terminologie plus précise quant à la relation d'un parent par rapport à Ego
18
. Il définit
aussi des étapes d'évolution des formes familiales. La première forme serait la famille
consanguine, dans laquelle les frères se marient avec les soeurs du même groupe.
Celle-ci aurait conduit à la famille punaluenne, qui voit les frères mettre en commun
leurs épouses respectives
19
. Morgan détaille avec une extrême précision les variations
de ces formes familiales, liant à chaque fois leur évolution avec le progrès global de la
société qui les engendre. L'évolution abouti à la famille nucléaire dont le noyau est un
couple monogame. L'auteur se garde toutefois de considérer cette dernière forme
comme la définitive. Nous verrons les conséquences de ce choix.
Mais L. H. Morgan ne s'arrête pas à la question de la parenté. Selon sa thèse, le progrès
technique conditionne sinon détermine l'évolution de beaucoup d'autres domaines
de la vie sociale. Morgan loue l'emploi des termes pierre, bronze et fer pour décrire des
époques préhistoriques. Pour lui, c'est clairement l'apparition du travail du bronze qui a
marqué le changement de l'âge de pierre à l'âge de bronze. Il explique que
considérant « l'influence considérable » de ces nouvelles techniques de production,
« ce sont les arts de subsistance (...) qui pourront fournir les bases les plus satisfaisantes
pour distinguer ces différentes périodes »
20
. Morgan crée un tableau résumant les
différents stades de l'évolution, de la sauvagerie à la civilisation en passant par la
barbarie. Les deux stades inférieurs sont divisés en trois : inférieur, moyen et supérieur.
Chaque étape est liée à plusieurs inventions telles que la poterie, l'agriculture ou
l'alphabet. Se basant sur ce tableau d'évolution des « arts de subsistance », Morgan
distingue deux « voies indépendantes »
21
d'investigation. La première se concentre sur
les découvertes et l'évolution des techniques, la seconde sur le développement des
institutions sociales.
Morgan développe une vision globale et sociologique de l'histoire des sociétés. Il est
difficile de qualifier l'évolutionnisme de Morgan. Le taxer d'unilinéaire – comme cela est
souvent fait – est réducteur. A l'instar de Ginsberg – qu'il cite – ,R. Makarius pense que
l'évolutionnisme unilinéaire n'a jamais été soutenu sérieusement par personne
22
. Selon
lui, toute évolution est à la fois unilinéaire au niveau global et multilinéaire au niveau
spécifique, pour ce qui est particulier à chaque société. Morgan parle de « lignes de
développement » qui sont indépendantes les unes des autres et progressent à leur
rythme. Il utilise aussi le concept imagé de « germes d'idées ». Ceci lui permet
d'introduire deux idées. La première est le diffusionnisme auquel Morgan prête une
forte influence sur l'évolution. Alors que Lowie affirme que le développement passe par
les emprunts culturels et que donc, la théories du « passage obligé pour tous » perd sa
validité, Makarius montre que l'un ne s'oppose pas à l'autre. Morgan reconnait le
phénomène des emprunts, mais il ajoute – et c'est la deuxième idée – que des
conditions doivent être remplies pour qu'il y ait emprunt et diffusion. En effet, pour que
le « germe » pousse, il faut que le terrain soit propice. Une société doit être « prête »
pour accueillir les nouveautés sans quoi celles-ci n'auront aucun effet. L'évolution est
18 G
ODELIER
, M.,
op. cit.
19 M
ORGAN
, L. H., loc. cit., p. 52-53.
20 Ibid., p. 7.
21 M
ORGAN
, L. H., cité par M
AKARIUS
, R., loc. cit., p. I IV.
22 G
INSBERG
, M.,
On the Diversity of Morals, Londres, 1956, vol. 1, p. 182, cité par M
AKARIUS
, R.,
loc.
cit., p. XXIV.
