Lucie-Marie magnan, Christian morin, 100 pièces du théâtre québécois qu’il faut lire et voir, Québec, 2002



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La tragédie, genre élevé, noble, est plus lente à se constituer. Comme la comédie, elle vise la problématique nationale, jugée à l’époque comme noyau des valeurs identitaires. La toute première tragédie canadienne française a été créée pour une représentation scolaire au collège de Nicolet par un jeune étudiant Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882) : Le Jeune Latour (1844) est un bon exemple de la tragédie historique. L’intrigue paraît hautement symbolique: défenseur d’un fort isolé, le dernier qui résiste encore aux Anglais, le jeune commandant Latour est sommé par son père, passé à la solde des Anglais, de se rendre et de prêter allégeance au roi d’Angleterre. Le refus du fils est digne des héros cornéliens. Derrière l’intrigue, il y a tout un procès générationnel, celui des fils accusant leurs pères de lâcheté et de trahison. La thématique du rapport entre les fils et les pères connaîtra elle aussi une grande fortune par la suite, liée ou non à la problématique franco-anglaise.



Analyse : Antoine Gérin-Lajoie, Le jeune Latour.

Commentaire : Caractérisez les points saillants de la rhétorique baroquisante. Comment soutient-elle la théâtralité? Dans quel but? Avec quels effets? En quoi consiste la conflictualité psychologique du protagoniste?

La relation entre le fils et le père reflète les événements de la « rébellion » des Patriotes renseignez-vous). L’image du père que Gérin-Lajoie propose deviendra une des composantes de l’imaginaire québécois. Caractérisez cette image et justifiez-en les traits.

Comparez le rôle dévolu aux Amérindiens à celui de la pièce de Lescarbot. Y a-t-il un changement?
La première moitié du 19e siècle voit donc se constituer les éléments du théâtre canadien français tant sur le plan institutionnel – troupes d’amateurs, théâtres – que sur le plan de la production dramatique. Certains ouvrages – L’Anglomanie ou Le jeune Latour -deviennent une référence du canon littéraire.

V.-VI. Constitution du théâtre canadien français (1867-1930)
Le théâtre francophone se développe tout au long du 19e siècle à l’ombre du théâtre anglophone. Entre 1765 et 1858 on répertorie 225 soirées de théâtre francophone, contre 1450 anglophones. Il ne s’agira pas, pendant longtemps, d’une production très originale. Toujours est-il qu’elle est loin d’être négligeable. En 1933 Georges Bellerive dénombrera dans son répertoire d’auteurs dramatiques anciens et contemporains 95 auteurs dramatiques masculins, 17 féminins et 22 auteurs d’opéras ou d’opérette. Le chiffre   qu’il convient de rapporter à une population de 2-4 millions d’habitants et à la toute dernière cinquantaine d’années au sein de la période écoulée des trois siècles   est assez éloquent. Il montre l’ampleur du phénomène.

Or, en 1967, Jean-Guy Sabourin constate déjà: « Vingt-sept compagnies permanentes, une centaine de boîtes à chansons, une cinquantaine de centres d’art répartis à travers le Québec, 300.000 spectateurs, voilà la vie des arts du spectacle au Québec. Plus de quatre-vingt-dix pour cent des spectateurs sur scène sont donnés en langue française. »9 Avant d’en arriver là, le théâtre canadien français avait connu la belle aventure de sa lente formation institutionnelle.



Institution théâtrale

Formation des scènes professionnelles 1825-1930

La formation institutionnelle du théâtre canadien français est étroitement liée à celle du théâtre canadien en général, avec comme foyer principal la ville de Montréal, ville commerciale, à la fois francophone par la majorité de sa population (2/3), mais dominée par les élites marchandes anglophones.

C’est pour dépiter les Québécois de Québec, qui déniaient aux Montréalais toute sensibilité aux choses de l’esprit, que John Molson, homme d’affaires et homme politique, fonde et inaugure, le 21 novembre 1825 son Théâtre Royal (Royal Theatre, voir ci-dessus) au Marché Bonsecours. Il s’agissait, chronologiquement, de la 6e salle de spectacles dramatiques créée à Montréal et qui allait enfin avoir, à la différence des précédentes, une longue durée. Le Théâtre Royal est en fait le premier véritable théâtre digne de ce nom. Reconstruit après le grand incendie qui a ravagé Montréal en 1852, il fournira 1.500 places aux spectateurs. La construction des théâtres, on le voit, est au Canada, à cette période, une entreprise privée, sans le financement de la ville ou de l’État.

D’autres théâtres suivent qui s’établissent dans la nouvelle zone commerciale le long de la rue Sainte-Catherine: Dominion (1870), Académie de Musique (Academy of Music; 1874, 2000 places, financée par Hugh Allan), Her Majesty’s Theatre (Théâtre de sa Majesté, 1898), Albert Hall (1880), Monument National (scène française, ouverte en 1893), Théâtre des Variétés (français; 1898), Théâtre National (français; 1900), Théâtre Canadien (français; 1911). Parmi les scènes canadiennes françaises le Monument National assume une fonction particulière. Fondé par la Société Saint-Jean-Baptiste comme centre culturel des Canadiens Français, il devient aussi le centre de formation de la nouvelle génération d’acteurs professionnels. En dehors de Montréal, Québec dispose du Théâtre Jacques-Cartier, nouvellement reconstruit (1874) et concurrencé par l’Académie de musique et Victoria Hall. À Ottawa le Grand Opera House (1873) offre des spectacles en français, aussi bien que la salle de l’Institut Canadien-Français avec ses mille places.


Gestion

Le Théâtre Royal, ainsi que toutes les autres scènes pra­tiquent dès le début le système de gestion utilisé à l’époque par tous les théâtres permanents nord-américains: celui de l’actor-manager, personnage qui assumait à la fois la fonction de directeur administratif et artistique et de vedette de la troupe locale. Il assumait, également, la fonction du metteur en scène (cette dernière spécalisation ne s’est formée en Europe qu’à la fin du 19e siècle). Le système de production reposait sur la spécialité des interprètes, chacun devant connaître une cin­quantaines de rôles, toujours dans le même registre (jeune pre­mier, jeune première, vilain, coquette, etc.). L’actor-manager choisissait une pièce que chacun étudiait chez lui individuelle­ment et qu’on ne répétait ensemble qu’une fois à la répétition générale avant le spectacle. La personnalité de l’actor-manager était souvent décisive pour le succès du théâtre. La réussite du Théâtre Royal était due en grande partie, justement à la qualité de son actor-manager Frederick Brown.

