ÉVY, Éditeur



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LETTFtES A M. l'ANIZZl 359

CLVI

Paris, "i mai 1869.

Mon cher Panizzi,

L'impératrice va faire un voyage en Egypte, pour assister à l'ouverture du canal de Suez. Elle m'a proposé de l'accompagner, ce que j'ai dû refuser, à mon grand regret. Je suis beaucoup trop invalidé pour faire pareille campagne, où je ne ferais qu'embarrasser les gens qui m'ac­compagneraient. Je crains, par-dessus le marché, que le voyage, ne se prolonge au delà dé ce qui serait désirable.

Grande agitation électorale. On s'attend ici — c'est à Paris que je veux dire— à des députés in­croyables. Thiers est un réactionnaire ; Garnier-Pagès, un vieux modéré ; Emile Olivier, un bona­partiste. Je crois savoir, d'ailleurs, que les me­neurs du parti républicain craignent de faire fiasco dans le reste de la France. C'est le tiers parti, très probablement, qui gagnera quelques voix, et le tort du gouvernement est de ne pas

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s'y résigner philosophiquement. Une opposition dynastique n'est pas très dangereuse, et, en sup­posant avec trop de vivacité à ses candidats, on risqué de les aigrir et de s'en faire des ennemis irréconciliables.

Il me semble que les Irlandais ne se mon­trent pas fort reconnaissants envers M. Glad­stone. Recrudescence de fénianisme et d'assassi­nats. Voilà la démocratie qui vient de faire un grand pas. La proposition de lord Russell de créer des pairs à vie, si elle n'est pas une simple menace destinée à demeurer comme gladins in vagina, est la démolition de la Chambre des lords. La vieille Angleterre marche d'un pas ra­pide sur la pente où toute l'Europe est entraînée, et c'est à tous les diables, je le crains, que cette pente mène.

La lutte électorale est très vive à Cannes. M. Méro donne vingt-cinq francs à tous les curés pour qu'ils disent neuf messes en sa faveur. Une messe vaut soixante-quinze centimes : ergo, cha­que curé empochera dix-huit francs vingt-cinq. Avec le suffrage universel, je crois que le moyen n'est pas mauvais.

LETTRES A M. PANIZZI 36 1

Adieu, mon cher Panizzi; tenez-moi au courant de vos mouvements.

CLVII

Paris, 22 mai 18G9.

Mon cher Panizzi,

Nous voilà enfin délivrés des réunions électo­rales. Sauf quelques petites promenades, beau­coup de gueulements, et quelques balustrades brisées à la place Royale, tout s'est passé sans grand mal. Les discours tenus étaient, en général, un éloge de la République, et presque toujours exprimaient le regret que la guillotine n'eût fonc­tionné qu'à demi en 1793. Ces messieurs ne cher­chent pas à'prendre les mouches avec du miel, comme le proverbe le recommande. Ces pro­cédés ont rendu quelque courage aux bourgeois. On n'avait pas de candidats modérés dans la plupart des arrondissements de Paris, et on en a improvisé. Je ne leur crois pas beaucoup de chances, mais, du moins, il y aura lutte. On dit que Thiers passera, mais avec un peu

362 LETTRES A M. PANIZZI

de peine et. par un appoint rouge au dernier mo­ment. Il est maintenant corps et âme dans la Ré­volution. Il m'a paru bien vieilli la dernière fois que je l'ai vu, il y a une quinzaine de jours. Barthélémy Saint-Hilaire canevasse dans le dé­parlement de Seine-et-Oise et on .dit qu'il a des chances.

Le suffrage universel est la boîte au noir et le résultat peut attraper tout le monde; cependant tout fait supposer que la Chambre nouvelle sera à peu près la même que l'ancienne, mais avec cette différence que les députés auront un autre mandat beaucoup plus dans le sens libéral que l'ancien. Le vent est au parlementarisme, un des plus mauvais gouvernements dans un pays où il n'y a pas une forte aristocratie.

Au reste, il paraît que, depuis quelque temps, un remède s'est présenté contre le suffrage uni­versel, c'est la corruption électorale. Cette année, on dit que les candidats dépensent beaucoup d'argent. L'un d'eux tient table ouverte, grise ses électeurs, les ramène en voiture et leur donne- des plaids et des cachenez pour retour­ner chez eux. IL a établi un bureau en face

LETtTRKS A M. PANIZZI 363

d'un pont à péage, où l'on rend à tous les passants le sou qu'ils ont payé à l'entrée du pont.

Adieu, mon cher Panizzi. Mille compliments et amitiés.

CLVIII

Paris, 9 juin 1SC0.

Mon cher Panizzi,

Les eaux minérales font toujours le diable avec les entrailles humaines, mais on dit que c'est pour leur plus grand bien. Je crois que le remède qu'on vous a proposé, le diascordium est excel­lent ; on en prend gros comme une noisette, et, le cas échéant, on redouble la dose. J'en ai fait l'essai, l'année passée, àFontainebleau avec grand succès. Yoici un remède encore plus simple, éprouvé également ; remplissez de gomme arabi­que en poudre'la raoilié d'un verre, mettez-y du sucre si vous voulez, puis ajoutez de l'eau en tournant dans le verre avec une cuillère, de façon à faire une pâte de la consistance d'une gelée.

3C4 LETTRES A- M. PANJZZI

Vous l'avalerez et vous m'en direz des nouvelles. Comment n'y a-t-il pas des médecins habiles à Naples qui vous remettent le ventre en ordre?

