PLATON — GORGIAS
— traduction d’Émile CHAMBRY 118
CALLICLÈS
Tout à fait.
SOCRATE
Et pour les biens et le bonheur et pour leurs contraires,
496b-496d
les maux et le
malheur, c’est alternativement qu’on reçoit, et alternativement qu’on quitte les
uns et les autres ?
CALLICLÈS
C’est absolument mon avis.
SOCRATE
Si donc nous trouvons certaines choses que l’on perde et qu’on possède en
même temps, il est clair que ces choses ne sauraient être le bien et le mal.
Sommes-nous d’accord là-dessus ? Ne réponds qu’après avoir bien réfléchi.
CALLICLÈS
J’en suis merveilleusement d’accord.
SOCRATE
LI. — Revenons maintenant aux points sur lesquels nous sommes tombés
d’accord. Que soutenais-tu ? que la faim est une chose agréable ou une chose
pénible ? Je parle de la faim en soi.
CALLICLÈS
Que c’est une chose pénible, mais qu’il est agréable de manger quand on a
faim.
SOCRATE
J’entends. Mais la faim en elle-même est-elle pénible, ou ne l’est-elle pas ?
CALLICLÈS
Elle l’est.
PLATON — GORGIAS
— traduction d’Émile CHAMBRY 119
SOCRATE
Et la soif aussi ?
CALLICLÈS
Très pénible.
SOCRATE
Continuerai-je mes questions ou conviens-tu que tout besoin et tout désir sont
pénibles ?
CALLICLÈS
J’en conviens ; cesse donc tes questions.
SOCRATE
Mais boire quand on a soif, est-ce agréable, selon toi ?
CALLICLÈS
Oui.
SOCRATE
Mais dans ce que tu viens de dire, les mots « quand on a soif » équivalent sans
doute à « quand on ressent de la douleur » ?
CALLICLÈS
496e-497a
Oui.
SOCRATE
Mais le fait de boire est la satisfaction du besoin et un plaisir ?
CALLICLÈS
Oui.
PLATON — GORGIAS
— traduction d’Émile CHAMBRY 120
SOCRATE
Ainsi c’est dans le fait de boire qu’on ressent du plaisir, dis-tu ?
CALLICLÈS
Justement.
SOCRATE
Du moins quand on a soif ?
CALLICLÈS
Oui.
SOCRATE
Donc quand on souffre ?
CALLICLÈS
Oui.
SOCRATE
Aperçois-tu maintenant ce qui résulte de là ? Tu dis qu’on ressent à la fois du
plaisir et de la douleur, quand tu dis qu’on boit ayant soif. Est-ce que cela ne
se produit pas à la fois dans le même lieu et dans le même temps, soit dans
l’âme, soit dans le corps, selon qu’il te plaira ; car cela n’importe en rien, à
mon avis. Est-ce exact ou non ?
CALLICLÈS
C’est exact.
SOCRATE
Cependant tu reconnais qu’il est impossible d’être à la fois heureux et
malheureux.
CALLICLÈS
PLATON — GORGIAS
— traduction d’Émile CHAMBRY 121
Je le reconnais en effet.
SOCRATE
D’autre part, tu es convenu qu’on pouvait être à la fois dans la peine et dans la
joie ?
CALLICLÈS
Évidemment.
SOCRATE
Il s’ensuit que la joie n’est pas le bonheur, ni la peine le malheur, de sorte que
l’agréable se révèle différent du bien.
CALLICLÈS
497a-497c
Je ne saisis pas tes subtilités, Socrate.
SOCRATE
Tu les saisis fort bien : mais tu fais l’ignorant, Calliclès. Avançons encore un
peu.
CALLICLÈS
Quelles sornettes as-tu à dire ?
SOCRATE
Je veux te faire voir quel habile homme tu es, toi qui me fais des
remontrances. Chacun de nous, du moment qu’il cesse d’avoir soif, ne
cesse-t-il pas aussi de prendre plaisir à boire ?
CALLICLÈS
Je ne sais pas ce que tu veux dire.
GORGIAS
PLATON — GORGIAS
— traduction d’Émile CHAMBRY 122
Ne parle pas ainsi, Calliclès. Réponds plutôt, ne fût-ce que par égard pour
nous, afin que notre discussion arrive à son terme.
CALLICLÈS
Mais Socrate est toujours le même : il vous pose un tas de petites questions
insignifiantes jusqu’à ce qu’il vous ait réfuté.
GORGIAS
Que t’importe ? En tout cas, tu n’as pas à les apprécier. Laisse Socrate
argumenter comme il lui plaît.
CALLICLÈS
Alors fais tes menues et mesquines questions, puisque tel est l’avis de
Gorgias.
SOCRATE
LII. — Tu es bien heureux, Calliclès, d’avoir été initié aux grands mystères
avant de l’être aux petits
1
. Je ne croyais pas que cela fût permis. Reprenons
donc la discussion où tu l’as laissée et dis-moi si chacun de nous ne cesse pas
en même temps d’avoir soif et de sentir du plaisir.
CALLICLÈS
Je l’avoue.
SOCRATE
De même pour la faim et les autres appétits, ne cesse-t-il pas en même temps
de sentir le désir et le plaisir ?
CALLICLÈS
C’est vrai.
SOCRATE
1
Les petits mystères se célébraient à Athènes et les grands à Eleusis. On ne pouvait être initié
aux grands mystères avant de l’avoir été aux petits.
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