La pratique de l’actor-manager a été progressivement remplacée par les troupes itinérantes. Dès 1860, le développement des chemins de fer aidant, le Canada se voit intégré dans les circuits des grandes compagnies théâtrales états-uniennes, newyorkaises. Le théâtre devient l’objet d’une exploitation commerciale systématique: les grands succès de Broadway, dès que la critique est un peu élogieuse, sont confiées à cinq ou six troupes affublées du même nom et des mêmes épithètes publicitaires que l’originale et envoyées en tournée à travers le continent de sorte que dans les coins les plus reculés de l’Amérique les spectateurs sont maintenus dans l’illusion d’assister au spectacle de la triomphante troupe newyorkaise. Le désavantage pour le Québec est certain: ces troupes ignoraient le français, alors que le public, dans les théâtres anglophones, était en bonne partie francophone.

Dès 1890, un autre phénomène de monopole apparaît: le Trust (ou Syndicate; fondé, juridiquement, en 1896 seulement) réunissant de puissants producteurs. Ces derniers veulent avant tout, à l’origine, mieux organiser l’industrie du spectacle, jusque-là pénalisée par la pratique des contracts multiples, utilisés et par les troupes et par les directeurs des théâtres provinciaux, tous les deux craignant le manque de revenus. Ainsi, une troupe s’engageait pour plusieurs scènes pour la même date tout en sachant qu’un seul engagement pourrait être honoré. Les directeurs, de leur côté, faisaient de même.

Le Trust a mis fin à cette pratique de stock system en instaurant un système rationalisé de tournées contractées à partir d’un plan central, le soi-disant travelling combination system. À commencer par 1892, les théâtres de l’Ontario et du Québec passent sous le contrôle du Trust newyorkais. La situation présentait des avantages, pour les Québécois, mais surtout pour les Montréalais. Le Trust assurait la régularité des spectacles   un nouveau chaque semaine - tout en mettant Montréal sur la route des grandes tournées. Montréal vivait à l’heure newyor­kaise, les théâtres se modernisaient (éclairage électrique). De plus, le Trust, au début, organisait aussi les tournées des vedettes françaises.

Le changement intervient au moment de la réorganisation du système des tournées en 1896 qui sont rentabilisées par la division en trois circuits parallèles: un circuit populaire (farces, mélodrammes), un circuit intermédiaire (drames romantiques, comédies, comédies musicales), un circuit supérieur (drames et comédies classiques et romantiques, opéras, tragédies). Pour des raisons strictement financières, le Trust décrète que Montréal ne sera pas inscrit sur la liste du circuit supérieur. Cette insulte grave à la bourgeoisie montréalaise provoque une réaction des Canadiens Anglais qui veulent désormais se détacher des Américains en cherchant le soutien des Anglais d’Europe et de Londres. Avec l’appui des autorités, un nouveau théâtre prestigieux est construit - Her Majesty’s Theater (1898; 2000 places) et le maire Préfontaine salue chaleureusement l’inauguration de ce First Class Theater. Même si la tentative de se détacher de l’influence américaine se solde, à la fin, par un échec, elle a néanmoins stimulé le développement des activités théâtrales au Canada. Elle a aussi tourné l’attention des directeurs de théâtre vers les potentialités d’un public jusqu’ici plutôt négligé, le public francophone, qui représentait, au Québec, et à Montréal, une source de revenus de plus en plus importants.



« Nationalisation » et démocratisation du théâtre

Il serait faux de croire que les Canadiens Français de Montréal et de Québec ait boudé les scènes anglophones. Néanmoins ils désirent aussi avoir un théâtre à eux. La création d’un théâtre national se confond de plus en plus avec le sentiment national et identitaire. Des appels et des manifestes se multiplient tout au long du 19e siècle. De temps à autre, une scène s’ouvre, hélas, éphémère.

Les directeurs des théâtres locaux, tous anglophones, en étaient conscients: ils ont déployé, souvent, des efforts louables pour satisfaire leur concitoyens francophones en mettant leurs équipements à la disposition des troupes francophones, itinérantes ou amateures, et en cherchant à attirer des acteurs français qui effectuaient des tournées aux États-Unis. Malgré cela, l’activité théâtrale francophone - amateure et professionnelle - demeurait marginale, représentant, jusqu’en 1880, moins de 5% de l’ensemble de l’activité théâtrale locale, et cela au Québec francophone où la plus grande ville anglophone   Montréal   comptait 2/3 de la population francophone.

La situation change entre 1880 et 1900 sous l’influence des pressions économiques accrues (voir la naissance du Trust) et de la concurrence qui font du public français, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, l’enjeu de la nouvelle stratégie commerciale. Parallèlement, le théâtre se démocratise ce qui est d’autant plus voyant à Montréal qui voit affluer de nouvelles masses ouvrières, francophones, d’où bientôt une nouvelle classe - celle de la bourgeoisie modeste - se dégage.

Trois grands facteurs interviennent au profit du théâtre francophone: les productions nationales de Louis-Honoré Fréchette à l’Académie de Musique de Montréal, la première visite de Sarah Bernhardt et l’avènement du vaudeville américain.

La réprésentation du drame patriotique de Louis-Honoré Fréchette Papineau a eu lieu le 11 juin 1880. Le lendemain, en première également, cela a été le tour du Retour de l’exilé. Les deux pièces ont ensuite alterné devant la salle comble de l’Académie de Musique, alors la plus grande du Canada, pendant une semaine entière. Les deux pièces, interprétées par des amateurs de Montréal ont montré la force de la thématique nationale et ont ravivé le sentiment de l’affirmation identitaire en représentant des éléments clés de l’histoire canadienne française: Louis-Joseph Papineau, le héros national de 1837, ainsi que les combats des patriotes à Saint-Denis. La qualité des textes de Fréchette est souvent contestée, mais la mise en scène dramatique et réaliste, dans la meilleure tradition du théâtre de Broadway   avec les patriotes attaquant avec conviction face aux spectateurs dans la salle   coupait le souffle au public enthousiaste.

Le mois de décembre de la même année (1880) a été marqué par la première venue, en tournée, de Sarah Bernhardt. Les motifs des tournées américaines de la grande actrice étaient avant tout pécuniaires et un prétendu patriotisme français n’y jouait aucun rôle. Sur la liste des villes à visiter, Montréal se trouvait généralement programmé de façon à boucher les trous entre les étapes aux États-Unis. C’est vrai en particulier pour les tout premiers voyages. Pourtant Sarah Bernhardt a toujours fait salle comble. Ses retours répétés au Québec, avec un séjour ne dépassant jamais une semaine (décembre 1880, avril 1891, février 1896, novembre 1905, janvier 1911, juin 1911, octobre 1916, mars 1917), ont eu des conséquences multiples. C’était tout d’abord un encouragement des sentiments nationalistes du public canadien français. Les multiples témoignages d’affection et de reconnaissance que Sarah Bernhardt a reçus sur scène et dans la rue montrent la dimension hautement symbolique, voire politique, de sa présence.

