé le Canada. Stadaconé et Hochelaga n’existaient plus ; et il paraît que ce n’étaient plus les mêmes peuplades qui habitaient le pays. Leurs bourgades avaient-elles été renversées par la guerre, ou transportées ailleurs par suite des vicissitudes de la chasse ou de la pêche ?

[Nicolas Perrot rapporte que « le pays des Irroquois estoit autrefois le Montréal et les Trois-Rivières ; ils avoient pour voysins les Algonkins, qui demeuroient le long de la rivière Outaouas (Ottawa) au Nepissing, dans la rivière des François, et entre icelle et Taronto. » (Mémoire sur les mœurs, coustumes et religion des sauvages de l’Amérique septentrionale, édit. du P. Tailhan, chap. IV). Les Iroquois pour échapper aux Algonquins se seraient d’abord dirigés au sud du lac Érié, d’où, chassés par les Chaouanons, ils gagnèrent le sud-est du lac Ontario et se fixèrent enfin dans le pays qui comprend actuellement l’État de New-York et le centre de la Pennsylvanie]. Les révolutions de cette nature n’étaient pas rares parmi les tribus sauvages, qui errent dans leurs vastes forêts comme les nuages dans le ciel, sans laisser aucune trace de leur passage, aucun monument de leur existence.

D’après les relations de Cartier, il faudrait croire que la lutte entre les Iroquois et les autres sauvages du Canada n’était pas encore commencée de son temps. Il ne parle que des irruptions des Trudamans (Iroquois), établis sur le bord de la mer, entre l’Acadie et l’État actuel de New-York. Cette tribu traversait les monts Alléghanys pour venir faire du ravage dans la vallée du Saint-Laurent.

Le pays était habité à présent par des peuplades qui paraissaient encore plus barbares que celles du temps de Cartier. Ces peuplades luttaient à leur tour avec difficulté contre des ennemis auxquels elles étaient inférieures, sinon en courage, du moins en habileté et en prudence. Dans leur désespoir, elles accoururent solliciter l’alliance des Français contre les Iroquois qui menaçaient déjà leur existence. Ceux-ci occupaient les forêts situées au sud-est du lac Ontario. Ils appartenaient à la famille des Hurons et formaient cinq nations confédérées dont chacune était divisée en trois tribus, portant les noms allégoriques de la Tortue, de l’Ours et du Loup. Les Iroquois se montraient supérieurs en intelligence à toutes les nations de ces contrées. Ignorant la force et le caractère de leur confédération, et plus intéressé, d’ailleurs, à se maintenir en bonne intelligence avec les indigènes qui étaient près de lui, Champlain accepta peut-être trop précipitamment l’offre d’une union dont l’effet fut de doter la colonie d’une guerre qui dura un siècle. Il pensait sans doute qu’en ayant pour alliées les tribus du pays, il subjuguerait facilement, non seulement cette confédération, mais encore toutes les peuplades qui voudraient entraver ses projets par la suite. Il ne pouvait prévoir qu’avant peu, d’autres Européens, rivaux de la France, seraient établis à côté des Iroquois, et tout prêts à les soutenir dans leurs prétentions. [Il paraît que le massacre d’une bande d’Iroquois par les Algonquins fut] l’origine de la guerre entre les premiers et les nations algonquine et huronne, mais cette explication n’est appuyée sur aucune preuve bien recevable. Enflés par des succès inouïs, les Iroquois s’appelèrent orgueilleusement Ongwéhonwé, c’est-à-dire hommes supérieurs aux autres hommes. Ils devinrent la terreur du nord de l’Amérique. Quand, dans la suite, les Agniers prenaient les armes contre les tribus de la Nouvelle-Angleterre, le terrible cri d’alarme courait de colline en colline : les Iroquois ! les Iroquois ! et, saisis d’épouvante, hommes, femmes, enfants s’enfuyaient, comme un troupeau timide poursuivi par des loups. Les Iroquois, par politique, mettaient un soin extrême à entretenir cette terreur, et cherchaient toutes les occasions de persuader qu’ils étaient invincibles.

Du Pont-Gravé avait amené d’Europe deux barques remplies d’hommes. Champlain marcha vers les Cantons (18 juin 1609), par la rivière appelée aujourd’hui le Richelieu, [avec onze Français et une troupe de Montagnais, auxquels se joignirent en route ses alliés, les Hurons et les Algonquins]. Le 29 juillet, il rencontra, le soir, une partie de leurs guerriers sur les bords du lac qui porte son nom.

De part et d’autre on se prépara au combat. Les sauvages passèrent la nuit à danser, à chanter et à se provoquer d’un camp à l’autre, à la façon des Grecs et des Troyens d’Homère, et, dès que le jour parut, ils se rangèrent en bataille. [Sur l’emplacement actuel de Ticonderoga, très probablement. Ces Iroquois étaient de la nation des Agniers.] Les Iroquois, au nombre de deux cents environ, s’avancèrent au petit pas avec beaucoup d’assurance, sous la conduite de trois chefs, reconnaissables par de grands panaches. Les alliés de Champlain – [soixante en tout] – s’écartèrent pour le placer à leur tête ; il n’avait alors que deux Français avec lui, les autres étant restés en arrière. Ils lui dirent de tirer sur les chefs. Les Iroquois s’arrêtèrent à trente pas, le regardèrent un moment avec surprise, puis les deux partis firent une décharge de flèches que suivit le feu des Français. Deux chefs iroquois tombèrent morts, frappés par les balles, et le troisième s’affaissa mortellement blessé. À cette vue, les alliés poussèrent un grand cri de joie, et les ennemis prirent la fuite dans les bois, en perdant encore plusieurs hommes tués et douze faits prisonniers.

Cette victoire ne couta que quinze ou seize blessés aux vainqueurs, qui, après avoir pillé le camp des ennemis, où ils trouvèrent du maïs et des armes, commencèrent une retraite précipitée dès le jour même. Le soir, les sauvages prirent un de leurs prisonniers et lui firent entonner le chant de mort, pour préluder, suivant leur coutume, aux cruels tourments qu’ils allaient lui faire endurer. Champlain, révolté de leur barbarie, ne put obtenir d’achever ce misérable, qu’après qu’ils eurent épuisé leurs tortures.

