ÉVY, Éditeur



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LETTRES A M. PANIZZI 4 13

à ce sujet au Brilish Muséum. Reste à savoir s'il aurait voulu donner trois mille francs pour une élucubration quelconque de Chateaubriand.

Quand revient la comtesse Téléki ? Je pense qu'elle aura bientôt assez du soleil, des momies et des moines in naturalibus. Savez-vous si ma lettre à M. Mariette lui a été bonne à quelque chose?

Adieu, mon cher Panizzi. Rappelez-moi au sou­venir de tous nos amis.

CLXXIX

Cannes, 20 avril 1870.

Mon cher sir Anthony,

Notre pauvre amie, madame de *** est morte. Elle était devenue folle depuis un mois ou plus. Cela a commencé par une scène assez ridicule. Elle a sauté au cou de l'empereur et lui a de­mandé de la rendre heureuse, hic et nanc. Ce n'a pas été sans peine qu'on a pu le retirer de ses bras. Pendant la dernière saison que j'avais passée avec elle à Biarritz, elle m'avait donné lieu de croire qu'elle était un peu maie tectœ

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mentis; puis cela avait passé, et, l'année der­nière, à Saint-Cloud, je Ta vais trouvée très rai­sonnable.

A propos de fous, je viens de recevoir une lettre de ma cousine, dont la tête est tout à fait partie. J'espérais qu'elle quitterait sa maison de Paris pour aller vivre à la campagne ; mais il paraît qu'elle ne veut plus bouger. Grand ennui pour moi à mon retour à Paris, si j'y reviens, enfin.

J'ai reçu hier une lettre de madame de Montijo, qui me demande de vos nouvelles. Elle souffre d'un rhume opiniâtre, et, contre son usage, elle n'est pas encore installée à sa campagne. Rien, dit-elle, ne peut donner une idée du gâchis où est l'Espagne, et pas un homme pour gouverner la barque. On vole partout, et ce qu'il y a d'ex­traordinaire, c'est qu'il y ait encore quelque chose à voler.

Adieu, mon cher Panizzi. Je regrette fort de n'avoir pu aller à Paris pour la discussion du sénatus-consnlte ; maintenant qu'elle est ter­minée, je pense qu'il est inutile de me presser. Je ne me mettrai en route que si je me trouve as-

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sez rétabli pour n'avoir pas à redouter une troi­sième rechute.

CLXXX

Cannes, 4 mai 1870.

Mon cher sir Anthony,

Que dites-vous de ce qui se passe? Les répu­blicains ne vendent pas chat en poche; ils nous préviennent de leurs façons de gouverner. Ce qu'il y a de plus triste, c'est que ces abominations n'excitent ni surprise ni horreur.- Le sens moral dans ce pays-ci est tout à fait perverti. On ré­clame l'abolition de la peine de mort et on a des assassins pour amis politiques. Ledru-Rollin, qui était revenu à Paris, est reparti subitement pour Londres, la veille de la découverte des bombes au picrate de potasse.

L'empereur a recommandé, le même jour, au général Frossard d'empêcher le prince impérial de sortir. Le général lui a demandé s'il y avait quelque attentat tramé contre le prince. « Non, a répondu l'empereur avec la figure calme que

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vous lui connaissez. C'est à moi qu'on veut jeter des bombes ; mais on pourrait se tromper de voiture. »

Adieu, mon cher sir Anthony. J'espère que, la semaine prochaine, nous serons encore de ce monde.

CLXXXl

Cannes, 21 mai 1870.

Mon cher Panizzi,

Quand je reviendrai à Paris, je vais y trouver bien des ennuis. Je vous ai dit l'état où est ma cousine. Il s'aggrave tous les jours et je crains quelque catastrophe. Ses parents, qu'elle ne peut souffrir et qui cependant seront ses héritiers, ont commencé des démarches pour lui faire donner une tutelle judiciaire. Je voudrais que la pauvre femme ne fût pas enfermée, ce qui la tuerait probablement. Quant à la succession, il y a long­temps que j'en ai pris mon parti et sans regret.

