Frère Sylvestre


CHAPITRE II ième CHOSES EDIFIANTES: VERTUS, TRAITS, REFLEXIONS



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CHAPITRE II ième

CHOSES EDIFIANTES: VERTUS, TRAITS, REFLEXIONS

§ I.82
l'. Le souvenir fréquent de la sainte présence de Dieu a été pendant la vie du Vénéré Père sa pratique de prédilection; elle était pour ainsi dire l'âme de son âme. A voir son air calme, grave et recueilli, on pouvait bien croire que toujours il avait Dieu présent. Je me souviens que lorsqu'il faisait la méditation, il la commençait par ces paroles du psaume 138: « Quo ibo a spiritu tuo? »... Il les prononçait d'un ton de voix si accentué et si solennel qu'elles produisaient dans l'âme une impression inexprimable, et portaient à un tel recueillement qu y on osait à peine respirer. Que souvent elles m'ont servi de préservatif contre l'offense de Dieu et de préparation prochaine à l'oraison! C'était à temps et à contretemps qu'il nous rappelait le souvenir de cette sainte présence, nous disant que cette pratique pouvait avantageusement nous tenir lieu de toutes les autres, pour avancer à grands pas dans la voie de la perfection. Il nous recommandait que [254] si nous venions à oublier Celui en qui nous avons la vie, le mouvement et l'être, de ne pas manquer d'y penser au moins lorsque le tintement de la cloche vient nous rappeler ce grand Dieu qui surveille toutes nos actions.


2°. Toutefois, il ne faut pas croire que son extérieur grave et recueilli, fruit de cette ste présence, et qui, à première vue, inspirait le respect et quelquefois la crainte, l'empêchât, lorsque les circonstances ou les convenances l'exigeaient, d'être gai et même plaisant. Ainsi, pendant les récréations il jouait quelquefois avec nous pour mettre le jeu en train, mais on remarquait que c'était comme l'Apôtre, « dans le Seigneur qu'il se réjouissait » car toujours il conservait son rang de supérieur et sa dignité de ministre de J.-C. Aussi, ne saché-je pas lui avoir ouï dire une seule parole qui aurait pu blesser la charité ou choquer les plus exquises convenances. Jamais, je ne l'ai vu non plus se permettre la moindre familiarité avec qui que ce fût; et, sur ce point, il était d'une telle réserve qu'il se serait fait scrupule non seulement de prendre quelqu'un par la main, de le caresser, etc., mais même de toucher ses vêtements sans raison; bien plus, lorsque quelques Frères se permettaient, en jouant, quelque chose de semblable, il leur rappelait à l'instant ces paroles que je lui ai entendu répéter bien des fois « Jeu de main, jeu de vilain ». En un mot, on remarquait, en tout et partout, dans sa conduite, qu'il agissait sous les regards de Dieu, qu'il semblait voir par les yeux de la foi comme s'il l'eût vu réellement par les yeux du corps. Jugez d'après cela comme il a dû marcher à grands pas dans la voie de la perfection, suivant ces paroles de Dieu à Abraham: Marche en ma présence et tu seras parfait. Et la Ste Vierge à Nazareth avait-elle d'autre pratique ? [255]

§ II. Sa crainte et son horreur pour le péché (il n'avait point d'autre crainte)83


1°. On comprend aisément que le souvenir comme habituel de la présence de Dieu qu'avait le Vénéré Père lui inspirât une vive horreur du péché. Aussi ses instructions revenaient fréquemment sur ce mal qu'il appelait le mal des maux. Il nous remplissait tous d'effroi lorsqu'il nous en peignait les caractères et les funestes conséquences. Il se passait alors un je ne sais quoi dans l'âme qui faisait frissonner. A la vue de l'offense de Dieu, il ressentait un si grand sentiment de tristesse que souvent ses yeux se mouillaient de larmes. C'était surtout quand il parlait du péché contre le sixième précepte que le ton énergique de sa voix, se déployant dans toute son intensité, atterrait son auditoire et le remplissait d'une crainte salutaire qui donnait un éloignement des plus prononcés pour ce vice dont il ne pouvait supporter les actes contagieux.

2°. Voici un fait qui s'est passé à Lavalla pendant la construction de l'Hermitage; je le cite parce que j'ai connu l'individu qui a été malheureusement l'acteur de la terrible scène que je vais brièvement raconter. Donc lorsqu'on construisait cette maison, il arriva à Lavalla que le jeune homme en question alors postulant, apprit malheureusement le mal à l'un des pensionnaires qu'on recevait pour fournir quelques ressources à la communauté qui se trouvait alors dans une grande pauvreté. Le Vénéré Père, en ayant eu connaissance, monte aussitôt à Lavalla, et apprend que cette faute, à son grand regret s'est ébruitée parmi les Frères et les pensionnaires. De [256] suite, il fait assembler tout le personnel de la maison dans une même salle, et bientôt il y entre lui-même. Alors, il prend son surplis et son étole, appelle le coupable, jette à ses pieds un grand crucifix, et d'une voix terrible, il l'invite à le fouler aux pieds et lui fait en même temps une correction terrifiante, lui disant entre autres ces paroles: « Monstre que vous êtes, marchez sur l'image de notre Dieu, cette profanation ne sera pas plus horrible que celle que vous avez commise. » Le coupable était si abasourdi et si épouvanté qu'il ne pouvait plus trouver la porte, bien qu'elle fût ouverte devant lui. Le Vénéré Père, après l'avoir poussé au dehors, se fait apporter de l'eau bénite et en asperge toute la maison, répétant tristement ces paroles : Asperges me... Cela fait, il se jette à genoux et fait une ardente prière pour demander pour tous la vertu de pureté. L'impression que produisit cette terrible scène frappa tellement ceux qui en furent témoins qu'ils n'osèrent dire un mot pendant la récréation qui la suivit. Cela ne m'étonne pas, pareil silence est arrivé de mon temps après une conférence sur la grandeur de ce péché, car moi qui étais des plus babillards, je fus tellement effrayé que je n'eus pas le courage de dire un mot pendant la récréation qui la suivit. On trouvera peut-être le châtiment dont nous venons de parler trop sévère et même exagéré. Mais le Vénéré Père, se rappelant les paroles de Jésus-Christ relativement à celui qui scandalise un enfant, a voulu inspirer à ses disciples toute l'horreur qu'il avait et qu'ils doivent tous avoir pour ces sortes de fautes qui sont énormes dans celui qui, par sa vocation, est appelé à veiller de toutes les manières possibles, et surtout par une scrupuleuse surveillance, à la conservation intègre de l'innocence du premier âge. [257]

3°. Ce n'était pas toujours par des procédés si énergiques que le Vénéré Père corrigeait les fautes de ceux qui, sans se rendre directement coupables de ces sortes de péchés, n'évitent pas assez les occasions dangereuses qui peuvent y conduire. Il s'y prenait quelquefois d'une manière détournée; en voici un exemple. Mais avant de le citer, je dirai que le P. Champagnat s'élevait toujours avec force contre les Frères Directeurs qui, contrairement à la règle, avaient des rapports répréhensibles avec les séculiers, les enfants et principalement avec les personnes du sexe. Or un certain F. Directeur, qui se trouvait dans ce dernier cas, ayant été plusieurs fois averti par le Vénéré Père de se surveiller sur ce point capital, continuait malgré cela à manquer à ce point de règle. Le Vénéré Père, voyant qu'il ne s'amendait pas et que sa conduite était connue de plusieurs Directeurs et même d'autres personnes du dehors, voulut à tout prix en finir avec ce violateur d'une des principales observances régulières. Or voici le moyen qu'il employa. Un jour pendant les vacances, se voyant entouré de plusieurs Frères Directeurs (ce qui n'était pas rare), il les invite à s'asseoir sur un banc qui se trouvait là; il est à remarquer que le Frère en question se trouvait du nombre. Le Vénéré Père, qui le guettait, vint comme par hasard s'asseoir à côté de lui. Alors, selon son habitude, il se met à raconter une histoire pour égayer la compagnie. Mais à peine l'a-t-il commencée qu'il se lève brusquement et, prenant son mouchoir, il le porte au nez, comme suffoqué par quelque odeur désagréable, en disant: « Oh! que ça sent... » et va aussitôt s'asseoir ailleurs; puis, rentrant son mouchoir dans sa poche, il continue son histoire. Les Frères Directeurs présents, dont la plupart connaissaient la conduite de ce confrère, comprirent aisément, et encore plus le coupable, la raison du brusque déplacement du Vénéré Père. Heureusement, [258] la leçon fut bonne, car le coupable se corrigea entièrement.