Mais les visites répétées de Sarah Bernhardt ont eu encore le mérite de servir d’exemple à d’autres vedettes parisiennes qui lui ont emboîté le pas: Coquelin l’aîné, Mounet-Sully, Segond-Weber, Jane Hading. Cette présence des acteurs européens et parisiens s’est répercutée sur la qualité des spectacles, mais elle a aussi encouragé la vocation dramatique et théâtrale des futurs grands acteurs québécois comme la Montréalaise Blanche de la Sablonnière (Angéline Lussier).

Sarah Bernhardt a eu aussi le mérite de secouer les esprits et de braver les circonstances et conditions de la vie coloniale et nord-américaine. Sa toute première pièce Adrienne Lecouvreur (auteurs : Eugène Scribe et Ernest Legouvé), jouée à Montréal en pleine période de l’Avent (1890), a été jugée immorale par les autorités ecclésiastiques de Montréal et de Québec. Le succès de l’actrice a posé des limites à l’influence de l’Église. La tournée de 1905 a ébranlé une autre institution, à savoir le tout puissant Trust newyorkais, car brouillée avec le Trust qui lui avait fermé tous ses théâtres, l’actrice fran­çaise a effectué toute sa tournée américaine sous le chapiteau de cirque loué aux frères Ringling. À San Francisco, elle a eu en plus l’excellente idée de verser tous ses profits aux victimes du récent tremblement de terre. C’était suffisant pour déclencher dans la presse américaine une campagne de dénigrement du Trust, tandis qu’on chantait les vertus de la vedette parisienne. Sarah Bernhardt a ainsi contribué à ébranler le pouvoir dominant du Trust, à seconder les efforts des « indépendants » et à diversifier la vie théâtrale nord-américaine.

Celle-ci a connu, dès 1881, un phénomène nouveau: l’appari­tion à New York du vaudeville américain. Son inventeur   Tony Pastor - a compris qu’il y avait tout intérêt à tirer de l’adapta­tion, pour les conditions nouvelles, des « Variety Shows », répan­dues à travers les États-Unis au 19e siècle. Il s’agissait des spectacles donnés dans des salles attenantes aux débits de boissons. Les représentations étaient constituées d’une succes­sion de numéros hétéroclites, d’esprit grossier, chauvin, passablement raciste - à la convenance du public exclusivement masculin, éméché. Pastor a compris qu’il existait désormais un public nombreux, d’origine modeste, composé de jeunes familles avec femmes et enfants et qui ne fréquentait ni les théâtres traditionnels, trop huppés ou trop chers, ni les Variety Shows qui insultaient à la bonne morale. En somme, Pastor garde la structure de la Variety Show en en excluant tout ce qui pouvait froisser la morale, la religion, la femme, la famille.

Ce type de théâtre s’installe dès 1883 à Montréal, d’abord sous le chapiteau dressé par le promoteur américain Henry Jacobs: c’était le Royal Museum and Theatorium. Le succès a été foudroyant avec des conséquences multiples: élargissement du public vers les couches moyennes et modestes, dépassement de la barrière linguistique du fait que le public se récrutait dans les deux groupes linguistiques indistinctement. Ainsi, d’un côté le théâtre se démocratise, de l’autre l’existence de la scission linguistique au niveau du public cultivé est contrariée par la présence d’un public populaire indifférencié linguistiquement. Le résultat en a été une accélération de l’évolution et la spécialisation des établissements de spectacles selon les genres et les publics. Mais il y a eu aussi un genre spécifique, importé de France, et qui a été une innovation montréalaise dans le contexte du théâtre nord-américain: le café-concert, destiné au public bourgeois cultivé. Le premier établissement El Dorado est inauguré le 16 mars 1899. La mode se répand vite et la formule est reprise par les Canadiens Anglais. C’est à l’El Dorado qu’a été produite la première revue locale L’Oncle de Klondyke de Alfred Durantel (1899).
Formation professionnelle

Les performances théâtrales en français dépendaient, toujours encore, de l’existence des troupes d’amateurs, tels Amateurs typographes, Société des amateurs canadiens, Compagnie des jeunes amateurs canadiens ou bien Cercle Jacques-Cartier (1875-1890) qui, sous la direction de Joseph-George McGown, a préfiguré le travail systématique de formation professionnelle d’Elzéar Roy (voir ci-dessous). Ce sont ces troupes d’amateurs qui ont assuré le succès des grandes pièces de Louis-Honoré Fréchette Félix Poutré (1863), Le Retour de l’exilé (1880) a Papineau (1880).

La démocratisation de la vie théâtrale, la montée du sentiment national, mais aussi la nécessité de venir en aide à la population canadienne française qui subissait après 1890 une véritable hémorragie démographique du fait de l’exode vers les États-Unis, tout cela a amené l’Église catholique à modifier sa position envers le théâtre. Les interventions des autorités diocésaines de Montréal, Trois-Rivières et Québec contre les agents de théâtre se font plus nuancées. L’Église catholique voit dans le théâtre un moyen de présevation de l’identité française, la seule catholique au Québec (les Irlandais s’installaient généralement dans l’Ontario). Les clercs animent des troupes amateures en province. Lorsque les Canadiens français commencent à entreprendre des carrières théâtrales, désormais, les autorités catholiques les appuient tacitement.

L’Église catholique soutient, également le projet des « Soirées de famille », parrainé par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, projet qui avait une forte connotation patriotique. Au départ, il s’agit d’une idée beaucoup plus vaste, celle du centre d’éducation des masses francophones - au Monument Natio­nal. C’est dans le cadre du Centre que Elzéar Roy a l’idée d’or­ganiser des cours d’élocution, un atelier pratique d’exer­cices dramatiques: les Soirées de famille débutent le 30 septembre 1898 et se poursuivent jusqu’en 1901. La troupe amateure ainsi formée étonnait par sa stabilité (26 membres réguliers, 30 occasion­nels), son dynamisme et son rythme de production (30 à 35 spectacles en saison). Les Soirées de famille ont été une école pour la grande actrice Juliette Béliveau, mais aussi une sorte de réconciliation entre l’Église et le théâtre. Lorsque Julien Daoust crée, le 10 mars 1902 au Monument National, La Passion de Germain Beaulieu, la représentation de la figure du Christ, incarnée par Daoust, attire bien, par cette bravade contre l’un des interdits de l’Église, la condamnation officielle de l’arche­vêque de Montréal (comme d’ailleurs à New York et à Paris, pour les mêmes raisons), mais une tolérance de fait est appliquée. La Passion attire 40.000 spectateurs en quatre semaines en inaugurant la grande mode des drames religieux (Le Triomphe de la Croix, Pour le Christ, Le Défenseur de la Foi, Le Rédempteur), cette fois déjà sans le Christ représenté directement. Ces grands succès sont repris en province par les troupes amateures. La position de l’Église catholique, malgré les conflits et les réticences, finit par favoriser le développement du théâtre canadien français.

