ÉVY, Éditeur



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3y S LETT11ES A M. PANIZZI

Il paraît que le nouveau ministère cause une grande joie. Les fonds ont haussé de deux francs. À la bonne heure ! Un tiers des nouveaux minis­tres est orléaniste, un .autre tiers, républicain ; des gens d'affaires, je n'en vois pas. Leur élo-quence même me semble fort problématique. Ils vont avoir Thiers pour mentor, et d'abord n'auront que les irréconciliables à combattre. Je crois qu'en peu de temps ils auront rendu l'administration impossible, d'où sortira une crise très favorable à la sociale. Voiià mes pré­dictions. Priez qu'elles ne se vérifient pas !

Adieu, mon cher Panizzi; ces dames et tous vos amis de Cannes vous envoient leurs souhaits et leurs compliments.

CLXXIII

Cannes, 1C janvier 1870.

Mon cher sir Anthony,

Fructus Belli, le fruit des Belles, comme tra­duisait un goutteux qui souffrait comme vous. Vos insomnies sans douleur me font envie. Les

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miennes sont très pénibles, mais ne parlons pas de nos maux. Tâchons, de résister et espérons que, par l'intercession de nos saints, nous sorti­rons d'affaire sans trop de souffrances.

Connaissez-vous ce prince Pierre Bonaparte? C'est un mélange très bizarre de prince romain et de Corse ; au demeurant, assez bon diable, mais de cervelle point. Il y a quelques années, par un froid très vif, lorsque toutes les rues étaient couvertes de neige, son valet de chambre fut pris d'une attaque de choléra. Le prince sauta sur un cheval non sellé, pour aller chercher un médecin, et, au premier tour­nant de rue, son cheval s'abattit, et lu* se cassa la jambe. Cela vous peint l'homme. Il suffit de lire les deux dépositions pour croire à la sienne, bien que l'autre commence par dire qu'il n'a jamais menti. Si le prince Pierre était jugé comme tout citoyen par un jury d'épiciers, le verdict serait incontestablement : Servecl him right. Mais, aujourd'hui, les princes sont hors la loi, et je ne sais s'il trouvera des juges assez hardis pour l'acquitter.

Je me suis posé la question que vous vous.

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faites à propos de cette affaire, et voici ce que j'ai fait. J'ai écrit à la princesse Mathilde et à quel­qu'un de la maison de l'impératrice, qui probable­ment lui montrera ma lettre. Je pense que vous pourriez écrire à Piétri, secrétaire de l'empereur, pour lui dire quelle est en Angleterre l'opinion des honnêtes gens à ce sujet. 11 ne manquera pas de communiquer votre lettre à l'empereur, à qui elle fera grand plaisir, j'ensuis sûr. On peut aujourd'hui être poli pour les personnes couron­nées sans risquer de passer pour courtisan. Dans peu de temps même, il faudra pour cela un degré de courage considérable.

N'est-ce. pas bien ridicule de demander à un habitant de Londres une citation classique ? Mais il n'y a pas ici de livre grec à vingt lieues à la ronde. Il s'agirait d'avoir un vers d'Étectrc, où Égysthe dit qu'il a appris qu'Oreste avait perdu la vie en tombant de son char. Il est mort dans un naufrage équestre, SmuxoU vauiytoi;. Il s'a­girait d'avoir la phrase entière. Je pense que la première personne du British Muséum que vous verrez vous trouvera le vers. Pardon de vous donner cet ennui ; rien de pressé d'ailleurs.

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Adieu, mon cher sir Anthony; mille amitiés et compliments.

CLXXIV

Cannes, 3 février 1870.

Mon cher sir Antonio,

Merci de votre lettre et de votre vers grec, qui fait justement mon affaire. N'avez-vous pas admiré que, dès le temps de Sophocle, on faisait des concetti? Ëgysthe dit qu'Oreste a fait un naufrage équestre, parce qu'il s'est cassé le cou en tombant d'un char. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil.

Je n'ai rien à vous dire de satisfaisant sur ma santé. Comme toute cette machine humaine est mal inventée ! Elle meurt petit à petit au lieu de s'éteindre comme une bulle de savon qui crève.