Je suis toujours dans le même état, avec un peu plus de toux qu'à l'ordinaire, très souvent de l'oppression, nul appétit et peu de sommeil.

Le docteur Maure ne vient pas à Paris cette année. Il a passé le temps de son voyage en cabales électorales, et n'a pas peu contribué à empêcher le maire de Cannes, M. Méro, d'être nommé. Les deux fils de M. Fould ont été élus, l'un dans les Basses, l'autre dans les Hautes-Pyrénées. Edouard ne se présentait pas ; il se consacre aux courses ; mais ses chevaux ne ga­gnent pas.

Il y a eu, dimanche, un beau déploiement de patriotisme d'antichambre. Le grand prix de l'empereur a été gagné par un cheval français, tandis que, depuis quelques années, il restait toujours aux Anglais. Les loretles et les belles dames étaient remarquables par leur enthou­siasme et s'enlr'embrassaient pour célébrer la victoire nationale.

A Paris, on se félicite de n'avoir nommé ni

LETTRES A M. PAN1ZZ1 365

Raspail, ni Rochefort, ni d'Alton-Shée. On de­vient très facile à contenter. On ne croit plus à une-petite session en juillet pour la.vérification des pouvoirs. La session ne commencera qu'en novembre ; du moins, cela élait ainsi hier, mais on a peut-être changé d'avis aujourd'hui.

Je pense que vous pourrez facilement vous pro­curer le dernier rapport de M. Fiurelli sur les fouilles de Pompéi. Ce serait œuvre méritoire à vous de me le rapporter, lorsque vous regagnerez Bloomsbuiy square.

Nigra vient de publier un bouquin en latin, très savant, sur la vieille langue irlandaise.

Adieu, mon cher Panizzi; soignez vos entrailles, ne prenez pas trop de glaces, et vivez en sage.

CLIX

Paris, 29 juin 1809.

Mon cher Panizzi,

Je vais après-demain à Saint-Cloud au lieu de Fontainebleau. Après les tentatives d'émeute,

366 " LETTKES A M. l'ANIZZl

il est prudent de ne pas trop s'éloigner de Paris. J'en suis pour ma part très content, parce qu'en cas où je serais malade, je puis en une heure rentrer chez moi. On me dit qu'il n'y a pas d'au­tre invité que moi et la duchesse de Malakof.

S'il n'y a-pas d'émeute dans la rue, il y aura certainement du tapage à la Chambre; car les « irréconciliables » veulent accomplir leurs pro­messes à leurs électeurs. Puis, comme il y a plusieurs doubles élections, il est probable que les rouges opteront pour la province, afin de ra­mener à Paris l'excitation, les réunions électora­les, les discours, etc. Tout cela promet un été passablement agité. Quant à une guerre, il en est moins question que jamais. Où faut-il aller pour être tranquille? Si on me demandait cela, je serais bien embarrassé pour répondre. Peut-être en Egypte, bien qu'on ait voulu faire sauter le pacha.

Le duc de Monlpensier se barbouille horrible­ment dans l'opinion publique. Il veut être roiper fas et nefas, et il ne serait pas impossible qu'il le fût pour quelques mois, s'il donne assez d'argent pour cela. Mais en a-t-il et en donnera-t-il?

LETTRES A M. PANIZZI 3«7

Madame de Monlijo, qui s'informe toujours de votre santé, est à la campagne et fait jouer la comédie, comme si de rien n'était. Elle a de jolies femmes pour actrices et par conséquent beaucoup de visiteurs. On croit ici que la reine Isabelle vient d'abdiquer en faveur du prince des Asturies. Gela produira un certain effet à Madrid, si la cbose est vraie.

Adieu, mon cher Panizzi. Je vous dois encore le volume de Bergenroth. C'est décidément un farceur qui a voulu se concilier les dévots en faisant de Jeanne la Folle une protestante.

CLX

Saint Cloud, 11 juillet 18C9.

Mon cher Panizzi,

J'assiste ici au spectacle le plus étrange. J'a i l'air d'être aux premières loges, mais je ne sais rien et ne vois pas grand'chose. C'est derrière le rideau que la pièce se joue. Il est certain qu'il y a dans le pays une surexcitation extraordinaire. On dit que c'est l'amour de la liberté qui la produit.

368 LETTRES A M. PANIZZI

Pour moi, j'en doute, car il me semble que nous avons déjà trop de liberté, et que nous en usons assez mal. En France, on se passionne pour un mot, sans se mettre trop en peine de se qu'il si­gnifie. La Chambre et peut-être la majorité du pays veulent une satisfaction. Il faut qu'on puisse dire : « Le gouvernement personnel a fait son temps ; maintenant, c'est le pays qui gouverne. » L'expérience des différentes tentatives de self govemment est oubliée. Le vent est au parle­mentarisme, dont personne pourtant ne se dis­simule les défauts. D'un autre côté, on me paraît oublier que, lorsqu'on a mis le doigt dans un engrenage, il faut que le bras y passe.- Tout ce qu'on a donné n'a servi qu'à faire demander plus, avec redoublement d'ardeur, et à rendre plus difficile de refuser quelque chose. Yous vous rappelez l'histoire d'Arlequin, qui donne à ses enfants un tambour et une trompette en leur disant : « Amusez-vous et ne faites pas de bruit. » Mon impression est qu'on est disposé à céder sur tous les points, excepté sur celui de la res­ponsabilité ministérielle ; or, c'est celui auquel on tient le plus. Il est vrai qu'en France, la