La naissance du théâtre professionnel, avec, notamment, la Compagnie franco-canadienne (1887) du Théâtre Français (8 membres permanents dès 1894) est jalonnée par les grands noms d’acteurs: Julien Daoust, Jean-Paul Filion, Joseph Serguis Archambault (dit Palmieri), Blanche de la Sablonnière, Juliette Béliveau; de directeurs (actor-manager: Julien Daoust, Paul Cazeneuve; d’auteurs: Louis-Honoré Fréchette, Louis Guyon, Germain Beaulieu, Alfred Durantel, Louvigny de Montigny.

Production dramatique

Cette période fondatrice a tracé les grandes lignes du développement ultérieur de la vie théâtrale du Québec - dans les genres (drame historique et patriotique, drame bourgeois – réaliste ou psychologique, drame religieux, vaudeville, café-concert, revue [cabaret]), dans les thèmes (famille, religion, relations franco-aglaises et franco-américaines). Le théâtre canadien français autonome, constitué à l’ombre du théâtre canadien anglais et en concurrence avec celui-ci, est désormais un fait acquis. La concurrence du cinéma dans les années 1920 et la grande crise de 1930 représente­ront certes un coup sérieux, mais le théâtre canadien français sortira victorieux et renforcé de cette épreuve difficile.

La période 1900-1914 a été appelée l’âge d’or du théâtre. L’intensité ne signifie pas toujours qualité. Néanmoins plusieurs auteurs ont marqué l’évolution du théâtre caandien français. La période est dominée par l’esthétique romantique à laquelle sucèdent les tendances réalistes de l’École de Montréal.

Le drame historique et patriotique trouve son meilleur auteur en Louis-Honoré Fréchette : Retour de l’exilé (1880), Papineau (1880). On dramatise également les romans historiques d’Aubert de Gaspé père (Les Anciens Canadiens) ou de Joseph Marmette (Intendant Bigot, François de Bienville). Louis Guyon (1853 –1933) alterne le mélodramme d’aventures (Fleur de lys, Le Secret du Rocher Noir, Tony l’Espion, Luigi l’Empoisonneur), le drame patriotique (Denis le Patriote, 1902) et le drame historique (Montcalm, 1907). Félix-Gabriel Marchand (1832–1900) double sa carrière politique (premier ministre de la province de Québec) de celle de comédiographe, Ses oeuvres se rapprochent de la comédie de boulevard : Fatenville (1869), Erreur n’est pas compte (1872), Un bonheur en attire un autre (1883), Les Faux brillants (1884), actualisés en 1977 par Jean-Claude Germain. Les tendances realistes et psychologiques sont liés à l’École de Montréal. Le drame de Carolus-Glatigny-Louvigny de Montigny (1876 –1955) Les Boules de neige (1903) est une fine analyse psychologique et sociale de l’incompréhension et des effets de la médisance.

À côté du théâtre « bourgeois », élitiste, le théâtre populaire, à large audience, se développe. Aurore, l’enfant martyr relate un fait divers, assassinat, en 1920, d’une petite-fille par sa marâtre. La pièce, conçue par Léon Petitjean et Henri Rollin, a connu un succès foudroyant : 5000 représentations en 30 ans, avant d’être filmée en 1952 et publiée en livre.

Le fait de ne pas publier le texte dramatique, qui ne garde ainsi que sa forme théâtrale, comme dans le cas de la populaire Aurore, est aussi le propre du drame religieux. Témoin La Passion déjà mentionnée, de Germain Beaulieu (1870 -1944). Des 27 pièces de Julien Daoust (1866 –1943) n’ont été guère publiées que la Conscience d’un prêtre, Pour le Christ et Triomphe de la Croix. L’ancrage culturel, populaire, du drame religieux qui renoue avec la tradition populaire des pageants anglais et américains et des mystères du moyen âge français, explique son influence ultérieure, de longue durée, y compris la période de la Révolution tranquille (Tremblay, Arcand).



Analyse : Louis-Honoré Fréchette, Papineau.

Commentaire : Analysez la distribution des personnages : comment fabrique-t-on un héros dans une pièce historique? Quels sont les éléments qui représentent le fatum?

VII.-VIII. Vers la modernité (1930-1960)
L’organisation théâtrale, constituée au cours du 19e siècle et fortifiée au cours des années 1900 et 1910, allait connaître une période de crise due à deux facteurs. Le premier a été la concurrence du cinéma qui, discète à l’époque du cinéma muet, est devenue écrasante à partir de 1930, avec le cinéma parlant. Certains théâtres alors se transforment en salles de cinéma qui attirent le public populaire et bourgeois. Ce choc est amplifié par la grande crise économique dont les États-Unis et le Canada ne commenceront à se relever qu’à partir de 1939-1940.

Renouveau institutionnel et diversification esthétique de la dramaturgie

Pour le théâtre canadien, en particulier francophone, cela signifie la fermeture des salles, le chômage des comédiens ou, dans le meilleur des cas, une situation précaire. Ily a, toutefois, dans ce tableau noir, trois faits positifs: c’est d’abord une concurrence accrue dans le monde du théâtre, concurrence qui jouera dans le sens de la qualité. La fonction du metteur en scène s’impose. Les acteurs, scénographes, dramaturges, qui avaient passé un stage à Paris, à Londres ou à New York, rentrent imbus de conceptions dramatiques nouvelles (Antoinette Giroux, Jacques Auger, Émile Legault). Les contacts avec les meilleurs esprits s’intensifient. Durant la première guerre mondiale et dans l’immédiat après-guerre les grands théoriciens – Jacques Copeau, Lugné-Poe, Pierre-Louis Jouvet, Charles Dullin, mais aussi Constantin Serguéïévitch Stanislavski travaillent à New York qui est pour Montréal un modèle de la vie théâtrale. Montréal même est sur la route des grands acteurs parisiens des scènes progresssistes comme Théâtre-Antoine ou Odéon. Les idées de Jacques Copeau, du cartel des quatre (Charles Dullin, Georges Pitoëff, Louis Jouvet, Gaston Baty) et, plus tard, de Jean Vilar font leur entrée au Québec. Pendant la guerre, Georges, fuyant la France à cause des ses origines juives, s’établit à New York où sa femme Ludmila Pitoëff fonde une troupe (dont fait partie un certain Yul Brynner). Les Pitoëff sont en contact avec des acteurs québécois dont ils discernent le talent et qu’ils invitent à Paris après la guerre (Jean-Louis Roux, Jean Gascon), Ludmila est invitée par la Comédie de Montréal pour faire la mise en scène du Vrai procès de Jeanne d’Arc (1942, pièce écrite par son mari), elle dirige une autre mise en scène chez les Compagnons de Saint-Laurent. Dès son séjour au Méxique, la personnalité d’Antonin Artaud devient connue en Amérique du Nord. Louis Jouvet revient en 1948, suivi par la troupe de Jean-Louis Barrault (1952), par le Théâtre National Populaire, avec Jean Vilar et Gérard Philippe (1954), et par la Comédie française (1955). Le modèle du théâtre français influencera un des filons de la dramaturgie canadienne française de la période.