4°. A part la crainte du péché, avons-nous dit, le Vénéré, Père n'en avait pas d'autre. C'est pour cela qu'il ne s'intimidait pas des persécutions des méchants, ni de tout ce qu'on pouvait tramer contre lui ou contre sa Congrégation. Voici un fait qui y vient à l'appui. Quelques mois après mon entrée au noviciat, un jour, lorsque je travaillais tranquillement dans l'atelier des tisserands à faire des bobines, j'aperçois à travers la croisée des gendarmes qui se promenaient, quand, presque aussitôt, on sonne au portail; le chef de mon atelier, le bon F. Jean-Joseph, en même temps portier, va promptement ouvrir. Qui était-ce? Le procureur du roi, accompagné d'une brigade de gendarmes. Sans se faire connaître pour tel, il dit au bon Frère d'ailleurs très simple: « N'avez-vous pas ici un marquis? ». Et le bon Frère de répondre aussitôt: « Monsieur, je ne sais pas trop ce que c'est qu'un marquis, mais le P. Supérieur vous dira s'il y en a un; attendez-là un instant, je vais vous le chercher. » Mais au lieu d'attendre au parloir, il suit le Frère qui bientôt arrive au jardin, où se trouvait alors le Vénéré Père. « Voilà, un Monsieur qui demande un marquis. » Et tout de suite notre Visiteur d'annoncer qu'il est le Procureur du roi. « C'est trop d'honneur pour nous, lui dit le Vénéré Père, et apercevant en même temps les gendarmes, il ajouta avec un ton ferme et assuré: « Je comprends, vous venez faire dans la maison une visite domiciliaire; eh bien! vous la ferez en règle. » Il est bon de remarquer que des bruits couraient dans le public que la maison était pleine d'armes cachées dans des souterrains, que les Frères faisaient l'exercice pendant la nuit, et de plus, qu'elle recelait un marquis. C'est pour cela que le Vénéré Père ajouta encore: « On [259] vous a sans doute dit que nous avions des souterrains dans la maison; c'est donc par là que nous allons commencer. » Et quels étaient ces souterrains? Une espèce de longue voûte régnant le long du bâtiment, faite dans le but de le préserver d'être endommagé par les eaux du Gier, et sous laquelle se trouvaient un lavoir et une fontaine, et dont le restant inoccupé était passablement boueux. C'est donc là que le Vénéré Père conduisit d'abord le Procureur, accompagné de deux gendarmes, en leur disant avec une fine ironie: «Voyez, MM., nos souterrains, regardez-les bien s'il y a là quelque chose qui puisse inquiéter le gouvernement. » Le Procureur comprit alors que tout ce qu'on avait débité sur le compte de la maison était une pure calomnie. Il me semble voir encore notre Procureur et les deux gendarmes, tout penauds, avec leurs souliers tout couverts de boue, et le Vénéré Père, avec un air gai et content, les accompagnant d'un pas ferme, sans faire paraître la moindre inquiétude.



5°. Monsieur le Procureur, assez embarrassé, voulait terminer là sa visite, mais le Vénéré Père insista pour qu'il vît toute la maison. Alors, le Procureur donna ordre aux deux gendarmes de continuer; quant à lui, il se retira dans le parloir. Arrivés au réfectoire les gendarmes frappent avec leur bancal sur le plancher dont le retentissement ne produisit qu'un ton sec ; ils vont donc plus loin et arrivent dans l'atelier des tisserands, qui était de plain pied avec le réfectoire. Comme ils ne frappaient plus, le Vénéré Père qui s'en aperçut leur dit: «MM., nous avons ici une cave secrète, nous allons la mettre à découvert. » Aussitôt, il nous fait signe de pousser une machine à filer la laine qui en dissimulait l'entrée, et bientôt la porte est mise en évidence. Le Vénéré Père lève la trappe et les invite à descendre à la cave, qui n'avait jamais servi. Comme les [260] gendarmes refusaient, il insiste à ce qu'ils voient ce qu'elle renferme. Alors, un des gendarmes commence l'opération, mais à peine est-il au milieu de l'escalier qu'une marche se brise et il tombe sur le sol. Heureusement sa chute n'eut pas de suites sérieuses, car cette cave était peu profonde; il en fut seulement quitte pour nettoyer son uniforme que des plaques de boue avaient maculé en plus d'un endroit. Découragés, nos deux gendarmes voulaient absolument se retirer, lorsque le P. Champagnat les obligea à monter au premier étage; ils le suivirent, mais avec une certaine indifférence. Arrivés devant la porte du P. Pompallier, l'un des aumôniers de la maison et alors absent, le Vénéré Père voit qu'elle est fermée; de suite, il en fait demander la clef, mais comme on ne la trouvait pas, les gendarmes dirent au Vénéré Père que c'était suffisant. « Non, non, MM., leur dit-il, il faut que nous y entrions, car on pourrait dire que c'est là que se trouvent les armes et le marquis. » Sur ce, il se fait apporter une hache et ouvre la chambre en faisant d'un seul coup sauter la serrure. Les gendarmes entrent, et que voient-ils? Une ou deux chaises, un pauvre lit et une petite table. On comprend, du train qu'y allait le Vénéré Père, que la visite fut bientôt terminée. Lorsqu'elle fut achevée, il invita tous ces MM. à se rafraîchir, ce qu'ils acceptèrent volontiers tout en s'excusant de la pénible mission dont on les avait chargés. Le Procureur dit ensuite au Vénéré Père de ne rien craindre, lui promettant que cette visite serait utile à la maison. Il l'engagea même à continuer un bâtiment, que la manque de ressources avait obligé de laisser inachevé; sur quoi le Vénéré Père répondit qu'on n'y était guère encouragé en voyant abattre les croix. Puis le Procureur avec les gendarmes s'éloignèrent, et le Procureur lui répéta encore que sa visite, loin d'être nuisible à la maison, lui serait utile. Effectivement, quelques jours après, [261] le Procureur fit mettre un article dans le journal, que nous lut pendant la récréation l'un des aumôniers. Il renfermait outre le résultat de la visite, un magnifique éloge de la maison, ainsi que de la simplicité, de la pauvreté et de la modestie de ceux qui l'habitaient, et surtout, si je me le rappelle bien, l'éloge de celui qui y était à la tête. Oh! que c’est vrai que notre P. Fondateur ne craignait que le péché, car on le voyait conduire les gendarmes par ci, par là, avec toute l'autorité d'un général qui commande ses soldats.
§ III. Son humilité