Autre tracas non moindre et que vous com­prendrez. Il faut que je déménage et que je

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me trouve un logement moins haut. Lorsqu'on a des Jivres et un tas de vieilleries auxquelles on est attaché, il n'y a rien de plus pénible que de changer de domicile.

J'ai lu avec grand intérêt dans le Times l'his­toire de ces deux jeunes gens qui s'habillaient en femmes. Est-il vrai qu'ils appartiennent à une classe plus élevée que celle des Ganymèdes de profession ? Qu'est-ce que ces photographies mystérieuses qui les représentent avec d'autres personnes ?

Voilà le plébiscite passé, Dieu merci, mais la situation n'en est pas beaucoup plus belle. M. Emile Ollivier est persuadé qu'il est le plus grand homme d'État de notre temps et qu'il peut tout faire. Il me rappelle Lamartine en 1848, qui se croyait aussi le maître de la situation. En attendant, les conspirations vont leur train et la société ouvrière internationale leur donne un caractère européen. Nos ouvriers heureusement n'ont pas encore appris des Trade's-Unions à faire sauter avec de la poudre les maisons de leur pa­tron; mais cela viendra sans doute. Ce qui est profondément triste, c'est l'appui que donnent

II. 27

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quantité de gens soi-disant honnêtes aux démo­lisseurs de tous les pays. Croyez qu'il n'y a pas beaucoup de degrés entre ces libéraux en théorie et les assassins qui tuent au nom d'une idée-li­bérale. Qu'est-ce que cette échauffourée de chemises rouges en Italie ?

Adieu, mon cher Panizzi. Du Sommerard m'a dit qu'il vous avait trouvé bien, sauf que vous ne vouliez pas entrer dans un running match.

CLXXXII

Cannes, 29 mai 1870.

Mon cher Panizzi,

Je viens de recevoir votre lettre, et j'apprends avec bien du regret la mort de la comtesse Téléki. Je la connaissais peu, mais elle est de ces per­sonnes dont on garde le souvenir. Qu'allait-elle faire à Damas! C'était déjà une grande impru­dence, avec une santé comme la sienne, de s'aventurer en Egypte. Mais, en Syrie, où, avec toutes les chances de fièvre, se joint la certitude d'énormes fatigues, c'était vraiment insensé. Je

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vous plains de tout mon cœur d'avoir perdu une si excellente amie. Cela ne se remplace pas.

Je pars demain pour Marseille, où je passerai la nuit. Le lendemain, dans l'après-midi, je compte partir pour Paris, où j'arriverai mercredi à huit heures et demie du matin. Au delà, je n'ai plus de projets, et, avec ma santé, il serait absurde d'en faire. L'impératrice m'a écrit qu'elle voulait que je lui tinsse compagnie à Saint-Cloud pour quelques jours; mais je ne sais si je serai en état présentable.

La pauvre madame de Montebello est sinon morte, du moins dans un état désespéré.

Le docteur Maure, qui se rappelle à votre souvenir, devait partir pour Paris avec moi ; mais les élections pour le conseil général vont avoir lieu, et il canevassera ici jusqu'au milieu de juin.

Bien que je sois payé pour ne pas croire aux médecins, je me laisse aller toujours à bien penser de ceux à qui je n'ai pas eu affaire. On m'a parlé de Chepmell comme d'un habile homme, et l'idée m'est venue de le consulter. Je crois que, si vous lui écriviez, il me donnerait un rendez-

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vous sans me faire attendre, et c'est un point capital. Vous lui direz que j'ai été pour quelque chose dans son installation médicale à Paris, et qu'il devrait me guérir pour ma peine.

Adieu, mon cher Panizzi. Je suis horriblement fatigué de mes paquets ; mais je n'ai pas voulu tarder à vous dire toute la part que je prends à la perte de cette pauvre comtesse Téléki.

CLXXXIII

Paris, 7 juin 18*0.

Mon cher Panizzi,

Merci de vos photographies. Je conçois très bien qu'on se soit trompé. La plupart de ceux à qui je les ai montrées y ont été altrapés. Mais est-il vrai que ces messieurs appartiennent à un certain monde comme il faut? C'est, au reste, un vice 1res aristocratique, à ce qu'on dit.

