Monsieur le Recteur


La révolution agricole médiévale



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La révolution agricole médiévale


Avec Georges Duby, l’explication du changement historique se situe précisément aux antipodes de l’idée de la population comme cause première de la croissance. Duby a formulé ses idées dans un premier article publié en 1954 sous le titre La révolution agricole médiévale18, mais c’est surtout dans son livre de 1962 qu’il les a développées de la manière la plus ample. Le « premier essor de l’économie européenne » est le fruit d’une révolution des techniques et des pratiques agricoles : élevage du cheval – techniques d’attelage – charrue lourde – assolements réguliers. « C’est un moment capital de l’histoire des moyens de production »19. La croissance agraire qui a en a résulté soutint l’augmentation de la population et l’extension des espaces cultivés. « L’essor de l’Europe médiévale, toutes les manifestations d’exubérance qui apparaissent dans une vive lumière après l’an mil, la montée démographique, la renaissance des villes et des échanges, l’affermissement de l’ordre politique, aussi bien que la floraison culturelle, procèdent incontestablement, pour reprendre une expression de Fernand Braudel, d’une réussite agricole. Car ce pays était auparavant exclusivement rural ; les traditions alimentaires y imposaient de produire avant tout des grains. Tout le progrès fut par conséquent poussé en avant, sans nul doute, par un accroissement de cette production céréalière »20.

Avant cette première « révolution agricole » médiévale, l’Occident a traversé une longue et sombre phase de régression généralisée. « En dépit d’une énorme dépense de main d’œuvre et de l’extension démesurée de l’aire des villages », écrit Duby à propos des campagnes carolingiennes, « il faut s’imaginer ces ruraux tenaillés par la faim. Leur seule préoccupation était sans doute de subsister, de tenir pendant le printemps et le début de l’été, au moment des travaux les plus durs. Lorsque le peu qui restait des réserves alimentaires après les réquisitions des chefs commençait à s’épuiser, s’ouvrait alors chaque année le temps des grandes privations et des nourritures de hasard, où l’on trompait sa faim en dévorant les herbes du jardin, les baies de la forêt, où les paysans quêtaient un peu de pain à la porte des riches. Toute l’économie de ce temps paraît bien dominée par la menace permanente de la disette »21. La thèse minimaliste défendue par Duby s’appuie implicitement sur les idées exposées par Malthus dans L’essai sur le principe de la population (1798).

Pour Georges Duby, les campagnes occidentales avant l’an Mil se partageaient entre des « espaces vides, très imparfaitement exploités » et des « îlots surpeuplés où la croissance biologique stimulée par la prospérité agraire faisait se presser les hommes aux lisières de la disette (...). La tendance naturelle probable à l'expansion démographique se heurte au blocage des forces productives (...). Point de croissance (...) : la stagnation. Une stagnation dont on peut penser qu'elle résulte pour une grande part du surpeuplement et de la sous-alimentation qu'il provoque (...). Il semble que la poussée démographique ait alors été bloquée par l'impuissance des hommes à étendre l'espace agricole, à accroître par-là leur subsistance »22. Pour que cette longue stase se dénoue, il faut qu'intervienne une profonde mutation. « C'est », écrit Robert Fossier en 1982, « la rupture (du carcan technique) qui a donné naissance à l'Europe en permettant un essor de production vivrière qui deviendra un essor tout court. Et comme cette rupture a été catégorique dans les trois ‘secteurs’ (de l'économie), le mot révolution ne me paraît pas ici non plus trop fort » 23. Par son analyse d’un monde carolingien bloqué par le seul rapport ressources-population, Duby annonce « la réhabilitation générale de Malthus » par Emmanuel Le Roy Ladurie et la Nouvelle histoire. Malthus a su fournir « les paradigmes essentiels qui permettent de donner forme à l’histoire économique, et spécialement démographico-rurale, de 1340 à 1720 »24.