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responsabilité ministérielle n'a pas empêché Charles X et Louis-Philippe d'être chassés, et que jamais un souverain qui a voulu gouverner par lui-même n'a manqué de ministres. D'un côté, on veut un changement radical à la consti­tution ; de l'autre, on prétend qu'elle est compa­tible avec toutes les libertés. Qui cédera ? voilà la question, question qui peut amener une ca­tastrophe. La situation est celle d'une émeute qui commence. Le grand nombre des curieux et des indifférents apporte un secours considé­rable aux tapageurs. Une minorité factieuse peut entraîner la foule des indifférents, et, le mouvement décidé, elle s'en défait en un tourne­main.

On croit qu'il y aura aujourd'hui une décla­ration du gouvernement au Corps législatif an­nonçant des réformes. Je doute qu'on s'en con­tente. On cédera un terrain qui permettra à l'ennemi d'attaquer avec plus d'avantage. A mon avis, le plus prudent serait de las tiempo al tiempo; changer le ministère dont on est las; en prendre un qui ferait regretter l'ancien, et vivre au jour le jour.

II. 24

370 LETTHES A M. PANIZZI

Adieu, mon cher Panizzi. Je sais de bonne source que l'Allemagne du Nord n'est pas moins agitée et que M. de Bismark nous demande de nous entendre pour faire tête à l'ennemi com­mun. Mais cet ennemi est bien fort et j'ai grand'peur qu'il ne nous mange.

CLXI

Saint-Cloud, 2C juillet 1869.

Mon cher Panizzi,

Sir James est bien heureux de voir les choses couleur de rose. Chez vous, cela est déjà assez sombre; mais, chez nous, la teinte est fort sinis­tre, du moins pour mes lunettes.

Il y a des concessions opportunes; mais je ne crois pas que celles qu'on a faites ici fussent dé­sirables ou nécessaires. Le désir de rechercher un peu de popularité me paraît en avoir été la vraie cause, et le résultat a démenti les espérances qu'on pouvait avoir conçues. On a donné des ar­mes à l'opposition, cela est certain. On l'a provo-

LETTRES A M. PANIZZI 371

quée à jouer à un jeu où elle veut des règles qui lui soient avantageuses, et où elle se réserve le droit de tricher. Voilà, si je ne me trompe, quelle est la situation. Les concessions ont donné à l'opposition une grande force pour agiter les es­prits, et les élections s'en sont ressenties. La ma­jorité gouvernementale s'y est transformée. Ils ont tous fait comme saint Pierre et ont renié leur maître. Le duc de Mouchy a été un des signataires de la demande d'interpellation.

. 27 juillet. — J'en étais à la seconde page de ma lettre, quand la reine d'Espagne et toute sa famille est venue. Je l'ai trouvée en meilleur état que je n'aurais cru, c'est-à-dire moins grosse. Elle représente assez bien et est très polie. On lui a montré Trianon et on lui a donné à dîner, après lui avoir procuré une averse épouvantable entre Versailles et Saint-Cloud.

Je reprends ma politique pour vous dire que, la semaine prochaine, nous allons faire un sé-natus-consulte, qui donnera à la Chambre des députés le droit d'élire son président, de faire des interpellations et quelques autres items, que

372 LETTRES A M. PANIZZI

je ne sais pas. Je n'y vois pour ma part aucun inconvénient, attendu que, si une Chambre est assez hostile pour ne pas appeler au fauteuil le candidat du gouvernement, il faut ou changer de politique, ou faire un coup d'État.

La grande difficulté sera pour la responsabilité ministérielle, à laquelle l'empereur est très op­posé. En fait, elle existera toujours lorsqu'il y aura un leader dans un parlement. On peut la proclamer dans un pays où on observe la loi, comme en Angleterre ; chez nous, jamais on n'a hésité à faire remonter jusqu'au souverain la responsabilité des actes de ses ministres.

Je vous avouerai que mon seul espoir est clans les bêtises que feront les rouges. Ils com­mencent assez bien, et il est possible qu'en peu de temps ils effrayent assez le pays pour cesser d'être effrayants eux-mêmes.

Adieu. Faites mes félicitations à M. Gladstone et recommandez-moi aux prières de votre direc­teur spirituel.

LETTRES

A M. PANIZZI

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CLXII

Paris, 16 août 1PG9.

Mon cher sir Anthony ',

Je me suis mis à reprendre des bains d'air com­primé. H y a ici un établissement plus grand et plus élégant que celui de Montpellier. Les cloches sont si grandes, qu'il y tiendrait facilement trois personnes. Le médecin qui préside a une fille asthmatique, très jolie vraiment, mais on ne nous encloche pas ensemble, ce que je regrette.

Je suis retourné l'autre jour à Saint-Gloud, où on m'a demandé de vos nouvelles. Je dis les maîtres de la maison, sans parler de la maison, et particulièrement de madame de Lourmel. Je la crois repartie pour sa Bretagne.

Qu'est un lord *** tué en duel, selon le journal, par un cocu de mauvaise humeur? Je me réjouis de savoir M. Gladstone remis de ses fatigues, mais

1. M. Panizzi fut créé K. C. B., c'est-à-dire chevalier de l'Ordre du Bain, le 27 juillet 18C9.

374 LETTRES A M. PAN1ZZI

je crains qu'il n'en ait bien d'autres pour arranger les affaires. Il ne paraît pas que les Irlandais soient satisfaits. Yous me direz qu'ils ne le se­ront jamais ; au moins devraient-ils tuer un peu moins d'intendants ou de propriétaires.

