Gorgias, ou sur la Rhétorique



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CALLICLÈS

Justement.

SOCRATE


Du moins quand on a soif ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Donc quand on souffre ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Aperçois tu maintenant ce qui résulte de là ? Tu dis qu’on ressent à la fois du plaisir et de la douleur, quand tu dis qu’on boit ayant soif. Est ce que cela ne se produit pas à la fois dans le même lieu et dans le même temps, soit dans l’âme, soit dans le corps, selon qu’il te plaira ; car cela n’importe en rien, à mon avis. Est ce exact ou non ?

CALLICLÈS

C’est exact.

SOCRATE


Cependant tu reconnais qu’il est impossible d’être à la fois heureux et malheureux.

CALLICLÈS

Je le reconnais en effet.

SOCRATE


D’autre part, tu es convenu qu’on pouvait être à la fois dans la peine et dans la joie ?

CALLICLÈS

Évidemment.

SOCRATE


Il s’ensuit que la joie n’est pas le bonheur, ni la peine le malheur, de sorte que l’agréable se révèle différent du bien.

CALLICLÈS



497a-497c Je ne saisis pas tes subtilités, Socrate.

SOCRATE


Tu les saisis fort bien : mais tu fais l’ignorant, Calliclès. Avançons encore un peu.

CALLICLÈS

Quelles sornettes as tu à dire ?

SOCRATE


Je veux te faire voir quel habile homme tu es, toi qui me fais des remontrances. Chacun de nous, du moment qu’il cesse d’avoir soif, ne cesse t il pas aussi de prendre plaisir à boire ?

CALLICLÈS

Je ne sais pas ce que tu veux dire.

GORGIAS


Ne parle pas ainsi, Calliclès. Réponds plutôt, ne fût ce que par égard pour nous, afin que notre discussion arrive à son terme.

CALLICLÈS

Mais Socrate est toujours le même : il vous pose un tas de petites questions insignifiantes jusqu’à ce qu’il vous ait réfuté.

GORGIAS


Que t’importe ? En tout cas, tu n’as pas à les apprécier. Laisse Socrate argumenter comme il lui plaît.

CALLICLÈS

Alors fais tes menues et mesquines questions, puisque tel est l’avis de Gorgias.

SOCRATE


LII. — Tu es bien heureux, Calliclès, d’avoir été initié aux grands mystères avant de l’être aux petits 1. Je ne croyais pas que cela fût permis. Reprenons donc la dis­cussion où tu l’as laissée et dis moi si chacun de nous ne cesse pas en même temps d’avoir soif et de sentir du plaisir.

CALLICLÈS

Je l’avoue.

SOCRATE


De même pour la faim et les autres appétits, ne cesse t il pas en même temps de sentir le désir et le plaisir ?

CALLICLÈS

C’est vrai.

SOCRATE


497c-498a Ne cesse t il pas aussi en même temps de sentir la peine et le plaisir ?

CALLICLÈS

Si.

SOCRATE


C’est le contraire pour les biens et les maux : ils ne cessent pas en même temps. Tu l’as reconnu toi-même ; le reconnais tu encore à présent ?

CALLICLÈS

Oui, et après ?

SOCRATE


C’est la preuve, mon ami, que le bien n’est pas la même chose que l’agréable, ni le mal que la douleur, puisque des uns, on est débarrassé en même temps, des autres non, car ils sont distincts. Dès lors comment l’agréable serait il identique au bien et la douleur au mal ?

Mais, si tu veux, considère encore la question de ce biais ; car je crois bien que, même après la preuve que je viens d’en donner, tu ne te rends pas à mon opinion. Vois donc : les bons, selon toi, ne sont ils pas bons par la présence du bien, de même que les beaux, par la pré­sence de la beauté ?

CALLICLÈS

Si.


SOCRATE

Mais sont ce les insensés et les lâches que tu appelles bons ? Ce n’étaient pas ceux là tout à l’heure, mais les hommes courageux et intelligents que tu qualifiais de bons. N’est ce pas ceux ci que tu appelles bons ?

CALLICLÈS

Certainement.