Je ne sais si vous avez suivi les discussions de notre Corps législatif. Si jamais le gouvernement parlementaire a été fait pour le bien d'une nation, ce n'est pas assurément pour le nôtre. Après quatre-vingts, ans d'expérience, elle n'y com-

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prend rien encore, ou plutôt lui est absolument antipathique. Le sentiment de tout Français s'op­pose à ce qu'il prenne une initiative quelconque, et en même temps le pousse à critiquer tout ce qui se fait autour de lui. Il croit tout ce qui le flatte et nie tout ce qui le contrarie. Avez-vous rien vu de plus triste que cette discussion du traité de commerce, où chacun veut dire son mot, où chacun apporte quelque petit fait non vérifié, et où personne ne sait voir les choses froidement et sans passion ?

On dit que l'empereur n'est pas sorti de son calme habituel et que ses nouveaux ministres sont enchantés de lui. Si les choses peuvent aller ainsi quelque temps, smooth/y, peut-être à l'excitation ultralibérale, qui subsiste encore, succédera un dégoût profond du parlementarisme, comme il est arrivé en 1849. Mais là est un autre danger ; peut-être, avant cela, les rouges feront-ils quelque sottise énorme. S'ils savent attendre, l'anarchie parlementaire leur livrera dans quel­ques années la société sans défense.

J'ai vu, il -y a quelques jours ici, le frère de Bixio, qui m'a paru beaucoup plus raisonnable

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que je ne le supposais. 11 dit qu'aussi longtemps que la France sera tranquille, l'Italie le sera également, mais que, s'il arrivait ici'une révolu­tion, elle passerait aussitôt les Alpes et ferait un mal irrémédiable. Il dit qu'on s'occupe peu du concile hors de Rome, et qu'on ne croit pas qu'on propose l'infaillibilité papale. Pantaleoni, qui est aussi venu me voir, pense à peu près de même. Mon confrère Dupanloup me paraît avoir des velléités de protestantisme.

La fille du duc de Hamilton qu'a épousée lé princejde Monaco, et qui est enceinte, a quitté son mari et s'en est allée à Nice. D'autre part, les gens dé.Monaco menacent de s'insurger. On a aboli les impôts, mais cela n'a eu d'autre effet que de leur donner plus d'appétit. A pré­sent, ils demandent que l'administration . des jeux ne puisse prendre pour croupiers que des citoyens de Monaco ; qu'on puisse jouer qua­rante sous au trente-et-quarante ; enfin qu'on leur fasse un pont enfer. Oignez vilain, vilain vous poinct.

Adieu mon cher ami; donnez-moi de vos" nouvelles.

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LETTRES A M.

P A N IZ ZI

CLXXV

Cannes, 27 février 1*870.

Mon cher Sir Anthony,

Ce qui se passe à Paris n'est pas de nature à réjouir quelqu'un qui souffre des nerfs. Quel triste spectacle donne le Corps législatif en ce moment ! Personne pour faire les affaires, tout le monde voulant parler, le ministère sans idée politique, la Chambre sans expérience, la majo­rité divisée, voilà le bilan de la situation.

Dans ce diable de pays, on a toujours la pré­tention d'afficher de grands principes, d'en faire beaucoup de bruit, sans trop s'inquiéter de la façon dont on les met en pratique. Un des ministres, homme de bon sens, M. Chevandier de Yaldrôme, dit que le cabinet ne veut pas influencer les élec­tions, qu'il se réserve seulement de faire connaî­tre aux électeurs ceux qu'il regarde comme ses amis, ceux qu'il sait être ses ennemis. Cela est pratique et se fait aussi bien en Angleterre qu'en Amérique. Mais, à nous, il nous faut de grandes

LETTRES A M. PANIZZI 405

théories. M. Olliviér vient démentir son collègue et déclare qu'il ne se mêlera absolument en rien des élections. De là division de la majorité et augmentation des prétentions de la gauche. Où cela s'arrêtera-t-il ?

Vous rappelez-vous le médecin *** qui demeu­
rait à l'hôtel Chauvain et qui me donna une con­
sultation chez vous, l'année dernière? Il m'avait
donné des pilules, qui me faisaient grand bien.
Ma provision étant épuisée, j'ai voulu en avoir
d'autres et me suis adressé au pharmacien. Ce­
lui-ci demande une ordonnance de ***, qui ne veut
pas m'en donner. Je ne sais ce qu'il a contre moi.
Il n'avait pas voulu d'argent; peut-être voulait-il
un cadeau, alors pourquoi ne pas le dire? Depuis
M. Purgon, je n'ai pas vu de médecin plus ri­
dicule.
, .