Dire combien le Vénéré Père était humble est chose difficile. Dieu seul la connaît. En effet, si on lit avec attention ce que nous en rapportons dans cet abrégé de sa vie, on y verra une pratique constante de cette vertu. Oh! quels bas sentiments il avait de lui-même, et combien il se croyait impropre à fonder sa Congrégation, croyant intimement qu'après sa mort elle prospérerait beaucoup plus que pendant sa vie, bien profondément convaincu qu'il n'était propre qu'à en entraver la marche. Il tenait tant à la pratique de cette vertu qu'il a voulu qu'elle fût essentiellement le cachet de son Institut. Du reste, il suffit de lire le chapitre des Règles communes qui traite de l'humilité pour apprendre de quelle manière il entend que tous les Petits Frères de Marie pratiquent cette vertu, et c'est bien véritablement la manière dont il la pratiquait lui-même. Pour ne pas raconter les mille traits qui font connaître le degré de perfection de son humilité, on me permettra de citer un fait, dont j'ai été témoin moi-même. Un jour, allant en voiture avec lui et quelques autres confrères à La Côte-St. André, il s'y rencontra en même temps un ecclésiastique qui [262] avait pris place à côté du Vénéré Père. Cet ecclésiastique, édifié de la gravité et du recueillement des Frères, et ne connaissant pas le Vénéré Père, lui demanda à demi-voix quels étaient ces Frères qu'il voyait pour la premières fois. « C'est, lui répondit le Vénéré Père, des Frères qui s'occupent de l'instruction de la jeunesse. » Et l'ecclésiastique, naturellement, de s'enquérir de leur fondateur. « On ne sait trop, répondit le Vénéré Père. C'est une société qui s'est formée peu à peu par les soins d'un vicaire qui a d'abord réuni quelques jeunes gens auxquels d'autres se sont adjoints. » L'ecclésiastique, voyant tous nos regards dirigés vers le Vénéré Père, et comprenant le vague de la réponse du P. Champagnat, dit alors: « Allons, ne blessons pas la modestie. » Puis, voyant l'embarras dans lequel sa question avait mis le Vénéré Père, il changea de conversation. Il est notoire, d'après la tradition et d'après ce que j'ai pu juger moi-même, que notre Vénéré Fondateur avait une aversion marquée pour la louange et les compliments, et toute espèce de flatteries. Même je ne doute pas qu'il n'ait fait naître, plusieurs fois, l'occasion de pratiquer quelques actes d'humilité, de manière à arracher en eux jusqu'aux moindres fibres de l'amour-propre. Que n'a-t-il pas fait pour extirper ce vice, lorsqu'il le voyait dominer les emplois les plus humbles des sujets marquants ou élevés à des charges importantes, lorsqu'il découvrait en eux quelques principes d'ambition ou de vaine gloire. Les plus jeunes n'échappaient pas à de fortes corrections lorsqu'ils avaient de ces petits airs qui décelaient des germes prématurés de domination et d'orgueil. Je me rappelle qu'une fois, dans la salle des exercices, se trouvait par hasard un fauteuil. Un jeune Frère vint s'y asseoir et s'y prélassait avec les allures d'un homme qui fait l'important. Le Vénéré Père, entrant en ce moment, le surprend dans [263] cette posture; il lui fait alors une correction en conséquence, et qui plus est, il le chasse ignominieusement de ce fauteuil. Cela me fit une impression, qu'aujourd'hui encore j'éprouve une certaine répugnance à accepter cette espèce de siège dont le refus serait quelquefois une impolitesse. Il craignait tellement que les Frères ne se laissassent prendre aux louanges et aux flatteries qu'il changeait souvent de poste ceux qui étaient les plus applaudis, lorsqu'il présumait qu'ils se complaisaient dans les louanges qu'on leur donnait, louanges qu'il flétrissait en leur donnant le nom de babioles. Il a même défendu aux Frères de ne pas souffrir que leurs enfants leur fissent des compliments et des présents, le jour de leur fête. Enfin, j'ai dit quelque part, en parlant de M. Gardette, que l'on disait de lui, tant il était régulier, qu'il était la régularité « incarnée ». On pourrait, je crois, dire aussi, en une certaine manière que le P. Champagnat était l'humilité incarnée, tant les actes d'humilité lui étaient naturels.


§ IV. Prière - Oraison


1°. S'il ne peut être autrement que celui qui marche habituellement en la présence de Dieu ne soit humble, on peut dire aussi sans se tromper qu'il est un homme d'oraison et de prière. C'est effectivement ce qu'était le Vénéré Fondateur. Ainsi, malgré ses nombreuses occupations, il se trouvait toujours avec nous dans la salle d'oraison; disons, entre parenthèses, que dans cette salle, il n'y avait ni bancs, ni chaises, ni prie-Dieu, ni même du feu pendant l'hiver. Sa foi, sa piété, sa ferveur, son maintien, et quelquefois sa parole animée excitaient à la dévotion les plus tièdes et tenaient en éveil ceux que la tentation du sommeil aurait pu vaincre. [264] Lorsqu'il faisait la prière à haute voix, il prenait un ton si sentimental, et prononçait avec tant de clarté non seulement les mots, mais encore toutes les syllabes, qu'on n'en perdait miette. Il allait ni trop vite, ni trop lentement, faisait les pauses nécessaires pour le sens, sans marquer d'une manière trop affectée la ponctuation, touchant seulement les virgules et s'arrêtant convenablement aux autres signes orthographiques. En un mot, il ne lisait pas la prière, mais il la récitait avec feu, énergie et intelligence; aussi, on sentait que les sentiments de son cœur passaient dans ses paroles, et on était excité malgré soi à la piété et à la dévotion. Il tenait tellement à ce que les prières vocales se fissent bien qu'il reprenait et punissait même ceux qui les précipitaient ou qui les bredouillaient. il me semble lui avoir entendu dire qu'on devait prier au moins avec l'attention, le respect et l'expression qui conviennent lorsqu'on complimente un grand personnage. Un jour, autant que je puis m'en rappeler, un ecclésiastique assistant à la prière, je ne sais si c'était celle du soir ou du matin, fut tellement édifié de la piété, de la gravité et du sentiment pénétré avec lesquels il la récitait, que j'ai ouï dire qu'il s'était promis d'en conserver un bon souvenir toute sa vie.


§ V. Mortification
1°. Un religieux adonné à l'oraison, c'est-à-dire qui prie beaucoup et bien, est rarement immortifié; aussi, la vertu de mortification est-elle une de celles dont notre pieux Fondateur a donné de plus fréquents exemples. Sa maxime sur ce point était qu'on ne doit presque pas se soucier de son corps; aussi, d'après ce principe, se refusait-il tout ce qui pouvait flatter la nature, allant, je n'en doute pas, [265] jusqu'à se priver du nécessaire. Il me souvient qu'au réfectoire, il avait généralement fini le premier. Et que faisait-il alors jusqu'à ce que toute la communauté eût terminé? Il interrogeait les jeunes et les anciens sur le sujet de la lecture et l'expliquait au besoin. Je dirai ici que les ouvrages qu'il faisait lire étaient toujours très instructifs, édifiants et pleins d'intérêt. Pendant le carême et surtout pendant les deux dernières semaines, on lisait les Souffrances de Jésus-Christ, par le P. AIleaume, ouvrage qu'il prisait singulièrement. Mais revenons à ses actes de mortification. Jamais il ne prenait rien entre les repas, à moins d'une absolue nécessité. Du reste, on a vu dans sa vie quelle était sa frugalité pendant ses voyages. Il défendait aux Frères qui se permettaient de prendre, hors du réfectoire, des fruits ou quelques friandises, de s'approcher de la ste table, sans lui en avoir fait auparavant l'aveu ou au F. Directeur; il détestait ces sortes d'immortification, parce qu'ordinairement elles décèlent, surtout dans un religieux, des tendances au vice capital de la gourmandise, vice, disait-il, diamétralement opposé à la perfection religieuse. Je connais un Frère qui, ayant entendu le Vénéré Père parler si sévèrement sur cette manière, n'oserait pas encore aujourd'hui détacher un fruit d'un arbre ou d'une plante pour le déguster sans permission, sauf le cas d'une pressante nécessité.