Vous connaissez le proverbe : « Oignez vilain, vilain vous poinct. » Ce proverbe suffirait peut-être pour répondre à la question que vous m'a­dressez au sujet des dernières concessions de l'empereur. Pourtant il faut ajouter que, les cboses étant ce qu'elles étaient, il n'y avait pas moyen de faire autrement. En second lieu, il se peut que, avec un peu de tenue et d'adresse, on parvienne à gouverner cette Chambre, qui, après tout, est conservatrice au fond. Malheureuse­ment on manque ici de trimmers habiles. L'em­pereur a de grandes idées et ne s'occupe pas assez des petits détails. Une chance, fort pro­bable, c'est que les rouges feront tant de folies et montreront tellement leurs oreilles, qu'une réaction s'opérera dans l'esprit du public. J'y compte. Reste à savoir si on en profitera.

Il paraît que l'insurrection carliste fait fiasco. Les vieux chefs n'ont plus de jambes à gravir les

LETTRES A M. PANIZZI 37 5

montagnes, et les jeunes gens ne les connaissent pas. Il est vraisemblable qu'aujourd'hui les fils des carlistes de 1840 sont des républicains. La plus dangereuse épreuve par où va passer le nou­veau gouvernement sera une banqueroute. Je me demande où Prim et Serrano trouvent de l'argent pour payer les dîners qu'ils donnent et les sol­dats qui empêchent qu'une révolution républi­caine ou Isabéliste n'éclate à Madrid. On me dit que l'un et l'autre de ces grands hommes mènent joyeuse vie et jettent l'argent parles fenêtres.

Vous ai-je parlé d'un sujet domestique de tri­bulations que j'ai depuis mon retour? Ma cousine, qui demeure dans ma maison, comme vous savez, est devenue folle. Elle a mis les domestiques de son mari à la porte, en a pris, une vingtaine d'au­tres qu'elle a chassés les uns après les autres. Elle s'imagine que tout le monde veut la voler, et elle s'enferme sous vingt serrures tous les soirs. Tous ses amis me disent que je devrais l'empê­cher de faire ce qu'elle fait. Je n'ai aucune auto­rité sur elle, n'étant même pas son parent 4. L'au-

l.Ce n'était pas, en effet, une pirente direct? de Mérimée : c'était la femme de son cousin.

376 LETTRES A M. FANIZZt

tre jour, je me suis trouvé sans portier. Je crains qu'elle ne se brûle un de ces soirs, et moi aussi. J'espère qu'elle ira à la campagne, mais elle pense probablement que, si elle y allait, je profiterais de son absence pour emporter sa maison.

Adieu, mon cher Panizzi; amusez-vous bien en Ecosse, mais ne buvez pas trop. Que dites-vous de la religieuse de Cracovie?

CLXTI1

Paris, 26 août 1869.

Mon cher Panizzi,

Je suis allé déjeuner dimanche à Saint-Cloud, où j'ai présenté vos hommages. Le maître de la maison était encore souffrant. Serait-ce une excommunication de notre saint-père le pape?

Hier, nous avons eu un bon rapport de M. Devienne sur le sénatus-consulte. Je pense que la chose passera sans les additions que les importants du Sénat voudraient y souder. C'est déjà bien assez comme cela.

LETTRES A M. PANIZZI 377

Le prince impérial a eu beaucoup de succès au camp de Châlons. Il avait tant d'aplomb et tenait son rang si bien, qu'on croyait voir le père rajeuni. Bachon, son écuyer, que vous con­naissez, me dit qu'il n'y a pas un prince f.... pour passer une revue comme lui, sur un grand cheval qui piaffe de côté, du pas le plus égal tout le long d'une ligne d'infanterie, sans que la musique ou les éclairs des reflets du soleil sur les fusils lui fassent perdre la piste.

J'ai rencontré hier Monnier, qui m'a demandé de vos nouvelles. Il est assez surpris que le monde n'ait pas été plus mal depuis qu'il a quitté son élève, « auquel il porte encore, m'a-t-il dit, le plus vif intérêt ».

Parmi les personnes qui se sont informées auprès de moi de vos faits et gestes est la princesse Mathilde, que j'ai vue hier. Elle m'a dit qu'elle avait cinquante ans, et elle ne les paraît nullement.

Ma pauvre cousine devient de plus en plus in­supportable. Aujourd'hui, elle a mis à la porte sa trentième femme de chambre depuis un mois, et j'ai rencontré sur l'escalier un serrurier qui por-

378 LETTRES A M. PANIZZI

tait les engins les plus extraordinaires pour la barricader. J'ai peur d'apprendre, un de ces jours, qu'elle est morte de faim et qu'on n'a pu parve­nir jusqu'à elle qu'avec une compagnie du génie. Adieu, mon cher sir Anthony. Présentez mes hommages aux dames qui voudront bien se sou­venir de moi.

CLXIV

Paris, 7 septembre I8G9.