Dans l’automne, Champlain s’embarqua avec Du Pont-Gravé pour l’Europe [laissant l’habitation de Québec sous la garde de Pierre Chauvin, sieur de la Pierre, et de quinze hommes (5 septembre – 13 octobre 1609)]. Henri IV l’accueillit fort bien à Fontainebleau, et écouta avec intérêt le rapport qu’il fit sur la Nouvelle-France. Mais tous les efforts de M. de Monts pour obtenir le renouvellement de son privilège de traite furent inutiles ; il échoua devant les intérêts trop puissants qui s’y opposaient (7 janvier 1609).

Quoiqu’il ne restât plus à de Monts que la ressource de ses associés et les profits qu’il comptait encore tirer du trafic, malgré la concurrence, il osa croire qu’il aurait de quoi fournir aux dépenses de la colonie naissante. Cela le détermina à renvoyer Champlain à Québec, le printemps suivant (7 mars 1610), avec deux navires. [Celui de Du Pont-Gravé cingla vers Tadoussac pour la traite ; l’autre fit voile vers Québec avec Champlain et onze artisans, outre les vivres et les objets nécessaires à l’habitation. Mais Champlain, à la suite d’une tempête, revint à Honfleur et « encore que foible et débile » se rembarqua le 8 avril et atteignit Tadoussac le 26, soit une traversée exceptionnellement rapide de dix-huit jours].

Les indigènes attendaient avec impatience le retour du chef français pour faire une nouvelle campagne contre les Iroquois, qu’ils ne craignaient plus maintenant de venir attaquer jusque chez eux. À peine Champlain fut-il débarqué, qu’il partit pour aller se mettre à leur tête, à l’embouchure de la rivière appelée depuis Richelieu.

On ne marcha pas longtemps sans rencontrer les ennemis, qu’on croyait bien plus loin. Ils s’étaient fortement retranchés derrière un abattis pour se mettre à l’abri de ces armes meurtrières des Européens dont ils avaient vu l’effet au combat de l’année précédente, et ils repoussèrent un premier assaut. Mais, à la seconde attaque, le feu de la mousqueterie décida encore la victoire, qui avait été disputée opiniâtrement et qui valut une blessure à Champlain. Les ennemis furent taillés en pièces, et ceux qui échappèrent au casse-tête périrent dans la rivière où ils furent culbutés (19 juin 1610). Deux cents Hurons arrivèrent le lendemain. La plupart, n’ayant jamais vu d’Européens, regardèrent longtemps les Français, leurs habits, leurs armes avec un étonnement extrême, sans prévoir plus que les autres les destinées de ces étrangers.

Au retour de cette courte mais brillante campagne, Champlain apprit la mort tragique du roi. Elle répandit autant de consternation à Québec qu’à Port-Royal. Tout le monde sentait la perte qu’on venait de faire, Champlain surtout, qui avait joui de la protection et de l’amitié de ce grand prince. Il repartit immédiatement pour la France (8 août) [avec Du Pont-Gravé et un jeune Huron nommé Savignon], afin de veiller aux intérêts de la colonie dans les dissensions intestines que cette catastrophe faisait redouter.

L’esprit du nouveau gouvernement, la liberté de la traite, formellement annoncée et qui donnait déjà lieu à une concurrence très vive, obligèrent de Monts à abandonner tout à fait ses projets, et ceux qui voulaient les continuer, à porter leurs regards ailleurs.

Champlain, après en avoir conféré avec lui à Pons (Saintonge), travailla à former une nouvelle compagnie et à mettre le Canada sous la protection de quelque haut personnage qui pût lui assurer les dispositions favorables de la Cour. L’influence de la marquise de Guercheville dans les affaires de l’Acadie semblait lui en prouver la nécessité. Il chercha dans la foule des grands seigneurs et des princes, et s’arrêta à Charles de Bourbon, comte de Soissons, [alors gouverneur de Dauphiné et de Normandie], qui consentit, par des lettres du 3 octobre 1612, à remplacer de Monts comme lieutenant-général du roi et à garder Champlain pour son lieutenant. Les lettres étaient à peine signées que ce prince mourut (1er novembre). Heureusement son neveu, [Henri de Bourbon, prince de Condé, le père du grand Condé], accepta la place vacante, [rehaussée du titre de vice-royauté] et maintint Champlain dans ses fonctions (22 novembre).

La commission de Champlain (15 octobre) l’autorisait à saisir tous les bâtiments qui feraient la traite sans permission, depuis Québec, en remontant le fleuve. C’était abolir, dans ces limites, la liberté de commerce accordée par Henri IV. Lorsque cette commission fut publiée dans les ports du royaume, elle souleva une opposition formidable. Champlain eut besoin de toutes les ressources de son esprit pour conjurer l’orage. Il proposa l’établissement d’une société de colonisation et de traite, dans laquelle tous les marchands auraient droit d’entrer. Il voulait assurer le succès de la colonie, et rendre en même temps le trafic libre, sous certaines conditions. C’était bien ce qu’il y avait de mieux à faire ; mais les négociants de La Rochelle refusèrent d’être de l’association. Invités à se trouver à Fontainebleau afin de signer l’acte de société avec ceux de Saint-Malo et de Rouen, ils n’y vinrent point. Pour montrer qu’on voulait encore leur donner le temps de réfléchir, on leur laissa le droit d’entrer dans la compagnie pour un tiers, s’ils venaient à changer d’avis. Comme ils ne se conformèrent point, dans le délai convenu, aux articles proposés, l’acte fut clos et les deux dernières villes seules y furent parties chacune pour moitié (1613-1614).