Adieu, mon cher ami ; soignez-vous et portez-, vous bien, si vous pouvez.

406 LETTRES.A M. PAN1ZZI

CLXXVI

i' Cannes, 5 mars 1870.

Mon cher don Antonio,

Cet hiver, qui, même ici, a été très rigoureux, m'a fait le plus grand mal. C'est dommage que l'Egypte soit si loin. Il paraît que ce n'est qu'à la seconde cataracte qu'on ne sent plus l'hiver, et le froid est décidément le plus grand des maux. Que Dante a eu raison de mettre des bai­gnoires de glace en enfer à l'usage des damnés!

Voilà Garibaldi qui finit comme les catins, par faire des livres. Il paraît que c'est toujours par là qu'on finit, quand on ne peut plus faire autre chose. Bien que je.ne m'attende pas à un chef-d'œuvre, je compte le lire.

Quelqu'un que j'ai tout lieu de croire bien in­formé me dit que l'empereur est en parfait accord avec ses ministres. Il ne se plaint pas de la situa­tion qu'on lui a faite, et il a l'intention d'être par­faitement constitutionnel. Les ministres, de leur côté, arrivant avec les plus grands préjugés con-

LETTRES A M. PANIZZI 4 0 7

tre lui, sont maintenant très charmés de ses fa­çons et de sa droiture. Celapourra-t-il durer long­temps? je n'en sais rien, et c'est une terrible ex­périence à faire que de donner tout pouvoir à des gens peu pratiques, et qui cherchent avant tout la popularité. Je n'ai jamais vu dans l'histoire qu'on changeât par des institutions le caractère d'un peuple, surtout lorsqu'on lui accorde tout à la fois, ce qui ne devrait se donner que lente­ment. Nous sommes des chevaux fringants à qui on met la bride sur le cou. Il est fort à craindre que nous ne versions le char de l'Etat et que, par la même occasion, nous ne nous cassions le cou.

Je crois, à propos du concile, que le parti qu'on a pris de ne se mêler en rien de tous ses tripo­tages, est le plus raisonnable dont on pût s'avi­ser. Il me paraît encore très douteux que les jésuites parviennent à faire les bêtises auxquelles ils aspirent ; mais ce qui "me paraît certain, c'est que, s'ils réussissaient, le résultat serait la ruine du catholicisme. La plupart de nos évèques sont déjà à demi protestants, à ce qu'on m'assure, et leur conversion est due à la compagnie de Jésus,

408 ' LETTRES A M. PANIZZI

qui a perdu le tact qui la distinguait autrefois. En rompant en visière avec la civilisation mo­derne, elle perd la plus grande partie de son pouvoir.

Adieu, mon cher Panizzi. Portez-vous bien et recommandez-moi à nos amis. J'ai ici un buste de M. Gladstone très ressemblant, qui orne mon salon et que ces dames entourent d'anémo­nes et de fleurs de mimosa, comme un petit saint.

clxxyii

Cannes, 20 mars 1870.

Mon cher don Antonio,

Je suis toujours bien souffrant, malgré le temps, qui est magnifique. Mon cas me semble déses­péré.

J'ai reçu, il y a quelques jours, une fort aimable lettre de notre hôtesse de Biarritz. Ejle me de­mandait conseil à propos d'un roman de ma­dame Sand1, où on la met en scène et où on lui

1. Malgrètout.

LETTRES A M. 1MNIZZI 'i 0 9

donne un vilain rôle. Madame Sand a plusieurs fois eu recours à elle et en a obtenu des grâces. Elle voulait faire parler à l'auteur pour qu'elle déclarât qu'elle n'avait pas voulu faire d'allusion. Vous devinez le conseil que j'ai donné : de mini-mis non curât prœtôr.

