De la grammatologie



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DE LA GRAMMATOLOGIE

vite. Elles circulent dans des concepts fort peu critiqués et se

meuvent dans des évidences qui semblent depuis toujours aller

de soi. Autour de ces réponses s'ordonnent chaque fois une

typologie et une mise en perspective du devenir des écritures.

Tous les ouvrages traitant de l'histoire de l'écriture sont com-

posés selon la même forme : une classification de type philo-

sophique et téléologique épuise les problèmes critiques en

quelques pages et l'on passe ensuite à l'exposition des faits..

Contraste entre la fragilité théorique des reconstructions et la

richesse historique, archéologique, ethnologique, philologique de

l'information.

Origine de l'écriture, origine du langage, les deux questions

se séparent difficilement. Or les grammatologues, qui sont en

général, par formation, des historiens, des épigraphistes, des

archéologues, lient rarement leurs recherches à la science

moderne du langage. On en est d'autant plus surpris que la

linguistique est, parmi les « sciences de l'homme », celle dont

on donne la scientificité en exemple avec une unanimité

empressée et insistante.

La grammatologie peut-elle donc attendre en droit de la lin-

guistique un secours essentiel qu'elle n'a presque jamais cherché

en fait ? Ne décèle-t-on pas au contraire, efficacement à l'œuvre

dans le mouvement même par lequel la linguistique s'est ins-

tituée comme science, une présupposition métaphysique quant

aux rapports entre parole et écriture ? Est-ce que cette présup-

position ne ferait pas obstacle à la constitution d'une science

générale de l'écriture ? Est-ce qu'à lever cette présupposition

on ne bouleverse pas le paysage dans lequel s'est paisiblement

installée la science du langage ? Pour le meilleur et pour le

pire ? Pour l'aveuglement et pour la productivité ? Tel est le

deuxième type de question que nous voudrions esquisser main-

tenant. Pour la préciser, nous préférons nous approcher, comme

d'un exemple privilégié, du projet et des textes de Ferdinand

de Saussure. Que la particularité de l'exemple n'entame pas la

généralité de notre propos, nous essaierons ici ou là de faire

un peu plus que le présumer.

La linguistique veut donc être la science du langage. Laissons

ici de côté toutes les décisions implicites qui ont établi un tel

projet et toutes les questions que la fécondité de cette science

laisse endormies quant à son origine même. Considérons d'abord

simplement, du point de vue qui nous intéresse, que la



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LINGUISTIQUE ET GRAMMATOLOGIE

scientificité de cette science lui est souvent reconnue en raison

de son fondement phonologique. La phonologie, dit-on si sou-

vent aujourd'hui, communique sa scientificité à la linguistique

qui sert elle-même de modèle épistémologique à toutes les

sciences humaines. L'orientation délibérément et systématique-

ment phonologique de la linguistique (Troubetzkoy, Jakobson,

Martinet) accomplissant une intention qui fut d'abord celle de

Saussure, nous nous en tiendrons, pour l'essentiel et au moins

provisoirement, à cette dernière. Ce que nous en dirons vau-

dra-t-il a fortiori pour les formes plus accusées du phonolo-

gisme ? Le problème sera au moins posé.

La science linguistique détermine le langage — son champ

d'objectivité — en dernière instance et dans la simplicité irré-

ductible de son essence, comme l'unité de phonè, glossa et

logos. Cette détermination est antérieure en droit à toutes les

différenciations éventuelles qui ont pu surgir dans les systèmes

terminologiques des différentes écoles (langue/parole ; code/

message ; schéma/usage ; linguistique/logique ; phonologie/pho-

nématique/phonétique/glossématique). Et même si l'on voulait

confiner la sonorité du côté du signifiant sensible et contingent

(ce qui serait à la lettre impossible, car des identités formelles

découpées dans une masse sensible sont déjà des idéalités non

purement sensibles), il faudrait admettre que l'unité immédiate

et privilégiée qui fonde la signifiance et l'acte de langage est

l'unité articulée du son et du sens dans la phonie. Au regard de

cette unité, l'écriture serait toujours dérivée, survenue, parti-

culière, extérieure, redoublant le signifiant : phonétique. « Signe

de signe » disaient Aristote, Rousseau et Hegel.

Pourtant, l'intention qui institue la linguistique générale en

science reste à cet égard dans la contradiction. Un propos

déclaré confirme bien, disant ce qui va sans dire, la subordina-

tion de la grammatologie, la réduction historico-métaphysique

de l'écriture au rang d'instrument asservi à un langage plein

et originairement parlé. Mais un autre geste (ne disons pas un

autre propos, car ici, ce qui ne va pas sans dire est fait sans

être dit, écrit sans être proféré) libère l'avenir d'une gramma-

tologie générale dont la linguistique-phonologique ne serait

qu'une région dépendante et circonscrite. Suivons chez Saussure

cette tension du geste et du propos.

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DE LA GRAMMATOLOGIE

Le dehors et le dedans

D'une part, selon la tradition occidentale qui règle non seu-

lement en théorie mais en pratique {au principe de sa pratique)

les rapports entre la parole et l'écriture, Saussure ne reconnaît

à celle-ci qu'une fonction étroite et dérivée. Etroite parce qu'elle

n'est, parmi d'autres, qu'une modalité des événements qui

peuvent survenir à un langage dont l'essence, comme semblent

l'enseigner les faits, peut toujours rester pure de tout rapport

à l'écriture. « La langue a une tradition orale indépendante de

l'écriture » (Cours de linguistique générale, Clg., p. 46). Dérivée

parce que représentative : signifiant du signifiant premier, repré-

sentation de la voix présente à soi, de la signification immé-

diate, naturelle et directe du sens (du signifié, du concept, de

l'objet idéal ou comme on voudra). Saussure reprend la défi-

nition traditionnelle de l'écriture qui déjà chez Platon et chez

Aristote se rétrécissait autour du modèle de l'écriture phoné-

tique et du langage de mots. Rappelons la définition aristoté-

licienne : « Les sons émis par la voix sont les symboles des

états de l'âme, et les mots écrits les symboles des mots émis par

la voix. » Saussure : « Langage et écriture sont deux systèmes

de signes distincts ; l'unique raison d'être du second est de

représenter le premier » (Olg., p. 45. Nous soulignons). Cette

détermination représentative, outre qu'elle communique sans

doute essentiellement avec l'idée de signe, ne traduit pas un

choix ou une évaluation, ne trahit pas une présupposition psy-

chologique ou métaphysique propre à Saussure, elle décrit ou

plutôt reflète la structure d'un certain type d'écriture : l'écri-

ture phonétique, celle dont nous nous servons et dans l'élément

de laquelle l'epistémè en général (science et philosophie), la

linguistique en particulier, ont pu s'instaurer. Il faudrait d'ail-

leurs dire modèle plutôt que structure : il ne s'agit pas d'un

système construit et fonctionnant parfaitement mais d'un idéal

dirigeant explicitement un fonctionnement qui en fait n'est

jamais de part en part phonétique. En fait mais aussi pour

des raisons d'essence sur lesquelles nous reviendrons souvent.

Ce factum de l'écriture phonétique est massif, il est vrai,

il commande toute notre culture et toute notre science, et il

n'est certes pas un fait parmi d'autres. Il ne répond néanmoins

à aucune nécessité d'essence absolue et universelle. Or c'est à

partir de lui que Saussure définit le projet et l'objet de la

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