SOCRATE

Et maintenant, n’as tu jamais vu un enfant sans raison éprouver de la joie ?



CALLICLÈS

Si.


SOCRATE

Et n’as tu pas encore vu d’homme déraisonnable qui fût joyeux ?

CALLICLÈS

Je crois bien que si ; mais à quoi tend cette question ?

SOCRATE

A rien. Réponds seulement.



CALLICLÈS

498a-498b J’en ai vu.

SOCRATE


Ou, au contraire, un homme sensé dans la tristesse et dans la joie ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Mais lesquels ressentent plus vivement la joie et la douleur, des sages ou des insensés ?

CALLICLÈS

Je crois qu’ils ne diffèrent pas beaucoup en cela.

SOCRATE


Cela me suffit. Et à la guerre as tu déjà vu un lâche ?

CALLICLÈS

Sans doute.

SOCRATE


Eh bien, quand les ennemis se retiraient, lesquels t’ont paru les plus joyeux, les lâches ou les braves ?

CALLICLÈS

Les uns autant que les autres, ou à peu de chose près.

SOCRATE


La différence n’importe pas ; ce que je retiens, c’est que les lâches aussi se réjouissent.

CALLICLÈS

Oui, fortement.

SOCRATE


Et les insensés aussi, à ce qu’il semble.

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Et quand l’ennemi avance, les lâches en sont ils péni­blement affectés, ou les braves le sont ils aussi ?

CALLICLÈS

Ils le sont tous.

SOCRATE


Également ?

CALLICLÈS

Les lâches le sont peut être davantage.

SOCRATE


Et quand l’ennemi se retire, ne sont ils pas plus joyeux ?

CALLICLÈS



498b-498d Peut être.

SOCRATE


Ainsi donc les insensés et les sages, les lâches et les braves ressentent la douleur et la joie, à peu près égale­ment, à ce que tu dis, et les lâches plus que les braves ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Mais les sages et les braves sont bons, les lâches et les insensés, méchants ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Ainsi donc les bons et les méchants ressentent la joie et la douleur à peu près également ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Alors les bons et les méchants sont ils également bons et méchants, et les méchants sont ils même meilleurs que les bons ?

CALLICLÈS

LIII. — Par Zeus, je ne sais pas ce que tu veux dire.

SOCRATE


Tu ne sais pas que tu as dit que les bons sont bons par la présence du bien, et les méchants, méchants par la présence du mal, et que les biens, ce sont les plaisirs, et les maux, les chagrins ?

CALLICLÈS

Si.

SOCRATE


Ainsi ceux qui ressentent de la joie ont en eux le bien ou plaisir, puisqu’ils sont en joie ?

CALLICLÈS

Sans aucun doute.

SOCRATE


Or, si le bien est présent en eux, ne rend il pas bons ceux qui éprouvent de la joie ?

CALLICLÈS

Si.

SOCRATE


Et ceux qui sont dans le chagrin n’ont ils pas en eux des maux, des chagrins ?

CALLICLÈS



498d-499a Assurément.

SOCRATE


Or c’est, dis tu, par la présence du mal que les méchants sont méchants. Maintiens tu ton affirmation ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


En conséquence ceux qui sont dans la joie sont bons, et ceux qui sont dans le chagrin, mauvais ?

CALLICLÈS

Certainement.

SOCRATE


Et ils le sont davantage, si ces sentiments sont plus vifs ; moins, s’ils sont plus faibles ; également, s’ils sont égaux ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Or tu dis que la joie et la douleur sont à peu près égales chez les sages et les insensés, chez les lâches et les braves, ou même plus vives chez les lâches ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Maintenant résume de concert avec moi ce qui résulte de ces aveux ; car il est beau, dit on, de répéter et de considérer deux ou trois fois les belles choses. Nous disons donc que le sage et le brave sont bons, n’est ce pas ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Et mauvais, l’insensé et le lâche ?

CALLICLÈS

Sans doute.

SOCRATE


Et d’autre part que celui qui ressent de la joie est bon ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Et mauvais celui qui ressent de la douleur ?

CALLICLÈS

Nécessairement.