2°. Non seulement les repas du Vénéré Père étaient de courte durée, mais il ne voulait pas non plus que les mets qui lui étaient servis fussent trop succulents, et les condiments en trop grande quantité. J'ai vu une fois le bon F. Stanislas aller, malgré l'estime qu'en avait le Vénéré Père, faire une station à genoux au milieu du réfectoire, parce qu'il était resté un peu de beurre au fond d'un plat qu'il lui avait servi. [266]

Le vin pur, le café et les liqueurs lui étaient, je crois, à peu près inconnus, du moins je ne sache pas lui en avoir vu prendre et quoique dans les grandes solennités il tolérait que l'on servît un peu de vin pur à dîner, il voulait que l'on y mît quelque peu d'eau, ne fût-ce qu'une cuillerée. Pendant les grandes chaleurs, il permettait, surtout quand le travail était un peu pénible, de boire un peu d'eau coupé par un filet de vinaigre, mais lui s'en mortifiait et jamais je ne lui en ai vu prendre.

En fait d'aliments, d'après plusieurs Frères cuisiniers, on n'a jamais pu deviner ce qu'il aimait ou ce qu'il n'aimait pas, sinon qu'il semblait préférer les mets les plus communs aux autres. Ainsi, d'après la tradition, il avait souvent loué un F. Directeur de la bonté de ses fromages blancs, car son établissement était si pauvre que pendant quelques jours que le Vénéré Père fut obligé d'y séjourner, on ne servit presque pas d'autres mets.

Mais la mortification qui a peut-être coûté le plus à été l'exactitude à se lever au premier coup de cloche. Il a avoué à un Frère, avec qui il voyageait et qui me l'a rapporté lui-même que ce lui avait toujours été un grand sacrifice de couper court avec le sommeil et que même il n'avait pu encore s'y accoutumer. Or, il est notoire, d'après les. dires, qu'il a fait ce sacrifice tous les jours de sa vie jusqu'à ce que la maladie l'a forcé de s'aliter. N'est-ce pas là un acte héroïque de tempérance, sinon en lui-même, mais par sa longue durée et la promptitude avec laquelle il le faisait, puisque le second coup de cloche ne le trouvait jamais dans la même position que le premier, ainsi qu'on le dit de St Vincent de Paul.

3°. Quoique le Vénéré Père ait fait usage du cilice et de la discipline, objets que j'ai eu le bonheur de voir et de toucher après sa mort, on peut dire [267] cependant que la mortification dans laquelle il a le plus excellé et qu'il nous recommandait comme étant la plus agréable à Dieu, a été la mortification des sens, des passions et celles qui sont inhérentes à l'emploi que nous a dévolu la Providence. Aussi, mettait-il au-dessus de toutes les mortifications et de toutes les pénitences corporelles l'accomplissement exact de la règle, nous disant qu'elle pourrait tenir lieu de toutes les autres pénitences et de plus qu'elle était la plus méritoire. Il insistait surtout sur l'article du silence et sur la ponctualité à se rendre aux exercices de piété; il punissait sans ménagement ceux qui avaient l'habitude de parler à tort et à travers, ou de traîner pour se rendre là où les appelait l'obéissance. Quant à lui, il en donnait le premier l'exemple.

4°. Jugeant que l'enseignement est assez pénible par lui-même, surtout quand on s'en acquitte avec le zèle et dévouement que prescrivent nos saintes règles, il n'a guère donné aux Frères, comme mortifications corporelles, que le jeûne du samedi, jeûne duquel il ne dispensait jamais. Les meilleures mortifications étant celles qui sont cachées sous le voile de l'humilité, c'est-à-dire, celles que Dieu seul connaît, il est à croire qu'il en pratiquait un grand nombre de cette nature, attendu que c'étaient celles que pratiquait la Ste Vierge dans la maison de Nazareth et, partant, celles aussi qu'un Petit Frère de Marie doit préférer à toutes les autres.
§ VI. Sa générosité
1°. Autant le P. Champagnat était dur pour lui-même, autant il était large, libéral, généreux envers les autres et surtout à l'égard de ses Frères. Il voulait qu'ils eussent largement ce dont ils [268] pouvaient avoir besoin, soit pour le vestitum, soit pour le nutritum, comme aussi d'argent, plutôt de plus que de moins, quand l'obéissance les obligeait à voyager ou le leur permettait. Je me rappelle qu'un Frère, et je le tiens de lui-même, partant pour un voyage qui n'était pas très éloigné, le Vénéré Père voulut lui donner quelque argent pour faire sa route; celui-ci refusa honnêtement, donnant pour raison qu'il n'en avait pas besoin. « Prenez toujours, lui dit-il, car vous ne savez pas ce qui peut vous arriver pendant votre course. »; et disant cela, il prit dans son tiroir, je crois une pièce d'un franc qu'il lui remit, bien qu'il ne lui restât que deux francs pour son fond de caisse. Mais c'était surtout pour les malades, les infirmes et les vieillards qu'il était plein de soins et d'attentions. Je me rappelle qu'à l'Hermitage, quoique le vin y fût rare à cause de la pauvreté de la maison, il faisait mettre à deux Frères déjà passablement âgés un peu de vin pur dans leur tiroir; de même, le Frère boulanger, à raison de son métier fatigant, avait, lorsqu'il l'exerçait, un litre de vin par jour. En général, quand un travail trop pénible se présentait, quand on partait en voyage, quand on arrivait fatigué, etc., il avait soin de faire donner à chacun libéralement ce dont il avait besoin.

20. Voici un autre trait qui dit assez qu'il entendait que les Frères dans les établissements eussent un ordinaire convenable, ainsi qu'à la Maison-Mère. Le cher F. Louis-Marie, après sa prise d'habit, ayant été envoyé à La Côte St André, s'aperçut que les Frères avaient un ordinaire insuffisant, vu le travail forcé qu'ils étaient obligés de faire pour développer le pensionnat, que M. Douillet avait remis entre les mains du Vénéré Père. Effectivement, le F. Directeur avait la réputation d'être un peu parcimonieux; l'ordinaire était maigre et surtout la [269] viande rare. Le F. Louis-Marie se crut en conscience obligé, sans toutefois se plaindre personnellement, d'en référer au P. Champagnat, qui se transporte sur les lieux et commande au F. Directeur, en présence du F. Louis-Marie, de prendre deux kilos de viande par tête, chaque semaine. Disons, en passant que ce fut alors qu'il régla cette quantité, non seulement pour La Côte-St. André, mais pour tous les établissements, sauf à y ajouter plus tard, suivant les circonstances. Le F. Directeur, prenant, sans doute, pour un simple conseil ce commandement du Vénéré Père, n'en continua pas moins le même ordinaire, sauf quelques bagatelles, qu'il y ajouta quand arrivait une fête. Le Vénéré Père, ayant appris aux vacances, qu'il n'avait pas tenu compte de ses ordres, le révoqua net, et mit à sa place le C. F. Louis-Marie.