Constituée pour une période de onze ans, [la Compagnie de Rouen et de Saint-Malo] fut ratifiée par le prince de Condé et approuvée par le roi. Cela fit regretter aux Rochelais leur obstination, car la liberté commerciale fut abolie par cette confirmation, à laquelle ils ne s’attendaient point. Ils continuèrent toutefois à faire par contrebande une traite considérable sans qu’on pût les en empêcher, à cause de l’impossibilité à cette époque de garder les côtes du Canada.

[La Compagnie était formée à la fois de catholiques et de calvinistes, mais l’exercice public du culte protestant fut interdit. La Compagnie s’engageait à transporter au Canada six familles par année. D’autre part, les colons étaient tenus de vendre leurs produits à la Compagnie, mais aux prix du marché français. Pendant l’été de 1611], Champlain, qui attendait beaucoup de la nouvelle société, avait fait défricher, dans l’île de Montréal [sur la Pointe-à-Callières], l’emplacement d’un fort ; [il y bâtit un mur de briques haut de trois à quatre pieds] pour protéger le comptoir qu’il projetait d’y installer. [Champlain avait d’abord exploré les parages de l’île de Montréal jusqu’au lac des Deux-Montagnes. Il baptisa l’île Sainte-Hélène (vis-à-vis Montréal) du nom de sa femme, Hélène Boullé]. Il avait conclu un traité d’alliance et de commerce avec les Hurons. Ces sauvages étaient venus le visiter au nombre de deux cents, et lui avaient permis de former des établissements chez eux.

[Champlain était retourné en France (1612). Il rapportait avec lui du bois de chêne, lequel fut dès lors admis en franchise dans la métropole. Ce traitement de faveur eut aussitôt d’excellents résultats pour le commerce canadien, au détriment du Danemark, de la Suède et de la Russie. Champlain, cette fois, fut absent du Canada jusqu’au mois d’août de 1613].

Ne cessant point de promener ses regards sur toutes les contrées situées vers les sources du Saint-Laurent et des rivières qui tombent dans ce fleuve, il fixa alors son attention sur les pays du Nord. Un jeune aventurier, [Nicolas du Vignau] lui assura être parvenu avec des Algonquins, à une mer, sur les bords de laquelle il avait vu les débris d’un navire anglais. Champlain voulut aller vérifier ce rapport, que la découverte toute récente de la baie d’Hudson (1610-1612) rendait assez probable. Mais après avoir, [en compagnie de Vignau et de trois autres Français, remonté la rivière Ottawa jusqu’à l’île des Allumettes] sans avoir aperçu la mer, il revint sur ses pas (27 mai-17 juin 1613). À l’aide de bons guides, il aurait pu atteindre la baie d’Hudson en peu de temps : avec un canot léger, on peut s’y rendre des Trois-Rivières, par la rivière Saint-Maurice, en quinze jours.

L’exploration des grands lacs Huron et Ontario, en 1615, le dédommagea de ses peines. Il se trouvait aux rapides de Lachine, les Hurons et les Algonquins y vinrent réclamer son assistance contre les Iroquois, qui cherchaient toujours à leur barrer le chemin. [Champlain, accompagné de son interprète Étienne Brulé, d’un domestique et de dix sauvages,] partit en deux canots pour Cahiagué, sur le lac Ontario, [la principale bourgade huronne], où la tribu devait réunir ses forces (9 juillet 1615). Il remonta l’Ottawa, la rivière Mattawa, passa le lac Nipissing, [puis la rivière des Français,] et atteignit enfin le lac Huron (27 juillet) ; rasant ensuite la côte orientale de cette « mer Douce », comme il l’appelle, il alla aborder au pays de ses alliés [au fond de la baie Georgienne. Après une halte à Otouacha, où habitait la nation de l’Ours, il visita quatre autres villages, trouvant partout le meilleur accueil. Le 17 août il entrait dans la capitale huronne.] Cahiagué, à son estimation, renfermait environ deux cents cabanes. Champlain fut reçu avec allégresse par la tribu, impatiente de marcher sous ses ordres à l’ennemi. La petite armée [qui pouvait maintenant compter de quatre à cinq cents hommes], se porta par le plus court (1er septembre), vers l’extrémité orientale du lac Ontario, dont Champlain, à l’embouchure de la baie de Quinté, aperçut les bords. C’était le premier Européen, [après Étienne Brulé,] à reconnaître ce lac, où ne se réfléchissaient encore que les sombres forêts de ses rives solitaires, et qui baigne aujourd’hui tant de villes florissantes.

[On traversa le lac Ontario et on arriva, le 10 octobre, devant la bourgade des Onnontagués.] Une première escarmouche fut suivie d’un siège en règle [qui dura trois heures.] Les Iroquois, solidement retranchés, blessèrent dix-sept de leurs assaillants et ne purent être pris. Les attaques, d’ailleurs, furent faites sans ordre et avec la plus grande confusion, malgré les efforts des Français pour régler les mouvements de ces troupes indociles, qui passèrent alors de l’excès de présomption au plus profond découragement. [Ayant vainement attendu le renfort de cinq cent hommes promis par les Andastes, on dut] songer à la retraite ; elle s’opéra heureusement (16 octobre).

Champlain, qui avait reçu encore deux blessures dans ce combat, demanda, dès qu’il fut en état de supporter les fatigues du voyage, des guides pour le reconduire à Montréal. Il fut refusé sous différents prétextes, et forcé de passer l’hiver chez ces peuples. Il mit le temps à profit pour étendre ses courses au midi du lac Ontario ; [il visita la nation du Petun, placée au sud de la baie actuelle de Nottawasega, et ses voisins, les « Cheveux-Relevés » (Outaouas), qui habitaient la partie sud-ouest de la baie Georgienne et l’île Manitoulin, dans le lac Huron. Il eût voulu aussi se rendre jusqu’au territoire de la « Nation Neutre » ; on l’en dissuada.] Cette tribu de langue huronne, malgré sa position [sur le lac Érié] entre les parties belligérantes, conservait des relations amicales avec tous ses voisins.