SOCRATE


499a-499d Enfin que le bon et le méchant ont les mêmes douleurs et les mêmes joies, mais que peut être le méchant en a davantage ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Ainsi donc le méchant serait aussi méchant et bon que le bon, et même meilleur. Cette conclusion, comme les précédentes, n’est elle pas forcée, si l’on soutient que l’agréable et le bon sont la même chose ? Ne sont ce pas des conséquences inéluctables, Calliclès ?

CALLICLÈS

LIV. — Voilà bien longtemps que je t’écoute, Socrate, et que j’acquiesce à tes propositions, en me disant que, si l’on s’amuse à te faire la moindre concession, tu la saisis avec une joie d’enfant. Crois tu donc que je ne juge pas, comme tout le monde, certains plaisirs comme meilleurs, certains autres comme plus mauvais ?

SOCRATE


Oh ! oh ! Calliclès, que tu es artificieux ! Tu me traites en enfant : tu me dis tantôt que les choses sont d’une façon, tantôt d’une autre et tu cherches à me tromper. Je ne croyais pourtant pas au commencement que tu voudrais me tromper, car je te considérais comme un ami. Je suis déçu et je crois que je n’ai plus qu’à me contenter de ce que j’ai, comme dit le vieux proverbe, et à prendre ce que tu me donnes. Or ce que tu affirmes à présent, ce semble, c’est qu’il y a différents plaisirs, les uns bons, les autres mauvais, n’est ce pas ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Les bons sont ceux qui sont utiles et les mauvais ceux qui sont nuisibles ?

CALLICLÈS

Certainement.

SOCRATE


Mais les utiles sont ceux qui procurent quelque bien, et les nuisibles ceux qui font du mal ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Maintenant veux tu parler de plaisirs comme les plaisirs corporels dont il était question tout à l’heure et qui consistent à manger et à boire ? Parmi ces plaisirs, 499d-500b ne tiens tu pas pour bons ceux qui procurent au corps la santé, la force ou toute autre qualité physique, et pour mauvais ceux qui produisent les effets contraires ?

CALLICLÈS

Certainement.

SOCRATE


N’en est il pas de même des souffrances, les unes étant bonnes, les autres mauvaises ?

CALLICLÈS

Naturellement.

SOCRATE


Ne sont ce pas les bons plaisirs et les bonnes souffrances qu’il faut préférer dans toutes nos actions ?

CALLICLÈS

Assurément.

SOCRATE


Mais non les mauvais ?

CALLICLÈS

Évidemment.

SOCRATE


Et en effet, si tu t’en souviens, nous avons reconnu, Polos et moi, que c’est sur le bien qu’il faut régler toute notre conduite. Es tu, toi aussi, de notre avis, que le bien doit être la fin de toutes nos actions et qu’il faut tout faire en vue du bien, et non le bien en vue du reste ? Donnes tu ton suffrage en tiers avec le nôtre ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


Ainsi il faut tout faire, même l’agréable, en vue du bien, et non le bien en vue de l’agréable ?

CALLICLÈS

Certainement.

SOCRATE


Mais appartient il au premier venu de discerner parmi les choses agréables quelles sont les bonnes et quelles sont les mauvaises, ou bien est ce le fait d’un homme expert en chaque genre ?

CALLICLÈS

C’est le fait d’un expert.

SOCRATE


@ LV. — Rappelons nous maintenant ce que je disais à Polos et à Gorgias. Je disais, en effet, si tu t’en souviens, 500b-501a qu’il y a certaines industries qui ne visent qu’au plaisir, ne procurent que lui et ignorent le meilleur et le pire, tandis que d’autres connaissent le bien et le mal, et je rangeais parmi celles qui ont pour objet le plaisir la cuisine, qui est une routine et non un art, et parmi celles qui ont le bien pour objet, l’art de la médecine. Au nom du dieu de l’amitié, Calliclès, ne crois pas qu’il te faille jouer avec moi et ne me réponds pas n’importe quoi contre ta pensée et ne prends pas non plus ce que je dirai pour un badinage. Tu vois, en effet, que la matière que nous dis­cutons est la plus sérieuse qui puisse occuper un homme même d’intelligence médiocre, puisqu’il s’agit de savoir de quelle manière il faut vivre, s’il faut adopter le genre de vie auquel tu me convies et agir en homme, en parlant devant le peuple, en s’exerçant à la rhétorique et en pra­tiquant la politique comme vous le faites, vous autres, aujourd’hui, ou s’il faut s’adonner à la philosophie et en quoi ce genre de vie diffère du précédent. Peut être le meilleur parti à prendre est il ce que j’ai essayé de faire tout à l’heure, de les distinguer, et après les avoir distingués et avoir reconnu entre nous que ces deux genres de vie sont différents, d’examiner en quoi ils diffèrent l’un de l’autre et lequel des deux il faut embrasser. Peut être ne saisis tu pas encore ce que je veux dire.

