De la grammatologie


L' « ESSAI SUR L'ORIGINE DES LANGUES »



Yüklə 2,11 Mb.
Pdf görüntüsü
səhifə116/158
tarix25.07.2018
ölçüsü2,11 Mb.
#58700
1   ...   112   113   114   115   116   117   118   119   ...   158

L' « ESSAI SUR L'ORIGINE DES LANGUES »

cite pas, il puise dans des passages comme celui-ci, qui annon-

cerait, avec beaucoup d'autres, tel développement saussurien

(supra, p. 57).

« La superstition de l'étymologie fait dans son petit domaine

autant d'inconséquences, que la superstition proprement dite

en fait en matière plus grave. Notre orthographe est un assem-

blage de bizarreries et de contradictions... Cependant, quelque

soin qu'on prît de noter notre prosodie, outre le désagré-

ment de voir une impression hérissée de signes, je doute fort

que cela fût d'une grande utilité. Il y a des choses qui ne

s'apprennent que par l'usage ; elles sont purement organiques,

et donnent si peu de prise à l'esprit, qu'il serait impossible

de les saisir par la théorie seule, qui même est fautive dans

les auteurs qui en ont traité expressément. Je sens même

que ce que j'écris ici est très difficile à faire entendre, et

qu'il serait très clair, si je m'exprimais de vive voix ».

(Pp. 414-415.)

Mais Rousseau surveille ses emprunts, les réinterprète, se

livre aussi à un travail de surenchère dont la signification ne

nous sera pas indifférente. Il tient par exemple à ce que l'accent

soit biffé par le signe, et l'usage de la parole par l'artifice

de l'écriture. Biffé par un travail de rature et de remplacement,

oblitéré plutôt qu'oublié, estompé, dévalorisé : « Tous les signes

prosodiques des anciens, dit M. Duclos, ne valaient pas encore

l'usage. Je dirai plus ; ils y furent substitués. » Et toute l'argu-

mentation de Rousseau suit alors l'histoire de l'accentuation ou

de la ponctuation surajoutée à la langue hébraïque primitive.

Le conflit est donc entre la force d'accentuation et la force

d'articulation. Ce concept d'articulation doit nous retenir ici.

Il nous avait servi à définir l'archi-écriture telle qu'elle est déjà

à l'œuvre dans la parole. Et Saussure, en contradiction avec ses

thèses phonologistes, reconnaissait, on s'en souvient, que seul

le pouvoir d'articulation — et non le langage parlé — était

« naturel à l'homme ». Condition de la parole, l'articulation ne

reste-t-elle pas en elle-même a-phasique ?

Rousseau introduit le concept d'articulation au chapitre IV

« Des caractères distinctifs de la première langue, et des chan-

gements qu'elle dut éprouver ». Les trois premiers chapitres

traitaient de l'origine des langues. Le chapitre V sera intitulé

De l'écriture. L'articulation est le devenir-écriture du langage.

Or Rousseau qui voudrait dire que ce devenir-écriture survient

325



DE LA GRAMMATOLOGIE

à l'origine, fond sur elle, après elle, décrit en fait la manière

dont ce devenir-écriture survient à l'origine, advient dès l'origine.

Le devenir-écriture du langage est le devenir-langage du langage.

Il déclare ce qu'il veut dire, à savoir que l'articulation et l'écri-

ture sont une maladie post-originaire de la langue ; il dit ou

décrit ce qu'il ne veut pas dire : l'articulation et par conséquent

l'espace de récriture opèrent à l'origine du langage.

Comme celles de l'imitation — et pour les mêmes raisons

profondes — la valeur et l'opération de l'articulation sont

ambiguës : principes de vie et principes de mort, donc moteurs

de progrès au sens que Rousseau donne à ce mot. Il voudrait



dire que le progrès, si ambivalent soit-il, se fait ou bien vers

le pire, ou bien vers le meilleur, soit en bien, soit en mal.

Le premier chapitre de l'Essai montre en effet, selon un concept

du langage animal auquel certains tiennent encore aujourd'hui,

que les langues naturelles des animaux excluent le progrès. « La

langue de convention n'appartient qu'à l'homme. Voilà pourquoi

l'homme fait des progrès, soit en bien, soit en mal, et pourquoi

les animaux n'en font point. »

Mais Rousseau décrit ce qu'il ne voudrait pas dire : que le

« progrès » se fait et vers le pire et vers le meilleur. A la fois.

Ce qui annule l'eschatologie et la téléologie, de même que la

différence — ou articulation originaire — annule l'archéologie.

326



III. L'ARTICULATION

Tout cela apparaît dans le maniement du concept d'articu-

lation. Il nous faudra faire un long détour pour le montrer.

Pour comprendre comment opèrent les « articulations, qui sont

de convention » (chap. IV), nous devons traverser une fois

de plus le problème du concept de nature. En évitant de nous

précipiter directement au centre de la difficulté que tant de

commentateurs de Rousseau ont déjà fort bien reconnue, nous

essaierons, de manière limitée et liminaire, de la repérer dans

l'Essai. Elle y est déjà redoutable.

« Ce mouvement de baguette... »

Commençons par quelques certitudes simples et choisissons

quelques propositions dont la clarté littérale laisse peu de doute.

Nous les lisons dans le premier chapitre.



Première proposition. « La parole distingue l'homme entre

les animaux. » Ce sont les premiers mots de l'Essai. La parole

est aussi « la première institution sociale ». Elle n'est donc

pas naturelle. Elle est naturelle à l'homme, elle appartient à

sa nature, à son essence qui n'est pas, comme celle des ani-

maux, naturelle.

La parole appartient à l'homme, à l'humanité de l'homme.

Mais Rousseau distingue entre la langue et la parole. L'usage

de la parole est universellement humain mais les langues sont

diverses. « Le langage distingue les nations entre elles ; on

ne connaît d'où est un homme qu'après qu'il a parlé. L'usage

327



Yüklə 2,11 Mb.

Dostları ilə paylaş:
1   ...   112   113   114   115   116   117   118   119   ...   158




Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©genderi.org 2024
rəhbərliyinə müraciət

    Ana səhifə