Que dites-vous de la répétition d'Étéocle et Polynice, qui s'est donnée à Madrid l'autre jour? Il y a une fatalité qui pèse sur cette race des Bourbons. J'avais assez pratiqué cet infant don En-rique à Biarritz. C'était un assez sot personnage ; je n'aurais jamais cru qu'il finirait de la sorte, el surtout de la main d'un homme qui n'avait pas la réputation d'aimer les jeux de Mars. Je ne sais pas si l'affaire nuira aux prétentions du duc de Mont-pensier. Elles étaient déjà fort compromises. Il a le défaut d'être Français et d'aimer l'argent, comme son père. Il en dépense beaucoup ; mais, au milieu de ses largesses, il a tout à coup des velléités d'économie qui gâtent tout, et qui font que l'argent qu'il a donné ne lui rapporte rien. Les grands hommes d'Espagne ont tous reçu de l'argent de lui, mais pas assez. En matière de ■corruption, il ne faut pas avoir de repentirs.

410 LETTRES A M. PANIZZI

Je reçois de Paris des nouvelles très contra­dictoires au sujet du concile. Il paraît que M. Daru, qui est bon catholique, à la manière de Montalemhert et de Dupanloup, a témoigné le désir d'envoyer un ambassadeur au concile, et cela sans avoir consulté se's collègues, qui, pour la plupart, sont d'un avis contraire. Il est évident que la présence d'un ambassadeur français ne changerait pas la volonté du Saint-Esprit, qui in­spire les Pères du concile. Il n'obtiendrait rien de ces entêtés, et le seul résultat serait de bien con­stater qu'on ne fait aucun cas de nous. Quoi qu'en disent beaucoup de-journaux, je ne crois pas qu'on envoie un ambassadeur à Rome. On a fait sans doute force représentations, qui, bien en­tendu, n'ont eu aucun effet. Je ne vois pas trop ce que nous avons à voir dans la question de l'infaillibilité. Quant au Syllabus, c'est tout bon­nement une attaque contre nos institutions, et, s'il est décrété, le gouvernement défendra de le publier.

Maintenant, que fera le Corps législatif ? Rap­pellera-il la division de Civita-Yecchia ? Cela est encore douteux, car on dit que les catholiques

LETTRES A M". PANIZZI 411

sont en majorité dans la Chambre. Que fera le gouvernement italien? Rien de bon ne peut sortir de là. On dit que Garibaldi est uniquement oc­cupé à écrire des romans.

Adieu, mon cher Panizzi. Je vous écris entre mes deux médecins, qui me donnent des distrac­tions.

. CLXXVIII

Cannes, 30 mars 1870.

Mon cher don Antonio,

J'ai reçu votre lettre avec grande joie. Je vois que vous passez le temps assez doucement, que vous voyez bonne compagnie et que vos dîners sont comme toujours appréciés. Vous vivez en­core. Pour moi, je souffre comme une bête. J'es­saye de tous les remèdes : aucun ne réussit. J'ai à peine la force de lire ; encore, bien souvent je ne comprends rien à la page qui était sous mes yeux, et mes. pensées sont à mille lieues très tris­tement employées. Ce qu'il y a de singulier dans mon état, c'est la répugnance qui me prend vers

4 12 LETTRES'A M. l'ANIZZI

le coucher du soleil pour tout aliment. Si j'essaye de manger, ma gorge se serre et il m'est impos­sible d'avaler. Le matin, je mange un peu, mais en faisant sur moi-même un effort moral considé­rable. Vous ne vous étonnerez pas qu'avec ce régime je sois d'une grande faiblesse. Je crois faire un rare tour de force, lorsque je marche jus­qu'au Grand-Hôtel. Enfin cela durera ce que cela durera. Parmi quelques regrets de quitter ce monde, un des grands que j'ai, c'est de ne pas vous serrer la main.

Nous avons un temps assez maussade : point de soleil et quelquefois du vent ; mais il neige à Pa­ris, il neige à Pau, l'hiver ne veut pas s'en aller. A tout prendre, il fait encore meilleur ici que dans le Nord.

On a vendu, à la vente de la bibliothèque de Sainte-Beuve, un volume de Chateaubriand cou­vert de notes et d'additions de sa main, toutes très irréligieuses. Il paraît que cela a été acheté par la famille, non sans conteste, car ledit vo­lume a été adjugé à trois mille et quelques cents francs. Je crains qu'on ne le détruise, ce qui serait fâcheux. Si j'y avais pensé, j'aurais écrit


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