Mon cherPanizzi,

Hier, nous avons voté le sénatus-consulte, cent treize contre trois. Il y avait dans le même moment une grande panique à la Bourse. La santé de l'empereur donne beaucoup d'inquié­tudes. Si j'en crois les gens les mieux infor­més, tels que Nélaton et le général Fleury, il n'y a rien de dangereux dans son fait : il a de temps en temps des douleurs de vessie. Tout cela n'est pas alarmant ; mais il suffit qu'il soit souffrant, pour que toutes les imaginations se représentent ce qui pourrait arriver s'il était

LETTRES A M. PANIZZI 379

mort. On m'assure que le voyage d'Orient que méditait l'impératrice n'aura pas lieu. C'est le bon côté de l'affaire.

Le prince Napoléon a été complimenté par son cousin sur son discours, où il y avait en effet du bon. S'il y eût mis un peu plus de tact et de mesure, c'eût été excellent. A tout pren­dre, le sénatus-consulte paraît produire un bon effet d'apaisement, surtout dans la bourgeoisie. Le diable n'y perdra rien pourtant et la pro­chaine session sera dure, avec une Chambre peu expérimentée et ayant le sentiment de sa toute-puissance. C'est une Convention, et il peut se faire bien des bêtises et par ignorance et par mauvaise intention. Il y avait un tribun ro­main qui disait qu'il n'avait plus rien à donner au peuple prseter cœlum et cœnum. C'est un peu notre cas.

La duchesse Colonna m'écrit de Rome que le pape a pris un maître de théologie en vue du concile. Le professeur lui parle de son affaire et Sa Sainteté l'interrompt pour lui demander s'il y aura des banquettes pour tout le monde. Nous aurons quelques évêques très mauvais

3S0 LETTRES A M. PAN1ZZI

au concile, mais la majorité sera contre les in­novations et les décisions tranchantes. C'est, dit-on, l'esprit qu'apporteront les Allemands. Quant aux Espagnols, je ne sais si Prim les laissera sortir.

Je ne crois pas possible une réconciliation de l'Irlande avec l'Angleterre. Elle sera à perpétuité comme une mauvaise femme, avec laquelle on ne peut divorcer, une Pologne, et les Anglais n'ont pas les moyens dont disposent les Russes.

Adieu, mon cher Panizzi. Je regrette que vous n'ayez pas d'inclination pour le Midi. Il me sem­ble que le soleil est un grand médecin, c'est presque le seul en qui j'aie quelque confiance.

CLXY

Paria, 15 septembre 18C9.

Mon cher sir Anthony,

J'ai eu la visite de Louis Fagan, qui a dîné avec moi dimanche. Il m'a paru grandi et développé de toutes les manières, toujours très bon garçon,

LETTRES À M. PANIZZI 381

conservant, malgré toutes les nationalités par où il a passé, l'air de YEnglish boy.

Avez-vous vu le dénouement de l'histoire de M. Chasles et de ses autographes? Parmi ceux qu'il avait donnés à l'Institut, il y avait des feuilles qui ont paru avoir une contre-épreuve affaiblie du timbre de la bibliothèque impériale. On en a conclu qu'on s'était servi d'une feuille de garde sur laquelle le timbre de la bibliothèque avait maculé. Là-dessus, Taschereau a mis ses espions en campagne, et, dès qu'il a cru savoir qui était le voleur, il l'a fait arrêter dans la rue. Il était por­teur d'un assez gros portefeuille où on a trouvé tout d'abord une lettre de Galilée en préparation; puis une feuille de garde sur laquelle il y avait deux autographes différents, mais les petites barbes de la feuille se raccordaient parfaitement et les pointes entraient dans des ouvertures cor­respondantes. Outre cela, des calques de signa­tures, des morceaux de vieux papiers, enfin plus qu'il n'en fallait pour le convaincre. Ce galant homme s'appelle Vrain-Lucas. M. Chasles lui avait payé cent quarante-trois mille francs sa collec­tion ; bagatella. Son excuse est qu'il a une conçu-

382 LETTRES A M. PAMZZI

bine et que ces sortes de propriétés coûtent beau­coup d'entretien. Chasles ne sait où se fourrer ; il est abîmé de honte, bien qu'il dise encore à ses amis qu'il est convaincu que ce misérable Vrain-Lucas n'a pas tout inventé. L'homme est en pri­son et on va le juger. C'est une question délicate ; qu'il soit condamné pour escroquerie, il n'y a pas de doute ; mais on parle de le traiter comme faussaire, et je ne sais comment le jury décidera. On traite comme faussaires les gens qui mettent sur les bouchons de vin de Champagne une mar­que qui n'est pas la leur. N'avez-vous pas eu en Angleterre une affaire de même nature, et com­ment a-t-on jugé le coupable? .

Je viens d'apprendre la mort de la pauvre lady Palmerston. Elle avait fait son temps. Elle est morte entourée de la gloire de son mari et n'a pas vécu assez longtemps pour qu'elle soit con­testée.

Adieu, mon cher Panizzi. Je pars dans trois semaines au plus lard pour Cannes. Voilà déjà l'hiver qui s'annonce par d'affreuses bourrasques. Je voudrais vous savoir au soleil, ou du moins à Bloomsbury square.

LETTRES A M. PAN1ZZI

3S3

CLXVI

Paris, 2 octobre 1869.