Plusieurs scènes de qualité sont fondées: Montreal Repertory Theater (1930, scène bilingue, créée et conduite par la dramaturge Martha Allan), le Théâtre Stella (1930-1935, dirigé par Fred Barry et Albert Duquesne alias Albert Simard). Un autre pôle de qualité se constitue autour du père Émile Legault et du jésuite Paul Bélanger qui ont fondé dirigé une troupe d’amateurs du Collège Saint- Laurent – les Compagnons de Saint-Laurent (1937-1952) qui sera non seulement un centre de formation des futurs grands acteurs, chanteurs (Felix Leclerc), metteurs en scènes et dramaturges professionnels, mais aussi un centre de réflexion théorique et critique grâce à la revue Cahiers des Compagons (1944-1947). Émile Legault, imbu des principes de Jacques Copeau et de son théâtre populaire, dégagé des contraintes commerciales et de la tradition du grand théâtre bourgeois, vise la synthèse canadienne de l’art national, du catholiscime et de la modernité: « Je rêve d’un Molière canadien qui aurait la densité de Claudel […], » dit-il.10 Ses anciens élèves seront parmi les fondateurs des grandes scènes modernes - Théâtre du Rideau-Vert (1948), Théâtre du Nouveau Monde (1951).

Le deuxième effet positif de la grande crise, effet dont le résultat se voit déjà, également, dans certaines aspirations des Compagnons de Saint-Laurent, est la nécessité, pour les comédiens, de reprendre la vie théâtrale nomade. Les troupes itinérantes qui jouent à la campagne dans des conditions souvent précaires, entrent en contact direct avec la réalité du public populaire. C’est la prise de conscience, par les comédiens, du « peuple franco-canadien » et de ses spécificités, mais aussi, de la large diffusion du théâtre lui-même qui se déshabitue des grandes scènes urbaines.

Le troisième effet et qui n’est pas sans rapport avec le précédent, c’est la constitution de petites scènes, souvent de courte durée, mais qui fondent une tradition des théâtres d’essai qui deviendront le laboratoire des expériences dramaturgiques nouvelles.

La guerre en Europe (1939-1945) et l’évolution de l’après-guerre marquent le retour de la prospérité économique qui se prolongera pendant plus de trois décennies sur le continent nord-américain. Dans ces conditions, le théâtre canadien français connaît une nouvelle étape de son épanouissement.



Au niveau de la dramaturgie, d’abord, c’est la diversifica­tion et l’enrichissement du répertoire. Le théâtre s’ouvre de façon radicale à la modernité et le Canada rattrappe enfin son retard, et définitivement. Si, avant la guerre, le succès était encore au « grand théâtre », de facture plutôt traditionnelle (Marcel Pagnol, Topaze, joué en 1937 par les Compagnons de Saint-Laurent), plus tard, on applaudit déjà Huis-clos de Jean-Paul Sartre (1946), En attendant Godot de Samuel Beckett (1956), Les Bonnes de Jean Genet (1956), La bonne âme de Se-tchouan (1961), Le Cercle de craie caucasien (en anglais, 1962), Maître Puntilla et son valet Matti (1963) de Bertold Brecht, on joue aussi Alfred Jarry et les pièces dadaïstes, surréalistes et autres: Le Désir attrapé par la queue de Pablo Picasso (1949), Le Roi Pêcheur de Julien Gracq (1948), Los Reyes de Julio Cortázar (1949). Les petites scènes expérimentales, fondées au cours des annnées 1950, continueront sur cette lancée en introduisant avec succès Gatti, Synge, Betti, Ionesco, Ghelderode, Dürrenmatt, Lorca, Vian Arrabal, Weingarten et d’autres.
Au niveau de la réflexion théorique, plusieurs conceptions nouvelles font leur apparition. À côté de l’influence d’Émile Legault deux tendances peuvent être discernées. La tendance avant-gardiste cristallise avant tout autour du peintre Paul-Émile Borduas qui organise en 1947 une exposition appelée Refus global et ses environs dans le cadre de laquelle les premiers spectacles-provocations au Québec ont eu lieu. Il s’agit de « pièces automatistes », tout à fait dans la tradition des provocations dadaïstes et surréalistes: Bien-être de Claude Gavreau et Une pièce sans titre de Jean Mercier. En août 1948 le manifeste « surrationnel » de Paul-Émile Borduas Refus global est publié avec, encartés, les textes de Claude Gauvreau: Bien-être, Au coeur des quenouilles et L’Ombre sur le cerceau. De 1950 à 1951 Claude Gauvreau tiendra une chronique « Masques et berga­masques » dans le journal le Haut-parleur et il publie également dans le Canada. Les journaux deviennent la tribune de la moderni­té et de l’affirmation libertaire du théâtre.
Analyse : Claude Gauvreau, extrait de la chronique « Le théâtre dans le concret I: l’enseignement à souhaiter », in le Canada, 4 juin 1952, p. 4; cité d’après Legris, Larrue, Bourassa, David. Le Théâtre au Québec. 1825-1980, Québec, VLB éditeur 1988, p.97-98).

