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DROITS DE L’HOMME


Novaïa Gazeta, le journal qui dit Niet au Kremlin

De notre envoyé spécial

Par Axel Gyldèn, Alla Chevelkina, publié le 18/11/2009 à 17:30

Pressions, menaces, assassinats : les rédacteurs de Novaïa Gazeta exercent leur métier au péril de leur vie. Mais ils continuent de dénoncer les scandales, la répression en Tchétchénie... Enquête sur l'un des derniers médias indépendants de Russie.

Son bureau est toujours à sa place. Bien rangé. C'est comme si Anna Politkovskaïa s'était simplement absentée. Mais, on le sait, la journaliste vedette de Novaïa Gazeta ne reviendra pas. Assassinée de plusieurs balles tirées à bout portant dans le hall de son immeuble, le 7 octobre 2006, cette spécialiste de la Tchétchénie est devenue le symbole des pressions quotidiennes contre les médias indépendants russes. Et son bureau inoccupé, gris et rectangulaire comme une pierre tombale, fait penser à un mausolée: celui de la liberté d'expression.

"Nous n'avons pas conservé les bureaux des cinq autres collaborateurs de Novaïa Gazeta assassinés, de crainte que nos locaux ne finissent par ressembler à un cimetière, glisse une secrétaire. Mais certains de leurs objets sont toutefois exposés dans notre petit musée."

Dans le hall d'entrée, celui-ci raconte l'histoire de ce journal, devenu trihebdomadaire (qui paraît trois fois par semaine), fondé en 1993, après l'éclatement de l'Union soviétique. Derrière une vitrine, on découvre pêle-mêle le premier ordinateur de la rédaction, acquis grâce à l'argent du prix Nobel de Gorbatchev (détenteur de 10 % du capital de Novaïa Gazeta), un exemplaire du quotidien embarqué dans l'espace par des cosmonautes, le dispositif d'écoute dissimulé par les services secrets dans le combiné téléphonique de Youri Chekotchikhine, éliminé par empoisonnement en 2003, ou encore les carnets de reportage d'Anastasia Babourova, tuée par balle en janvier 2009, en pleine rue à moins de 1 kilomètre du Kremlin.

Six journalistes tués depuis 2000

Depuis l'année 2000, c'est-à-dire depuis le début de l'ère Poutine, pas moins de six collaborateurs de Novaïa Gazeta (Le Nouveau Journal) ont été assassinés par des tueurs à gages. Soit un tiers des journalistes tués en Russie au cours de la même période. Un funeste record pour cette pubication tirée à 325 000 exemplaires. Selon l'association Reporters sans frontières, "Novaïa Gazeta est emblématique de la presse de résistance qui couvre tous les sujets brûlants en dépit des pressions de tous ordres et de ses moyens limités".

A une époque où le Kremlin a la mainmise sur presque toutes les chaînes de télévision, lesquelles se contentent de diffuser essentiellement des bonnes nouvelles, Novaïa Gazeta constitue une exception, presque une anomalie. Avec la radio indépendante Echo de Moscou et quelques sites Internet, il échappe à la mise en coupe réglée par le pouvoir. "Au moins 80% des informations que nous publions ne sont traitées par aucun autre journal", souligne Sergueï Sokolov, 41 ans, l'austère directeur adjoint de la rédaction, diplômé en langue chinoise et en psychologie pour enfants.

Corruption, emprisonnements arbitraires, Tchétchénie, crimes racistes, scandales politico-mafieux: les sujets de prédilection du journal sentent le soufre. "Nous aimerions écrire sur d'autres thèmes mais le nombre de gens qui se tournent vers Novaïa Gazeta pour dénoncer une injustice est si élevé que notre engagement journalistique finit par se confondre avec un combat pour les droits de l'homme."

En trempant leur plume dans les plaies de la Russie, les journalistes de Novaïa Gazeta savent qu'ils risquent leur peau à tout moment. Et qu'ils travaillent sans filet ni protection. Deux chiffres résument la situation: dans les affaires de droit commun, le taux d'élucidation des crimes avoisine 97% ; dans le cas de meurtres de journalistes, il n'est que de... 2%.

"En Russie, les gens qui assassinent des journalistes savent qu'ils n'ont rien à craindre, constate Sergueï Sokolov. L'impunité dont ils jouissent équivaut à un permis de tuer". De surcroît, les pouvoirs publics ont rarement affiché une tendresse démesurée pour cette profession. Selon l'un des rédacteurs de Novaïa Gazeta, le Premier ministre russe, Vladimir Poutine, aurait un jour confié à l'un de ses confrères qu'il ne connaissait que deux catégories de journalistes: les traîtres à la patrie et les ennemis de la Russie.

La chasse au scoop continue

Dix journalistes de Novaïa Gazeta, sur soixante-dix au total, se trouvent actuellement dans la "zone à risque", calcule Vitali Yarochevsky, rédacteur en chef de la rubrique société. Pour ceux-là, les menaces de mort peuvent se concrétiser à n'importe quel moment. Évidemment, les enquêteurs du service investigations et ceux qui écrivent sur le Caucase sont les plus exposés.

"En fait, seuls les journalistes du service culture sont un peu à l'abri, poursuit-il. Quoique. S'ils mettent en cause des responsables politiques en dénonçant la détérioration du patrimoine architectural russe, alors les voici de nouveau dans la zone à risque."

Et pourtant, malgré les intimidations, les menaces, les passages à tabac par des inconnus, les assassinats, et malgré, également, leurs maigres émoluments (l'équivalent de 700 euros mensuels), aucun membre de la rédaction, qui compte de nombreuses femmes, n'a abandonné son poste.