[Champlain passa quatre mois chez les Hurons et fut de retour à Québec le 11 juillet (1616)]. Le bruit de sa mort s’était répandu dans la colonie ; aussi la joie de ses compatriotes fut-elle grande lorsqu’ils le virent revenir sain et sauf, après avoir effectué des découvertes qui ajoutait à son nom un lustre nouveau.

Pendant qu’il reculait ainsi vers l’Ouest les limites de la Nouvelle-France, les difficultés ne cessaient point dans l’ancienne, au sujet du monopole de la Compagnie. En 1617, les représentants des États de Bretagne, à une assemblée des notables du royaume, réussirent à faire accepter par le Conseil du roi l’article de leur cahier qui demandait la liberté du commerce des pelleteries. Champlain, repassé en France, (20 juillet), fit revenir sur cette décision, qui sapait la société qu’il avait eu tant de peine à établir entre Rouen et Saint-Malo ; après une discussion où tous les intéressés furent entendus, on supprima l’article (29 octobre 1617).

Les procès et les empiètements qu’éprouvait sans cesse la Compagnie lui auraient déjà fait abandonner des opérations peu fructueuses, sans le fondateur de Québec. Champlain, mettant tour à tour en jeu l’intérêt, le patriotisme et l’honneur, réussissait toujours à l’empêcher de se dissoudre et à prolonger une existence dont dépendait, à ses yeux, le salut de la Nouvelle-France. Alors il la pressait de travailler avec plus de zèle à la colonisation ; ce qu’elle promettait mais se gardait bien d’exécuter.

[En effet, au lieu de défricher et de cultiver les terres, la Compagnie expédiait de France les vivres destinés aux colons, et encore pour l’année courante seulement. Elle négligeait en outre de fortifier Québec et de peupler la colonie, d’autant que « si le pays s’habitoit leur (associés) pouvoir se diminueroit, ne faisans en ces lieux tout ce qu’ils voudroient, et seroient frustrez de la plus grande partie des pelleteries, qu’ils n’auroient que par les mains des habitants du pays ». (Champlain)] Il eut bientôt lieu de voir comment, cette fois encore, elle entendait remplir ses engagements.

Comme il se préparait à revenir en Amérique, la Compagnie voulut lui ôter son gouvernement, parce qu’il s’attachait trop à la colonisation, pour le donner à un homme plus facile ; elle prétextait qu’il serait plus utilement employé lui-même à continuer les découvertes et à nouer des relations avec les peuples qu’il visiterait. Elle voulait donner l’administration de la colonie à Du Pont-Gravé, qui ne s’était jamais intéressé qu’à la traite. Il s’éleva à ce sujet une contestation si vive, qu’elle fut portée devant le Conseil du roi. Un arrêt, rendu en 1619, maintenait Champlain à la tête de la Nouvelle-France. [La Compagnie, cette fois, par crainte de perdre son monopole, s’était engagée à entretenir quatre-vingts colons et à fortifier Québec, mais elle ne fit rien ou ne put rien faire.] Après tant de débats, Champlain se rembarquait enfin pour le Canada. C’était à peu près dans le temps où le prince de Condé, emprisonné pendant les troubles du royaume, était rendu à la liberté et cédait la vice-royauté du Canada à son beau-frère, le duc Henri de Montmorency, amiral de France, pour 11 000 écus ; preuve certaine que cette charge honorifique avait déjà de la valeur. Champlain fut confirmé dans ses fonctions par le nouveau titulaire. Dolu, grand-officier du Sceau, eut en France le soin des affaires de la colonie, auxquelles l’amiral de Montmorency parut prendre plus d’intérêt que son prédécesseur. Les associés encore auraient voulu que Champlain partageât le commandement avec un autre ; le roi rejeta leur prétention et les obligea de suivre les seules affaires de leur commerce. [D’autre part la compagnie devait pourvoir à une pension de mille écus pour le prince de Condé et de deux cents écus pour Champlain ; entretenir six Récollets ; payer un interprète et les matelots qui montaient ces navires, sans compter les serviteurs et les ouvriers.]

De retour à Québec [en compagnie de sa femme, Hélène Boullé (juin 1620)], Champlain fit commencer la construction du fort Saint-Louis. Il choisit pour emplacement le haut du cap, au bord d’un précipice presque perpendiculaire de plus de 200 pieds au-dessus du fleuve. Ce fort, converti en château, est devenu célèbre pour avoir servi de résidence aux gouverneurs canadiens jusqu’en 1834, alors qu’il fut entièrement détruit par un incendie. Tous leurs actes étaient datés de cette demeure vice-royale qui n’a pas été reconstruite.

Les Récollets de l’ordre de Saint-François avaient déjà commencé, avec la permission de Louis XIII, à se construire un couvent [sur l’emplacement actuel de l’Hôpital Général]. La population française de Québec ne dépassa guère à cette époque cinquante âmes, en y comprenant même ces religieux. Mais tel était l’esprit catholique du temps que différents ordres monastiques purent, par les libéralités de personnes pieuses de France, élever au milieu des forêts canadiennes de vastes établissements d’éducation et de bienfaisance, qui font encore aujourd’hui l’ornement de ce pays. La première pierre de la chapelle du couvent fut posée le 3 juin 1620. Six ans auparavant [sur le refus des Jésuites qui avaient tout d’abord été invités], les Récollets de Paris furent appelés en Canada par plusieurs personnes, surtout par les marchands, qui redoutaient la venue des Pères de la Compagnie de Jésus. Quatre Récollets arrivèrent à Québec en 1615 : [les RR. PP. Jamay, Jean d’Albeau, Joseph Le Caron, qui avait été aumônier du roi lorsqu’il était dauphin, ainsi que du duc d’Orléans, et le F. Pacifique Duplessis. « Pendant un siècle et demi, l’église de Québec a été le centre et le seul foyer du catholicisme dans les immenses régions qui s’étendent depuis la baie d’Hudson jusqu’aux possessions espagnoles. » (Abbé Ferland)]

