Monsieur le Recteur



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Jean-Pierre Devroey
Université libre de Bruxelles

De Georges Duby à Adriaan Verhulst:
minimalisme, révolution, dynamisme de l’économie médiévale.


Texte français

Binnenlandse Francqui Leerstoel 2005-2006.

Universiteit Gent, 15 maart 2006.

De Georges Duby à Adriaan Verhulst: minimalisme, révolution, dynamisme de l’économie médiévale.

Binnenlandse Francqui Leerstoel 2005-2006. Universiteit Gent.


Monsieur le Recteur,

Monsieur le Président de la Fondation Francqui,

Monsieur le Doyen de la Faculté de Philosophie et Lettres,

Chers Collègues, Chers Étudiants, Mesdames, Messieurs,

Derrière son titre général, De Georges Duby à Adriaan Verhulst, minimalisme, révolution, dynamisme de l’économie médiévale, ma leçon d’aujourd’hui donnera l’occasion de rencontrer plusieurs maîtres gantois de l’histoire médiévale, d’Henri Pirenne à François-Louis Ganshof, de Jan Dhondt à Adriaan Verhulst, sans compter des contemporains comme Erik Thoen et Marc Boone. Je me plais à souligner combien de telles personnalités incarnent la vigueur de la tradition séculaire des études d’histoire économique et sociale médiévale à l’Université de Gand et les liens féconds qui unissent depuis plus d’un siècle les écoles historiques gantoises et bruxelloises. Hier, nous avions le plaisir d’inaugurer à Bruxelles la Binnenlandse Francqui-leerstoel confiée à Marc Boone. Il fut précédé à l’ULB, où Henri Pirenne devait occuper une chaire d’histoire médiévale à la fin de sa vie, par François-Louis Ganshof, Binnenlandse Francqui-leerstoel en 1953-54, pour des leçons consacrées aux tonlieux dans la monarchie franque aux temps mérovingiens et carolingiens et par Adriaan Verhulst lui-même, Binnenlandse Francqui-leerstoel en 1982-83, pour des leçons consacrées à l’histoire rurale de la Belgique. Mon maître Georges Despy et lui, étaient liés par des sentiments d’amitié et d’estime réciproques, mais également et, peut-être surtout, par une conception très proche du métier d’historien, inscrite dans une tradition positiviste radicale, assise sur les techniques de l’érudition et le travail au plus près des sources, un certain scepticisme pour les modèles anthropologiques et même sociologiques et économiques et les visions globalisantes de l’histoire1. Je dois certainement à ces liens tissés entre les deux hommes d’avoir fréquemment rencontré Adriaan Verhulst, sur le plan professionnel puis amical, à partir des années ’80, pour ensuite et progressivement nouer des relations de proximité et de connivence qui ont inscrit mes propres travaux dans la filiation et le prolongement de son œuvre scientifique. Après Ganshof et Bonenfant, dans les années ‘50, après Verhulst et Despy, dans les années ’80, des liens forts continuent à lier les deux écoles historiques gantoise et bruxelloise au travers de leurs élèves, Marc Boone et Eric Thoen, Claire Billen et moi-même.

Je m’exprime donc aujourd’hui devant vous, avec une émotion mêlée de tristesse, mais aussi de fierté et de joie, pour vous présenter une leçon qui est, bien sûr, spécialement dédiée à la mémoire d’Adri Verhulst. Je remercie très chaleureusement la Fondation Francqui et l’Université de Gand de m’avoir donné cette occasion de lui rendre hommage, trois ans et plus après sa disparition en novembre 2002, en traitant le thème général de recherche « Économie rurale et développement en Europe médiévale ».


Le grand partage


L’idée d’un « grand partage » entre nature et culture exerce une influence déterminante sur la structure narrative de l’histoire occidentale en partageant les groupes humains et leurs civilisations entre « primitifs », définis à la fois par l’absence des principales caractéristiques des sociétés modernes (État, règle, marché) et par leur proximité avec l’état de nature, et des civilisés. Cette dichotomie remonte à l’Antiquité gréco-romaine où elle s’est combinée avec les premières philosophies de l’histoire. Elle place inévitablement la question de la fin du monde antique dans la perspective d’une régression générale de l’état de culture à l’état de nature, de la civilisation à la barbarie, quelles que soient d’ailleurs les questions posées sur les causes (Gibbon) ou la chronologie (Pirenne) de ce processus. Le constat de primitivisme et de catastrophisme du Haut Moyen Âge a donc fait très longtemps la quasi-unanimité des générations, des disciplines historiques et des différentes historiographies nationales depuis la fin du XVIIIe siècle. Ce constat pose inévitablement la question de la re-naissance de la civilisation occidentale, que celle-ci soit vécue comme un retour à l’Antique ou comme une naissance de la modernité.

