De la grammatologie



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LINGUISTIQUE ET GRAMMATOLOGIE

tèmes de signes distincts » (p. 45). Car le propre du signe,

c'est de n'être pas image. Par un mouvement dont on sait ce

qu'il donna à penser à Freud dans la Traumdeutung, Saussure

accumule ainsi les arguments contradictoires pour emporter la

décision satisfaisante : l'exclusion de l'écriture. En vérité, même

dans l'écriture dite phonétique, le signifiant « graphique »

renvoie au phonème à travers un réseau à plusieurs dimensions

qui le relie, comme tout signifiant, à d'autres signifiants écrits

et oraux, à l'intérieur d'un système « total », disons ouvert à

tous les investissements de sens possibles. C'est de la possibi-

lité de ce sytème total qu'il faut partir.

Saussure n'a donc jamais pu penser que l'écriture fût vrai-

ment une « image », une « figuration », une « représentation »

de la langue parlée, un symbole. Si l'on considère qu'il eut

pourtant besoin de ces notions inadéquates pour décider de

l'extériorité de l'écriture, on doit conclure que toute une strate

de son discours, l'intention du chapitre VI (Représentation de



la langue par l'écriture), n'était rien moins que scientifique.

Disant cela, nous ne visons pas d'abord l'intention ou la moti-

vation de Ferdinand de Saussure mais toute la tradition non-

critique dont il est ici l'héritier. A quelle zone du discours

appartient ce fonctionnement étrange de l'argumentation, cette

cohérence du désir se produisant de manière quasi onirique

— mais elle éclaire le rêve plutôt qu'elle ne se laisse éclairer

par lui — à travers une logique contradictoire ? Comment ce

fonctionnement s'articule-t-il avec l'ensemble du discours théo-

rique, à travers toute l'histoire de la science ? Mieux, comment

travaille-t-il de l'intérieur le concept de science lui-même ? C'est

seulement quand cette question aura été élaborée — si elle l'est

un jour —, quand on aura déterminé hors de toute psychologie

(comme de toute science de l'homme), hors de la métaphysique

(qui peut aujourd'hui être « marxiste » ou « structuraliste »), les

concepts requis par ce fonctionnement, quand on sera en mesure

d'en respecter tous les niveaux de généralité et d'emboîtement,

c'est alors seulement qu'on pourra poser rigoureusement le pro-

blème de l'appartenance articulée d'un texte (théorique ou autre)

à un ensemble : ici, par exemple, la situation du texte saussurien

que nous ne traitons pour le moment, c'est trop évident, que

comme un index très voyant dans une situation donnée, sans

prétendre disposer encore des concepts requis par le fonctionne-

ment dont nous venons de parler. Notre justification serait



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DE LA GRAMMATOLOGIE

la suivante : cet index et quelques autres (d'une manière géné-

rale le traitement du concept d'écriture) nous donnent déjà

le moyen assuré d'entamer la dé-construction de la plus grande



totalité — le concept d'epistémè et la métaphysique logocen-

trique — dans laquelle se sont produites, sans jamais poser

ia question radicale de l'écriture, toutes les méthodes occiden-

tales d'analyse, d'explication, de lecture ou d'interprétation.

Il faut maintenant penser que l'écriture est à la fois plus

extérieure à la parole, n'étant pas son « image » ou son « sym-

bole », et plus intérieure à la parole qui est déjà en elle-même

une écriture. Avant même d'être lié à l'incision, à la gravure,

au dessin ou à la lettre, à un signifiant renvoyant en général

à un signifiant par lui signifié, le concept de graphie implique,

comme la possibilité, commune à tous les systèmes de signi-

fication, l'instance de la trace instituée. Notre effort visera

désormais à arracher lentement ces deux concepts au discours

classique auquel nous les empruntons nécessairement. Cet

effort sera laborieux et nous savons a priori que son efficacité

ne sera jamais pure et absolue.