Le P. Le Caron visita les Hurons (1615) avec Champlain. Ils envoyèrent même un sauvage en France, au collège de Calleville, où il reçut une excellente instruction. En 1618, le Souverain Pontife, Paul V, à la demande de l’ambassadeur de France, accorda aux Récollets de Paris, la mission du Canada. Plusieurs de ces religieux moururent au milieu des indigènes. Le P. Nicolas Viel, homme très savant, fut alors noyé (1625) dans la rivière des Prairies par les Hurons [en même temps qu’un jeune néophyte nommé Ahuntsic]. Ajoutons que les Récollets furent les seuls à travailler à l’œuvre des missions dans le Canada jusqu’en 1625. [Toutefois, nous l’avons vu, ils avaient eu pour précurseurs les Jésuites, qui exercèrent leur apostolat de 1611 à 1614 parmi les tribus de l’Acadie. Au reste dès 1615, les Récollets avaient obtenu de Champlain qu’il convoquât une réunion de six habitants à Québec, pour délibérer des affaires de la colonie. Sur les instances de ces religieux, on décida de demander au roi l’exclusion des huguenots de la Nouvelle-France. (Le P. Leclercq, Premier établissement de la foy, I, p. 91, ss.] C’est à ce moment (1624) que le P. Irénée Piat convia les Jésuites à venir au Canada. Les nouveaux missionnaires [arrivèrent à Québec, le 15 juin 1625, en compagnie d’un Récollet, le P. de la Roche-Daillon, sur le navire de Guillaume de Caen. C’étaient les PP. Charles Lalemant, Jean de Brébeuf et Ennemond Massé, en plus de deux coadjuteurs. Les protestants et un certain nombre de catholiques refusèrent tout d’abord de les recevoir. Ces derniers en effet allaient trouver dans la ville naissante un pamphlet dirigé contre eux, L’Anti-Coton, de César Dupleix, publié en France (1610) au lendemain de l’assassinat de Henri IV, « que l’on faisoit courir de chambre en chambre et qu’enfin l’on a bruslé quatre mois après notre arrivée. » (Relations des Jésuites, 1626). En sorte que les Pères] furent obligés de rester à bord du vaisseau dans le port de Québec, jusqu’à ce que les Récollets [leur eussent cédé la moitié de leur couvent qu’ils devaient occuper pendant deux ans et demi]. Par la suite, les Récollets vendirent leur maison, à laquelle ils avaient donné le nom de Notre-Dame-des-Anges ; on en fit un hôpital. Louis XIV leur concéda (28 mai 1681) le lieu où était la sénéchaussée de Québec, en face du château Saint-Louis, pour y élever un hospice.

Si les Récollets ne furent pas les premiers missionnaires venus dans la Nouvelle-France, ils sont les premiers qui en ont disparu. Ce qui frappait davantage, autrefois, l’étranger en arrivant sur ces bords, c’étaient nos institutions conventuelles, comme, dans les provinces anglaises, c’étaient les monuments du commerce et de l’industrie. Cette différence caractérise l’esprit des deux peuples : tandis que nous érigions des monastères, le Massachusetts construisait des navires pour trafiquer avec toutes les nations.

En 1621, les habitants et les principaux fonctionnaires demandèrent encore l’appui de la métropole. Le P. Georges Le Baillif porta leur pétition en France. Dans le même temps Champlain avait publié quelques ordonnances pour la bonne conduite des colons et le maintien de l’ordre (12 septembre). Ce petit code de lois, le premier fait en Canada, ne paraît pas avoir été conservé. On commençait alors à trouver des habitants qui vivaient des produits de leurs terres. Les Hébert et les Couillard sont à la tête de ces cultivateurs qui ont laissé leurs noms dans nos annales. [Louis Hébert, l’un des premiers colonisateurs de l’Acadie avec Poutrincourt, vint se fixer à Québec, en 1617 ; il était accompagné de sa femme et de ses trois enfants. Il défricha, à l’aide de son gendre, Guillaume Couillard, une partie du terrain où se trouve actuellement l’archevêché de Québec. Hébert mourut en 1627. Quant à Guillaume Couillard, il serait arrivé au Canada dès 1613. « Sa postérité est devenue si nombreuse au Canada qu’on en compte actuellement (1691) plus de 250 personnes et plus de 900 qui sont alliées à cette famille, de laquelle quelques descendants ont obtenu des lettres de noblesse, et d’autres se sont signalés dans l’Ancienne et la Nouvelle-France par des services considérables. » (Le P. Chrétien Le Clercq). Il est à remarquer que] pour la première fois, en 1628, on laboura avec le soc et des bœufs. La plupart des Français étaient encore employés à la traite des pelleteries ; les principaux comptoirs étaient à Tadoussac, à Québec, aux Trois-Rivières et aux rapides de Lachine.

Les Algonquins et les Hurons avaient continué de faire la guerre aux Iroquois, mais en soupirant depuis longtemps après la paix. Fatigués d’une lutte sanglante, qui, selon leur rapport, durait depuis plus de cinquante ans, les deux partis entrèrent tacitement dans une espèce de trêve ; elle fut suivie d’un traité solennel, conclu en 1624.

L’arrivée des Européens exerça une influence décisive sur les rapports politiques de toutes ces nations. Elle changea complètement leurs destinées. Les fiers Iroquois semblaient marcher à la domination de toutes les contrées baignées par les eaux du Saint-Laurent et de l’Atlantique. Les Français les arrêtèrent et protégèrent leurs adversaires, jusqu’à ce que les uns et les autres se fussent effacés, comme leurs forêts, devant la civilisation qui s’avançait pour s’asseoir en reine dans ce domaine sans passé.