"On nous pose toujours la question de la peur, poursuit Vitali Yarochevsky. Mais, sans être des superhéros, nous n'avons tout simplement pas le temps d'avoir peur, car nous sommes dévorés par notre travail. Et puis, céder à la peur nous conduirait sur le chemin de la folie."

Après l'assassinat d'Anna Politkovskaïa, la direction du journal avait toutefois pris des mesures de protection en s'adjoignant les services de gardes du corps pendant quelques semaines. Depuis neuf mois, c'est au tour d'Alexeï Venediktov, directeur de la rédaction d'Echo de Moscou, de se déplacer sous la protection d'une escorte armée. Un soir de l'hiver dernier, en rentrant chez lui, il trouve une énorme hache plantée dans une bûche posée devant la porte de son domicile. L'avertissement pouvait difficilement être plus clair.

D'autres types de pressions s'exercent sur les médias indépendants. "Ces dernières années, explique Alexeï Venediktov, la Douma (le Parlement) a voté 43 amendements qui durcissent la législation fiscale des entreprises de presse, obligeant des dizaines de petits journaux régionaux à fermer. De nouvelles lois du Code électoral visent, par ailleurs, à limiter les possibilités de critique à l'encontre du pouvoir. Enfin, les télévisions privées, nombreuses avant Poutine, n'ont plus guère d'influence. Les six principales chaînes sont contrôlées par l'Etat, alors que quatre d'entre elles étaient auparavant indépendantes."

Pour sa part, Novaïa Gazeta doit faire face à des problèmes de distribution. "En province, pointe Sergueï Sokolov, celle-ci est parfois bloquée par la volonté du pouvoir local, qui ne tient pas à ce que nous mettions le nez dans les dossiers immobiliers, par exemple à Sotchi, la ville des Jeux olympiques d'hiver de 2014, où les chantiers de construction donnent lieu à des pots-de-vin."

Mais, pour le journal, le problème le plus délicat reste celui de la Tchétchénie. Après l'assassinat de la militante et journaliste Natalia Estemirova, le 15 juillet dernier, à Grozny, où elle résidait, la rédaction en chef a dû se résoudre à ne plus couvrir le conflit sur le terrain.

"Nos adversaires ont certes remporté une manche, admet Sergueï Sokolov. Mais, de toute façon, il est inutile de critiquer Ramzan Kadirov [NDLR : le président tchétchène]. Il restera protégé aussi longtemps que Poutine sera au pouvoir. En outre, les hommes de main du président tchétchène sont infiltrés partout dans Moscou. Et je ne veux pas que nos journalistes passent leur temps à regarder par-dessus leur épaule lorsqu'ils marchent dans les rues de la capitale."

Les soupçons se portent en effet sur les hommes de main de Kadirov, puisque trois des six journalistes tués travaillaient sur le dossier tchétchène. Cependant, dans le cas du double assassinat Babourova-Markelov, en janvier 2009, un ultranationaliste a été arrêté et, après être passé aux aveux, il a dit avoir agi par vengeance.

Malgré l'adversité, la chasse au scoop continue. Le 21 septembre dernier, Novaïa Gazeta a ainsi publié des écoutes téléphoniques effectuées par la justice dans lesquelles le général des troupes aéroportées Vladimir Chamanov - un vétéran de la guerre de Tchétchénie, où il était réputé pour sa brutalité - ordonne à un officier d'envoyer des troupes d'élite empêcher une perquisition dans l'usine de son gendre, au nord de Moscou.

"Le nom de famille [NDLR : de l'enquêteur du parquet] est Tselipotkine, il faut l'interner!" ordonne-t-il. A la suite de ces révélations, le scandale est énorme à Moscou, ce qui provoque - chose rare - des réactions en chaîne à la radio, à la télévision et jusqu'au ministère de la Défense, où, assure-t-on, "une enquête interne est en cours."

La relève d'Anna Politkovskaïa est assurée...

Paradoxalement, l'isolement de Novaïa Gazeta fait également sa force. Afin d'être un tant soit peu informés, les clans rivaux qui gravitent autour du pouvoir ne peuvent se dispenser de la lecture de ce journal réputé pour la fiabilité de ses articles. Il est, par exemple, le seul à couvrir de manière exhaustive le procès, en cours, de l'ex-oligarque Mikhaïl Khodorkovski, ancien président de la société Ioukos (naguère la plus importante société pétrolière privée du monde) et ennemi intime de Vladimir Poutine.

"Par sa dimension politique, le procès Khodorkovski est notre affaire Dreyfus à nous, affirme Sergueï Sokolov, directeur adjoint de la rédaction. Nous assistons à toutes les audiences. C'est un très grand procès politique, dont les minutes finiront dans les livres d'histoire."

"Travailler à Novaïa Gazeta, c'est plus que du journalisme, confie, au sortir de la salle d'audience, la jeune et talentueuse chroniqueuse judiciaire Vera Tchelicheva, 23 ans, qui raconte cette affaire comme un roman policier. Ce journal est une dame exigeante qui ne tolère pas une approche superficielle des choses. Chacun sait qu'il remplit, à son modeste niveau, une sorte de mission démocratique."

Lui arrive-t-il d'avoir peur? "Vous savez, les accusateurs de Khodorkovski affirment que les journalistes présents au procès - en l'occurrence, je suis la seule - sont payés par lui. C'est faux, évidemment. Alors de temps en temps, je m'inquiète un peu. Mais, au moment d'écrire, ce sentiment disparaît. Et je me concentre sur mon travail. Sans réfléchir à la manière dont mon article sera perçu dans les cercles du pouvoir." La relève d'Anna Politkovskaïa est assurée.
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/novaia-gazeta-le-journal-qui-dit-niet-au-kremlin_829327.html?p=3



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