Maxime Felder
maxime.felder@unifr.ch
8
donc tributaire de facteurs naturels, géographiques ou économiques. Lowie affirme
que les emprunts se font « au hasard des contacts »
23
; Morgan montre qu'au lieu du
hasard il y a une similarité d'environnement et de stade d'évolution qui permet
l'emprunt. La fracture numérique mondiale que l'on constate aujourd'hui est
probablement causée par des conditions - économiques surtout, culturelles ensuite -
non favorables à la diffusion immédiate de la technologie numérique. Pourtant, Dieu
sait combien la mondialisation du commerce a forcé le « hasard des contacts ».
L'analyse de R. Makarius que nous venons de survoler peut surprendre. Le préfacier
d'Ancient Society peut se targuer d'une connaissance très poussée de l'oeuvre de
Morgan dans son ensemble. L'évolutionnisme morganien tel que présenté ci-avant
n'est donc pas forcément celui que l'on saisit après une simple lecture. Makarius refuse
en effet de « négliger le sens de ses (de Morgan) analyses » et de « s'en tenir à ses
formulations les moins heureuses ». Un aspect sur lequel Makarius n'insiste pas mais qui
n'aura pas échappé à Marx est la conception de Morgan de l'avenir. La civilisation, si
elle occupe la fin du tableau de l'évolution, n'est toutefois pas le but ultime. L. H.
Morgan est optimiste et prévoit pour l'humanité la résurgence des principes de liberté,
d'égalité et de fraternité qui caractérisaient les sociétés antiques classiques. La
civilisation n'est donc qu'une époque transitoire avant une sorte de « renaissance, sous
une forme supérieure »
24
. Makarius réfute le caractère téléologique de l'évolutionnisme
de Morgan. Ce serait là des traits caricaturaux dessinés dans le but de le discréditer.
Comme nous l'avons évoqué, le concept de « lignes de développement » de Morgan
ne correspond pas à l'idée de fixité et d'unicité d'une ligne de développement.
Toutefois, l'idée de « renaissance sous une forme supérieure » est une forme de
téléologie. Mais nous pourrions, à l'instar de Testart, décider de ne pas s'attarder sur ce
schéma « emprunté » « pour se mettre au goût du jour »
25
. Selon lui, l'évolutionnisme de
Morgan tient d'un second évolutionniste, dont le fond se distingue clairement d'un
premier, lequel serait caractérisé par un lien fort avec la théorie du progrès.
Contrairement au premier évolutionnisme, dont E. B. Tylor est un représentant et qui
disserte plus sur le progrès de l'Homme que sur l'évolution de la société, le second serait
exempt de toute thèse à caractère organiciste ou biologique. A. Testart propose trois
points qui distinguent le second courant du premier
26
.
Tout d'abord, la plus grande découverte de L. H. Morgan serait la structure et
l'organisation caractéristique des sociétés primitives. On imaginait alors que
contrairement aux sociétés complexes – la nôtre par exemple –, les sociétés simples
étaient dépourvues de structures. Le grand partage opposait les primitifs aux civilisés,
les sociétés simples aux complexes, les traditionnelles aux modernes. Cette approche
dichotomique présentait les sociétés primitives comme sans règles ni organisation.
Morgan créé une rupture en affirmant le contraire. Il distingue chez les Iroquois des
organisations différentes, premièrement dans les systèmes de parenté, et
deuxièmement à un niveau plus large, dans ce qu'il appelle l'organisation « gentilice »,
soit l'organisation en clans. L. H. Morgan est le premier à prêter des caractéristiques
positives aux sociétés primitives. Son lien étroit avec un clan iroquois prouve l'estime
23 L
OWIE
, R.,
Primitive Society, New York, 1947, p.441, cité par M
AKARIUS
, R.,
loc. cit., p. XXVI.
24 M
ORGAN
, L. H., loc. cit.
25 T
ESTAR
, A.,
op. cit.
26 Ibid.
Maxime Felder
maxime.felder@unifr.ch
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