La trace instituée est « immotivée » mais elle n'est pas

capricieuse. Comme le mot « arbitraire » selon Saussure, elle

« ne doit pas donner l'idée que le signifiant dépend du libre

choix du sujet parlant » (p. 101). Simplement elle n'a aucune

« attache naturelle » avec le signifié dans la réalité. La rupture

de cette « attache naturelle » remet pour nous en question

l'idée de naturalité plutôt que celle d'attache. C'est pourquoi

le mot « institution » ne doit pas être trop tôt interprété dans

le système des oppositions classiques.

On ne peut penser la trace instituée sans penser la rétention

de la différence dans une structure de renvoi où la différence

apparaît comme telle et permet ainsi une certaine liberté de

variation entre les termes pleins. L'absence d'un autre ici-main-

tenant, d'un autre présent transcendantal, d'une autre origine

du monde apparaissant comme telle, se présentant comme

absence irréductible dans la présence de la trace, ce n'est pas

une formule métaphysique substituée à un concept scientifique

de l'écriture. Cette formule, outre qu'elle est la contestation

de la métaphysique elle-même, décrit la structure impliquée

par 1' « arbitraire du signe », dès lors qu'on en pense la possi-

bilité en-deçà de l'opposition dérivée entre nature et conven-

tion, symbole et signe, etc. Ces oppositions n'ont de sens que

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depuis la possibilité de la trace. L' « immotivation » du signe

requiert une synthèse dans laquelle le tout autre s'annonce

comme tel — sans aucune simplicité, aucune identité, aucune

ressemblance ou continuité — dans ce qui n'est pas lui.

S'annonce comme tel : c'est là toute l'histoire, depuis ce que la

métaphysique a déterminé comme le « non-vivant » jusqu'à la

« conscience », en passant par tous les niveaux de l'organisa-

tion animale. La trace, où se marque le rapport à l'autre,

articule sa possibilité sur tout le champ de l'étant, que la méta-

physique a déterminé comme étant-présent à partir du mou-

vement occulté de la trace. Il faut penser la trace avant l'étant.

Mais le mouvement de la trace est nécessairement occulté, il

se produit comme occultation de soi. Quand l'autre s'annonce

comme tel, il se présente dans la dissimulation de soi. Cette

formulation n'est pas théologique, comme on pourrait le croire

avec quelque précipitation. Le « théologique » est un moment

déterminé dans le mouvement total de la trace. Le champ de

l'étant, avant d'être déterminé comme champ de présence, se

structure selon les diverses possibilités — génétiques et struc-

turales — de la trace. La présentation de l'autre comme tel,

c'est-à-dire la dissimulation de son « comme tel », a toujours

déjà commencé et aucune structure de l'étant n'y échappe.

C'est pourquoi le mouvement de 1' « immotivation » passe

d'une structure à l'autre quand le « signe » franchit l'étape

du « symbole ». C'est en un certain sens et selon une cer-

taine structure déterminée du « comme tel » qu'on est autorisé

à dire qu'il ri'y a pas encore d'immotivation dans ce que Saus-

sure appelle le « symbole » et qui n'intéresse pas — au moins

provisoirement, dit-il — la sémiologie. La structure générale

de la trace immotivée fait communiquer dans la même possi-

bilité et sans qu'on puisse les séparer autrement que par abstrac-

tion, la structure du rapport à l'autre, le mouvement de la

temporalisation et le langage comme écriture. Sans renvoyer

à une « nature », l'immotivation de la trace est toujours



devenue. Il n'y a pas, à vrai dire, de trace immotivée : la trace

est indéfiniment son propre devenir-immotivée. En langage

saussurien, il faudrait dire, ce que ne fait pas Saussure : il

n'y a pas de symbole et de signe mais un devenir-signe du

symbole.

Aussi, comme il va sans dire, la trace dont nous parlons

n'est pas plus naturelle (elle n'est pas la marque, le signe

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