J'ai déjeuné dimanche avec l'empereur et l'impératrice, tous deux en bonne santé, l'empe­reur très engraissé et de très bonne humeur. Le prince impérial est un peu grandi et très embelli.

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Il a changé de costume et a pris l'uniforme d'in­fanterie de ligne, qui lui va très bien. L'impératrice a rapporlé d'Egypte un grand singe, qui est devenu favori. Il monte sur le dos de l'empereur, lui tire les moustaches et mange dans son assiette. C'est le vrai portrait des singes qu'on voit sur les monuments égyptiens..

Je suis toujours bien souffrant. Pour ne rien négliger, je veux essayer de Chepmell ; ainsi veuillez lui écrire. S'il a la bonté de me donner son heure et son jour, j'irai chez lui ; s'il préfère venir chez moi, je l'aimerais encore mieux. L'im­portant serait de savoir quand il viendrait. Je ne sors guère; cependant je vais au Sénat, et, dans quelques jours, je me propose de reprendre les bains d'air comprimé. Je n'ai pas besoin de vous dire que, si j'étais prévenu, j'attendrais M. Chep­mell à quelque heure que ce fût. "Vous m'avez dit qu'on lui donne vingt francs, cela me semble peu pour une consultation. Ne vaudrail-il pas mieux lui donner quarante francs ?

La pauvre comtesse de Montebello est morte enfin ce malin, après avoir beaucoup et longtemps souffert.

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J'ai acheté, à la vente de Sainte-Beuve, les lettres d'Horace Walpole, qui m'amusent beaucoup. Je regrette qu'on n'ait pas inséré, en note, les pas­sages, indiqués au crayon, qu'on nous a montrés, lors de notre visite à Strawberry hill. C'était beau­coup plus un Français qu'un Anglais, ce me semble ; mais, de toute façon, un homme très aimable et exempt de tous les préjugés modernes. A quelle époque remonte le despotisme biblique dans la société anglaise?

Le docteur Maure sera ici dans une huitaine de jours. Son élection au conseil général est assurée; mais il est bien aise to make it sicker, comme di­sait le grand ancêtre de l'impératrice.

Adieu, mon cher Panizzi; j'ai fait vos compli­ments avant-hier : on désirerait beaucoup que vous vinssiez passer quelque temps ici. J'ai ré­pondu que vous étiez devenu fort paresseux. Au fait, comment vous trouvez-vous de l'électricité? Portez-vous le mieux possible, et buvez frais.

LETTRES A M. PANIZZl 423

CLXXXIV

Paris, 7 juillet 1870.

Mon cherPanizzi,

Notre belliqueuse nation a pris fort mal l'idée d'une guerre. Vous avez vu quelle panique il y a eu hier à la Bourse après la déclaration de M. de Gramont ! Je ne comprends pas qu'il y ait possi­bilité de guerre, à moins que, pour quelque raison à moi inconnue, M. de Bismark ne la veuille absolument. Rien qu'en laissant le champ libre aux carlistes et aux alphonsistes, nous pouvons allumer la guerre civile en Espagne, et, avec un peu de bien joué, je crois qu'il serait possible de détacher les provinces basques du reste de la Pé­ninsule et d'en faire un petit État indépendant sous notre protection. Ce qui me paraît probable, c'est que l'affaire avortera par l'intervention de toutes les puissances. Le rôle de notre opposition est bien vilain.

Adieu, mon cher Panizzi; je suis si patraque, que je me sens tout fatigué de vous avoir écrit ce

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petit mot. Miss Lagden et mistress Ewer vous en­voient tous leurs compliments. Vous ne sauriez croire toutes leurs bontés pour moi. Elles me veillent jour et nuit.

CLXXXV

Paris, 17 juillet 1870.