Pendant que les sauvages étaient amenés à la paix, peut-être aussi par une crainte instinctive de ces étrangers, qui semblaient, avec leurs armes à feu, porter dans leurs mains la foudre du ciel, les spéculateurs chargés du sort du pays, ne cessaient point de se quereller. La traite, sous l’amiral de Montmorency, comme sous le prince de Condé, fut un sujet continuel de discorde, tantôt entre le gouvernement d’une part et les négociants de l’autre, tantôt entre les négociants eux-mêmes. [La traite aussi bien rapportait en moyenne de quinze mille à vingt mille peaux de castors par année et même jusqu’à vingt-deux mille. Chaque peau se vendait 10 francs. D’autre part, les De Caen employaient dans leur commerce quarante hommes, outre cent cinquante matelots.]

On a vu toutes les divisions de la société formée entre Rouen et Saint-Malo. [Une autre compagnie, ayant pour chef un négociant huguenot de Normandie, Guillaume De Caen, s’était organisée en dehors d’elle, sous les auspices de l’amiral de Montmorency (1620)]. Mais les deux se confondirent bientôt, après des procès et des vicissitudes dont les détails sont peu dignes de l’histoire. [Au même temps,] le P. Georges Le Baillif, Récollet, fut délégué pour porter au roi les plaintes des habitants de la colonie. [Une assemblée avait été tenue auparavant à Québec (18 août 1621) « afin d’aviser des moiens les plus propres sur la ruyne et désolation de tout ce païs et pour chercher les moiens de conserver la religion catholique, apostolique et romaine en son entier ». On demandait encore la fondation d’un séminaire pour les enfants sauvages, et de quoi bâtir un fort et entretenir une garnison de cinquante hommes.]

En 1621, [la Compagnie de Rouen et de Saint-Malo, dont le privilège avait encore cinq ans à courir, poursuivit la Compagnie De Caen.] En attendant la décision du litige, le Conseil d’État permit aux deux compagnies de faire ensemble la traite. L’année suivante [(25 mars 1622), un arrêt du Conseil réunit l’ancienne Compagnie à la nouvelle sous nom de Compagnie de Montmorency.] Il fut, en outre, ordonné de payer dix mille livres de vingt sols à la [Compagnie de Rouen et de Saint-Malo] pour ses indemnités ainsi que pour les dépenses qu’elle avait encourues à Québec. Celle-ci prit, à la place de l’argent, les cinq douzièmes de l’association nouvelle privilégiée pour treize ans ; ce qui parut, en réunissant tous les marchands, devoir faire cesser les difficultés.

On a peine à démêler les multiples complications des sociétés commerciales qui exploitaient alors la colonie. Peu importe quels fussent les associés, leur rang, les obligations qu’ils avaient assumées envers le pays ; il suffit de savoir que toutes ces compagnies se ressemblaient en un point : elles ne faisaient rien ou presque rien pour la Nouvelle-France. Au reste, il est certain qu’elles regardaient sa mise en valeur comme destructrice de la traite. [Après cela, rien d’étonnant que le P. Charles Lalemant ait pu écrire de Québec en 1626 : « Ce qui a esté cultivé en ce lieu par les François est peu de chose ; s’il y a dix-huit ou vingt arpents de terre, c’est tout le bout du monde »].

L’amiral Montmorency, fatigué de tant de querelles, céda (janvier 1625), moyennant 100 000 livres, sa charge à son neveu Henri de Lévis, duc de Ventadour.

Dégoûté du monde, Ventadour devait entrer bientôt dans les ordres sacrés pour se livrer aux méditations religieuses. En acquérant cette charge, il voulait travailler moins à l’établissement du Canada qu’à la conversion des infidèles. Aussi, fit-il peu de chose pour la colonisation et ne s’occupa que des missions. Dans l’année même, il envoya, à ses frais, cinq Jésuites à Québec : les PP. Charles Lalemant, Jean de Brébeuf, Ennemond Massé [et deux coadjuteurs, les FF. François Charton et Gilbert Buret]. Mais Champlain veillait sur la petite colonie comme son génie protecteur, et, s’il ne pouvait lui faire accomplir des progrès, du moins il l’empêchait de succomber. [Dans la dédicace au Roy de ces Voyages et déscouvertures faites en la Nouvelle-France, 1619, le fondateur de Québec n’avait-il pas tenu ce noble langage : « C’est une occasion pour accroître en nous le désir qu’avons dès long-temps d’envoyer des peuplades et colonnies par delà, pour leur enseigner (aux indigènes) avec la cognaissance de Dieu, la gloire et les triomphes de V. M. de faire en sorte qu’avec la langue françoise ils conservent aussi un cœur, et courage françois »].

Outré de l’indifférence de la nouvelle compagnie, Champlain l’accusa auprès de son chef, l’amiral de Montmorency, auquel il peignit, avec énergie, l’abandon où elle laissait languir une contrée qui ne demandait, disait-il, qu’un peu d’aide pour fleurir. Les plaintes parvinrent aux oreilles de Richelieu, chargé alors des destinées de la France. En apprenant le mal, ce ministre recourut au remède avec sa promptitude ordinaire.

Armand-Jean du Plessis, cardinal duc de Richelieu, peut-être le premier homme d’État de l’Europe moderne était remonté au pouvoir en 1624. [Cette même année, il devenait chef du Conseil des Affaires et bientôt le principal ministre de Louis XIII]. Créature de Concini nommé ensuite maréchal d’Ancre, il avait su acquérir au début de la régence, les bonnes grâces de la reine-mère. En 1619 il s’était employé activement à rétablir la paix entre elle et le roi son fils. Pour le récompenser, elle lui obtint le chapeau de cardinal (1622) et une place au Conseil qu’il assujettit à sa volonté par sa fermeté [et sa souplesse à la fois, et par sa suprême habileté]. Il inaugura un système de politique, qui changea la face de l’Europe [par sa lutte sans relâche contre la maison d’Autriche-Espagne. À l’intérieur, il s’employa victorieusement, comme il le dit lui-même au premier chapitre, de son Testament politique, à « ruiner le parti huguenot, rabaisser l’orgueil des grands, réduire tous ses sujets en leur devoir, et à relever le nom de Sa Majesté dans les nations étrangères au point où il devait être ».]

