Histoire du Canada (1944) 1



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Lettre à lord Elgin


Lettre adressée à lord Elgin, gouverneur général du Canada.

Milord,


Si j’avais su plus tôt que Votre Excellence daignait prendre quelque intérêt à l’ouvrage que j’ai commencé sur le Canada, je me serais empressé de lui faire parvenir ce que j’en ai d’imprimé, persuadé qu’elle aurait trouvé dans les événements dont je retrace le tableau, de quoi se former une juste idée des vœux et des sentiments d’une partie nombreuse des peuples qu’elle a été appelée à gouverner. Aujourd’hui qu’elle a bien voulu s’exprimer avec bienveillance à cet égard, je la prie de vouloir bien me faire l’honneur d’accepter l’exemplaire de l’Histoire du Canada que M. Fabre lui fera remettre aussitôt qu’il sera relié.

J’ai entrepris ce travail dans le but de rétablir la vérité si souvent défigurée, et de repousser les attaques et les insultes dont mes compatriotes ont été et sont encore journellement l’objet de la part d’hommes qui voudraient les opprimer et les exploiter tout à la fois. J’ai pensé que le meilleur moyen d’y parvenir était d’exposer tout simplement leur histoire. Je n’ai pas besoin de dire que ma tâche me forçait d’être encore plus sévère dans l’esprit que dans l’exposé matériel des faits. La situation des Canadiens français, tant par rapport à leur nombre que par rapport à leurs lois et à leur religion, m’imposait l’obligation rigoureuse d’être juste ; car le faible doit avoir deux fois raison avant de réclamer un droit en politique. Si les Canadiens n’avaient eu qu’à s’adresser à des hommes dont l’antique illustration, comme celle de la race de Votre Excellence, fût un gage de leur honneur et de leur justice, cette nécessité n’aurait certes pas existé ; mais, soit que l’on doive en attribuer la cause aux préjugés, à l’ignorance ou à toute autre chose, il est arrivé souvent dans ce pays que cette double preuve a été encore insuffisante.

Les outrages séditieux que l’on vient de commettre à l’égard de Votre Excellence, dont la personne devrait être sacrée comme celle de la Reine qu’elle représente, démontrent suffisamment l’audace de ceux qui s’en sont rendus coupables ; audace qu’ils n’ont manifestée que parce qu’on les a accoutumés, depuis longtemps, à obtenir tout ce qu’ils demandaient, juste ou injuste. En quel autre pays du monde aurait-on vu une poignée d’hommes oser insulter la personne du souverain dans son représentant et le peuple tout entier dans celle de ses députés élus par un suffrage presque universel ? Or, si ces gens ont pu se porter à de pareils attentats aujourd’hui, de quelle manière ne devaient-ils pas agir envers les Canadiens français, qu’ils traitaient d’étrangers et de vaincus, lorsqu’ils avaient le pouvoir de les dominer ? En jugeant ainsi par comparaison, Votre Excellence peut facilement se rendre compte de la cause des dissensions qui ont déchiré ce pays pendant si longtemps et du désespoir qui a poussé une partie des Canadiens du district de Montréal à prendre les armes en 1837.

Si les Canadiens ont enduré patiemment un pareil état de choses, il ne faut pas croire, malgré leurs mœurs paisibles et agrestes, que ce soit la timidité ou la crainte qui les ait empêchés de songer à secouer le joug. Ils sortent de trop bonne race pour ne pas faire leur devoir lorsqu’ils y sont appelés. Leur conduite dans la terrible guerre de 1755, pendant le siège de Québec en 1775-76, et au cours de la guerre de 1812 et même, malgré leur petit nombre, dans les combats de Saint-Denis, de Saint-Charles et de Saint-Eustache, en 1837, attestent assez leur courage pour qu’on les traite avec respect. Leur immobilité apparente tient à leurs habitudes monarchiques et à leur situation spéciale comme race distincte dans l’Amérique du Nord, ayant des intérêts particuliers qui redoutent le contact d’une nationalité étrangère. Ce sont ces deux puissants mobiles qui les ont fait revenir sur leurs pas en 1776, après avoir pour la plupart embrassé un instant la cause américaine ; qui les ont fait courir aux armes en 1812, et qui les ont retenus en 1837.