Commentaire : Relevez les points saillants de l’apprentissage de l’art dramatique? Quelle est la conception du travail d’acteur?
La deuxième tendance va vers la formulation de l’idée du théâtre national, dans le sens de l’affirmation de la « canadianité » des Canadiens Français, distincte des anglophones, mais aussi différente des Français d’Europe. La constitution de cette filière théorique résulte de l’expérience théâtrale des troupes itinérantes des années 1930 et du théâtre populaire. La création d’un héros-type est due à Gratien Gélinas qui avait traversé une longue expérience de comédien de revues (cabaret) et de la radio avant de créer son personnage de Fridolin (1937) d’abord en sketches radiodiffusés, puis montés sur scène du Monument National (1938). Le personnage comique de Fridolin sera le prototype de Tit-Coq, héros à la fois comique et tragique de la pièce éponyme (1948), incarnation du Canadien Français, orphelin marginalisé et révolté, en qui la société canadienne française s’est reconnue. Tit-Coq ouvre la voie à la dramaturgie nationale spécifique. Gratien Gélinas confirme cette tendance par son discours à l’Université de Montréal qui lui décerne, en 1949, un doctorat honorifique. Avec ce héros populaire, la voie s’ouvre vers le « théâtre québécois » et vers l’usage du joual comme nouvelle langue littéraire authentique.
Analyse : Gratien G0linas,: discours du 31 janvier 1949, un Amérique française, no 3, 1949, pp. 37-39; cité d’après Legris, Larue, Bourassa, David. Le Théâtre au Québec. 1825-1980. Québec : VLB, 1988, p.100-101).

Commentaire : Relevez les points saillants de l’argumentation de Gélinas? Que veut-il? Commet le justifie-t-il?
Ainsi, on le voit, la vie théâtrale du Canada francophone s’enrichit, se diversifie, produit ses premières réflexions théoriques et ses premières oeuvres originales authentiques. Ce grand saut qualitatif accompli au cours des annés 1940 et 1950 se répercute en retour dans l’organisation des activités théâtrales. On assiste, en particulier, à la fondation de nouvelles scènes et de nouvelles compagnies. Il s’agit d’une part de « théâtres de poche », petites scènes expérimentales: les Apprentis-Sorciers (1954), les Saltimbanques (1962, fondés par les dissidents des Apprentis-Sorciers), Théâtre de Quat’Sous (1954), Théâtre de Dix-Heures (1956), Égrégore (1959). À Québec ce seront La Fenière, L’Estoc (1957) et Petit Théâtre de la Basoche (1958), à Sherbrooke Atelier (1960). Mais il y a aussi des scènes plus grandes et qui allaient assurer le grand succès du théâtre montréalais dans les années 1960 et 1970: Le Théâtre du Rideau Vert (1948), Jeune-Scène (1950; Marcel Dubé), Théâtre du Nouveau Monde (1951), Comédie-Canadienne (1958, fondée par Gélinas) et Théâtre Populaire de Québec (1963; création qui n’est pas sans rappeler le TNP de Jean Vilar à Paris; la spécificité du TPQ consistait à ne disposer d’aucune scène fixe, mais d’organiser ses représentations en tournée permanente à travers le pays).

La stabilité institutionnelle s’affirme avec la professionnalisation progressive. L’exemple en est le Théâtre du Nouveau monde qui ne se présente plus comme une entreprise privée d’un groupe d’individus, mais comme une véritable entreprise dotée d’un conseil d’administration, d’une politique commerciale et d’un lobbing. C’est pour cette raison qu’il se constitue d’abord comme bilingue The New World Theatre-Théâtre du Nouveau monde. Il est évident que désormais l’intervention des institutions d’État sera nécessaire. Au niveau fédéral, le gouvernement libéral de Louis Stephen Saint-Laurent crée le Canada Council for the Arts, Conseil des Arts du Canada qui dès, 1957, subventionne le Théâtre du Nouveau monde, Montreal Repertory Theatre et Comédie-Canadienne. Au niveau provincial, le gouvernement conservateur de Maurice Duplessis qui, lontemps, refuse toute intervention en matière privée qu’est l’art et la culture, finit par contribuer au financement de la vie théâtrale par l’intermédiaire du Centre Sir G.-É. Cartier, créé par la ville de Montréal.

En 1960, une autre étappe est franchie. Le gouvernement libéral de Jean Lesage lance le Québec sur la voie de la « Révolution tranquille » qui marque un renouveau profond de la vie culturelle et des mentalités. Un Ministère québécois de la Culture et un Ministère québécois de l’Éducation sont constitués. Ceux-ci confient à Jean Gascon la création, en 1960, de l’École nationale de théâtre/National Theatre School. Le modèle en a été le Old Vic Theatre School of London, dirigé Michel Saint-Denis, neveu et élève de Jacques Copeau. La section française a été confiée à Jean-Pierre Ronfard. En 1963, une nouvelle instance pédagogique est formée, la Nouvelle Compagnie Théâtrale, vouée à la formation du public adolescent. Il y a aussi un Centre canadien d’essai de l’École des beaux-arts qui publie sa revue Cahiers d’essai.

Toutefois c’est la fin des années 1960 et surtout la période ultérieure qui recueilleront les fruits de la Révolution tranquille et de l’évolution précédente. Toujours est-il que cet essor serait impensable sans le développement institutionnel et intellectuel de la période 1930-1960.



Production dramatique (quelques repères)

Elle suit les trois tendances majeures, indiquées ci-dessus. La première s’inspire de la meilleure tradition française, représentée par Jacques Copeau et le cartel des quatre. Elle se manifeste avant tout dans la dramaturgie scénique et dans le choix du répertoire, sans pour autant marquer, directement, la production canadienne française. La seconde est celle du théâtre d’avant-garde. Moins influente au cours des années 1950, elle s’affirme pleinement par la suite comme le montre la gloire tardive de Claude Gauvrau à partir de 1970. La troisième tendance vise la canadianité, autrement dit la recherche d’une spécificité nationale. Sa définition est liée aux activités et à la pensée théorique d’Émile Legault qui valorise la tradition locale, populaire, notamment le folklore et le drame religieux tout en l’insérant dans le projet d’un grand théâtre de qualité. Rappelons que le drame religieux, lancé par Germain et Daoust, atteint un sommet poétique inégalé au cours des années 1940 grâce à la poétesse Rina Lasnier (Féerie indienne, 1939; Les Fiançailles d’Anne de Nouë, 1943; Le Jeu de la voyagère, 1941; Notre-Dame-du-pain, 1947).

