De la grammatologie



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DE LA GRAMMATOLOGIE

vait produire une force de rupture ou une raison d'en sortir.

La causalité de la rupture devait donc être à la fois naturelle

et extérieure au système de l'étal pré-civil. La révolution terrestre

répond à ces deux exigences. Elle est évoquée en un point qui

est rigoureusement le centre de l'Essai :

« Les climats doux, les pays gras et fertiles, ont été les

premiers peuplés et les derniers où les nations se sont formées,

parce que les hommes s'y pouvaient passer plus aisément les

uns des autres, et que les besoins qui font naître la société s'y

sont fait sentir plus tard.

Supposez un printemps perpétuel sur la terre ; supposez

partout de l'eau, du bétail, des pâturages ; supposez les

hommes, sortant des mains de la nature, une fois dispersés

parmi tout cela : je n'imagine pas comment ils auraient

jamais renoncé à leur liberté primitive et quitté la vie isolée

et pastorale, si convenable à leur indolence naturelle

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, pour

s'imposer sans nécessité l'esclavage, les travaux, les misères

inséparables de l'état social.

Celui qui voulut que l'homme fût sociable toucha du doigt

l'axe du globe et l'inclina sur l'axe de l'univers. A ce léger

mouvement, je vois changer la face de la terre et décider

la vocation du genre humain : j'entends au loin les cris de

joie d'une multitude insensée ; je vois édifier les palais et les

villes ; je vois naître les arts, les lois, le commerce ; je vois

les peuples se former, s'étendre, se dissoudre, se succéder

comme les flots de la mer ; je vois les hommes, rassemblés sur

quelques points de leur demeure pour s'y développer mutuel-

lement, faire un affreux désert du reste du monde, digne

monument de l'union sociale et de l'utilité des arts ». (Nous

soulignons.)

L'indolence naturelle de l'homme barbare n'est pas un carac-

tère empirique parmi d'autres. C'est une détermination originaire

59. Rousseau précise en note : « Il est inconcevable à quel

point l'homme est naturellement paresseux. On dirait qu'il ne vit

que pour dormir, végéter, rester immobile ; à peine peut-il se

résoudre à se donner les mouvements nécessaires pour s'empêcher

de mourir de faim. Rien ne maintient tant les sauvages dans

l'amour de leur état que cette délicieuse indolence. Les passions

qui rendent l'homme inquiet, prévoyant, actif, ne naissent que

dans la société. Ne rien faire est la première et plus forte passion

de l'homme après celle de se conserver. Si l'on y regardait bien,

l'on verrait que, même parmi nous, c'est pour parvenir au repos

que chacun travaille, c'est encore la paresse qui nous rend labo-

rieux. »


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L' « ESSAI SUR L'ORIGINE DES LANGUES »

indispensable au système naturel. Elle explique que l'homme n'a

pu sortir spontanément de la barbarie et de son siècle d'or ; il

n'avait pas en lui-même de mouvement pour aller plus loin.

Le repos est naturel. L'origine et la fin sont l'inertie. L'inquié-

tude ne pouvant naître du repos, elle né survient à l'état de

l'homme et à l'état terrestre correspondant, au barbare et au

printemps perpetuel, que par catastrophe : effet d'une force

rigoureusement imprévisible dans le système de la terre. C'est

pourquoi l'attribut anthropologique de la paresse doit corres-

pondre à l'attribut géo-logique de l'inertie.

Comme la catastrophe de l'inquiétude et de la différenciation

des saisons n'a pu être logiquement produite depuis le dedans

du système inerte» il faut imaginer l'inimaginable : une chique-

naude parfaitement extérieure à la nature. Cette explication

d'apparence « arbitraire »

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 répond à une nécessité profonde et



elle concilie ainsi bien des exigences. La négativité, l'origine du

mal, la société, l'articulation viennent du dehors. La présence

est surprise par ce qui la menace. Il est d'autre part indispen-

sable que cette extériorité du mal ne soit rien ou presque rien.

Or la chiquenaude, le « léger mouvement » produit une révo-

lution à partir de rien. Il suffit que la force de celui qui toucha

du doigt l'axe du globe soit extérieure au globe. Une force pres-

que nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigou-

reusement étrangère au système qu'elle met en mouvement.

Celui-ci ne lui oppose aucune résistance, les forces antagonistes

ne jouent qu'à l'intérieur d'un globe. La chiquenaude est toute-

puissante parce qu'elle déplace le globe dans le vide. L'origine

du mal ou de l'histoire est donc le rien ou le presque rien. On

s'explique ainsi l'anonymat de Celui qui inclina du doigt l'axe

du monde. Ce n'est peut-être pas Dieu, puisque la Providence

divine, dont Rousseau parle si souvent, ne peut avoir voulu la

catastrophe et n'eut pas besoin du hasard et du vide pour

agir. Mais c'est peut-être Dieu dans la mesure où la force de

mal ne fut rien, ne suppose aucune efficience réelle. C'est proba-

blement Dieu puisque son éloquence et sa puissance sont en

même temps infinies et ne rencontrent aucune résistance à leur

mesure. Puissance infinie : le doigt qui incline un monde. Elo-

quence infinie parce que silencieuse : un mouvement du doigt



60. C'est ainsi que l'a qualifiée R. Derathé (Rousseau et la

science... p. 180).

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