Mon cher Panizzi,

Je n'ai pas approuvé plus que vous le premier discours de M. de Gramont. La seule excuse était la mauvaise humeur que devait donner la répétition des mêmes mauvais procédés. Cette affaire d'Espagne venait après la non-exécution du traité de Prague, l'affaire de Roumanie, celle de Luxembourg et celle des chemins de fer suisses. Si j'avais été appelé au Conseil, je me serais borné à proposer une dépêche ainsi con­çue : « Dans le cas où le prince de Hohenzollern serait élu roi,bje laisserai entrer en Espagne, carlistes et alphonsistes, fusils, poudre et che­vaux. »

LETTRES.A M. PANIZZI 425

Ici, pour le moment, la guerre est très popu­laire. Il y a beaucoup d'enrôlements volontaires ; les soldats partent avec joie et sont pleins de confiance. On prétend que nous avons pour l'ar­mement la même supériorité que les Prussiens avaient en 1866. J'ai peur que les généraux ne soient pas des génies. Celui qui m'inspire le plus de confiance est Palikao, et je vois avec plaisir qu'on lui donne un commandement important.

Adieu, mon cher Panizzi; recommandez-moi à votre saint patron.

CLXXXVI

Paris, 25 juillet 1870.

Mon cher Panizzi,

Tout le monde me dit que je vais mieux, mais je ne m'en aperçois guère. J'ai des nuits très mauvaises, je tousse toujours et les forces ne re­viennent pas. Le temps exceptionnel que nous avons ne vient pas à bout de ma bronchite. Que deviendra-t-elle cet hiver ? Je ne suppose pas que

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je pourrai en voir un second. Parmi les choses que je regrette le plus, c'est de partir sans vous dire adieu ; je veux dire, sans avoir passé avec vous une bonne soirée à causer de rébus omnibus et quibusdam aliis.

Nous avons ici un grand enthousiasme guerrier. Depuis huit jours, il y a eu près de cinq mille en­rôlements volontaires. La garde mobile part avec beaucoup d'ardeur, et on voit des jeunes gens qui passaient leur vie sur le boulevard en gants jau­nes, avec des lorettes, passer un sac sur le dos pour se rendre aux gares du Nord. Les carlistes mêmes vont à l'armée, où y envoient leurs en­fants, et, proh pudor ! horresco referens ! des zouaves pontificaux quittent Rome pour aller au bord du Rhin.

Il paraît que dans l'Allemagne du Nord l'en­thousiasme antifrançais est non moins vif. Dans le Sud/ce n'est pas avec la même ardeur qu'on se prépare. Mohl, que vous connaissez, je crois, — c'est un de nos grands orientalistes, Wur-tembergeois de naissance et Français d'adop­tion, — Mohl revient de Stuttgard, et sa con­clusion est que tout cela avance la République

LETTRES A M. PANIZZI U7

de vingt ans en Allemagne; on peut ajouter: et en Europe.

Si, comme je l'espère, nous avons l'avantage, ne croyez pas, comme quelques journaux le di­sent, que la liberté en souffrira. Elle en devien­dra plus impérieuse et plus puissante. D'un autre côté, une défaite nous met en république d'un coup, c'est-à-dire dans le plus abominable et inextricable gâchis.

Je ne sais si la paix quand même, que le cabinet anglais a pris pour premier principe, tournera à son avantage. L'Angleterre a perdu son prestige en Europe. Il y a quelques années, elle aurait pu empêcher la guerre. En s'unissant à la France, elle aurait pu diviser à jamais l'Amérique en deux États rivaux ; elle aurait pu prévenir la scandaleuse invasion du Danemark, et, aujourd'hui, nous serions probablement tran­quilles.

Tenez ceci pour certain. Le secrétaire qui a porté la déclaration de guerre est allé prendre congé de M. de Bismark, avec lequel il avait eu de très bonnes relations. M. de Bismark lui a dit : « Ce sera pour moi le regret de toute ma vie

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de n'avoir pas été à Ems auprès du roi, lorsque M. Benedetli y est venu. »

Les gens du métier disent que les hostilités ne commenceront pas avant une quinzaine de jours. Nos soldats sont pleins de confiance dans la supériorité de leurs armes. Ils ont tué un Badois en tirant de la rive gauche sur la droite, et ont vu les balles ennemies tomber dans le Rhin.