CALLICLÈS

Non, ma foi.

SOCRATE


Eh bien, je vais m’expliquer plus clairement. Puisque nous sommes tombés d’accord, toi et moi, qu’il existe du bon et de l’agréable et que l’agréable est autre que le bon ; que, d’autre part, pour se procurer chacun d’eux, il y a une sorte d’exercice et de préparation, qui vise, l’une à l’agréable, l’autre au bon... Mais, sur ce point même, dis moi d’abord si, oui ou non, tu es d’accord avec moi. L’es tu ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


LVI. — Maintenant accorde moi aussi ce que je disais à Gorgias et à Polos, s’il te paraît que j’aie dit alors la vérité. Je leur disais à peu près ceci, que la cuisine ne me paraissait pas être un art, mais une routine, que la médecine, au contraire, est un art. Je me fondais sur ce que la médecine, quand elle soigne un malade, ne le fait que lorsqu’elle a étudié sa nature, qu’elle connaît les causes de ce qu’elle fait et peut rendre raison de chacune de ces deux choses, que telle est la médecine, au lieu que l’autre, appliquée tout entière au plaisir, marche à son but absolument sans art, sans avoir examiné ni 501a-501e la nature ni la cause du plaisir, véritable aveugle qui ne distingue, pour ainsi dire, rien nettement et qui conserve seulement par la pratique et la routine le souvenir de ce qu’on fait d’habitude, et procure le plaisir par ce moyen.

Considère donc, d’abord si cela te paraît exact et s’il n’y a pas aussi certaines autres professions du même genre qui se rapportent à l’âme, les unes relevant de l’art et soucieuses de pourvoir au plus grand bien de l’âme, les autres indifférents à son bien et ne considérant, comme je le disais de la cuisine, que le plaisir de l’âme et le moyen de le lui procurer. Quant à distinguer parmi les plaisirs les meilleurs et les pires, elles n’y prêtent aucune attention et n’ont d’autre souci que de faire plaisir, indifférentes au bien et au mal. Pour moi, Calliclès, je pense qu’il existe de telles professions et j’affirme que leur fait n’est que flatterie, qu’il s’agisse du corps ou de l’âme ou de tout autre objet auquel on veut ménager du plaisir, sans considérer si c’est à son avantage ou à son détriment. Mais toi, partages tu notre opinion là dessus, ou es tu d’avis contraire ?

CALLICLÈS

Non, je te passe ce point, pour que tu puisses mener la discussion à terme et pour complaire à Gorgias.

SOCRATE

Cette flatterie s’exerce t elle à l’égard d’une seule âme, et non à l’égard de deux ou plusieurs ?



CALLICLÈS

Elle s’exerce à l’égard de deux ou plusieurs.

SOCRATE

Ainsi l’on peut chercher à complaire à une foule d’âmes à la fois, sans s’inquiéter de leur véritable intérêt ?



CALLICLÈS

Je le crois.

SOCRATE

LVII. — Maintenant veux tu me dire quelles sont les professions qui produisent cet effet, ou plutôt, si tu veux bien, je vais t’interroger, et quand une pro­fession te paraîtra rentrer dans cette catégorie, tu diras oui ; autrement, tu diras non. Commençons par celle du joueur de flûte 1. Ne te semble t il pas, Calliclès, que c’est une de ces professions qui ne visent qu’à notre plaisir, sans se soucier d’aucune autre chose ?