Je n’ai pas besoin d’ajouter que si les États-Unis étaient français ou le Canada tout anglais, celui-ci en formerait partie depuis longtemps ; car, dans le Nouveau Monde, la société étant essentiellement composée d’éléments démocratiques, la tendance naturelle des populations est de revêtir la forme républicaine. Vous m’accuserez peut-être, Milord, de baser ici mes raisonnements sur l’intérêt seul ; j’avoue que ce mobile n’est pas le plus élevé ; mais il est fort puissant surtout aux yeux des adversaires des Canadiens ; et quant aux raisons qui tiennent à de plus nobles inspirations, je n’ai pas besoin de les faire valoir, Votre Excellence les trouve déjà dans son propre cœur.

J’en ai peut-être dit assez pour faire voir que ceux qui voudraient réduire les Canadiens français à l’ilotisme – car leur transformation nationale, si elle doit avoir lieu, ne peut-être que l’œuvre du temps – ne le font point dans l’intérêt du grand empire dont nous faisons partie ; que, bien au contraire, ce sont les intérêts canadiens-français qui ont empêché jusqu’à présent le Canada de tomber dans l’orbite de la République américaine ; que l’Écosse, avec des lois et une religion différentes de celles de l’Angleterre, n’est pas moins fidèle que cette dernière au drapeau britannique, et que sur les champs de bataille le montagnard calédonien ne cède point sa place au grenadier anglais malgré son dialecte gallois. De tout cela, il résulte, à mes yeux, qu’il est de l’intérêt de la Grande-Bretagne de protéger les Canadiens ; car on ne peut prévoir quel effet la perte de l’Amérique britannique et son union avec les États-Unis auraient avec le temps sur la puissance maritime et commerciale de l’Angleterre.

Ces considérations, Milord, et bien d’autres qui se présentent à l’esprit, ont sans doute déjà frappé l’attention de Votre Excellence et des autres hommes d’État de la métropole. Votre attitude si propre à rassurer les colons sur leurs droits constitutionnels, recevra, je n’en doute point, l’appui du gouvernement de Londres et contribuera au maintien de l’intégrité de l’empire. En laissant le Haut-Canada à ses lois et le Bas-Canada aux siennes, afin d’atténuer autant que possible ce qu’il peut y avoir d’hostile à mes compatriotes dans les motifs de l’Acte d’union ; en abandonnant au pays toute la puissance politique et législative dont il doit jouir par la voie de ses chambres et de ministres responsables, en tant que cela n’affaiblit pas le lien qui l’unit à l’Angleterre, celle-ci n’aura rien à craindre des cris de quelques mécontents qui ne sauraient mettre en danger la sécurité de la colonie, si les partis politiques de Londres ont la sagesse de ne point s’en prévaloir dans leurs luttes pour obtenir le pouvoir.

Je prie Votre Seigneurie de me pardonner de m’être étendu si longuement sur la situation politique de ce pays. Je m’y suis laissé entraîner par les réflexions que me suggère l’étude que je suis obligé de faire du passé pour l’œuvre que j’ai entreprise et dont le fruit remplirait le plus ardent de mes vœux, s’il pouvait faire disparaître tous les préjugés du peuple anglais contre les Canadiens au sujet de leur loyalisme, et ramener la confiance et la justice dans les appréciations réciproques des deux peuples. C’est le but de Votre Excellence, j’en ai la conviction, dans la tâche noble mais difficile dont elle s’est chargée.

F.-X. Garneau

Québec, 19 mai 1849.



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