La jonction du populaire et du grand théâtre sera réalisé et conceptualisé par Gratien Gélinas dont le Tit-Coq (1948) sera salué comme une grande pièce canadienne de portée universelle, mais en même temps ancrée dans la thématique locale, populaire, exprimée par la langue du peuple (voir l’analyse ci-dessus).
Gratien Gélinas (1909-1999), d’origine modeste, fait des études à l’École des Hautes Études Commerciales avant de se consacrer au théâtre. Il fonde une troupe d’amateurs (1929), entre au Montreal Repertory Theatre (1933), débute à la radio (1934) pour laquelle il crée le personnage de Fridolin, un anti-héros populaire (1937), dont les monologues, sur des sujets d’actualité, connaissent une grande popularité. Le personnage est ensuite transposé en sketchs de cabaret, plus tard enregistrés pour la télévision. Fridolin, un marginal au bon coeur, dupé par les autres et malmené par la vie, devient le prototype de Tit-Coq (1948). La tragi-comédie connaît un succès foudroyant : 200 reprises qui suivent la première représentation, 542 représentations au Canada et aux États-Unis où toutefois, en dehors du milieu francophone, elle ne touche guère personne. L’échec à Broadway (1951) est symptomatique de la canadianité prononcée de la pièce.
Analyse : Gratien Gélinas, Tit-Coq. Centré sur la typologie des personnages et l’analyse de l’intrigue.

Commentaire : Étudiez le jeu de l’argumentation et le renversement de la situation qu’il provoque. Quels sont les éléments qui constitue l’effet tragique?

Étudiez le mimétisme de la situation d’orphelin et du sentiment ientitaire national. Sur quoi se fonde-t-il? Comment les forces sociales se projettent-elles dans les rapports entre les personnages?

Devenu un des classiques du théâtre canadien, Gélinas poursuit sa carrière d’auteur dramatique - Bousille et les justes (1960), Hier les enfants dansaient (1966), La Passion de Narcisse Mondoux (1987) - sans pour autant atteindre le sommet de Tit-Coq.


Marcel Dubé (*1930) est sans aucun doute un des plus grands dramaturges de la seconde moitié du 20e siècle, mais dont la gloire sera obnubilée, dès 1968, par le succès de Michel Tremblay. Pourtant c’est lui qui, au début des années 1950, a introduit la périphérie urbaine et la marginalité sociale, y compris l’usage du joual. À la différence de Gélinas, il est plus critique quant à la thématique sociale, il est aussi un bien meilleur psychologue, notamment dans De l’autre côté du mur (1950), Zone (1956), Un simple soldat (1958).

Dès la fin ds années 1950, il quitte progressivement la thématique prolétaire pour aborder les drames de familles : Florence (1958), Médée (1973), La Cellule, 1973), Manuel (1973). Il atteint le sommet du tragique avec Au retour des oies blanches (1969) où la critique sociale et politique rejoint le thème d’Électre et d’Antigone et d’Oedipe Roi dans la protagoniste Geneviève. La condamnation et l’exécution du père qui en forme le fond archétypal non seulement rappelle Le Jeune Latour d’Antoine Gérin-Lajoie, mais renoue avec la même thématique que l’on retrouve dans Un fils à tuer (1950) d’Éloi de Grandmont, dans le Marcheur (1968) d’Yves Thériault, dans Hier les enfants dansaient (1966) de Gélinas ou La Tête du roi (1963) de Jacques Ferron.


Jacques Languirand (*1931) a fait ses études secondaires au Collège Saint- Laurent où il a été membre des Compagnons de Saint-Laurent d’Émile Legault. Le séjour à Paris et les études théâtrales sous Charles Dullin, Michel Vitold et Étienne Ducroux (1949-1955) l’ont familiarisé avec la dramaturgie parisienne dont il se fait le meilleur promoteur à son retour à Montréal grâce, notamment, aux scènes qu’il fonde – Théâtre de Dix Heures (1956) et Compagnie de Jacques Languirand (1958). Plus tard il devient secrétaire de la Comédie-Canadienne (1958-1959) et vice-directeur du Théâtre du Nouveau Monde (1964-1966). Il est aussi un des concepteurs l’Exposition universelle de Montréal de 1967.

Les pièces de Languirand introduisent les principes du théatre de l’absurde : Les Insolites (1956), Les Grands départs (1958), Le Gibet (1960), Les Violons de l’automne (1962), Les Cloisons (1966).


Claude Gauvreau (1925 – 1971) passe son baccalauréat au collège jésuite de Sainte-Marie à Montréal avant d’entreprendre des études de philosophie à l’Université de Montréal. Décisive pour sa carrière sera la rencontre de Paul-Emile Borduas (1942) et son amitié avec les automatistes – Jean-Paul Mousseau, Jean-Paul Riopelle, Thérèse Renaud dont il défendra la peinture dans plusieurs revues - Quartier latin, Notre Temps, Le Canada. Il travaille comme critique dramatique au Haut-Parleur (1951-1952). Il figure parmi les signataires du manifeste Refus global (1948) qui comprend aussi ses trois « objets dramatiques ».

Sa conception dramatique et poétique est marquée par la rechrche de la « langue exploréenne » - une variation de la « ligua paradisiaca » qui réaliserait l’unité de la lague, de la pensée, du sentiment, de l’action et de la réalité. C’est ce travail expériemntal qui caractérise ses pièces « surrationnelles » La Charge de l’orignal épormyable (1970) et Les oranges sont vertes (1971).


Analyse : Claude Gauvreau, La Charge de l’orignal épormyable.

Commentaire : Caractérisez la « langue exploréenne » - aspects phonétique, morphologique, pragmatique.

Relevez l’importance des didascalies : quelle est leur fonction? En quoi coincide-t-elle avec la « langue exploréenne »?

IX.-X. La Révolution tranquille et son influence sur le théâtre

La « Révolution tranquille » apporte au Québec une grande mutation politique, économique, sociale et culturelle. L’oxymore de cette appellation exprime bien la nature du changement. Il ne s’agit pas du renversement du régime au sens politique, car le Québec reste toujours ancré dans la fédération canadienne. D’autre part, ces transformations de la société québécoises sont provoquées, dirigées et soutenues par l’action, justement, des gouvernements provincial et fédéral. L’image que l’on donne généralement de la Révolution tran­quille est celle du passage accéléré d’une vie sociale arriérée, cantonnée dans son traditionalisme catholique et son conserva­tisme provincial vers une société moderne, pluraliste, ouverte, laïque, tournée vers le monde et l’avenir et, en même temps, fière de sa « québécité », réclamée désormais à haute voix.

La Révolution tranquille est liée à l’action du gouverne­ment libéral de Jean Lesage qui succède au premier ministre conservateur Maurice Duplessis, décédé en 1959. Jean Lesage entame une politique active de l’intervention du gouvernement dans toutes les sphères de la vie publique. Inspiré par les élites québécoises, le gouvernement vise entre autres à former systématiquement de nouvelles élites modernes en soutenant l’enseignement et la formation des cadres, mais aussi en fondant des sociétés industrielles (Hydro-Québec) où les nouveaux cadres, formés désormais à l’école québécoise francophone, puissent faire valoir leur nouveau savoir-faire français. Désormais, au Québec, le français arrive à couvrir la totalité des fonctions sociales d’une langue depuis la famille et la sphère privée jusqu’à toutes les instances de la vie sociale, politique et économique. Le tabou psychologique de l’infériorité du Québécois-entrepreneur et Québécois-ingénieur est brisé. Le succès du développement dynamique du Québec est encore souligné par le succès de l’Exposition universelle de 1967.