Mon cher sir Anthony,

Les personnes pieuses sont consternées de la lettre du Père Hyacinthe, que vous aurez probablement lue. Avant-hier, le Père Gratry, qui est à côté de moi à l'Académie, me demanda ce que je pensais de cette façon d'écrire des lettres dans les journaux. Je lui ai répondu que le Père Hyacinthe et monseigneur Dupanloup me fai­saient l'effet des rédacteurs du Tintamarre et du Figaro s'engueulant pour avoir des abonnés. Il a protesté contre la comparaison ; mais, comme il déteste Dupanloup, je crois qu'elle ne lui a pas déplu. Tout cela prouve qu'il y aura une opposition dans le concile. Le Père Hyacinthe veut faire le Luther ; mais il n'a pas la taille qu'il faut pour ce rôle, et le temps n'est plus aux grands schismes. Les probabilités sont, que le concile fera de la bouillie pour les chats.



384 LETTRES A M. PANIZZI

Qui est le prince que Prim veut faire roi, ou plutôt qui est son père, et qui le gouvernera ? On dit qu'il n'a que seize ans et qu'il a reçu une bonne éducation. Du temps de Joseph Bonaparte, les Espagnols disaient :

Que aqui no quéremos rey Que no diga bien : a Carajo ! »

L'impératrice dit qu'elle sera de retour le 25 novembre; cela suppose une mer constam­ment bonapartiste, et l'absence d'impréyu. Fiat!

On pense que le Corps législatif sera convoqué de bonne heure, en novembre. Selon moi, je voudrais lui laisser faire un ministère, et, ce ministère fait, le dissoudre et convoquer une nouvelle Chambre. Très probablement elle serait meilleure que celle-ci, dont le moindre défaut est une excessive inexpérience. Mais je doute qu'on prenne ce parti. 11 est question de faire un minis­tère plus fort, avant la prochaine réunion. Y par-viendra-t-on? Je n'en sais rien; en tout cas, il vaudrait mieux, je pense, en laisser la responsabi­lité aux députés actuels.

Adieu, mon cher Panizzi. Avez-vous lu mon

LETTRES A M. PANIZZI 385

Oiwsx1 II n'a fait aucun scandale, et on tient pour certain qu'il n'y a eu dans l'affaire qu'une peur de femme grosse.

CLXVII

Paris, 9 octobre 1SG9.

Mon cher Panizzi,

Voilà ce pauvre Libri de l'autre côté de l'Àché-ron. Ici, presque tout le monde croit qu'il a dé­pêché le Yrain-Lucas à M. Chasles, pour se venger de lui. Je n'en crois rien. Ledit Vrain-Lucas se dé­fend d'avoir vendu des autographes à M. Chasles. Il lui vendait, dit-il, des copies, qu'il exécutait en fac-similé. « Un autographe de Molière, dit-il, sa signature au bas d'un reçu de fournisseur se vend plus.de mille francs. Je lui ai vendu pour moins de deux mille francs vingt copies exactes de lettres de Molière. » Je doute que cette défense l'empêche d'aller fabriquer des chaussons dans quelque pénitencier.

1. Fait aujourd'hui partie des Dernières Nouvelles sous le titre de Lokis.

II. 25

386 LETTRES A M. PAN1ZZI

La grande manifestation républicaine annoncée pour le 20 n'aura pas lieu. Les chefs ont eu peur. Cela n'empêche pas que la situation ne soit pas brillante. Le ministère est faible et on ne trouve personne pour le renforcer. D'un autre côté, les bourgeois commencent à s'effrayer un peu.

Ce qui se passe en Espagne est fait pour faire réfléchir. Madame de Montijo m'écrit les choses. les plus déplorables. L'Espagne est maintenant divisée en trois zones allant de l'est à l'ouest. 1° Catalogne et Gallice, régime républicain; on brûle les églises, les archives, les châteaux.. 2° Madrid et le centre, régime parlementaire, assez niais, pas méchant et, après tout, loléra-ble. 3° Andalousie, socialisme et communisme. Tous les propriétaires sont ruinés. Les paysans font la récolte des champs appartenant aux riches et quelquefois les obligent à acheter cette môme récolte. Le tout accompagné d'assassi­nats, de vols et de viols, crimes naturels dans un pays si chaud.

M. le comte de R..., ayant eu la curiosité d'ou­vrir la cassette de sa femme, fut surpris d'y trouver des lettres d'hommes de quatre mains

LETTRES A M. PAMZZI 387

différentes, non signées, mais offrant cette con­formité qu'on s'y servait de la seconde personne :lù singulier. Il s'en est pris à l'écriture qu'il connaissait le mieux, ou, selon une autre ver­sion, à la plus fraîche en date, qui s'est trouvée » celle d'un tout jeune homme, M. de X..., qu'il a transpercé d'un grand coup d'épée ; puis il est allé en grande loge à l'Opéra avec sa femme, migna comitanle caterva.

Adieu, mon cher don Antonio. J'espère que notre voyage ne sera pas trop retardé.

CLXVIII

Cannes, 28 octobre 18GD.

Mon cher Panizzi,

J'avais fait prêter un serment épouvantable aux demoiselles d'honneur de l'impératrice et à ses deux nièces, de m'écrire de tous les ports, où le yacht impérial s'arrêterait ; mais, jusqu'à présent, je n'ai eu qu'une lettre de Venise.. Elle était rem­plie de points d'admiration. Les sérénades, les

'388 LETTRKS A M. I'ANIZZI



-promenades en gondole, les glaces et l'enthou­siasme du public ont beaucoup touché toutes les •voyageuses. Madame de Nadaillac, est, je crois, 'la seule qui se soit occupée du Titien et de Paul Téronèse.