Adieu, mon cher Panizzi; soignez-vous et tenez-moi au courant de vos faits et gestes.

CLXXXYII

Paris, 27 juillet 1870.

Mon cher Panizzi,

Est-ce M. de Bismark ou quelque rédacteur du Times qui a inventé le traité pour l'annexion de la Belgique ? Comment M. Gladstone n'a-t-il pas dit qu'il ne s'avait de quoi il avait pu être ques­tion entre la France et la Prusse après Sadowa, mais que les diplomates des deux pays ne trai­taient pas par écrit de la peau de l'ours, même

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ayant envie de la vendre? La chose est démen­tie ce matin au Moniteur.

L'empereur part demain à six heures du matin pour l'armée. Toujours grand enthousiasme. Cent quinze mille enrôlements volontaires. Les mili­taires ont grande confiance; mais, moi, je meurs de peur.

Adieu, mon cher Panizzi; je viens d'envoyer cinq cents francs pour les blessés, et je vais en donner mille pour tuer des Prussiens.

CLXXXVIII

Paris, 11 août 1870.

Mon cher Panizzi,

Accusez-nous de folie, d'outrecuidance, de poltronnerie même, nous avons mérité tous les reproches, mais ne croyez pas à cette absurde histoire de la Belgique. Avez-vous lu la lettre du général Turr? Admettant qu'on eût voulu s'empa­rer de la Belgique, qui aurait pu s'y opposer avec la connivence de la Prusse?

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J'ai vu avant-hier l'impératrice. Elle est ferme comme un roc, bien qu'elle ne se dissimule pas toute l'horreur de sa situation. Je ne doute pas que l'empereur ne se fasse tuer ; car il ne peut rentrer ici que vainqueur, et une victoire est im­possible. Rien de prêt chez nous. Tout manque à la fois. Partout du désordre. Si nous avions des généraux et des ministres, rien ne serait perdu; car il y a certainement beaucoup d'enthousiasme et de patriotisme dans le pays. Mais, avec l'anar­chie, l.es meilleurs éléments ne servent de rien. Paris est tranquille; mais, si on distribue des armes aux faubourgs comme le demande Jules Favre, c'est une nouvelle armée prussienne que nous avons sur les bras.

Je suis de nouveau retombé pour être allé au Sénat hier et avant-hier ; mais je ne crois pas que ce soit sérieux.

Adieu, mon cher ami ; j'ai le cœur trop gros pour en écrire plus long ; ne montrez pas ma lettre, je vous en prie.

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CLXXX1X

Paris, 16 août 1870.

Mon cher Panizzi,

Le temps se passe pour nous dans une sorte d'agonie. On cherche à s'absorber, et les mêmes pensées désolantes vous poursuivent sans cesse. Les militaires pourtant paraissent conserver en­core de l'espoir ; mais le désordre est partout. Il y a en ce moment deux gouvernements qui sont loin de s'entr'aider. Le mouvement patriotique est grand, cela est incontestable, mais peu intel­ligent, j'en ai bien peur. Supposé que, dans les conditions très mauvaises où se trouve notre armée, nous eussions un grand succès; supposé même qu'on obligeât les Prussiens à repasser le Rhin, notre situation serait toujours très grave. Qu'il y ait une paix honorable ou honteuse, quel gouvernement pourra subsister en présence de cette immense insurrection nationale, à qui on a donné des armes et qu'on a exaltée au der-

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nier point? Nous allons forcément à la répu­blique, et quelle république !

Je ne sais rien déplus admirable que l'impéra­trice en ce moment. Elle ne se dissimule rien et cependant elle montre un calme héroïque, effort qu'elle paye chèrement, j'en suis sûr.

Je ne doute pas que l'empereur ne cherche à se faire tuer. Il a emmené le prince impérial avec lui, sans doute parce qu'il pense que l'année seule peut le protéger ; mais l'armée elle-même conservera-t-elle son dévouement? Chaque jour, on apprend quelque nouvelle étourderie de la part de la dernière administration. Ici, point de vivres ; là, point de munitions ; illusion com­plète sur le nombre des troupes.