CALLICLÈS

Je le crois.

SOCRATE

N’en est il pas de même de toutes celles du même 501e-502c genre, par exemple de celle du joueur de cithare dans les concours 2 ?



CALLICLÈS

Si.


SOCRATE

Et l’instruction des chœurs et la composition des dithyrambes ? N’est il pas manifeste pour toi qu’elles sont aussi de ce genre ? Ou crois tu que Kinésias 1, fils de Mélès, songe à dire quoi que ce soit qui puisse améliorer ceux qui l’entendent, ou uniquement ce qui doit faire plaisir à la foule des spectateurs ?

CALLICLÈS

C’est évident, Socrate, en ce qui regarde Kinésias.

SOCRATE

Et son père, Mélès, quand il chantait en s’accompa­gnant de la cithare, crois tu qu’il avait en vue le bien ? Avait il même le souci de contenter les spectateurs, lui qui les assommait par son chant ? Mais songes y ; ne te semble t il pas que toute la poésie citharédique et dithy­rambique ait été inventée en vue du plaisir ?



CALLICLÈS

Si.


SOCRATE

Et cet auguste et merveilleux poème qu’est la tragédie, quel est son dessein ? Que veut il et à quoi s’applique t il ? Est ce uniquement à plaire aux spectateurs, comme je le crois ; ou bien, s’il se présente une idée agréable et flatteuse pour les spectateurs, mais mauvaise, prend il à cœur de la taire et de déclamer et de chanter au contraire l’idée qui est désagréable, mais utile, que cela plaise ou non ? De ces deux dispositions, quelle est, crois tu, celle de la tragédie ?

CALLICLÈS

Il est clair, Socrate, qu’elle tend plutôt à plaire et à flatter le public.

SOCRATE

Or n’avons nous pas dit tout à l’heure, Calliclès, que tout cela n’était que de la flatterie ?



CALLICLÈS

Assurément.

SOCRATE

Mais si l’on ôtait de quelque poésie que ce soit la mélodie, le rythme et le mètre, resterait il autre chose que des discours ?



CALLICLÈS

Non, certainement.

SOCRATE

502c-503b Or ces discours s’adressent à la multitude et au peuple ?

CALLICLÈS

Oui.

SOCRATE


La poésie est donc une sorte de discours au peuple ?

CALLICLÈS

Il y a apparence.

SOCRATE


Donc un discours d’orateur. Ou bien les poètes ne te semblent ils pas faire acte d’orateur dans les théâtres ?

CALLICLÈS

Si.

SOCRATE


Nous venons donc de trouver une sorte de rhétorique à l’usage d’un peuple formé d’enfants, de femmes et d’hommes, d’esclaves et d’hommes libres confondus ensemble, rhétorique que nous apprécions peu, puisque nous la tenons pour une flatterie.

CALLICLÈS

Assurément.

SOCRATE


LVIII. — Bon. Mais la rhétorique qui s’adresse au peuple d’Athènes et à celui des autres États, c’est à dire à des hommes libres, quelle idée faut il en prendre ? Te paraît il que les orateurs parlent toujours en vue du plus grand bien et se proposent pour but de rendre par leurs discours les citoyens aussi vertueux que possible, ou crois tu que, cherchant à plaire aux citoyens et négli­geant l’intérêt public pour s’occuper de leur intérêt personnel, ils se conduisent avec les peuples comme avec des enfants, essayant seulement de leur plaire, sans s’in­quiéter aucunement si par ces procédés ils les rendent meilleurs ou pires ?

CALLICLÈS

Cette question n’est plus aussi simple. Il y a des orateurs qui parlent dans l’intérêt des citoyens ; il y en a d’autres qui sont tels que tu dis.

SOCRATE


Il suffit. S’il y a deux manières de parler au peuple, l’une des deux est une flatterie et une déclamation hon­teuse ; l’autre est l’honnête, j’entends celle qui travaille à rendre les âmes des citoyens les meilleures possible, qui s’applique à dire toujours le meilleur, que cela plaise ou déplaise à l’auditoire. Mais tu n’as jamais vu de 503b-504a rhétorique semblable, ou, si tu peux citer quelque orateur de ce caractère, hâte toi de le nommer.