L’autoconsommation était la règle et il n’y avait pas d’incitation à l’investissement. La technique agricole était primitive et les instruments rares et faits de bois. « This kind of statement », écrit Adriaan Verhulst en 2002, « [was] mostly made without the thorough support of texts or other evidence »25. Les textes de 1962 ouvrent pourtant la porte à deux décennies de « catastrophisme » pour l’image de l’économie rurale du Haut Moyen Âge dans les manuels et les synthèses : L’homme carolingien vit « au milieu des bois, sur un arrière-plan de faim (Jan Dhondt, 1968) ; il produit peu et mal : « la production des biens, son exiguïté ; une évidence, la faim, la pénurie (Renée Doehaerd, 1971). L’Histoire de la France rurale publiée en 1975 partage le Moyen Âge en deux époques : le Haut Moyen Âge, scandé par des titres de chapitre sans ambiguïté : « les VIe-VIIe siècles, la nuit barbare » ; « les temps carolingiens, la croissance impossible », précède « le temps de la croissance » depuis le XIe siècle jusqu’à 1340 (Guy Fourquin, 1975). En 1982, dans son Enfance de l’Europe, Robert Fossier pousse le tableau du sous-développement de l’agriculture carolingienne à son paroxysme26.

Paradoxalement, alors que ces idées se diffusent et se radicalisent, Georges Duby a progressivement pris ses distances. En 1973, dans Guerriers et Paysans, les préoccupations de l’historien sont désormais plus larges, étendues aux conditions écologiques, démographiques, technologiques et aux structures de la société. Il semble que devant les rudes critiques qui avaient accueilli l’ouvrage de Lynn White Jr., Medieval Technology and Social Change, Duby ait écarté l’application mécaniste de l’argument technologique, pour rechercher plus largement dans les conditions écologiques, démographiques, technologiques et les structures de la société, « les facteurs du développement économique dont l’Europe occidentale fut le lieu entre le VIIe et la fin du XIIe siècle »27.

Deux réunions internationales marquent un coup d’arrêt aux idées minimalistes. Invités en 1979 à Spolète à vérifier l’équation « Naissance de l’Europe et Europe carolingienne », Karl Ferdinand Werner, Pierre Riché et Eugen Ewig accueillent fraîchement l’exposé de Robert Fossier consacré aux tendances de l’économie. Leurs répliques relèvent toutefois de la démarche holistique que Richard Sullivan reprochait aux spécialistes de l’époque carolingienne : « Vous nous laissez », s’exclame Werner « en face d’un miracle carolingien, parce tout ce qu’on a fait dans tant d’autres domaines, on l’aurait réussi sans aucune base économique valable ». « Je ne peux », poursuit Pierre Riché, « expliquer les grandes réalisations carolingiennes sans supposer un essor économique »28. Pour sortir de cette impasse, il faudra attendre encore dix ans et la synthèse réalisée en 1988 à Flaran autour d’un questionnaire conçu par Charles Higounet peu avant sa mort : La croissance agricole du Haut Moyen Âge. Chronologie, modalités, géographie. Présidant la table-ronde finale, Georges Duby y est désormais dans la posture de l’arbitre29. Revenant en 1991 dans L’histoire continue sur la synthèse de 1960, il en souligne courageusement les points faibles : « mes suppositions relatives à l’évolution des rendements, au rôle de l’outillage, à la fonction des jachères se sont vite révélées mal fondées, et je ne me pardonne pas d’avoir suggéré l’idée qu’une révolution agricole avait eu lieu en Europe au XIIe siècle »30.

La « ruralisation » de la problématique du développement médiéval de l’Europe demeure un acquis fondamental de la recherche des années 1960. Elle a ruiné l’hypothèse centrale d’Henri Pirenne qui attribuait la naissance des villes au XIe siècle à un seul facteur exogène, la réussite d’une classe de déracinés, les marchands-entrepreneurs, agissant sur la ville « du dehors et non du dedans », sans aucun lien avec l’activité agricole31. « It is nowadays a common assumption », écrit en 1963 Rodney Hilton, « that there must have been an improvement in the productivity of agriculture to make possible the population growth, the urbanization and the commercial expansion of eleventh- to thirteenth-century Europe; this growth must have had an economic basis (…). Given the agrarian basis of society, the obvious conclusion is that these elements of the social and political superstructure were derived from the surplus product of agriculture, surplus, that is, after the subsistence of the basic producers had been provided »32. Hilton laisse l’alternative ouverte à propos de l’origine de l’augmentation des surplus disponibles pour une population non-agricole : un accroissement de la productivité agricole per capita (Lynn White Jr., Duby) ou une plus grande efficacité dans la manière de dérouter les surplus des producteurs aux non-producteurs, par exemple par l’augmentation de la rente et des taxes foncières.



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