Au milieu des tristes préoccupations qui nous obsèdent, je me reproche quelquefois de penser à moi-même. Je ne sais ce que deviendra mon naufrage particulier au milieu de tant d'autres. Le moment est mauvais ; mais je n'aurai pas probablement longtemps à souffrir, car ma santé empire tous les jours.

Adieu, mon cher Panizzi ; donnez-moi de vos nouvelles.

LETTRES A M. PAN1ZZI 433

cxc

Paris, dimanche SI août 1870.

Mon cher Panizzi,

Finis Galliœ ! Nous avons de braves soldats, niais pas un général. C'est la même manœuvre qu'en 1866.

Je ne vois ici que le désordre et la bêtise. Les Chambres, qu'on va réunir, aideront puis­samment aux Prussiens. Je pense que l'empe­reur veut se faire tuer. Je m'attends dans une semaine à entendre proclamer la République, et dans quinze jours à voir les Prussiens. Je vous assure que j'envie ceux qui viennent de se faira tuer aux bords du Rhin.

Adieu, mon cher ami. Je voudrais que vous me dissiez ce que l'on pense en Angleterre, si nos malheurs excitent de la joie ou de la pitié. Je n'ai pas la force d'écrire.

ii.

2S

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LETTRES A M: PAN1ZZI

CXCI

Paris, 22 août soir, 1810.

Mon cher Panizzi,

J'ai vu notre hôtesse de Biarritz. Elle est admirable et me fait l'effet d'une sainte.

Le pauvre M. Tripet, que vous avez vu à ■Cannes, a un fils dans un régiment qui a souf­fert beaucoup dans la bataille du 16; il n'en a aucune nouvelle.

J'apprends tous les jours la mort ou la bles­sure d'un de mes amis. Un jeune sous-lieutenant, fils d'un de mes camarades, a reçu une balle dans son casque, une autre dans la cuirasse, une troisième sur la bossette du poitrail de son che­val. Homme et cheval se portent à merveille. On dit que jamais on n'a vu batailles si meurtrières.

Je suis toujours bien souffrant, et je ne parie­rais pas pour moi, si j'avais à vous disputer le prix de la course.

Adieu, mon cher ami. Tâchez donc que De-

LETTRES A M. PANIZZI U5

lane* ne fasse pas contre nous des articles si haineux.

CXCII

Paris, 24 août 1870.

Mon cher Panizzi,

Je suis toujours très souffrant et l'anxiété où nous vivons depuis un mois n'est pas faite pour me remettre. Cette guerre est épouvantable. On nous donne des détails affreux sur les derniers engagements. Ces affaires, toutes très sanglantes, ont un peu ranimé nos espérances. On s'accou­tume à l'idée de voir l'ennemi sous Paris, et les militaires n'hésitent pas à dire que, si on les attire là, les chances sont en notre faveur. Ils ont déjà un grand nombre de malades et leurs meilleures troupes ont fait des pertes énormes.

Quoiqu'il arrive, ce pays-ci est bien malade, et, comme le dit notre amie de Biarritz, l'armée que M. de Bismark a dans Paris est la plus redouta­ble de toutes. Il n'y a rien de si trisle que d'être malade

1. Directeur du Times.

436 LETTRES A M. PANIZZI

dans un temps comme celui-ci. La conscience de son inutilité ajoute à tous les tourments qu'on éprouve.

Adieu, mon cher Panizzi. Point de nouvelles du fils de M. Tripet. Cette pauvre famille est au désespoir.

CXCIII

Paris, 25 août 1870.

Mon cher Panizzi,

J'ai été bien touché des offres généreuses que vous me faites. Je sais quel bon ami vous êtes, et que vous êtes toujours true to your xoord. Je voudrais bien vous serrer la main avant de mou­rir, mais cela est peu probable avec ma déplora­ble santé.