C’est pendant le ministère de Richelieu que naquirent la marine et le commerce extérieur du royaume. Une des plus hautes pensées qui le préoccupaient sans cesse était de donner à la France une marine imposante. Il sut entrevoir que pour l’exécution de ce dessein, il fallait des colonies. [C’est ainsi qu’à l’Assemblée des notables (1626), il exposait que « l’Espagne n’est redoutable et n’a étendu sa monarchie au Levant et ne reçoit ses richesses d’Occident que par sa puissance sur mer ; que le petit État de Messieurs des États des Pays-Bas ne fait résistance à ce grand royaume que par ce moyen ; que l’Angleterre ne supplée à ce qui lui défaut et n’est considérable que par cette voie ; que ce royaume étant destitué comme il l’est de toutes forces de mer, en est impunément offensé par nos voisins ; qu’il n’y a royaume si bien situé que la France et si riche de tous les moyens nécessaires pour se rendre maître de la mer ». Et pour atteindre son objectif, Richelieu préconisait le moyen adopté avec tant de succès par les nations rivales : la création de grandes compagnies privilégiées. Et aussitôt il en donnait proprement la raison : « pour ce que chaque petit marchand trafique à part et de son bien, et partant, pour la plupart, en de petits vaisseaux et assez mal équipés, ils sont la proie des corsaires et des princes nos alliés, parce qu’ils n’ont pas les reins assez forts, comme aurait une grande Compagnie ». Encore, souligna-t-il, une condition était indispensable : « ces Compagnies seules ne se voient pas néanmoins suffisantes, si le Roi, de son côté, n’était armé d’un bon nombre de vaisseaux pour les maintenir puissamment au cas qu’on s’opposât par force ouverte à leurs desseins. » Et le ministre pour conclure insistait sur les intérêts connexes du commerce et de la marine : « outre que le Roi en tirerait cet avantage qu’en un besoin de guerre, il ne lui soit pas nécessaire d’avoir recours à mendier l’assistance de ses voisins ; que, pour cela, il faudrait, entre autres choses, bannir les changes simulés et supposés dont le gain injuste est si grand qu’en moins de cinq ans, si on ne souffre point de banqueroute, on double son bien ; ce qui fait quitter la marchandise à plusieurs pour s’y employer ». (Mémoires de Richelieu, collection Michaud et Poujoulat, II, p. 438). Il est à observer que Colbert, héritier de la politique de Richelieu allait, jusque dans le domaine économique, suivre ses directives mais sur un plan de plus large envergure].



[Déjà Marc Lescarbot, après sa fructueuse expérience en Acadie, avait proclamé, dans ses Muses et dans son Histoire de la Nouvelle-France, tous les bienfaits qu’on peut tirer des possessions coloniales, et il avait fait appel pour leur développement, à la protection du roi et au concours de sa patrie. (Dédicaces de 1612). Le suivant de près, Antoine de Montchrétien (1615) tâchait pareillement d’orienter les énergies françaises vers les terres occidentales. Avec quel ferme accent de conviction il adressait à Louis XIII cette exhortation patriotique : « Vous avez, Sire, deux grands chemins ouverts à l’acquisition de la gloire : l’un, qui vous porte directement contre les Turcs et mécréans..., et l’autre, qui s’ouvre largement aux peuples qu’il vous plaira d’envoyer dans ce Nouveau-Monde, où vous pouvez planter et provigner de nouvelles Frances ». (Traicté de l’Oeconomie politique, livre III). Un autre Français, un chevalier de Malte, marin éprouvé après vingt-trois ans de carrière sur tous les océans, Isaac de Razilly, se fit inlassablement le champion de la colonisation et de la navigation outre-mer. Il affirmait hautement que « Ce sont vieilles chymères de croire que la navigation ne sort point nécessayre en France et que les Francoys ne soient propres à naviguer et prétends fayre voyr le contraire »... Puis avec une précision lumineuse, Razilly traçait tout un programme d’expansion nationale : « Pour remettre la navigation et ensuite fayre des conquestes et traficqs, que l’on exécutera dans les quatre parties du monde... 1° persuader un chacun de risquer sur mer et trouver fonds pour la navigation ; et pour cela, permettre à la noblesse le commerce de mer sans dérogation et anoblir les marchands qui s’y livrent ; 2° fonder une Compagnie où le Roi, les ministres, les princes du sang et grands seigneurs seront intéressés, chacun fournissant un navire qui portera son nom ; faire, par autorité du Roi, construire un navire, par chaque ville importante du royaume : y faire contribuer le clergé pour le cinquième de son revenu, « en considération du spirituel engagé en Afrique et Amérique » ; 3° créer de nouveaux revenus et en employer la moitié pour faire un fonds de 1 500 000 livres destiné à l’entretien de vingt bons navires et dix pataches, dont on fera trois escadres en Normandie, Bretagne et Guyenne... ; 4° avec cette flotte, faire expédition contre Sallé dans le Maroc ; employer le surplus à Terre-Neuve ou sur les côtes françaises ; favoriser le commerce d’Afrique, du Levant, de la mer Baltique, de l’Angleterre et Irlande ; faire le commerce de l’Asie et des Indes orientales par l’intermédiaire d’une puissante Compagnie, mais « sans y planter colonies »... au contraire, faire des colonies au Canada par les soins de la Compagnie du Morbihan, et surtout prendre le pays d’Eldorado (comprenant le Brésil, le Pérou et s’étendant jusqu’à la mer du sud) ; 5° établir des colonies, non par des marchands, « qui n’y sont pas propres », mais « par un homme de qualité et faveur qui aurait la libre disposition d’une bourse commune faite par des trésoriers-partisans ». (Mémoire du 26 novembre 1626, résumé par L. Deschamps).]

