PLATON — GORGIAS
— traduction d’Émile CHAMBRY 85
POLOS
Sans comparaison.
SOCRATE
Si c’est le plus laid, c’est aussi le plus mauvais ?
POLOS
Comment entends-tu cela, Socrate ?
SOCRATE
Voici : la chose la plus laide n’est telle que parce qu’elle cause le plus de
douleur, de dommage ou de ces deux maux à la fois ; c’est ce que nous avons
reconnu précédemment.
POLOS
C’est exact.
SOCRATE
Or n’avons-nous pas reconnu tout à l’heure que ce qu’il y a de plus laid, c’est
l’injustice et en général la méchanceté de l’âme ?
POLOS
Nous l’avons reconnu en effet.
SOCRATE
Et le plus laid n’est-il point tel parce que c’est le plus douloureux et le plus
pénible, ou parce que c’est le plus dommageable, ou à cause de l’un et de
l’autre ?
POLOS
Nécessairement.
SOCRATE
PLATON — GORGIAS
— traduction d’Émile CHAMBRY 86
Est-il donc plus pénible d’être injuste, intempérant, lâche et ignorant que
d’être pauvre et malade ?
POLOS
Il ne me semble pas, Socrate, d’après ce que nous avons dit.
SOCRATE
Il faut donc, pour que la méchanceté de l’âme soit la chose la plus laide du
monde, qu’elle surpasse tout par la grandeur extraordinaire du dommage et le
mal prodigieux qu’elle cause, puisque ce n’est point par la douleur, d’après ce
que tu as dit.
POLOS
477e-478a
C’est évident.
SOCRATE
Mais ce qui l’emporte par l’excès du dommage est le plus grand mal qui
existe.
POLOS
Oui.
SOCRATE
Donc l’injustice, l’intempérance et en général la méchanceté de l’âme sont les
plus grands maux du monde ?
POLOS
Il y a apparence.
SOCRATE
XXXIV. — Maintenant quel est l’art qui nous délivre de la pauvreté ?
N’est-ce pas l’économie ?
POLOS
PLATON — GORGIAS
— traduction d’Émile CHAMBRY 87
Si.
SOCRATE
Et de la maladie ? N’est-ce pas la médecine ?
POLOS
Incontestablement.
SOCRATE
Et de la méchanceté et de l’injustice ? Si ma question ainsi posée
t’embarrasse, reprenons-la de cette manière où et chez qui conduisons-nous
ceux dont le corps est malade ?
POLOS
Chez les médecins, Socrate.
SOCRATE
Et où conduit-on ceux qui s’abandonnent à l’injustice et à l’intempérance ?
POLOS
Tu veux dire qu’on les conduit devant les juges ?
SOCRATE
Pour y payer leurs fautes, n’est-ce pas ?
POLOS
Oui.
SOCRATE
Et maintenant n’est-ce pas en appliquant une certaine justice que l’on punit,
quand on punit avec raison ?
POLOS
PLATON — GORGIAS
— traduction d’Émile CHAMBRY 88
Évidemment si.
SOCRATE
478a-478c
Ainsi donc l’économie délivre de l’indigence, la médecine de la
maladie, la justice de l’intempérance et de l’injustice.
POLOS
Il y a apparence.
SOCRATE
Et laquelle de ces choses dont tu parles est la plus belle ?
POLOS
Quelles choses ?
SOCRATE
L’économie, la médecine, la justice.
POLOS
La plus belle de beaucoup, Socrate, c’est la justice.
SOCRATE
C’est donc elle aussi, puisqu’elle est la plus belle, qui procure le plus de
plaisir ou de profit ou des deux à la fois.
POLOS
Oui.
SOCRATE
Est-ce une chose agréable d’être entre les mains des médecins, et prend-on
plaisir à se laisser traiter par eux ?
PLATON — GORGIAS
— traduction d’Émile CHAMBRY 89
POLOS
Je ne le crois pas.
SOCRATE
Mais on y a profit, n’est-ce pas ?
POLOS
Oui.
SOCRATE
Car on est délivré d’un grand mal, et l’on a avantage à supporter la douleur et
à recouvrer la santé.
POLOS
Sans doute.
SOCRATE
Dans ces conditions, quand est-ce qu’on est dans la meilleure condition
physique, lorsqu’on est entre les mains des médecins, ou lorsqu’on n’est pas
du tout malade ?
POLOS
C’est évidemment quand on n’a aucune maladie.
SOCRATE
C’est qu’en effet le bonheur ne consiste pas,
478c-478e
semble-t-il, à être délivré
d’un mal, mais à n’en pas avoir du tout.
POLOS
C’est vrai.
SOCRATE
PLATON — GORGIAS
— traduction d’Émile CHAMBRY 90
Et de deux hommes dont le corps ou l’âme sont atteints par le mal lequel est le
plus malheureux, celui qu’on traite et qu’on délivre de son mal, ou celui qui
n’est point traité et qui le garde ?
POLOS
Il me semble que c’est celui qui n’est point traité.
SOCRATE
N’avons-nous pas dit que payer sa faute, c’était se délivrer du plus grand mal,
la méchanceté ?
POLOS
Nous l’avons dit en effet.
SOCRATE
C’est qu’en effet la punition assagit et rend plus juste, et que la justice est
comme la médecine de la méchanceté.
POLOS
Oui.
SOCRATE
Le plus heureux par conséquent est celui qui n’a point de vice dans l’âme,
puisque nous avons vu que c’était le plus grand des maux.
POLOS
Sans aucun doute.
SOCRATE
Au second rang vient celui qu’on délivre du vice.
POLOS
Il semble.
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