Quelques-uns, en petit nombre il est vrai, ont donc eu bien tort de croire que le Vénéré Père était, comme on le dit vulgairement, un peu serré; c'est à tort, seulement il était sage et prudent économe, et rien ne lui coûtait tant de la peine que de voir gâter quelque chose mal à propos. Mais, au fond, il était très convenable en fait que d'achats84, de dépenses, et de besoins particuliers. Disons que son cœur débordait de charité non seulement pour ses Frères, mais pour tout le monde. Ainsi, il me souvient que dans les établissements, où il y avait des enfants pauvres, il leur faisait distribuer, après les vacances, des vêtements qu'au besoin on lavait, on raccommodait, afin qu'ils pussent être portés sans répugnance. Même, par charité, il entretenait, aux frais de la maison, quatre ou cinq vieillards infirmes qu'il traitait avec une bonté toute paternelle, voulant que les Frères agissent de même à leur [270] égard. Je me rappelle que j'ai été réprimandé et même puni pour m'être permis, bien que sans malice, des espiègleries à leur endroit. Et c'est jusqu'à leur mort que la maison en a pris soin. Même, parmi eux, se trouvait un aliéné qu'elle a gardé pendant plus de quarante ans, malgré ses infirmités qui étaient des plus dégoûtantes.
§ VII. Sa Foi
1°. Je ne veux pas précisément parler ici de la foi du Vénéré Père, considérée comme foi pratique, j'en dirai un mot plus tard, mais simplement comme vertu théologale. Jamais, d'après la tradition, on n'a trouvé la moindre erreur, soit dans ses discours, soit dans ses écrits. La Ste Eglise, qu'il aimait de toute l'affection de son cœur, et pour laquelle il avait la plus entière soumission, fixait, ses croyances, non seulement sur les vérités dogmatiques déjà définies comme articles de foi, mais encore sur celles qui ne l'étaient pas à cette époque, comme l'Infaillibilité du Pape, l'Immaculée Conception, etc. Quant aux opinions où l'Eglise n'a pas fait connaître en aucune manière son sentiment, il s'en tenait aux théologiens les plus accrédités par leur science et leur sainteté, tels que St Thomas d'Aquin, St Liguori, et St. François de Sales qu'il citait souvent dans ses conférences.

2°. Mais que dire de son respect, de son attachement et de sa soumission au Souverain Pontife! Recevait-il quelque encyclique, par respect, il nous faisait tenir debout quand il la lisait, quelque longue qu'elle fût. Non seulement il croyait à l'Infaillibilité du Pape, mais il désirait que tous les membres de la Congrégation l'enseignassent aux enfants. Il avait une espèce d'aversion naturelle pour le [271] gallicanisme, qui, en ce temps-là, avait passablement de partisans dans le diocèse de Lyon. Il tenait essentiellement aux prières liturgiques approuvées par l'Eglise, et ne voulait pas qu'on y fît le moindre changement. En voici un trait.



3°. Le Vénéré Père voulait changer le C. F. Louis-Marie de l'établissement de La Côte-St André, où il réussissait à merveille, pour lui aider dans le gouvernement de l'Institut. Mais craignant que ce nouvel emploi ne le décourageât, il lui proposa aux vacances d'introduire dans le petit office de la Ste Vierge, en usage dans la Congrégation, quelques fêtes et quelques mémoires pour suppléer au bréviaire, qu'il avait eu d'abord l'intention de donner aux Frères. A ce sujet, il dit au C. F. Louis-Marie que nul n'était plus à même que lui de faire cette rédaction, vu qu'il connaissait parfaitement le latin et aussi les rites de la Ste Eglise. L'obéissant Frère, se laissant prendre au piège, accepte avec plaisir cette proposition. Le voilà donc à l’œuvre, et par cela même remplacé à La Côté-St. André. Nous travaillions à cet ouvrage avec beaucoup d'ardeur (car je lui avais été adjoint comme copiste), et même il était presque achevé, lorsqu'un jour le Vénéré Père arrive dans notre laboratoire, et rien de plus empressé que de se faire montrer le futur office. Après l'avoir examiné avec attention, il réfléchit quelques instants, puis, prenant un ton sérieux, il dit au C. F. Louis-Marie: « Quoi! mon cher ami, y pensons-nous? Quoi! nous sortons à peine de la coquille, et nous voulons nous mêler de faire à notre manière un office rédigé et approuvé par le St Concile de Trente pour toute la catholicité. Allons, allons, laissons cela de côté, et n'y pensons plus. » Et l'office en resta là. Mais le but du Vénéré Père était atteint, car un autre Frère avait été définitivement nommé Directeur à La Côte-St. André, [272] et de plus, il donnait à l'érudit Frère une leçon de respect que l'on doit avoir pour les prières liturgiques de l'Eglise romaine, attendu qu'en ce temps- là, ce petit office, dans le bréviaire lyonnais, n'était pas entièrement conforme à celui du St Concile de Trente, le seul admis dans la Congrégation. C'était aussi par le même principe qu'il observait si scrupuleusement les rubriques, les plus petites lui étant comme chose sacrée. C'est pour cela encore qu'il tenait tant à ce que les Frères, officiant à l'Eglise, exécutassent ponctuellement toutes les cérémonies. Aussi, pour y arriver pratiquement, il avait établi, le dimanche, une classe exprès pour apprendre à les faire dignement et intégralement. Maintenant, quant à la croyance à l'Immaculée Conception de la Ste Vierge, elle a toujours été pour lui à l'état de dogme, et il le faisait connaître de la manière la plus explicite. En effet, la fête du 8 décembre était célébrée à l'Hermitage avec la plus grande pompe possible. L'invocation « 0 Marie conçue sans péché... » était une de ses plus fréquentes oraisons jaculatoires; il nous exhortait à la réciter souvent, surtout dans les tentations contre la pureté, nous recommandant de bien instruire les enfants de ce grand privilège de Marie, et de les engager à invoquer fréquemment la Ste Vierge sous le titre d'Immaculée, par l'invocation ci-dessus, ou en récitant la prière: « Par votre Ste Virginité et votre Immaculée Conception, etc. »85 [273]

§ VIII. Son obéissance aux supérieurs. Son respect et sa déférence pour le haut clergé


Si la soumission, le respect et l'attachement du Vénéré Père pour le Souverain Pontife étaient si accentués, ils ne l'étaient pas moins pour ses autres supérieurs que sa foi vive lui faisait envisager comme les représentants de Jésus-Christ et les dépositaires de son autorité. Comme j'en ai cité précédemment plusieurs exemples, je dirai seulement ici que lorsque le R. P. Colin, qu'il regardait comme le Supérieur Général des PP. et des FF. Maristes (quoique le Vénéré Père fût de fait et de droit Supérieur des Frères) venait lui rendre visite à l'Hermitage, le Vénéré Père le recevait avec la plus honorable distinction. Tous devaient, ce jour-là, se mettre en état de propreté pour le recevoir, comme les jours de dimanche et de fête; il revêtait la plus belle et la plus riche chasuble pour la célébration de la ste messe; on jouait même - de l'orgue. Enfin, c'était un jour de joie pour toute la communauté.

Le P. Champagnat était splendide, rayonnant de joie et de contentement; tous les Frères comprenaient que le Vénéré Père recevait son visiteur, non comme un simple confrère ou un intime ami, mais bien comme le représentant de Jésus-Christ, dont il tenait la place, non seulement par rapport à lui, mais par rapport à toute la communauté. Aussi avons-nous vu précédemment que le Vénéré Père ne faisait rien d'important sans le consulter et prendre ses avis.



