De la grammatologie



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DE LA GRAMMATOLOGIE COMME SCIENCE POSITIVE

y est toujours nécessairement et indispensablement à l'œuvre.

Or il serait facile de montrer qu'il renvoie toujours à une théo-

logie infinitiste et au logos ou entendement infini de Dieu

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.

C'est pourquoi malgré l'apparence, et malgré toute la séduction



qu'il peut légitimement exercer sur notre époque, le projet leibni-

zien d'une caractéristique universelle qui ne soit pas essentielle-

ment phonétique n'interrompt nullement le logocentrisme. Elle

le confirme au contraire, se produit en lui et grâce à lui, tout

comme la critique hegelienne à laquelle elle sera soumise. C'est

la complicité de ces deux mouvements contradictoires que nous

visons ici. Il y a une unité profonde, à l'intérieur d'une cer-

taine époque historique, entre la théologie infinitiste, le logo-

centrisme et un certain technicisme. L'écriture originaire et

pré- ou méta-phonétique que nous tentons ici de penser ne

conduit à rien moins qu'un « dépassement » de la parole par

la machine.

Le logocentrisme est une métaphysique ethnocentrique, en

un sens original et non « relativiste ». Il est lié à l'histoire

de l'Occident. Le modèle chinois ne l'interrompt qu'en appa-

rence lorsque Leibniz s'y réfère pour enseigner la Caractéris-

tique. Non seulement ce modèle reste une représentation domes-

14. Cf. par exemple, entre tant d'autres textes, Monadologie

1 à 3 et 51. Il n'entre ici ni dans notre propos ni dans nos possi-

bilités de faire la démonstration interne du lien entre la caractéris-

tique et la théologie infinitiste de Leibniz. Il faudrait pour cela

traverser et épuiser le contenu même du projet. Nous renvoyons

sur ce point aux ouvrages déjà cités. Comme Leibniz lorsqu'il veut

rappeler dans une lettre le lien entre l'existence de Dieu et la

possibilité de l'écriture universelle, nous dirons ici que « c'est une

proposition dont [nous ne saurions] bien donner la démonstration

sans expliquer au long les fondements de la caractéristique » : « Mais

à présent, il me suffit de remarquer que ce qui est le fondement de

ma caractéristique l'est aussi de la démonstration de l'existence de

Dieu ; car les pensées simples sont les éléments de la caractéristique,

et les formes simples sont la source des choses. Or je soutiens que

toutes les formes simples sont compatibles entre elles. C'est une pro-

position dont je ne saurais bien donner la démonstration sans

expliquer au long les fondements de la caractéristique. Mais si

elle est accordée, il s'ensuit que la nature de Dieu qui enferme

toutes les formes simples absolument prises, est possible. Or nous

avons prouvé ci-dessus, que Dieu est, pourvu qu'il soit possible.

Donc il existe. Ce qu'il fallait démontrer ». (Lettre à la princesse



Elisabeth, 1678). Il y a un lien essentiel entre la possibilité de

l'argument ontologique et celle de la Caractéristique.

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DE LA GRAMMATOLOGIE

tique


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, mais on n'en fait l'éloge que pour y désigner un

manque et définir des corrections nécessaires. Ce que Leibniz

tient à prêter à l'écriture chinoise, c'est son arbitraire et donc

son indépendance à l'égard de l'histoire. Cet arbitraire a un

lien essentiel avec l'essence non-phonétique que Leibniz croit

pouvoir attribuer à l'écriture chinoise. Celle-ci semble avoir été

« inventée par un sourd » (Nouveaux Essais) :

« Loqui est voce articulata signum dare cogitationis

suae. Scribere est id facere permanentibus in charta ductibus.

Quos ad vocem referri non est necesse, ut apparet ex Sinen-

sium characteribus » (Opuscules, p. 497).

Ailleurs :

« Il y a peut-être quelques langues artificielles qui sont

toutes de choix et entièrement arbitraires, comme l'on croit

que l'a été celle de la Chine, ou comme le sont celles de

Georgius Dalgarnus et de feu M. Wilkins, évêque de

Chester »

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.

Dans une lettre au Père Bouvet (1703), Leibniz tient à dis-



tinguer l'écriture égyptienne, populaire, sensible, allégorique, et

l'écriture chinoise, philosophique et intellectuelle :

... les caractères chinois sont peut-estre plus philosophiques

et paroissent bastis sur des considérations plus intellectuelles,

telles que donnant les nombres, l'ordre et les relations ; ainsi

il n'y a que des traits détachés qui ne butent à aucune res-

semblance avec quelque espèce de corps. »

Cela n'empêche pas Leibniz de promettre une écriture dont

la chinoise ne sera encore qu'une ébauche :

« Cette sorte de calcul donneroit en même temps une espèce

15. Cf. DE ch. IV.

16. Nouveaux essais, III, II, § 1. Dalgarno publia en 1661 l'ou-

vrage intitulé Ars signorum, vulgo character universalis et lingua

philosophica. Sur Wilkins, cf. supra, Couturat, op. cit., et DE.,

passim. Une écriture ou une langue de pure institution et de pur

arbitraire ne peut avoir été inventée, comme système, que d'un seul

coup. C'est ce que, avant Duclos, Rousseau et Levi-Strauss (cf. infra),

Leibniz juge probable : « Aussi était-ce la pensée de Golius, célèbre

mathématicien et grand connaisseur des langues, que leur langue

est artificielle, c'est-à-dire qu'elle a été inventée tout à la fois par

quelque habile homme pour établir un commerce de paroles entre

quantité de nations différentes qui habitaient ce grand pays que

nous appelons la Chine, quoique cette langue pourrait se trouver

altérée maintenant par le long usage « (III, I, § 1).

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