Yous accusez fort à tort nos bulletins de men­songe. Nous n'avo7is pas de bulletins du tout. C'est un système nouveau que je ne comprends pas plus que l'ancien. A en juger par les bulletins prussiens, il y a beaucoup à rabattre de leurs victoires, et, lorsqu'ils disent qu'ils ont enlevé les positions

LETTRES A M. PANIZZI 437

occupées par le maréchal Bazaine, ils ajoutent naïvement qu'ils ont demandé une trêve pour enterrer leurs morts. Comment se fait-il que leurs morts fussent sur notre terrain? Ce qui paraît constant, c'est qu'il y a eu des deux côtés un carnage affreux. On s'attend à voir les Prus­siens sous Paris, et on s'accoutume à cette idée. Si les rouges ne perdent tout, je crois que nous gagnerons la. partie. Mais nos pauvres amis de Biarritz l'ont perdue.

Adieu, mon cher Panizzi. Merci encore de tout ce que vous me dites de votre amitié pour moi. J'y compte, croyez-le bien, comme en l'occasion vous compteriez sur moi.

CXCIV

Paris. 2G août 1870.

Mon cher Panizzi,

Toujours absence complète de nouvelles. C'est bien cruel pour ceux qui ont des amis à l'armée. Les pauvres Tripet ne savent rien de leur fils, si ce n'est que son régiment a été engagé et que le

438 LETTRES A M. PANIZZI

général qui commandait sa brigade a été tué. Le père et la mère sont comme des âmes en peine depuis lors.

L'armement de Paris se poursuit avec beaucoup de rapidité. Jusqu'à présent, la population a grande confiance dans le général Trochu, malgré le mauvais style de ses proclamations. Il paraît que le maréchal Bazaine ne veut pas se battre avant d'être sous les murs de Paris.

Un siège me paraît peu probable, car l'inves­tissement exigerait plus de six cent mille hommes, qui pourraient être battus en détail par cent mille concentrés dans la place. Mais Dieu sait ce que la Chambre peut faire de sottises en présence de l'ennemi.

Adieu, mon cher Panizzi. Je ne vous remercie pas, puisque vous ne voulez pas.

CXCV

Paris, 28 août 1870.

Mon cher Panizzi, On s'attend à voir la fumée d'un camp ennemi

LETTRES A M. PANIZZI 439

du haut des tours de Notre-Dame avant le mois prochain, et, chose étrange, il n'y a pas trop d'in­quiétude dans le peuple parisien. Les militaires raisonnent à perte de vue sur le siège de Paris. Selon les uns, il faudrait huit cent mille hommes pour l'investir, et on ne croit pas qu'ils puissent en amener plus de trois cent mille qui ne pour­ront s'éparpiller. Il faut au moins quinze jours pour prendre un des forts, et il leur est difficile d'ame­ner un équipage de siège. Nous avons force ca­nons et huit mille marins d'élite pour les servir. Les soldats ne manquent pas,, sans parler de la garde nationale, qui paraît fort animée. Enfin, nous avons encore plus de deux cent cinquante mille hommes tenant la campagne et se renforçant tous les jours. Je croirais presque toutes les chances de notre côté, si nous étions unis, si nous n'avions pas dans nos murs la quatrième armée prussienne, dont je vous parlais d'après une dame de nos amies, il y a quelques jours.

Sans doute je ne peux être utile à rien ici ; mais d'abord je ne suis pas en état de voyager, et il y a, en outre, une sorte de décence qui m'obligerait seule à rester. Je resterai donc et j'attendrai la

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fin, quelle qu'elle puisse être. Il est probable que, le mois prochain, la question sera décidée. Ou bien, finis Gallise, ou bien l'ennemi sera rejeté sur le Rhin, et alors nous avons une paix glorieuse. Mais, de toute façon, nous ne sommes qu'au pro­logue d'une tragédie qui va commencer.

Quel gouvernement peut subsister en France avec le suffrage universel, compliqué par l'arme­ment d'une partie de la population? Le moyen de changer cela? Vous représentez-vous la mau­vaise humeur du pays après tant de sang versé et tant d'argent dépensé? Rien ne me paraît pos­sible, en vérité.