J'attends avec beaucoup de curiosité des nou­velles de Constantinople, particulièrement des deux demoiselles turques, qu'on a données comme •cornacs à Sa Majesté. Il paraît qu'elles parlent 'fort bien français ; mais le curieux est de savoir si elles pensent en turc et si elles traduisent 1 it— •téralemenl. En turc, au lieu de dire : « Je re­grette de n'avoir pas fait telle chose, excusez-moi, etc., » on dit « J'ai mangé de la ...... En

outre, les dames de Constantinople qui ont vu •Caragheuz dans les harems, dès leur enfance, parlent des choses les plus secrètes avec une -entière liberté. Je crois que les demoiselles d'hon­neur auront eu beaucoup de jolies choses à ap­prendre.



Le 26 s'est passé fort tranquillement. On avait •deschassepots tout prêts, mais ils étaient cachés. Le public était disposé à se moquer de la Répu­blique. On a hué une vieille femme et un fou,

LETTRES A M. PANIZZI 38»'

nommé Gagne,, qui propose de guérir tous les cors aux pieds du peuple en commençant par le Corps législatif, et, de plus, de manger les gens qui meurent, par mesure d'économie.

Il me semble qu'on fait, en ce moment, une expérience hasardeuse. On donne à ce peuple-ci une liberté comme jamais il n'en a possédé, et on se flatte qu'il ne fera pas de trop grosses sottises. C'est un peu comme un sage précepteur qui, pour guérir son élève de l'ivrognerie, le-soûlerait tous les jours. Cela peut réussir; mais,. étant donnée Y anima stupida sur laquelle se fait l'expérience, il y a tout à craindre pour le malade et pour le médecin, pour le dernier surtout.

Adieu, mon cher Panizzi ; portez-vous bien et ne passez pas l'hiver en Ecosse. Quant à vos douleurs de poignet qui vous empêchent d'é­crire, ce genre de rhumatisme est appelé par les-meilleurs auteurs pigritia prava. Soignez-vous-' pourtant.

390

LETTRES A M. TAN1ZZI

CLXIXj

Cannes, 7 novembre 18C9.

Mon cher don Antonio,

J'ai refusé de dîner ce soir avec la princesse royale de Prusse, à qui j'avais envoyé un bou­quet ce malin. Cela vous fera voir que je suis réellement malade. Si j'étais en état d'aller de château en château, mangeant des grouse et des faisans, je n'essayerais pas d'apiloyer les gens sur mon sort, sous prétexte que j'ai des rhuma­tismes à la main droite. Le fond de la ques­tion est que je souffre aussitôt que j'ai mangé et que je ne vaux plus les quatre fers d'un chien.

J'ai déjeuné il y a trois jours chez Maure avec Thiers. Il est très changé, très vieilli,, mais il commence à revenir au bercail.- H n'y aura bien­tôt plus que deux' partis : celui de ceux qui ont des culottes et prétendent les garder, et celui de ceux qui n'ont pas de culottes et veulent prendre

LETTRES A M. PANIZZI 391

.celles des autres. Je crois comme vous à une rencontre entre le cliassepot el les socialistes. Toute la question est de savoir si le cliassepot sera en état. Tous savez que cet instrument, dépourvu de ses appendices, cartouches, ai­guille, etc., est fort inférieur à un bâton. On est poltron des deux côtés. Mon impression est que les bêtises des rouges ont commencé à effrayer les bourgeois. Si dans ce. moment il y avait une émeute, ils (les bourgeois) aideraient au chassepot.

Adieu, mon cher Panizzi ; ces dames me char­gent de tous leurs compliments.

CLXX

Cannes, 4 décembre 1869.

Mon cher Panizzi,

Je suppose que vous êtes de retour à Londres et jouissant des charmes du home, dont on sent toujours le mérite après une absence prolongée. Comment les brouillards vous traitent-ils? voilà la

392 LETTRES A M. PANIZZI

question. Ici, ni le beau temps ni le soleil ne me font de bien. Je vais de mal en pire, m'affaiblis-sant tous les jours. Mes médecins y perdent leur latin. Ils me disent que, si je mangeais, je me por­terais bien ; mais je ne mange pas, parce que je me porte mal. Yoilà le cercle vicieux où je suis. Le fond de la question est que ma vieille car­casse s'en va. Il faut en prendre son parti. Le monde, d'ailleurs, ne va pas si bien, pour qu'on le regrette beaucoup.

On dirait que le gouvernement et l'opposition font assaut de maladresse et d'étourderie. Le grand mal de la situation, c'est qu'il n'y a plus d'homme. Les orateurs abondent au contraire. On m'écrit de Paris que l'empereur montre beaucoup de tranquillité et même de gaieté. Il en faut un fonds considérable pour en avoir de reste dans ce temps-ci.

Les Irlandais ont pris vite leçon de nos rouges ; mais je ne crois pas que M. O'ûonovan-Rossa soit traité par le gouvernement comme on â fait ici pour Rochefort. Je me demande si l'attitude si menaçante de la populace dans presque toute l'Europe est une preuve de sa force, ou si elle ne

LETTRES A M. PANIZZI 393

tient qu'à la douceur avec laquelle on traite par­tout aujourd'hui les tentatives de violence. Pro­bablement il y a, de la part de la canaille et de celle du gouvernement, beaucoup de poltron­nerie.