[Par bonheur, Isaac de Razilly avait l’oreille du Cardinal. Richelieu trouva en lui un conseiller singulièrement averti et le plus dévoué et loyal des collaborateurs. Ce dernier rédigea à son intention le Mémoire capital, déjà cité, que le premier ministre de Louis XIII devait commencer d’appliquer dans sa politique navale et coloniale. Ce Mémoire, il est probable, a dû servir à préparer la charte de la Compagnie de la Nouvelle-France. Razilly écrivit encore sur la demande du Cardinal, un Mémoire touchant la colonisation du Canada. (1631-1632). C’est dans ce pays, proprement comme gouverneur de la colonie acadienne, que le glorieux marin allait terminer sa vie].

Au lieu de construire des vaisseaux de guerre, manquant de matelots, de ruiner les finances pour les équiper, Richelieu commença par améliorer les ports de mer et encourager le commerce maritime. Il se fit donner, outre la fonction, [le titre de « grand maître, chef et surintendant général de la navigation et commerce de France »], avec la haute direction des colonies pour les encourager lui-même de toute son influence. Mais l’esprit bientôt absorbé par les révolutions que son génie faisait subir à l’Europe et par les luttes intestines de la monarchie, il ne put travailler assez constamment à poser les bases d’un système colonial propre à augmenter la puissance de la France, assez fort aussi pour se maintenir par lui-même. [Comme il s’en était expliqué devant l’Assemblée des notables, il confia] cette tâche à des compagnies spéciales et privilégiées, [au nombre de huit, auxquelles il n’accorda qu’une aide modérée, vu la pénurie du trésor.] Dès 1626 Richelieu concédait à [la Compagnie de Saint-Christophe, au capital de 45 000 livres] la première des Antilles où les Français aient eu un établissement. Il procéda de même à l’égard de la Nouvelle-France. Ainsi les colonies retombaient sous le monopole. Le gouvernement ne pouvant donner que de faibles secours, il fallait bien octroyer des avantages commerciaux aux compagnies qui se chargeaient de les peupler. C’était, au reste, « l’usage d’un temps où la navigation et le commerce n’avaient pas encore assez de vigueur pour être abandonnés à la liberté des particuliers ». [Il en fut ainsi des sociétés commerciales en Angleterre et en Hollande et aussi bien en Suède et au Danemark].

[Champlain était reparti pour Québec accompagné du P. Le Caron (24 avril 1626) sur la Sainte-Catherine de 250 tonneaux avec quatre navires tous sous les ordres d’un catholique, le vice-amiral Raymond de la Ralde, lequel remplaçait son beau-frère, le seigneur Guillaume De Caen ; Emery De Caen, neveu de celui-ci, commandait en second. Il y avait à bord trois Jésuites les PP. Noyrot et La Nouë et le F. Gaufestre qui amenaient une vingtaine d’ouvriers et de laboureurs. Du reste, les équipages se composaient pour les deux tiers de protestants].



Instruit de l’état du Canada par les plaintes de Champlain, Richelieu voulut créer une association assez puissante et maîtresse de capitaux assez considérables pour soutenir les dépenses de l’émigration et au besoin des dépenses de guerre. Mais comme le commerce était toujours ce qui attirait le plus ces entreprises, qu’en définitive l’intérêt personnel dominait tout autre intérêt, il tâcha d’élever les vues de la société, et il l’investit d’une autorité presque royale. En même temps, pour faire cesser les difficultés qui avaient si souvent troublé le pays, il résolut d’y établir un pouvoir unique. Personne plus que lui n’était convaincu de l’importance de l’unité de pouvoir et d’action. [Après avoir décidé le duc de Ventadour à se démettre,] il organisa donc la Compagnie de la Nouvelle-France ou Compagnie des Cent-Associés, [au capital de 300 000 livres,] et lui concéda en perpétuité « en toute propriété, justice et seigneurie » la Nouvelle-France et la Floride ; [c’est-à-dire le territoire qui s’étendait « ... Depuis la Floride... jusques au cercle Arctique... et depuis l’isle de Terre-Neufve jusques au grand lac dict Mer douce et au delà » (29 avril 1627). La Compagnie de Montmorency était supprimée]. Le roi se réserva la foi et hommage et la nomination des officiers de justice souveraine, et des commandants de places, lesquels devaient être présentés par la Compagnie et confirmés par le roi. [L’acte établissant la Compagnie de la Nouvelle-France reçut l’approbation du roi au camp de La Rochelle, le 6 mai 1628]. Ainsi le Canada passa de nouveau du régime royal à un régime commercial d’où allaient naître ces sociétés puissantes dites des Indes, qui ont brillé depuis, avec tant d’éclat, dans les deux mondes.

Bibliographie


Sources et ouvrages. Voyages de Samuel de Champlain, édition de l’abbé Laverdière, Québec, 1870, 6 vols ; mais surtout la grande édition avec traduction anglaise et des notes copieuses, dirigée par H. P. Biggar, Publication of the Champlain Society, Toronto, 1922-1935, 6 vols. – C. de La Roncière, Histoire de la marine française, tome IV, Paris, 1910. – Le P. C. de Rochemonteix, Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVIIe siècle, tome I, Paris, 1895. – N.-E. Dionne, Samuel Champlain, Québec, 1891-1906, 2 vols. – G. Gravier, Vie de Samuel Champlain, Paris, 1900. – Sur Richelieu on consultera encore : G. d’Avenel, Richelieu et la monarchie absolue, Paris, 1895, 4 vols. – G. Hanotaux, Histoire du cardinal de Richelieu, tome I, nouv. édit., Paris, 1899, tome II, 1896, continuée avec le duc de La Force, tomes III, IV, V, 1933-1937. – G. Pagès, La Monarchie d’Ancien régime en France, Paris, 1932. – G. Lacour-Gayet, La marine militaire de la France sous Louis XIII et Louis XIV, tome I, Paris, 1911. – A. Bailly, Richelieu, Paris, 1934. – L. Batiffol, Richelieu et le roi Louis XIII, Paris, 1934. – L. Deschamps, Histoire de la question coloniale en France, Paris, 1891. – Abbé A. Couillard-Després, Louis Hébert et sa famille, Paris, 1913.

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