L’image contrastée entre le Québec avant et après la Révo­lution tranquille ne doit pas occulter les transformations de la société québécoise au cours des années 1940 et 1950. Il est vrai que la période dominée par le gouvernement conservateur de Maurice Duplessis se place, idéologiquement, sous le signe de la tradition. C’est dire, dans le cas du Québec, sous le signe de la communauté: celle de la langue, de la famille, de la religion; une communauté à la fois protectrice et contraignante qui ex­cluait la diversité et un vrai dialogue critique à l’intérieur de la communauté. Si le gouvernement conservateur de Duplessis dans sa politique anti-étatiste s’abstient de se mêler à la sphère « privée », c’est parce que cette sphère privée est sous le contrôle de l’Église catholique: éducation, santé, services sociaux, syndicats. Or, l’essor économique et social de l’après-guerre brise ce carcan traditionnel, la société se diversifie en créant tout un tissu associatif pluraliste en dehors des institu­tions ecclésiastiques. De son côté, l’Église catholique n’a plus la capacité de contrôler l’ampleur des tâches qui incombent à la société moderne, tâches qu’elle abandonne, par secteurs entiers, à la nouvelle administration civile (enseignement, services médi­caux, services sociaux). De l’Église providence on passe à l’État-providence. Les années 1950 ont préparé le terrain à l’action rapide et réussie du gouvernement Lesage et à la Révolution tranquille.

Fondée sur la québécité et la francité, la Révolution tranquille apporte un soutien majeur à l’enseignement et à la culture. On construit la Place des Arts à Montréal (1961-1967), le Grand Théâtre à Québec (1967-1971), on fonde le National Arts Center / Centre national des Arts, (1969). L’École Nationale de Théâtre/ National Theatre School de Montréal est complétée par le Centre d’essai des auteurs dramatiques (1965). Le théâtre, en tant que moyen de communication spécifique, à la limite de l’art et de la vie publique, jouit d’une position privilégiée. Montréal, qui compte plus d’un million d’habitants en 1965, étrenne, entre 1967 et 1980, plus de 15 nouveaux théâtres. Cette amplification des scènes et de la vie théâtrale est en réalité encore plus importante: en effet, la plupart des universités s’ouvrent au théâtre et il faut également tenir compte des nombreuses compagnies ambulantes. Une trentaine de festivals d’été s’organisent chaque année au Québec. Pour décrire les activités théâtrales de la période, on évoque parfois l’image d’un cyclotron, accélérateur de particules dramatiques et scéniques: 86 compagnies nouvelles sont créées entre 1965 et 1980, la production saisonnière est multipliée par quatre. Les théâtres majeurs, soutenus financièrement par le gouvernement, qui ne sont que quatre en 1960, passent à plus de dix au cours des années 1970. Ces scènes professionnelles, avec des compagnies solidement implantées, sont la garantie de la qualité. À Montréal ce sont les grandes scènes déjà mentionnées ci-dessus - le Théâtre du Rideau Vert, le Théâtre du Nouveau Monde qui fusionne, en 1972, avec la Comédie-Canadienne endettée, et le Théâtre Populaire du Québec. S’y ajoutent la Compagnie Jean Duceppe (1973) et la Nouvelle compagnie Théâtrale (1964) qui remplacera l’Egrégore disparu (1968); à Québec ce sont le Théâtre du Trident (1970) et le Théâtre du Bois de Coulonge qui prennent la relève du Théâtre de l’Estoc et du Théâtre du Vieux-Québec disparus. Raymond Cloutier qui considère l’activité théâtrale comme un service social et communautaire, crée le Grand Cirque Ordinaire (1969-1977), une compagie itinérante qui pratique le texte dramatique comme un prétexte à dialogue avec le public. Plusieurs scènes engagées suivent cette voie : Théâtre Euh! de Clément Cazalis (1970), Théâtre d’la Shop qui joue dans des entreprises, Théâtre en vrac qui se spécialise en représentations dans les écoles. Jean-Pierre Ronfard forme, en 1975, le Théâtre expérimental de Montréal. Deux périodiques de critique et de réflexion théorique paraissent : Canada Drama/Art dramatique canadien (1975) et Cahiers de théâtre Jeu (1976).

Le répertoire est large, moderne et mondial où les classiques côtoient les avant-gardes, Claudel fait face à Pirandello, O’Neill à Ionesco, Dario Fo à Ibsen, Jarry à Tchékhov. La base institutionnelle, le soutien des autorités publiques ainsi que les activités civiques liées à la période d’effervescence qu’est la Révolution tranquille favorisent l’essor culturel, à Montréal notamment où se concentrent acteurs, metteurs en scène et dramaturges en grand nombre. Les paroles de Robert Gurik attestent l’assurance des artistes québécois : « Il y a à Montréal présentement vingt-cinq jeunes auteurs dramatiques. Qu’il y ait seulement cinq qui aient du talent, et cette ville devient une des capitales mondiales du théâtre. » 11 La période 1965-1972 marque le haut de la vague : 110 pièces mises en scène et publiées, 50 publiées seulement, 225 mise en scène seulement, 135 pièces jouées à la radio, plus d’une vingtaine à la télévision.12

Un grand changement des esprits intervient dans les pratiques théâtrales. Celles-ci, depuis l’apparition de l’activité profes­sionnelle francophone dans les années 1890, étaient passées essentiellement par la norme française, pour ne pas dire pari­sienne. À partir de 1965 un net renversement se dessine en faveur d’une identité théâtrale québécoise. Trois tendances peuvent y être identifiées: 1o Affirmation de la « québécité »; 2o Recherche d’anti-modèles; 3o Inclination pour le théâtre américain lié à la contestation de l’american way of life.
Affirmation de la « québécité ».

Cette nouvelle revendication identitaire renoue, mutatis mutandis, avec les tentatives de Gratien Gélinas qui, à la fin des années 1940, se réclame d’un théâtre canadien national et popu­laire (voir ci-dessus). Cependant ce néo-nationalisme des années 1960 se distingue du nationalisme canadien-français de la période précédente par son adhésion au programme politique indépendentiste. Sur le plan culturel, les objectifs ont été formulés notamment par les animateurs de la revue


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