Ce serait ici le lieu de parler de son respect et de sa déférence pour les évêques, en général, et particulièrement pour ceux avec lesquels il a eu à traiter, mais comme cela serait trop long et que j'en ai déjà parlé ailleurs je me contenterai de rapporter un fait à ce sujet, dont j'ai été témoin oculaire. Je dirai, avant tout, que le P. Champagnat [274] n'aimait pas les concurrences dans la même localité entre les congrégations vouées à l'enseignement; il a même refusé des postes importants, par cela seul que les Frères du Vénérable de la Salle les avaient jadis occupés. Plus encore, il retirait ses Frères s'ils venaient s'y implanter. C'est justement ce qui arriva pour l'établissement de Vienne, que le Vénéré Père avait fondé dans cette ville sur la demande de M. Michon, curé de la paroisse de St. André-le-Bas. Les écoles prospéraient depuis quatre ans malgré que, faute de fonds, elles fussent en partie payantes. Or, le curé de la paroisse de St. Maurice ou de la cathédrale (parce qu'autrefois cette paroisse était la résidence de l'archevêque), offensé, sans doute, de ce qu'il n'avait pas pris l'initiative pour faire venir des Frères, attendait une occasion favorable pour réparer cette espèce de faute. M. Michon, ayant été changé, M. le curé de St Maurice, par des procédés déloyaux que je crois obligé de taire, fit venir des Frères des Ecoles Chrétiennes. Ils arrivèrent au nombre de quatre. Avant de commencer à se mettre à l’œuvre, ils firent annoncer que non seulement leurs classes seraient toutes gratuites, mais encore qu'ils recevraient tous les enfants qui se présenteraient. On comprend facilement que, dès lors, plusieurs de nos élèves payants et même gratuits nous abandonnèrent, ce qui cependant n'empêcha pas que nous ne continuassions de remplir nos fonctions, et même avec plus d'ardeur. Mais le Vénéré Père, qui haïssait cette concurrence de congrégation à congrégation, écrivit au F. Directeur qu'il eût à fermer son établissement. Celui-ci, ayant fait observer que le nouveau curé de St. André-le-Bas avait annoncé en pleine chaire que les FF. Maristes continueraient à faire la classe à tous les enfants que les parents répugneraient, à cause de la gratuité, à mettre chez les FF. des Ecoles Chrétiennes, le Vénéré Père, qui ne voulait pas peiner le nouveau curé, [275] ni lui donner un démenti, avant de prendre un parti définitif, résolut, de consulter l'ordinaire du diocèse et de s'en tenir à ce qu'il déciderait. Il écrivit donc à ce sujet à Mgr de Brouillard86, alors évêque de Grenoble; celui-ci s'étant prononcé pour le retrait des Petits Frères de Marie, le Vénéré Père les retint aux vacances de 1836 et laissa le champ libre aux FF. des Ecoles Chrétiennes. Cependant, disons en passant, que le P. Champagnat aurait bien pu très légitimement conserver ce poste, qui prenait tous les jours d'heureux accroissements, et qui était de plus un pied-à-terre pour tous les établissements de l'Isère. Ainsi, l'humilité du P. Champagnat et sa déférence à Mgr l'évêque de Grenoble, qu'il aurait pu se dispenser de consulter, furent la seule cause de la perte de ce poste important qui, lorsque nous nous retirâmes, nous permettait encore de donner l'enseignement à plus de 80 enfants payants. Quant à moi, j'ai fort regretté cet établissement, et surtout mes ravissants élèves.
§ IX. Sa dévotion au St Sacrement


1°. Si le Vénéré Père avait un si grand respect pour les représentants de Jésus-Christ, que ne devait-il pas être pour Jésus-Christ lui-même! Ce respect se manifestait surtout quand il offrait le st sacrifice de la messe. On eût dit alors qu'il voyait visiblement Notre-Seigneur et qu'il lui parlait, tant son maintien grave, recueilli, sa figure expressive et quelquefois un peu souriante semblaient le faire comprendre. J'ai eu plusieurs fois le bonheur de le servir à l'autel et quoique, de ma nature, je fusse [276] un peu étourdi et léger, j'étais saisi d'un profond respect en voyant sa piété, son attention à observer les moindres rubriques et le ton pénétré avec lequel il prononçait les paroles de la liturgie sacrée. Il accentuait avec un tel sentiment d'humilité ces paroles: « Domine, non sum dignus, etc. » que ceux qui les lui entendaient prononcer pour la première fois en étaient comme confondus et anéantis.

2°. Quelle impression religieuse n'éprouvait-on pas, lorsque dans les processions du st sacrement, où il déployait toute la pompe que comportait la pauvreté de la maison de l'Hermitage, lorsque, dis-je, on le voyait, porter l'ostensoir avec un recueillement si profond qu'on aurait pu le comparer à celui de la Ste Vierge, allant visiter sa cousine Ste Elisabeth: ostensoir vivant, qui portait dans son chaste sein le même Dieu contenu dans le pain eucharistique. Il nous invitait souvent à faire de fréquentes visites au st sacrement; il avait même établi qu'on en ferait trois en communauté, une le matin, en se levant, une autre à midi, et une troisième, le soir avant d'aller prendre son repos. Quant à lui, il les réitérait plus souvent encore; c'était aux pieds des sts autels, ainsi que l'apprend la tradition, qu'il allait chercher la solution de ses difficultés, les lumières nécessaires pour bien diriger la Congrégation et y attirer les bénédictions du ciel, et nul doute que l'on ne doive regarder son amour extraordinaire pour Notre-Seigneur comme le fruit de ses fréquentes visites au st sacrement.


§ X. Son respect pour le lieu saint et les choses saintes


Le Vénéré Père était d'une sévérité peu ordinaire pour les fautes commises dans le st. lieu et il [277] ne les pardonnait presque jamais. Je me rappelle qu'un jour, pendant l'exercice du mois de Marie, qui se faisait comme aujourd'hui à la chapelle, un jeune Frère, très léger et laissant passablement à désirer sous le rapport de la piété, se permit de dissiper ses voisins en faisant quelques enfantillages inconvenants, pour ne pas dire irrévérencieux pour le lieu saint. Le Vénéré Père se rappelant sans doute ces paroles du texte sacré: « Le zèle de votre maison m'a dévoré », et imitant N. Seigneur qui châtia d'une peine afflictive les profanateurs du temple de Jérusalem, s'avança vers cet étourdi et lui fit une correction en pleine figure, qui atterra toute la communauté; cela fait, il continua la lecture sans presque faire paraître d'émotion, et comme vous le pensez, le coupable se garda bien de retomber jamais dans une pareille faute. Il tenait aussi à ce qu'on eût le plus grand respect pour tous les objets qui servaient au culte divin; il veillait à ce qu'ils fussent tenus dans la plus grande propreté; même cracher sur le plancher de la chapelle était pour lui chose tellement déplacée qu'il ne pouvait la supporter, comme aussi de se moucher et de cracher même dans son mouchoir pendant le canon de la messe. Voici un fait qui est arrivé pendant mon noviciat, relativement aux profanations des objets servant directement aux sts mystères.