CALLICLÈS

Non, par Zeus, je ne peux t’en nommer aucun, du moins parmi les orateurs d’aujourd’hui.

SOCRATE


Et parmi les anciens peux tu en citer un grâce auquel, dès qu’il a commencé à les haranguer, les Athéniens soient devenus meilleurs, de moins bons qu’ils étaient auparavant ? Pour moi, je ne vois pas quel est celui-là.

CALLICLÈS

Comment ? N’as tu pas entendu dire que Thémis­tocle était un homme de mérite, ainsi que Cimon, Mil­tiade et ce Périclès qui est mort récemment et que tu as entendu toi-même ?

SOCRATE


S’il est vrai, Calliclès, comme tu l’as affirmé précé­demment, que la véritable vertu consiste à contenter ses propres passions et celles des autres, je n’ai rien à t’objecter. Mais s’il n’en est pas ainsi et si nous avons été contraints d’avouer par la suite qu’il faut satisfaire ceux de nos désirs qui, réalisés, rendent l’homme meilleur, mais non ceux qui le rendent pire, et que c’est là un art, peux tu soutenir qu’aucun de ces orateurs ait rempli ces conditions ?

CALLICLÈS

Je ne sais trop que te répondre.

SOCRATE


LIX. — Cherche bien et tu trouveras. Allons, exami­nons comme ceci, tranquillement, si quelqu’un d’eux les a remplies. Voyons, l’homme vertueux qui dans tous ses discours a le plus grand bien en vue ne parlera pas au hasard, n’est ce pas ? mais avec dessein. Il fera comme tous les autres artisans qui, considérant chacun ce qu’ils veulent faire, ne ramassent pas au hasard les matériaux qu’ils emploient pour leur ouvrage, mais les choisissent de manière à lui donner une forme particulière. Par exemple, jette les yeux sur les peintres, les architectes, les constructeurs de vaisseaux et sur tel autre ouvrier qu’il te plaira, tu verras comment chacun d’eux place en ordre ses matériaux et force chacun à s’ajuster et à s’harmoniser au voisin, jusqu’à ce qu’il ait composé un tout bien arrangé et bien ordonné. Il en est ainsi de tous les artisans et en particulier de ceux que nous avons mentionnés tout à l’heure, qui s’occupent du corps, je veux dire les maîtres de gymnastique et les médecins : Ils ordonnent et règlent le corps. Sommes nous d’accord sur ce point, ou non ?

CALLICLÈS

Soit, si tu veux.

SOCRATE


Donc si la régularité et l’ordre règnent dans une maison elle est bonne ; si c’est le désordre, elle est mauvaise.

CALLICLÈS

J’en conviens.

SOCRATE


N’en est il pas de même d’un vaisseau ?

CALLICLÈS

Si.

SOCRATE


N’en disons nous pas autant de nos corps ?

CALLICLÈS

Certainement.

SOCRATE


Et notre âme ? Sera t elle bonne si elle est déréglée, ou si elle est réglée et ordonnée ?

CALLICLÈS

D’après ce que nous avons dit précédemment, c’est la deuxième hypothèse qui s’impose.

SOCRATE


Et dans le corps, quel nom faut il donner à l’effet que produisent la règle et l’ordre ?

CALLICLÈS

Tu veux parler sans doute de la santé et de la force ?

SOCRATE


Oui. Et à l’effet que la règle et l’ordre produisent dans l’âme, quel nom lui donnerons nous ? Essaye de le trouver et dis le moi, comme tu l’as fait pour le corps.

CALLICLÈS

Pourquoi ne le dis tu pas toi-même, Socrate ?

SOCRATE


Je le dirai, si tu le préfères. De ton côté, si tu approuves ce que je vais dire, conviens en ; sinon, réfute moi et arrête moi. Pour moi, il me paraît que le nom de sain convient à l’ordre qui règne dans le corps et que de là vient la santé, ainsi que toutes les autres qualités phy­siques. Est ce exact, ou non ?

CALLICLÈS


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