représenté le lien effectué par L. H. Morgan entre le développement technique et le
développement social.
1.2.1
Sur les systèmes de parenté
Le fait que Claude Lévi-Strauss, en 1949, dédie son ouvrage Les Structures élémentaires
de la parenté « à la mémoire de Lewis H. Morgan » devrait suffire à convaincre de
l'importance des travaux de ce dernier dans le domaine de la parenté. Pour les
incrédules, ajoutons que W. H. R. Rivers considère la découverte des systèmes de
parenté par Morgan comme « une des plus grandes découvertes qui puissent être
mises au compte d'un seul homme »
7
et que A. C. Haddon définit celui-ci comme « le
plus grand sociologue » du siècle passé « dont l'oeuvre monumentale constitue le
fondement solide de l'étude de la famille et de la parenté »
8
.
L. H. Morgan eut l'idée – d'apparence simple, certes – de commencer par inventorier
les termes utilisés pour définir les proches. D'abord dans des dizaines de tribus
indiennes, puis dans le monde entier grâce à ses questionnaires, il collecte des
données sur 130 groupes linguistiques
9
. Les résultats de ses recherches sont publiés en
un ouvrage de 600 pages – dont 200 de tableaux – :
Systems of Consanguinity and
Affinity of the Human Family. Cette oeuvre pose L. H. Morgan comme fondateur de
l'anthropologie de la parenté pour deux raisons. D'abord, la précision et l'exhaustivité
de ce recueil de termes sont inédites. Tant les parents proches que les parents éloignés
trouvent leur place dans cette analyse comparative à large échelle. Ensuite, il
démontre pour la première fois que les termes de parenté forment dans toute société
un système cohérent. Ceci rompt avec l'idée ayant cours à l'époque selon laquelle les
sociétés primitives étaient dénuées d'organisation et de structure.
Le contenu même de ces théories est à prendre avec précaution, considérant le
contexte qui les a vu naitre. L'étude comparative de Morgan le conduit à classer les
différents systèmes en deux catégories : le type classificatoire et le type descriptif.
Dans le premier, particulièrement présent en Asie, et Afrique et en Amérique, « la
même relation unit tous les membres d'une même catégorie, indépendamment du
degré proche ou éloigné de leur parenté ; tous ceux qui appartiennent à une même
catégorie ont avec Ego des relations de parenté identiques »
10
. L. H. Morgan donne
une illustration simple « les enfants de frères sont eux-mêmes frères et soeurs ». Dans les
systèmes de type descriptif, « les consanguins sont décrits soit par les termes
élémentaires de la parenté, soit par une combinaison de ces termes, ce qui spécifie la
relation de parenté de chaque personne »
11
. C'est la forme idéale-typique du système
de parenté occidental. Au delà de ces deux types fondamentaux, L. H. Morgan
distingue de nombreux systèmes dans une théorie complexe. Mais il cherche plus que
la description des systèmes contemporains, il tente de comprendre leur évolution et
leur positionnement dans l'histoire. Tel type serait antérieur à tel autre, avance-t-il. C'est
une terminologie malheureuse, diront certains, ou une preuve de son ethnocentrisme,
7 R
IVERS
, W. H. R., Kinship and Social Organisation, cité par M
AKARIUS
, R., loc. cit., p. IX.
8 H
ADDON
, A. C.,
History of Anthropology, Londres, 1910, cité par M
AKARIUS
, R.
, ibid.
9 B
EN
H
OUNET
, Y.,
Parenté et anthropologie sociale, Paris, Éditions Ginkgo, 2009.
10 M
ORGAN
, L. H., La société archaïque, Paris, Éditions Anthropos, 1971, p. 466.
11 Ibid., p. 451.
Maxime Felder
maxime.felder@unifr.ch
6
diront d'autres, que l'on trouve dans cette phrase : « On remarquera que les deux
formes fondamentales – la classificatoire et la descriptive – délimitent à peu près la
ligne exacte de démarcation entre les nations barbares et les nations civilisées »
12
.
Cependant, si l'on poursuit la lecture, point de trace d'essentialisme. Il n'explique pas la
simplicité des peuples ayant une parenté de type classificatoire à la simplicité de
l'esprit de leurs individus. Il explique que ces types « s'identifient, à l'origine, aux
mouvements organiques de la société qui déterminent des changements importants
dans les conditions de vie ». Il y aurait donc une corrélation entre les conditions
matérielles de vie et les formes d'organisation. Le facteur d'isolation de certains
peuples est notamment pris en compte. L. H. Morgan établit une échelle d'évolution
sur laquelle évoluent les systèmes de parenté. Mais il ne s'agit point d'une loi
d'évolution radicale. Certains aspects modernes cohabitent avec d'autres éléments
anciens. Morgan voit dans les systèmes classificatoires une trace « fossile » des anciens
mariages par groupes
13
, ayant eux-même succédé à la promiscuité primitive.
Aujourd'hui, la distinction classificatoire – descriptif n'est plus acceptée. A. Kroeber a
par exemple montré que les systèmes descriptifs comportaient tous des aspects
classificatoires. Ce fait est lié à la langue. En français par exemple, le terme « oncle »
s'applique autant au frère du père, à celui de la mère, à l'époux de la soeur du père
qu'à l'époux de la soeur de la mère
14
. Il pourrait être objecté à ce point de vue le fait
que comme toute modélisation sociologique ou anthropologique, les catégories sont
des idéaux-types qui n'existent pas forcément à l'état pur. L'oeuvre de Morgan pêche
ici par manque de précaution. Ses recherches sur la parenté le mènent à affirmer que
l'organisation des sociétés primitives est essentiellement basée sur la parenté, alors que
celle des sociétés civilisées se fondent sur des institutions politiques. En postulant ceci,
« Morgan établissait implicitement la spécificité de l'objet des études
ethnographiques »
15
. Ses travaux sur la parenté ont posé « la première base concrète à
la recherche ethnologique »
16
, selon un de ses défenseurs, R. Makarius.
1.2.2
Au sujet de l'évolution
Cette idée de « traces fossiles » dans les systèmes de parenté et l'affirmation de la
succession de ces systèmes font de L. H. Morgan un évolutionniste. Il affirme
notamment que le clan (dont il distingua les « matrilinéaires » et les « patrilinéaires »)
était un passage obligé dans l'évolution de l'organisation sociale, pour les peuples qui
avaient dépassé le stade de sauvages et se dirigeaient vers le statut de civilisés
17
.
Cherchant les corrélations entre formes de parenté, formes de production, et formes
d'organisation sociale, Morgan propose que le remplacement progressif des systèmes
classificatoires par des systèmes descriptifs est lié au développement de la propriété
privée. Des problèmes d'héritages auraient créé la nécessité d'adopter une
12 M
ORGAN
, L. H., loc. cit., p. 455.
13 G
ÉRAUD
, M.-O. &
alii,
Les notions clés de l'ethnologie, Paris, Éditions Armand Colin, 2007, p. 203.
14 A. K
ROEBER
, « Classificatory Systems of Relationships », Journal of the Royal Anthropological
Institute, vol. 39, p. 77-81.
15 G
ÉRAUD
, M.-O., loc. cit., p. 127.
16 M
AKARIUS
, R.,
loc. cit.
17 G
ODELIER
, M., op. cit.
Maxime Felder
maxime.felder@unifr.ch
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