Un jour, un jeune Frère, qui aidait à la sacristie, se permit par enfantillage, et peut-être par gourmandise, de boire dans le calice une quantité de vin assez considérable. Ayant été pris en flagrant délit, le Vénéré Père le fit fermer, seul dans un appartement, pendant trois jours, et ensuite le renvoya. Cette faute qui ne pouvait être que légère, eu égard à son léger caractère, fit tellement mal au cœur du Vénéré Père qu'il en perdit presque l'appétit. Que l'on juge de l'horreur qu'il avait pour les communions [278] indignes! Aussi, quand il parlait sur cette matière, il était terrible, et il imprimait dans une âme un tel sentiment de crainte, que commettre un sacrilège n'était plus guère possible. De là, son principe de ne jamais approcher de la ste table si l'on a des doutes, sans se confesser ou sans former sa conscience par un « oui » ou un « non » nettement tranché, afin de ne pas s'exposer à faire une mauvaise communion. Il avait aussi un grand respect pour tout ce qui rappelle quelque chose de saint; ainsi il ramassait non seulement des parties du costume religieux, des images, des feuillets, des livres de piété, et autres objets de piété, exposés à être foulés aux pieds, mais encore il ôtait les saints noms de Jésus et de Marie, lorsqu'il prévoyait qu'ils pourraient être employés à des usages profanes.


§ XI. Sa confiance en Dieu
Je ne m'arrêterai pas sur cette vertu, car ainsi qu'on a dû le remarquer, sa vie nous en donne des preuves continuelles. Il savait, par une constante expérience, que la Providence n'abandonne jamais ceux qui mettent en elle toute leur confiance. Que de fois je lui ai entendu dire ces paroles: « C'est la Providence qui a tout fait chez nous »! Nous avons vu, dans sa vie, qu'il répondait à ceux qui le critiquaient parce qu'il construisait toujours et remplissait sa maison de monde sans avoir des fonds suffisants: « Jamais rien ne m'a manqué pour mon oeuvre, lorsque j'en ai eu absolument besoin; la Providence est mon coffre-fort; c'est là où je prends mes permis pour avoir de l'argent. » Et il est notoire que cette aimable Providence venait toujours à son secours à point nommé, et qu'elle faisait à son égard des choses merveilleuses. Or, voici ce [279] que me disait un jour le F. Jérôme, alors boulanger à l'Hermitage: « Vraiment, je ne puis comprendre comment il se fait que ma farine, depuis si longtemps que je puise dans le tas, ne diminue presque pas, car, tout calcul fait, celle que l'on achète est bien insuffisante pour fournir du pain à toute la maison; et la chose est tellement visible pour moi que je suis convaincu qu'il y a là certainement quelque chose de miraculeux. » Mais le Vénéré Père priait, et quand il n'avait pas d'argent pour acheter de la farine, ou l'argent arrivait, ou, plus merveilleux encore, la farine augmentait.
§ XII. Sa dévotion à la Sainte Vierge
1°. La dévotion du P. Champagnat envers la Ste Vierge était comme innée en lui, et il l'avait pour ainsi dire sucée avec le lait. Sa vertueuse mère et sa pieuse tante, ainsi que nous l'apprend la tradition, s'étaient évertuées à la lui inspirer. Dès que sa langue put balbutier quelques mots, elles lui apprirent à prononcer les saints noms de Jésus et de Marie; et dès qu'il eut l'âge de raison, elles se firent un devoir de lui inspirer les sentiments de respect, de confiance et d'amour, dont elles étaient pénétrées elles-mêmes envers la bonne Mère. Puis, disons-le, la Ste Vierge, qui le savait choisi de Dieu pour fonder une société qui porterait son nom et qui propagerait sa dévotion dans tout l'univers, surtout parmi la jeunesse chrétienne, dut naturellement donner au Vénéré Père cette dévotion à un degré suréminent, afin qu'il pût la communiquer abondamment à la famille religieuse qu'il devait fonder. Mais pour ne pas m'étendre sur ce sujet, dont j'ai déjà parlé dans cet abrégé de sa vie, je dirai encore que le chapitre des Règles communes sur la dévotion envers la Ste Vierge pourrait, sans erreur, [280] être intitulé: « Manière dont le P. Champagnat pratiquait la dévotion envers la Ste Vierge. » On sait qu'il l'appelait sa « ressource ordinaire », et qu'il l'avait établie la première Supérieure de la Congrégation, lui ne se regardant que comme son humble vicaire.

2°. Oh! qu'il provoquait notre admiration et notre amour, lorsqu'il nous entretenait sur la grandeur, sur la bonté, sur la puissance et les vertus de la bonne Mère; son cœur débordait des plus beaux sentiments et sa bouche ne tarissait pas pour les exprimer. Je me rappelle qu'en confession, me serrant le bras il me répétait souvent: « Aimons Marie, mon cher ami, aimons-la bien, aimons-la chaudement », et d'autres expressions de ce genre. Mais ce n'étaient pas des mots, mais bien des étincelles de feu qui s'échappaient de son cœur tout brûlant d'amour pour elle.

3°. Quand il visitait les classes, il ne manquait pas de parler de cette dévotion aux enfants, et lorsqu'il leur faisait réciter les prières du matin et du soir, pour s'assurer s'ils les savaient, il leur demandait ordinairement quelles prières ils faisaient en l'honneur de la Ste Vierge. Il les invitait particulièrement à réciter le « Souvenez-vous ». Voici un petit trait personnel à cet égard. Un jour, étant venu visiter notre classe (J'avais alors une dizaine d'années au plus), il donna, avant de se retirer, de belles images à tous ceux qu'il avait interrogés et qui l'avaient satisfait par leurs réponses. Il sortait de la classe, lorsqu'il m'aperçut dans un coin un peu obscur; alors, se tournant vers moi, il dit: « Et ce jeune enfant là-bas que je n'ai pas interrogé, voyons s'il saurait me réciter le « Souvenez-vous », et moi aussitôt de le réciter avec une voix assurée, intelligible et sans faute aucune. « C'est très bien, mon [281] petit ami », me dit alors le Vénéré Père; et il ajouta: « Je voudrais bien vous récompenser, mais j'ai tout donné; enfin, voyons si nous ne trouverons plus rien. » Et ce disant, il se met à fouiller dans ses poches. O bonne fortune! il en retire un joli petit livre, qu'il me remet gracieusement, en l'accompagnant d'un regard qui m'alla jusqu'au cœur, puis il se retira. Ce petit livre contenait différentes prières et de fort beaux exemples. Qu'est-il devenu? Je n'en sais rien; toujours est-il que je l'ai beaucoup regretté, car je l'apportai en entrant au noviciat, dans l'intention de le conserver comme bon souvenir du Vénéré Père. Qui sait, si en me le donnant, il n'y a pas demandé pour moi, à la Ste Vierge, vocation à la vie religieuse? Le fait est que deux ans après, j'entrais comme postulant à l'Hermitage, sans trop savoir ce que je voulais faire, n'étant qu'un enfant.

Mais le Père le savait et croyait sûrement que j'étais appelé à faire un P. F. de Marie. C'est pour cela, comme on l'a vu ci-devant, qu'il prit tant de peine pour me conserver dans ma vocation.

4°. J'ai entendu répéter si souvent au Vénéré Père que ceux qui mourraient membres de la Congrégation seraient sauvés, que je pourrais affirmer avec serment que cette promesse m'a retenu dans ma vocation jusqu'à ce jour, qu'elle m'a fait triompher d'une foule de tentations, a relevé maintes et maintes fois mon moral, et m'a engagé puissamment à bien faire. Avait-il appris cela par révélation? Je suis tenté de le croire.