L’économie, qui nous intéresse ici au premier plan, a longtemps occupé une simple place fonctionnelle dans la mécanique générale de compréhension de la société et du mouvement social. C’est l’école classique, née des réflexions à propos De la nature et des causes de la richesse des nations d’Adam Smith (1776), qui a accordé pour la première fois une place prépondérante à la vie économique dans la compréhension globale de l’humanité. Mais le rapport des Classiques à l’histoire restait ambigu. L’économie politique est fondée au XIXe siècle comme une science du temps présent, sans préoccupation historique particulière. L’Allemagne fait alors figure d’exception intellectuelle, puisque les bases de l’histoire économique y sont jetées en trois générations d’économistes et d’historiens, de Friedrich List à Wilhelm Roscher et à Bruno Hildebrand. Ces travaux placent l’économie historique dans une perspective évolutionniste rendant à l’économie politique les dimensions de l’espace et du temps. Hildebrand jette définitivement les bases d’une théorie du développement de l’économie et de la société par étapes (Stufentheorie) dans laquelle le début du Moyen Âge est caractérisé comme l’époque d’une économie naturelle ou de subsistance (Naturalwirtschaft, Eigenwirtschaft) dominée par l’autoconsommation des producteurs et l’idéal de l’autosuffisance.

Jusqu’à la fin de la prépondérance de l’école dite méthodique, l’historiographie française est restée presque totalement à l’écart des idées défendues par l’économie historique allemande. Comme l’écrit Charles Seignobos en 1924 dans L’histoire politique de la France contemporaine, « les phénomènes politiques dominent l’économie et la société ». Ce primat du politique condamne la vision du Haut Moyen Âge à la barbarie et au chaos. En 1844, dans ses célèbres Prolégomènes à l’édition du polyptyque de Saint-Germain-des-Prés, Benjamin Guérard ne reconnaît pas un seul mérite aux vainqueurs de l’Empire romain d’Occident : « Il n’y eut [à l’époque mérovingienne] de progrès constant que vers la barbarie (…). Il y avait partout diversité et inégalité ; et comme nulle part rien n’était réglé, ni contenu, ni définitif, il y avait lutte et guerre partout ». « Le progrès continu et indéfini de la civilisation », s’interroge Guérard en conclusion, ne serait-il pas « un séduisant sophisme ? Au lieu de passer toujours et constamment du mieux au mieux, la civilisation va souvent du bien au mal ; tantôt elle avance, tantôt elle recule : c’est un mouvement irrégulier et perpétuel de va et vient, comme tout ce qui tient à la nature de l’homme, dont la loi éternelle est de croître et de décliner ».

L’époque carolingienne marque un intermède d’un siècle avant le retour de la société à la division, à l’anarchie et à la violence. « Des hommes énergiques et ambitieux, capables de concevoir de grands desseins et de les exécuter (…) succèdent à des souverains appauvris et sans gloire, dégénérés ou malheureux ». Charlemagne est le fondateur « d’une grande nation » ; il sut « réunir, diriger et maîtriser les forces particulières et opposées, bâtir des villes (…), créer à tous une communauté d’intérêt (…) ; il reconstitua l’unité du pouvoir et le gouvernement central ; il recueillit les restes de la civilisation et les anima d’une vie nouvelle ». L’héritage de Pépin III et de Charlemagne est galvaudé par ses successeurs en deux générations. « Bientôt disparurent pour longtemps, la tranquillité publique et la sécurité personnelle, l’autorité royale, les institutions et les lois. La confusion devint générale, et le droit fut remis à la force. Fallait-il donc passer par cette anarchie pour arriver à la Renaissance, et la route qu’y avait tracée Charlemagne n’y conduisait-elle pas d’une manière plus prompte et plus sûre ? » 2.

Souveraineté de l’État, unité de la Nation, égalité devant la Loi, le programme politique qui figure à l’agenda du pouvoir carolingien d’après Guérard est résolument contemporain, dans la France de la monarchie de Juillet, gouvernée par l’historien François Guizot. Comme l’écrivait Richard Sullivan à propos du Carolingian Age, ces conceptions, qui traversent toute l’historiographie de l’époque carolingienne jusqu’à nos jours, sont associées à une vision de l’histoire en mouvement, tendant à démontrer quand et comment des forces ont transformé une société fragmentée, désorganisée et anarchique en structures unifiées, en fondements institutionnels et culturels, en une civilisation holistique3.

Ces représentations font partie intégrante de la mémoire transmise d’une génération d’historiens à l’autre, durant le XIXe et la moitié du XXe siècle. Dès le début du XIXe siècle, les éléments principaux d’une grande narration, plaçant la « renaissance » carolingienne entre deux longues phases de régression, sont en place. « Quand le mal fut arrivé à son comble mais aussi à son terme », écrit Jacques Flach à propos du Xe siècle, dans ses Origines de l’ancienne France (1893), « quand les invasions furent refoulées ou triomphèrent, il s'opéra une nouvelle prise de possession du sol ; il s'introduisit dans les campagnes un régime nouveau »4. Flach est le premier historien français à présenter aussi clairement l’hypothèse d’une grande mutation de l’an Mil, précédée par la misère généralisée et le chaos.



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