Je ne me représente pas davantage ce que peut devenir notre amie. Je crois peu probable qu'elle aille en Angleterre, et, si j'avais un conseil à lui donner sur un sujet si délicat, je ne le lui propo­serais pas. J'aimerais mieux le Fanvest, je crois, ou quelque endroit ignoré de l'Adriatique. Enfin, qui vivra verra. Je ne suis pas trop curieux de voir la fin, mais je ne pense pas la voir. • Adieu, mon cher ami. Portez-vous bien ; dites-moi où vous écrire.

LETTRES

A M. PANIZZl

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CXCVI

Paris, dimanche 4 septembre 1870.

Mon cher Panizzi,

Un mot à la hâte. Je n'ai pas la force de vous en écrire davantage. Tout ce que l'imagination la plus lugubre pouvait inventer de plus noir est dépassé par l'événement. C'est un effondrement général. Une armée française qui capitule ; un empereur qui se laisse prendre. Tout tombe à la fois.

Je vous écris du Sénat. Je vais essayer d'al­ler aux Tuileries. On me dit que le prince im­périal est en Belgique chez le prince de Chimay. Le maréchal Mac Mahon est mort de sa blessure. C'est un dernier bonheur.

En ce moment-ci, le Corps législatif est envahi et ne peut plus délibérer. La garde nationale, qu'on vient d'armer, prétend gouverner.

Adieu, mon cher Panizzi ; vous savez tout ce que je souffre.

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LETTRES A M. PANIZZI

CXCVII

Cannes, 13 septembre 1870.

Mon cherPanizzi,

Vous êtes la personne à qui je m'adresserais en cas de nécessité avec le plus de confiance et le moins de confusion. Mais nous n'en sommes pas encore là. Vous me gardez quelque chose à votre banque. J'ai encore des actions au chemin du Nord, qui m'assurent quatre ou cinq mille francs par an ; enfin j'ai, en rentes françaises, un revenu d'environ seize à dix-huit mille francs. Que res-tera-t-il de ces rentes? Quelque chose, je crois, assez pour enterrer leur propriétaire, qui est bien malade et sur ses fins.

Adieu, mon cher Panizzi; je vous suis bien re­connaissant. Je vais vivre ici en philosophe au soleil. Si je pouvais m'endormir comme Épimé-nide!

On assure que notre amie est près de chez vous, à Hamilton palace. S'il en est ainsi, vous devriez

LETTRES A M. PANIZZI 443

lui écrire et l'amener à Invergarry, où elle se plai­rait beaucoup, je crois.

Adieu encore. Je souffre trop, pour continuer ce sujet.

FIN

DES LETTRES

APPENDICE

Quelques heures après la mort de Mérimée, miss Lagden, l'une de ces deux fidèles amies qui l'avaient soigné avec un admirable dévouement, écrivait à M. Panizzi la lettre suivante :

Cannes, 24 septembre 1870.

Cher Monsieur,

Vous aimiez bien mon cher Prosper, et il vous aimait. Je sais que vous serez peiné d'apprendre qu'il n'est plus. Il mourut la nuit dernière sans lutte aucune. Tout ce que l'affection dévouée et les soins ont pu faire a été fait pour lui. Ce sont certainement ces horribles événements politiques qui ont abrégé ses jours. Je n'ai pas besoin de vous dire combien je suis malheureuse. Nous sommes à Cannes sans un ami ; car le docteur Maure esta

APPENDICE 445

Grasse, et aucune de nos connaissances n'est en­core venue. Le cher Prosper s'étonnait souvent et regrettait que vous ne lui ayez pas écrit depuis son départ de Paris. Je présume que les lettres se sont égarées; mais j'espère que vous recevrez ces quelques lignes.

J. Lagden.

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I. Cannes ,. 17 janvier 1

Iï. — 28 — 4

  1. 4 février 6

  2. 13 —

  3. 29 — 11

VI. Paris 19 mars 12

  1. 24 — 15

  2. 1er avril 17

  3. 13 —' 19

  4. 20 — 21

  5. 24 — 24

  6. 1er mai 25

Xni. — 16 — 27

  1. 27 — 29

  2. .: 3 juin 31

  3. 7 — 33

XVII. Fontainebleau..... 13 36

XVin. — 22 — 37

XIX. Paris 27 39

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