5°. Toutefois, il justifiait cette opinion qui, pour lui, était une certitude:

1) Sur ce que parmi les Frères morts dans l'Institut, il n'en connaissait aucun qui ne fût sorti [282] de ce monde sans des marques comme certaines de prédestination;

2) Sur les paroles de Jésus-Christ lui-même qui, dans le St Evangile, promet le ciel à ceux qui auront tout quitté pour le suivre, et qui nous assure que tous ceux qui persévéreront jusqu'à la fin seront sauvés;

3) sur la dévotion particulière que les P. F. de Marie professent pour la Ste Vierge, ce qui, d'après plusieurs grands docteurs, est une marque certaine de prédestination;

4) sur la promesse que la Ste Vierge a faite à St Simon Stock, lui disant que ceux qui mourraient revêtus pieusement du scapulaire n'éprouveraient pas les flammes éternelles, et tous les Frères en sont revêtus;

5) sur ce que les Frères ne portent pas seulement ce petit habit, mais un habit qui les couvre en entier, et qui est une marque ostensible qu'ils appartiennent à sa famille.

6°. Je vais citer un trait, dont j'ai été témoin, pour montrer combien notre Vénéré Père tenait à voir mourir, non seulement les Frères, mais encore les postulants, revêtus de cette sainte livrée. Un postulant qui désirait beaucoup prendre le st habit, mais qui ne le pouvait à cause de ses infirmités, tomba dangereusement malade et, par suite, se vit frustré de voir son désir se réaliser. Le bon Père, qui connaissait la grande envie qu'il avait de se faire Frère, ne voulut pas qu'il emportât ce regret dans la tombe. Donc, après lui avoir administré les derniers sacrements, il se fit apporter un manteau de Frère, le bénit, et l'étendant lui-même sur le lit du mourant il lui dit: « Mon cher ami, je vous reçois, dès ce moment, comme membre de la [283] Congrégation, et comme gage de cette admission, recevez ce manteau pour suppléer au st habit, dont vous désirez si ardemment être revêtu. » Je laisse à deviner quel fut le contentement de ce postulant et combien il remercia le bon Père de lui avoir accordé cette insigne faveur.

7°. De cet exemple du Vénéré Fondateur (et cette idée me vient en le rapportant), ne pourrait-on pas conclure qu'il y aurait peut-être lieu d'établir, surtout parmi nos élèves, un Tiers-Ordre de P. F. de Marie, et par là, déterminer un grand nombre de vocations? Ce serait aussi le moyen d'étendre au dehors l'esprit de la Congrégation, c'est-à-dire, une dévotion particulière à l'humble Vierge de Nazareth, par la pratique de l'humilité, de la simplicité, de la modestie et de l'esprit de famille. Qui vient de me donner cette pensée? Je ne le sais, peut-être le P. Champagnat. Tout ce que je souhaite, c'est de la voir réaliser un jour.

8°. Je termine cet article sur sa dévotion à la Ste Vierge, oÙ il y aurait tant à dire, par un trait que m'a raconté le F. Stanislas, et que j'ai entendu raconter ensuite par d'autres Frères. Un jour, la paternelle sollicitude du Vénéré Père, l'ayant déterminé à aller, accompagné du F. Stanislas, à Bourg-Argental pour consoler un Frère qui se mourait, il voulut, après l'avoir encouragé de son mieux, repartir le soir même, bien qu'on l'engageât à coucher, à cause du tard et du mauvais temps. Mais qu'arriva-t-il? C'est qu'après deux heures environ de marche, ils se perdirent, allant de droite et de gauche, sans trop savoir s'ils avançaient ou s'ils reculaient, car un violent vent du nord leur jetait une neige épaisse en pleine figure. Ils devaient moralement terminer là leurs jours; déjà même, le F. Stanislas, épuisé de fatigue et étouffé par la tourmente, semblait [284] perdre courage, et le Vénéré Père lui-même se sentait défaillir. Que faire, dans cet imminent péril? Le Vénéré Père le sait bien; il se jette à genoux et récite avec une grande ferveur le « Souvenez-vous » puis, se levant, il prend le F. Stanislas par le bras pour le faire avancer. O Providence! à peine ont-ils fait quelques pas qu'ils aperçoivent une lumière. Alors, ils se dirigent de ce côte-là et arrivent bientôt à une maison, tous deux glacés, et le F. Stanislas demi-mort. Ils y passèrent la nuit et repartirent le lendemain. Le Vénéré Père a avoué lui-même que si le secours n'était pas venu à temps, ce lieu était probablement leur tombeau, car la mort de l'un et de l'autre paraissait certaine. J'ai ouï dire par un Frère, quoique le F. Stanislas ne m'en ait jamais parlé (parce que peut-être défense lui avait été faite par le P. Champagnat de garder le secret là-dessus)87, qu'il y avait dans cette maison un homme, une femme et un enfant, et que la matin, après qu'ils furent partis, la maison avait disparu, sans qu'ils s'en fussent aperçus. Le F. Stanislas ne (m'a) pas fait connaître non plus, ce qui était assez naturel, comment ils furent reçus dans cette maison, si la nuit avait été bonne ou non, etc. Toutes ces diverses circonstances, omises dans la narration du F. Stanislas, me porteraient à croire que St Joseph, la Ste Vierge et l'Enfant Jésus leur donnaient eux-mêmes l'hospitalité.

9°. Maintenant, si je ne craignais pas d'être trop long, je parlerais de sa dévotion exceptionnelle à St Joseph, qu'il a établi le premier Patron [285] de la société, et en qui il avait toute confiance; ni non plus de sa dévotion aux saints anges gardiens, aux âmes du purgatoire, à St François Régis, à St Louis de Gonzague, à St Jean l'Evangéliste, qu'il disait être le premier Mariste, à St Priscillien, dont le corps venu de Rome repose dans une belle châsse à l'Hermitage, à Ste Philomène, dont il avait fait placer une belle statue dans la chapelle. Je dirai toutefois, par rapport à cette sainte, que souvent il la priait à cause de sa pureté, qui lui rappelait celle de la Ste Vierge Immaculée.

10°. Voici, en terminant ce chapitre, un miracle opéré de mon temps par cette sainte et où certainement le P. Champagnat a bien sa part. Un Frère, que j'ai bien connu, voyait ses jours s'éteindre peu a peu, car il était atteint d'une phtisie pulmonaire très avancée, lorsque arrive le moment où le médecin déclare qu'il n'y a plus d'espoir de guérison et qu'un miracle seul peut lui conserver la vie. Le Vénéré Père essaya de le tenter, et, à cette fin, il fait avec toute la communauté, une neuvaine en l'honneur de cette Sainte, dans l'intention d'obtenir la guérison de ce Frère. Sa prière ne tarda pas d'être exaucée, car il me semble qu'avant la fin de la neuvaine il guérit, sans qu'il restât aucun symptôme de la maladie.

On dira, c'est à Ste Philomène qu'il faut attribuer cette guérison et non pas au P. Champagnat. Je ne dis pas le contraire; toutefois, quand le Vénérable curé d'Ars opérait des choses merveilleuses, des conversions éclatantes, d'après lui, c'était sa jeune sainte qui les opérait, et pourtant la voix publique ne les attribuait-elle pas au Vénérable curé?

11°. Enfin, je ne parlerai pas ici des autres vertus du Vénéré Père, ni des faits qui pourraient en être la confirmation, car, ainsi que je l'ai dit, je [286] n'ai voulu dans cet appendice raconter que les choses dont j'ai été témoin ou qui m'ont été rapportées par des témoins oculaires. Mais, d'après ce que j'ai rapporté du Vénéré Fondateur jusqu'ici, d'après ses écrits, d'après la tradition et d'après ce que je vais dire encore, on trouvera, en y faisant une sérieuse attention, qu'il a pratiqué « excellemment » les vertus théologales et cardinales, c'est-à-dire toutes les vertus qui font les saints, mais qu'il les a pratiquées à l'exemple de la Ste Vierge, sous le voile de l'humilité, vertu qui chez le Vénéré Père enchâssait toutes les autres. [287]





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