M. Gladstone a de la peine à trouver des pairs. Pourquoi Edouard Elliee a-t-il refusé ? Parce que son père avait refusé autrefois, mais il n'avait peut-être pas les mêmes motifs. On me dit que M. Grote a refusé aussi. C'est un signe du temps et des immenses progrès qu'a faits la dé­mocratie dans la terre classique de l'aristocratie. , Adieu, mon cherPanizzi. L'Ours dont je vous parlais, est le héros d'une nouvelle que je vous ai lue à Montpellier; mais je vous soupçonne d'avoir dormi tout le temps.

CLXXI

Cannes, 2G décembre 18G9.

Mon cher sir Anthony,

Ne mangeant pas, je suis très faible, mais moins cependant que la logique ne semble l'exi-

394 ° LETTRES A M. PANIZZ1

ger. La vérité est que l'animal s'affaiblit, et, s'il était moins coriace, il y a longtemps qu'il aurait donné. sa démission. Je pense très souvent à ce moment-là, et je me demande s'il est très pénible, s'il vous vient des idées différentes de celles que vous avez en santé, en un mot, si vous avez beaucoup d'ennui à mourir ? Vous me ré­pondrez qu'il y a beaucoup de variété dans les morts, et que c'est une loterie où l'on gagne et où l'on perd. La difficulté est d'avoir un bon numéro.

Il y a un Prussien qui a inventé une drogue qu'on appelle chloral, dont on dit merveille. Cela vous fait dormir au milieu de toutes les souffrances possibles. Le docteur X..., ici, en a fait l'expérience l'aulre jour sur le"pauvre Munro ; mais il s'est trompé dans l'administration du. remède et lui a suscité une espèce de volcan dans le bras, où il lui avait injecté ledit chloral. J'espère que, avant le moment où j'en userai, on aura mieux appris à s'en servir.

J'ai eu des nouvelles de Rome assez curieuses. L'opposition se compose des évoques allemands, de quelques Français et de quelques Espagnols.

LETTRES A M. FANIZZI 395

Les plus extravagants sont les évêques américains, je dis les Yankees, et. après eux, les Anglais. La personne qui m'écrit, et que je crois assez bien informée, ne doute pas qu'on ne fasse passer l'in­faillibilité du pape et toutes les facéties ejusdem farinée. Il en sera au concile comme au Corso, pendant la Bi/resa de' Barberi. De méchantes rosses qu'on a beaucoup de peine à faire trotter, galopent avec fureur par émulation. De même les sept cents évêques vont prendre-le mors aux dents par la contagion de l'exemple. Outre les évêques, il vient une grande quantité d'imbéciles qui croient fermement que le concile peut mettre un terme au malaise général et guérir tous les maux de la société. Ces niais-là ne contribuent pas peu à monter la tête aux niais mitres et au respectable Père qui porte trois couronnes et dont la grande préoccupation est de faire le bonheur du genre humain. Il est très probable que de tout cela sortira quelque énorme brioche. Un schisme est-il possible aujourd'hui? Je ne Je crois pas; mais il y aura maintes difficultés dans les ménages, car les femmes ont toujours grand' peur d'être excommuniées. Le plus probable,

396 LETTRES A M. PANIZZI

c'est que tous les gouvernements catholiques se mettront en hostilité contre le pape.

Adieu, mon cher Panizzi ; je vous parle du con­cile parce que la politique me fait horreur. Nous allons à tous les diables.

CLXXII

Cannes, C janvier 1870. Mon cher Panizzi,

Je vous souhaite une heureuse année accompa­gnée de plusieurs autres. Je vais mal. Rien ne me soulage ; je ne mange plus guère et j'ai même une répugnance extraordinaire pour toute espèce de nourriture. Mauvais symptôme ! Ce ne serait rien si je ne souffrais pas, mais j'ai des jours bien pénibles et des nuits pires..Que voulez-vous! c'est un voyage difficile vers un pays qui n'est peut-être pas des plus agréables.

Je crois que vous accusez les jésuites à tort ; non que je veuille les défendre, mais ce ne sont pas les plus mauvais entre les pères du concile. Ce n'est pas le fanatisme qui a jamais distingué

LETTRES A M. PANIZZI 39 7

les jésuites. Au contraire. Ils cherchent à vivre avec le monde et ils ont (ou du moins ils avaient) assez d'esprit pour ne pas s'opposer an courant. Ils savaient se conformer aux temps et aux usages. Aujourd'hui et particulièrement dans le concile, il y a une majorité d'imbéciles fanatiques. Les •évêques allemandset les nôtres sont, je crois, jé­suites ou jésuitisants ; pourtant ils sont tout à fait •opposés à l'infaillibilité et aux autres prepotenze ■des évêques fanatiques. La majorité se compose de prélats inpartibus, créatures du pape ou d'é-vêques italiens, espagnols, américains, tous gens plus ou moins irrités contre le gouvernement •de leur pays. Ce sont en quelque sorte des émi­grés qui ne demandent qu'à se venger, trop peu •éclairés, d'ailleurs, poursavoir comment il faudrait s'y prendre. Le résultat de l'infailibilité et d'un manifeste contre les lois politiques des pays con­stitutionnels, résultat qui me paraît probable, sera la séparation de l'Église et de l'État. Alors les abbés de bonne compagnie gagneront beau­coup d'argent, et tous les curés de village mour­ront de faim. Probablement il faudra augmen­ter la police et la gendarmerie.


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